La crise post-électorale que vit la Côte d'Ivoire, avec les sanctions de l'Union européenne à l'encontre des deux ports ivoiriens, commence à avoir des répercussions sur l'économie portuaire. Une enquête réalisée au Port autonome d'Abidjan (PAA) présente en effet un secteur d'activité en souffrance.
Deux mois après les sanctions de l'Union européenne (UE) à l'encontre des ports ivoiriens, que devient le Port autonome d'Abidjan (PAA)? Présenté comme le poumon de l'économie ivoirienne, le PAA commence à ressentir les conséquences de la crise post-électorale avec l'interdiction faites aux navires battant pavillon européen d'accoster dans les eaux ivoiriennes. Une sanction visant à contraindre Laurent Gbagbo à céder le pouvoir à son rival Alassane Ouattara. Cet étranglement financier exercé par les alliés extérieurs de Ouattara a contribué à la réduction de la cadence des navires au port d'Abidjan. «Aujourd'hui, lorsqu'un navire rentre dans le port, il ne passe pas inaperçu. Parce que c'est devenu une denrée rare. C'est comme un évènement», confie un agent d'un grand groupe français de la place, qui dénonce une baisse criante de l'activité en zone portuaire. Selon notre interlocuteur, le port ''se vide de son contenu. Le terminal à conteneurs est vide. Au lieu de 45 escales à traiter par mois, on fait la moitié actuellement. La situation est catastrophique. On se tourne les pouces''. Face à cette situation, l'un des géants la plate-forme portuaire a décidé de prendre des mesures importantes. Les responsables de cette entreprise envisagent, selon certaines indiscrétions, un plan de départ volontaire pour son personnel ainsi que des réductions de salaire. Pour l'instant, les stagiaires ont été libérés et les agents dont les contrats à durée déterminée (CDD) sont arrivés à expiration ont été également remerciés. Des licenciements planent sur les 1200 salariés embauchés et les CDD. Tout comme ce géant, d'autres grandes compagnies sont en difficulté. Ces compagnies n'ont pas arrêté leurs activités, mais elles les ont réduites sur le port d'Abidjan. C'est le cas notamment des booking, c'est-à-dire des réservations aux départs de l'Europe pour Abidjan dont la plupart sont aujourd'hui acheminés sur Dakar (Sénégal). Des compagnies maritimes s'attèlent ainsi à satisfaire des commandes de certains clients passées avant que les sanctions de l'UE ne tombent. Ces compagnies négocient donc avec l'UE pour l'obtention de dérogations. C'est ce qui justifie, toujours selon une source, quelques mouvement de navires encore dans les ports ivoiriens. Les acteurs de la plate-forme portuaire sont unanimes que le trafic au port d'Abidjan a baissé de 80%. La grande partie des mouvements de navires observée aujourd'hui au port d'Abidjan concerne des activités de rangement d'anciens conteneurs. «Nous ne prenons pas de nouveaux conteneurs. Actuellement, on fait juste le ménage. On range les anciens conteneurs», a confié une source proche de la compagnie maritime DELMAS. Pour appuyer cette décision, DELMAS a pris une note depuis le 10 février 2011 pour informer ses agents quant à la suspension de ses réservations en provenance de différents ports vers Abidjan et vice-versa. Cette compagnie a été précédée par MAERSK LINE qui a arrêté temporairement, selon une note datée du 27 janvier 2011, des embarquements depuis l'Europe. «Les activités sont réduites, mais on travaille. Même si ce n'est pas comme avant. Il y a moins de navires qui accostent», a affirmé un employé de DELMAS qui a indiqué qu'ils ont réceptionné un navire, ROSA DELMAS, en provenance de Dakar le jeudi 24 février 2011. Cette même compagnie attendait un autre navire en provenance encore de Dakar le dimanche 27 février 2011, à notre passage. Ces navires, selon notre source à DELMAS, transportent essentiellement des conteneurs déviés et parqués au port de Dakar, du fait des sanctions de l'UE qui frappent les ports ivoiriens. En réalité, tout ce qui était déjà en cours de transfert vers la Côte d’Ivoire a été réorienté sur le port de Dakar, et depuis le port de Dakar, est affrété sur des bateaux européens en vue d’un autre réacheminement vers la Côte d’Ivoire. Ces cargaisons détournées de leur trajectoire initiale arrivent donc forcement avec un certain retard. Ce sont, de l'avis de certains acteurs de la plate-forme portuaire, les derniers approvisionnements à arriver en Côte d’Ivoire. «Nous avons 2500 conteneurs que nous devons faire partir dans toutes les directions du monde», a insisté cette source qui explique les retards de livraisons par les sanctions de l'UE. Malgré ce ralentissement des activités, DELMAS, selon ses responsables, n'envisage pas des chômages techniques. N'empêche, des menaces planent sur les agents de cette compagnie. La preuve, le temps de travail a été considérablement réduit pour la plupart des travailleurs de la zone portuaire. A la société SIVOM, a confié un acteur de la plate-forme portuaire, les employés travaillent un mois sur deux. A MSC, les agents se relaient à leurs postes respectifs. «Le temps de travail par mois au port est de 173 heures. Si chaque jour on vous retranche des heures, vous vous retrouvez forcement avec un salaire réduit à la fin du mois», note un peu désabusé, un travailleur.
Sons discordants au port de pêche
A côté de ces travailleurs du port d'Abidjan qui disent broyer du noir aujourd'hui, il y a ceux qui défendent corps et âme un déroulement normal des activités dans cette zone. «Dire qu'il n'y a pas de navire au port, chacun peut l'apprécier comme il veut. Moi, je pense que par rapport à ce que j'ai vu, il y a des navires au port», confie un acteur du secteur du port de pêche. Il nous a présenté, au cours d'une visite dans cette zone, les différents navires au quai thonier: Montécelo, Albacora Diez, Albacora Caribé, Mar De Sergio, tous battant pavillon Espagnol. Deux autres bateaux présentés comme des cartonniers: Artic Mariner et Lucky 101 étaient également en quai. Tous ces navires qui avaient fini apparemment de décharger leurs cargaisons étaient au port de pêche, selon notre guide, depuis le dimanche 13 février 2011. Ces navires, pour la plupart battant pavillon européen, ont fini par convaincre cet acteur du port de pêche que les sanctions de l'UE n'ont pas prospéré. Chemin faisant, il pointe du doigt un navire stationné au magasin 1 qu'il présente comme un bateau qui transporte des marchandises diverses. «A partir des magasins 12 et 14, il y a aussi deux cargos de marchandises», nous apprend-il. Puis d'insister sur la continuité des fréquentations des ports ivoiriens par les navires. Un argument qui n'est pas partagé par d'autres acteurs de la zone portuaire, qui expliquent la présence des navires au port de pêche par le fait que l'UE ne contrôle pas les activités de pêche. «Ces navires pêchent dans les eaux territoriales ivoiriennes et donc échappent au contrôle de l'Union européenne», a affirmé un travailleur. Effectivement, les jours qui ont suivi, l'embellie constatée par notre premier interlocuteur s'est dégradée. Les trois sociétés de production de conserve de thon à Abidjan, à savoir Scodi, Pêche et Froid (PFCI) et Castelli ont cessé leurs activités depuis le mois de février. Castelli a fermé il y a plus de deux semaines et Scodi et Pêche et Froid ont fermé le lundi 28 février 2011. Tout simplement parce que la matière première, à savoir le poisson destiné à la fabrication de conserves de thon, manque. Les rares bateaux de pêche qui réussissent à contourner les décisions de l'UE exigent d'être payés en liquidité avant de livrer la marchandise. « Ce qui n'est pas normal, avec la fermeture des banques », a confié un travailleur de Pêche et Froid qui espère la fin de crise afin de reprendre son poste dans cette entreprise. A l'image du port de pêche, ce n'est pas la bonne ambiance aussi au quai fruitier (quai bananier) spécialisé en produits périssables comme la banane et l'ananas, où l'activité est au ralenti. Notre passage sur ce quai nous a permis de voir un navire frappé de l'inscription STAR TREST, en provenance du Cameroun, de l'avis d'un transitaire venu récupérer ses véhicules. Selon notre interlocuteur, ce navire, le seul dans le quai, était accosté depuis une dizaine de jours et était en train d'être chargé de diverses marchandises avant de prendre une autre destination. Dans ce quai également, l'on procédait au rangement des conteneurs vides. Signe patent qu'il n'y avait plus d'activité en ces lieux pourtant grouillants de monde auparavant.
Irène BATH
Légende: Les sanctions de l'UE sur les ports ivoiriens freinent l'activité dans la zone portuaire.
Légende: En fac-similés, des notes de DELMAS et MAERSK LINE à leurs clients indiquant un arrêt de leurs embarquements. (Code ph: Delmas maersk)
Encadré: A qui profitent les sanctions de l'UE?
1. Qui de la Côte d'Ivoire, de la France ou encore des opérateurs économiques des différentes plate-formes portuaires ivoiriennes (port d'Abidjan et de San-Pedro) paient le plus lourd tribut des sanctions de l'UE? Parce qu'il est difficile de comprendre que dans le souci de vouloir asphyxier un individu et son camp, l'on mette à mal les activités de tout un secteur donné. Les sanctions de l'UE et de la France sur les ports ivoiriens, faut-il le noter, sont tombées le 14 janvier 2011. Ces sanctions concernent le gel des avoirs du port en France, l'interdiction aux navires immatriculés sur l'espace européen de faire des escales dans ledit port et l'interdiction pour le directeur général d'effectuer des missions en Europe. Dans les premiers jours, la note officielle de l'UE n'a pas porté ses fruits. Tout simplement parce que 99% des navires ne sont pas immatriculés en Europe. La plupart de ces navires sont immatriculés au Bahamas, à Panama et au Liberia où ils bénéficient de pavillons de complaisance. Fort de cet échec, la sanction a changé de cible pour s'étendre aux navires européens. Plus d'un mois après la mise en œuvre de ces sanctions, l'on note effectivement un ralentissement de l'activité économique en zone portuaire. Les navires continuent de venir dans les eaux ivoiriennes mais, à cadence réduite. La Côte d'Ivoire n'est, certes, pas dans une situation chaotique. Mais elle commence à ressentir durement les pertes de trafics. Bien que ces mesures soient désastreuses pour les autorités ivoiriennes, se sont les opérateurs économiques de la plate-forme portuaire qui en payent le lourd tribut. Ces hommes d'affaire commencent, du reste, à ne plus tenir le coup. D'où des mesures de compression, qui jettent involontairement à la rue des milliers de travailleurs. Aussi, les mesures prises n'épargnent pas de nombreux opérateurs privés (transitaires, consignataires et manutentionnaires), singulièrement des Européens, qui interviennent dans ces secteurs. C'est le cas de ce géant français sur les côtes ivoiriennes, dont les activités connaissent une sérieuse baisse à l'image de bien d'entreprises françaises installées au port d'Abidjan, et qui risquent de perdre leur position de monopole avec les tentatives de diversification de partenaires commerciaux par les autorités ivoiriennes en place.
I.B.
Encadré 2
La riposte du camp Gbagbo
. Les grosses manœuvres de Gossio, DG du PAA
Le gouvernement Aké N'Gbo ne veut pas assister impuissant à la mort programmée des ports ivoiriens durement éprouvés par les sanctions de l'UE. Le premier responsable de la plate-forme portuaire d'Abidjan, Marcel Gossio, directeur général, a effectué une mission en Chine pour négocier de nouvelles opportunités d'affaires. En attendant une suite favorable à ces différentes missions, le camp Gbagbo réfléchit au développement d'un armement national. L'objectif étant de prendre des initiatives visant à garantir la continuité des opérations dans les ports d'Abidjan et de San-Pedro. La session extraordinaire de l'Assemblée nationale du mercredi 23 février a été le lieu pour les parlementaires de plancher sur cette question. Le ministre de l'Equipement et de l'Assainissement, Ahoua Don Mello, a énuméré les mesures urgentes prises au cours de cette session. Il s'agit, entre autres, du développement du transport maritime inter-côtier, l'affrètement de navires, le développement d'armements nationaux, la prospection de nouveaux horizons pour les échanges extérieurs de la Côte d'Ivoire, eu égard aux conséquences des embargos sur les deux ports ivoiriens. Celles-ci se résument en termes de baisse de l'offre de transport maritime, mais aussi de trafic de navires. Pour le port d'Abidjan, selon le ministre Don Mello, de 7 navires en moyenne par jour en 2010, l'on n'enregistre plus aujourd'hui que 5 navires. Sans compter le renchérissement des coûts de transport et du fret, la forte déviation du cacao, le risque de fermeture de certaines entreprises du fait de la baisse des activités économiques, le détournement des trafics des deux ports vers des ports voisins. Conséquence, le port ivoirien, l'un des plus gros de l'Afrique subsahariennne, court le risque de la perte de sa position de leader de la sous-région. Par exemple, le chargement de cacao est passé de 21359 tonnes au 23 janvier 2010 à 1180 tonnes au 20 février 2011. Le tonnage en vrac est passé, sur la même période, de 24000 à 00 tonne. Cela montre qu'il y a danger à l'horizon. Si rien n'est fait pour sauver la situation.
I.B.
Deux mois après les sanctions de l'Union européenne (UE) à l'encontre des ports ivoiriens, que devient le Port autonome d'Abidjan (PAA)? Présenté comme le poumon de l'économie ivoirienne, le PAA commence à ressentir les conséquences de la crise post-électorale avec l'interdiction faites aux navires battant pavillon européen d'accoster dans les eaux ivoiriennes. Une sanction visant à contraindre Laurent Gbagbo à céder le pouvoir à son rival Alassane Ouattara. Cet étranglement financier exercé par les alliés extérieurs de Ouattara a contribué à la réduction de la cadence des navires au port d'Abidjan. «Aujourd'hui, lorsqu'un navire rentre dans le port, il ne passe pas inaperçu. Parce que c'est devenu une denrée rare. C'est comme un évènement», confie un agent d'un grand groupe français de la place, qui dénonce une baisse criante de l'activité en zone portuaire. Selon notre interlocuteur, le port ''se vide de son contenu. Le terminal à conteneurs est vide. Au lieu de 45 escales à traiter par mois, on fait la moitié actuellement. La situation est catastrophique. On se tourne les pouces''. Face à cette situation, l'un des géants la plate-forme portuaire a décidé de prendre des mesures importantes. Les responsables de cette entreprise envisagent, selon certaines indiscrétions, un plan de départ volontaire pour son personnel ainsi que des réductions de salaire. Pour l'instant, les stagiaires ont été libérés et les agents dont les contrats à durée déterminée (CDD) sont arrivés à expiration ont été également remerciés. Des licenciements planent sur les 1200 salariés embauchés et les CDD. Tout comme ce géant, d'autres grandes compagnies sont en difficulté. Ces compagnies n'ont pas arrêté leurs activités, mais elles les ont réduites sur le port d'Abidjan. C'est le cas notamment des booking, c'est-à-dire des réservations aux départs de l'Europe pour Abidjan dont la plupart sont aujourd'hui acheminés sur Dakar (Sénégal). Des compagnies maritimes s'attèlent ainsi à satisfaire des commandes de certains clients passées avant que les sanctions de l'UE ne tombent. Ces compagnies négocient donc avec l'UE pour l'obtention de dérogations. C'est ce qui justifie, toujours selon une source, quelques mouvement de navires encore dans les ports ivoiriens. Les acteurs de la plate-forme portuaire sont unanimes que le trafic au port d'Abidjan a baissé de 80%. La grande partie des mouvements de navires observée aujourd'hui au port d'Abidjan concerne des activités de rangement d'anciens conteneurs. «Nous ne prenons pas de nouveaux conteneurs. Actuellement, on fait juste le ménage. On range les anciens conteneurs», a confié une source proche de la compagnie maritime DELMAS. Pour appuyer cette décision, DELMAS a pris une note depuis le 10 février 2011 pour informer ses agents quant à la suspension de ses réservations en provenance de différents ports vers Abidjan et vice-versa. Cette compagnie a été précédée par MAERSK LINE qui a arrêté temporairement, selon une note datée du 27 janvier 2011, des embarquements depuis l'Europe. «Les activités sont réduites, mais on travaille. Même si ce n'est pas comme avant. Il y a moins de navires qui accostent», a affirmé un employé de DELMAS qui a indiqué qu'ils ont réceptionné un navire, ROSA DELMAS, en provenance de Dakar le jeudi 24 février 2011. Cette même compagnie attendait un autre navire en provenance encore de Dakar le dimanche 27 février 2011, à notre passage. Ces navires, selon notre source à DELMAS, transportent essentiellement des conteneurs déviés et parqués au port de Dakar, du fait des sanctions de l'UE qui frappent les ports ivoiriens. En réalité, tout ce qui était déjà en cours de transfert vers la Côte d’Ivoire a été réorienté sur le port de Dakar, et depuis le port de Dakar, est affrété sur des bateaux européens en vue d’un autre réacheminement vers la Côte d’Ivoire. Ces cargaisons détournées de leur trajectoire initiale arrivent donc forcement avec un certain retard. Ce sont, de l'avis de certains acteurs de la plate-forme portuaire, les derniers approvisionnements à arriver en Côte d’Ivoire. «Nous avons 2500 conteneurs que nous devons faire partir dans toutes les directions du monde», a insisté cette source qui explique les retards de livraisons par les sanctions de l'UE. Malgré ce ralentissement des activités, DELMAS, selon ses responsables, n'envisage pas des chômages techniques. N'empêche, des menaces planent sur les agents de cette compagnie. La preuve, le temps de travail a été considérablement réduit pour la plupart des travailleurs de la zone portuaire. A la société SIVOM, a confié un acteur de la plate-forme portuaire, les employés travaillent un mois sur deux. A MSC, les agents se relaient à leurs postes respectifs. «Le temps de travail par mois au port est de 173 heures. Si chaque jour on vous retranche des heures, vous vous retrouvez forcement avec un salaire réduit à la fin du mois», note un peu désabusé, un travailleur.
Sons discordants au port de pêche
A côté de ces travailleurs du port d'Abidjan qui disent broyer du noir aujourd'hui, il y a ceux qui défendent corps et âme un déroulement normal des activités dans cette zone. «Dire qu'il n'y a pas de navire au port, chacun peut l'apprécier comme il veut. Moi, je pense que par rapport à ce que j'ai vu, il y a des navires au port», confie un acteur du secteur du port de pêche. Il nous a présenté, au cours d'une visite dans cette zone, les différents navires au quai thonier: Montécelo, Albacora Diez, Albacora Caribé, Mar De Sergio, tous battant pavillon Espagnol. Deux autres bateaux présentés comme des cartonniers: Artic Mariner et Lucky 101 étaient également en quai. Tous ces navires qui avaient fini apparemment de décharger leurs cargaisons étaient au port de pêche, selon notre guide, depuis le dimanche 13 février 2011. Ces navires, pour la plupart battant pavillon européen, ont fini par convaincre cet acteur du port de pêche que les sanctions de l'UE n'ont pas prospéré. Chemin faisant, il pointe du doigt un navire stationné au magasin 1 qu'il présente comme un bateau qui transporte des marchandises diverses. «A partir des magasins 12 et 14, il y a aussi deux cargos de marchandises», nous apprend-il. Puis d'insister sur la continuité des fréquentations des ports ivoiriens par les navires. Un argument qui n'est pas partagé par d'autres acteurs de la zone portuaire, qui expliquent la présence des navires au port de pêche par le fait que l'UE ne contrôle pas les activités de pêche. «Ces navires pêchent dans les eaux territoriales ivoiriennes et donc échappent au contrôle de l'Union européenne», a affirmé un travailleur. Effectivement, les jours qui ont suivi, l'embellie constatée par notre premier interlocuteur s'est dégradée. Les trois sociétés de production de conserve de thon à Abidjan, à savoir Scodi, Pêche et Froid (PFCI) et Castelli ont cessé leurs activités depuis le mois de février. Castelli a fermé il y a plus de deux semaines et Scodi et Pêche et Froid ont fermé le lundi 28 février 2011. Tout simplement parce que la matière première, à savoir le poisson destiné à la fabrication de conserves de thon, manque. Les rares bateaux de pêche qui réussissent à contourner les décisions de l'UE exigent d'être payés en liquidité avant de livrer la marchandise. « Ce qui n'est pas normal, avec la fermeture des banques », a confié un travailleur de Pêche et Froid qui espère la fin de crise afin de reprendre son poste dans cette entreprise. A l'image du port de pêche, ce n'est pas la bonne ambiance aussi au quai fruitier (quai bananier) spécialisé en produits périssables comme la banane et l'ananas, où l'activité est au ralenti. Notre passage sur ce quai nous a permis de voir un navire frappé de l'inscription STAR TREST, en provenance du Cameroun, de l'avis d'un transitaire venu récupérer ses véhicules. Selon notre interlocuteur, ce navire, le seul dans le quai, était accosté depuis une dizaine de jours et était en train d'être chargé de diverses marchandises avant de prendre une autre destination. Dans ce quai également, l'on procédait au rangement des conteneurs vides. Signe patent qu'il n'y avait plus d'activité en ces lieux pourtant grouillants de monde auparavant.
Irène BATH
Légende: Les sanctions de l'UE sur les ports ivoiriens freinent l'activité dans la zone portuaire.
Légende: En fac-similés, des notes de DELMAS et MAERSK LINE à leurs clients indiquant un arrêt de leurs embarquements. (Code ph: Delmas maersk)
Encadré: A qui profitent les sanctions de l'UE?
1. Qui de la Côte d'Ivoire, de la France ou encore des opérateurs économiques des différentes plate-formes portuaires ivoiriennes (port d'Abidjan et de San-Pedro) paient le plus lourd tribut des sanctions de l'UE? Parce qu'il est difficile de comprendre que dans le souci de vouloir asphyxier un individu et son camp, l'on mette à mal les activités de tout un secteur donné. Les sanctions de l'UE et de la France sur les ports ivoiriens, faut-il le noter, sont tombées le 14 janvier 2011. Ces sanctions concernent le gel des avoirs du port en France, l'interdiction aux navires immatriculés sur l'espace européen de faire des escales dans ledit port et l'interdiction pour le directeur général d'effectuer des missions en Europe. Dans les premiers jours, la note officielle de l'UE n'a pas porté ses fruits. Tout simplement parce que 99% des navires ne sont pas immatriculés en Europe. La plupart de ces navires sont immatriculés au Bahamas, à Panama et au Liberia où ils bénéficient de pavillons de complaisance. Fort de cet échec, la sanction a changé de cible pour s'étendre aux navires européens. Plus d'un mois après la mise en œuvre de ces sanctions, l'on note effectivement un ralentissement de l'activité économique en zone portuaire. Les navires continuent de venir dans les eaux ivoiriennes mais, à cadence réduite. La Côte d'Ivoire n'est, certes, pas dans une situation chaotique. Mais elle commence à ressentir durement les pertes de trafics. Bien que ces mesures soient désastreuses pour les autorités ivoiriennes, se sont les opérateurs économiques de la plate-forme portuaire qui en payent le lourd tribut. Ces hommes d'affaire commencent, du reste, à ne plus tenir le coup. D'où des mesures de compression, qui jettent involontairement à la rue des milliers de travailleurs. Aussi, les mesures prises n'épargnent pas de nombreux opérateurs privés (transitaires, consignataires et manutentionnaires), singulièrement des Européens, qui interviennent dans ces secteurs. C'est le cas de ce géant français sur les côtes ivoiriennes, dont les activités connaissent une sérieuse baisse à l'image de bien d'entreprises françaises installées au port d'Abidjan, et qui risquent de perdre leur position de monopole avec les tentatives de diversification de partenaires commerciaux par les autorités ivoiriennes en place.
I.B.
Encadré 2
La riposte du camp Gbagbo
. Les grosses manœuvres de Gossio, DG du PAA
Le gouvernement Aké N'Gbo ne veut pas assister impuissant à la mort programmée des ports ivoiriens durement éprouvés par les sanctions de l'UE. Le premier responsable de la plate-forme portuaire d'Abidjan, Marcel Gossio, directeur général, a effectué une mission en Chine pour négocier de nouvelles opportunités d'affaires. En attendant une suite favorable à ces différentes missions, le camp Gbagbo réfléchit au développement d'un armement national. L'objectif étant de prendre des initiatives visant à garantir la continuité des opérations dans les ports d'Abidjan et de San-Pedro. La session extraordinaire de l'Assemblée nationale du mercredi 23 février a été le lieu pour les parlementaires de plancher sur cette question. Le ministre de l'Equipement et de l'Assainissement, Ahoua Don Mello, a énuméré les mesures urgentes prises au cours de cette session. Il s'agit, entre autres, du développement du transport maritime inter-côtier, l'affrètement de navires, le développement d'armements nationaux, la prospection de nouveaux horizons pour les échanges extérieurs de la Côte d'Ivoire, eu égard aux conséquences des embargos sur les deux ports ivoiriens. Celles-ci se résument en termes de baisse de l'offre de transport maritime, mais aussi de trafic de navires. Pour le port d'Abidjan, selon le ministre Don Mello, de 7 navires en moyenne par jour en 2010, l'on n'enregistre plus aujourd'hui que 5 navires. Sans compter le renchérissement des coûts de transport et du fret, la forte déviation du cacao, le risque de fermeture de certaines entreprises du fait de la baisse des activités économiques, le détournement des trafics des deux ports vers des ports voisins. Conséquence, le port ivoirien, l'un des plus gros de l'Afrique subsahariennne, court le risque de la perte de sa position de leader de la sous-région. Par exemple, le chargement de cacao est passé de 21359 tonnes au 23 janvier 2010 à 1180 tonnes au 20 février 2011. Le tonnage en vrac est passé, sur la même période, de 24000 à 00 tonne. Cela montre qu'il y a danger à l'horizon. Si rien n'est fait pour sauver la situation.
I.B.