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Politique Publié le jeudi 17 mars 2011 | Notre Voie

Scrutin présidentiel validé par le Conseil constitutionnel : Le code électoral a été bel et bien appliqué

© Notre Voie
Paul Yao N`DRE Président du conseil constitutionnel
Au terme de la mission réalisée par son Panel de chefs d’Etat en Côte d’Ivoire, le Conseil de Paix et de sécurité de l’Union africaine a opté pour la reconnaissance d’Alassane Ouattara comme président la République mais elle demande son investiture par le Conseil constitutionnel. Du coup, l’UA semble consolider la thèse de ceux qui reprochaient au Conseil constitutionnel de ne pas avoir appliqué l’article 64 du code électoral pour annuler tout le scrutin. Dans la contribution qui suit, le Dr. Privat Agnéro démontre que l’article 64 a été bien appliqué et que la décision du Conseil constitutionnel est inattaquable.
Du code électoral d’août 2000, une seule disposition a tiré à elle toute la couverture médiatique occasionnée par la crise postélectorale en Côte d’Ivoire. Elle a du coup cristallisé la contestation de la décision du Conseil constitutionnel du 3 décembre 2010. Cette décision donna le candidat LMP vainqueur de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010. Les détracteurs du Conseil constitutionnel lui reprochent de n’avoir pas appliqué l’article 64 car, disent-ils, cette disposition n’offre au juge constitutionnel qu’une seule option : celle d’annuler toute l’élection lorsqu’il relève des irrégularités graves ayant entaché la sincérité du scrutin. Les défenseurs du Conseil constitutionnel s’arc-boutent sur l’autorité absolue de la chose jugée pour prétendre que le droit doit être respecté. Face à cette situation, il est bon que nous relisions ensemble cette disposition disputée et discutée – c’est selon – pour tenter d’apporter un éclaircissement. Pour ce faire, revenons sur l’histoire de cet article qui permettra de mieux saisir l’étendue des pouvoirs qu’il permet au juge constitutionnel de mettre en œuvre.

I – L’approche historique de l’article 64
La formulation retenue pour le contenu de cette disposition puise à diverses sources.
A – Le contenu de l’article 64
Il est prévu à l’article 64 nouveau du code électoral d’août 2000 que «Dans le cas où le Conseil constitutionnel constate des irrégularités de nature à entacher la validité du scrutin et à en affecter le résultat d`ensemble, il prononce l`annulation de l`élection et notifie sa décision à la Commission électorale indépendante qui en informe le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies et le Représentant spécial du Facilitateur à toutes fins utiles.
La date du nouveau scrutin est fixée par décret pris en Conseil des ministres sur proposition de la Commission électorale indépendante. Le scrutin a lieu au plus tard quarante cinq jours à compter de la date de la décision du Conseil constitutionnel».
Cette disposition résulte de l’ajustement au code électoral opéré en avril 2008 pour tenir compte des exigences de sortie de crise prévues par l’Accord politique de Ouagadougou du 7 mars 2007. La rédaction initiale de ce texte telle qu’elle résulte de la loi référendaire d’août 2000 est la suivante : «Dans le cas où le Conseil constitutionnel constate des irrégularités de nature à entacher la sincérité du scrutin et à en affecter le résultat d`ensemble, il prononce l`annulation de l`élection. La date du nouveau scrutin est fixée par décret pris en Conseil des ministres sur proposition de la Commission chargée des élections. Le scrutin a lieu au plus tard quarante cinq jours à compter de la date de la décision du Conseil constitutionnel». Autant dire que les ajustements ont consisté en l’intégration des termes «Commission électorale indépendante», «Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies» et «Représentant spécial du Facilitateur». De sorte que ni le législateur de 2000 ni le Président de la République n’ont en réalité innové d’autant que ce texte n’a fait que reconduire in extenso une disposition ancienne.

B – Une diversité de sources d’inspiration
Elles sont nombreuses. La plus immédiate est certainement le code électoral du 13 décembre 1994 dont l’article 66 est une copie quasi identique de l’article 64 d’août 2000. Lisons plutôt : «Dans le cas où le Conseil constitutionnel constate des irrégularités de nature à entacher la sincérité du scrutin et à en affecter le résultat d`ensemble, il prononce l`annulation de l`élection. La date du nouveau scrutin est fixée par décret pris en Conseil des ministres. Le scrutin a lieu au plus tard quarante cinq jours à compter de la date de la décision du Conseil constitutionnel».
Le législateur de 1994 quant à lui ne peut revendiquer s’être inspiré d’un texte de la Côte d’Ivoire indépendante. En effet, aucune des lois relatives à l’élection du Président de la République ne contenait expressément une pareille disposition. Aussi peut-on faire un rapprochement entre l’article 66 du code électoral de 1994 et la législation française, en l’occurrence l’article 50, alinéa 2 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel français auquel renvoi l’article 3, al 1er de la loi 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel. L’article 50, al 2 est ainsi libellé : «Dans le cas où le Conseil constitutionnel constate l`existence d`irrégularités dans le déroulement des opérations, il lui appartient d`apprécier si, eu égard à la nature et à la gravité de ces irrégularités, il y a lieu soit de maintenir lesdites opérations, soit de prononcer leur annulation totale ou partielle». Les éléments de similarité abondent mais les économies des deux textes ne sauraient à première vue être tenues pour identiques. Voici ce qui impose de relire l’article 64 nouveau du code électoral ivoirien pour en dégager l’étendue des pouvoirs qu’il donne au Conseil.
II – L’étendue des pouvoirs reconnus au Conseil constitutionnel par l’article 64
Il résulte de cette disposition un pouvoir d’annulation du scrutin qu’il revient au juge constitutionnel d’apprécier souverainement pour en décider des effets.

A – Un pouvoir d’annulation de l’élection lié à l’appréciation du Conseil constitutionnel
En ce que cette analyse s’intéresse plus précisément et spécifiquement au pouvoir d’annulation du juge constitutionnel (article 64, al 1er), l’organisation d’un autre scrutin (article 64, al 2) ne fera pas l’objet d’une attention particulière.
Une première lecture de l’article 64, al 1er consacrant son interprétation littérale nous donne de retenir que le juge constitutionnel détient le pouvoir de prononcer l’annulation totale du scrutin présidentiel. Il s’agit sans aucun doute d’un pouvoir extrêmement important à lui attribué. La conséquence immédiate est le renouvellement de la convocation du corps électoral national avec toutes les obligations que cela implique tant d’un point de vue matériel ou logistique que du point de vue financier surtout pour ne retenir que ces quelques aspects. Il reste que le texte ne s’arrête pas au prononcé de cette sanction ultime. Il énonce les conditions à la satisfaction desquelles une telle sanction devra être prise. Ce sont les conditions suivantes :
- Le constat d’«irrégularités graves de nature à entacher la sincérité du scrutin» ;
- «à en affecter le résultat d`ensemble».
Il en résulte que l’élection doit être annulée quand ces deux conditions se sont réalisées.
Une deuxième lecture de l’article 64, al 1er apporte une précision qui mérite d’être rappelée : la conjonction de coordination «et» placée entre les deux conditions. Les deux conditions deviennent ainsi cumulatives, étant indissolublement liées, pour imposer le prononcé de l’annulation de toute l’élection. Ce qui revient à dire que le Conseil constitutionnel est obligatoirement tenu de prononcer l’annulation de l’élection sur l’ensemble du territoire national si et seulement si les deux conditions se sont réalisées consécutivement.
Toutefois, de ce qui suit une troisième lecture s’impose. Elle permet de s’apercevoir que la réalisation des deux conditions soulève des difficultés que ne résout pas expressément l’article 64, al 1er. En réalité, le code électoral ne dit pas ce que l’on doit entendre par «irrégularités graves de nature à entacher la sincérité du scrutin» d’une part et «à en affecter le résultat d`ensemble» d’autre part. Le code électoral n’en donne aucune définition. C’est dire que la réalisation de ces deux conditions cumulatives résultera de la détermination qui en aura été faite par l’autorité chargée de l’application de ce texte. Autrement dit, la réalisation de ces deux conditions procédera de l’appréciation qu’en aura faite le juge de l’élection, c’est-à-dire le Conseil constitutionnel. Il dispose nécessairement donc du pouvoir d’apprécier. Le pouvoir d’appréciation du juge constitutionnel ivoirien – même s’il n’est pas expressément précisé à l’instar de celui de son homologue français (voir l’article 50 ci-dessus rappelé) – est un pouvoir qui lui est indispensable de détenir pour mettre en œuvre le pouvoir d’annulation. Dès lors, le pouvoir d’appréciation s’analyse en un pouvoir impliqué dont il dispose même sans texte en vue de déterminer la nature, la gravité et l’impact des irrégularités constatées pour en tirer les conséquences.
A ce propos, qui ne se souvient pas de la décision rendue par la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême ivoirienne exerçant l’office du juge constitutionnelle pour l’élection présidentielle de 1990. Alors que la loi de 1985 et celle de 1990 – qui la modifie – n’avaient nullement prévu une telle disposition (l’article 64, al 1er), le juge constitutionnel a procédé à des annulations de certains résultats en raison du saccage de 274 urnes. Le juge avait retenu que ces irrégularités n’avaient pas eu d’influence déterminante sur le résultat d’ensemble car, estimait-il, les 274 urnes ne représentaient que 3% de l’ensemble des bureaux de vote. Il ne pouvait donc pas prononcer l’annulation de toute l’élection. A fortiori quand ce pouvoir d’annulation lui a été expressément reconnu par la loi électorale (article 66 de la loi du 13 décembre 1994). L’on se rappelle en effet que par une décision du 27 octobre 1995, le Conseil constitutionnel ivoirien, après avoir rejeté «les allégations» de l’un des deux candidats, a d’office relevé des irrégularités portant sur les mentions de certains procès-verbaux pour annuler les résultats des bureaux de vote concernés. Pour autant le Conseil n’a pas prononcé l’annulation de toute l’élection présidentielle.
Il s’ensuit qu’il ne peut être donné de l’article 64, al 1er une application automatique qui signifierait que le juge constitutionnel devrait se résoudre soit à valider soit à rejeter en bloc les résultats à lui transmis. La justification en est que le juge constitutionnel dispose en la matière de ce qu’il est convenu d’appeler un «pouvoir de réformation» qui tient à l’appréciation (ou encore à la détermination) de la gravité et de la nature des irrégularités constatées ainsi que leur impact. Cela revient à dire qu’il appartient au juge constitutionnel d’apprécier souverainement les irrégularités et de conclure ou non à l’annulation du scrutin. Le but visé par le législateur reste la préservation de l’authenticité du choix opéré par les électeurs. Le pouvoir de réformation va donc consister à extirper du vote des électeurs ceux qui y ont été intégrés par fraude ou obtenus par violence notamment. Ce pouvoir de réformation a, au surplus, suivi l’évolution imprimée tant par les décisions jurisprudentielles que les commentaires doctrinaux, reconnaissant à ce pouvoir un caractère moralisateur qui lui était – par quelque rigorisme – refusé antérieurement. Aussi un scrutin ne saurait être maintenu s’il est émaillé d’actes que reprouve la morale. Ainsi le juge constitutionnel peut-il tirer les conséquences de son pouvoir d’appréciation.

B – Les effets de l’appréciation du juge constitutionnel
De l’appréciation faite par le juge constitutionnel plusieurs options sont envisageables.
La première option qui correspondrait à la littérature de l’article 64, al 1er est celle qui consiste pour le juge constitutionnel à relever la réalisation des deux conditions. Autrement dit, le juge aura fait le constat d’«irrégularités graves de nature à entacher la sincérité du scrutin» d’une part, et, d’autre part ces irrégularités ont affecté le résultat d’ensemble. Dès lors que les irrégularités constatées ont eu une influence déterminante en raison de leur proportion sur l’ensemble des résultats, une telle élection ne doit pas être maintenue. Dans cette hypothèse envisagée expressément par l’article 64, al 1er, le Conseil constitutionnel est – comme nous l’avions vu – obligé de prononcer l’annulation de toute l’élection. Une nouvelle élection devra être organisée ultérieurement.
La deuxième option est celle qui résulte du constat de la réalisation d’une seule des deux conditions. Il s’agit très certainement du constat d’« irrégularités graves de nature à entacher la sincérité du scrutin ». L’on doit en déduire qu’il ressort de l’appréciation du juge que le résultat d’ensemble n’a pu en être affecté. Il s’agit des hypothèses dans lesquelles les irrégularités sont d’autant plus graves qu’elles ont entaché la sincérité du scrutin des bureaux de vote où elles ont été observées. Le pouvoir de réformation consistera dans ce cas à neutraliser les effets de ces irrégularités sans remettre en cause l’ensemble de l’élection. Il va sans dire qu’il n’est pas tenu compte de l’importance quantitative de bulletins annulés puisque l’irrégularité a consisté à accroitre le nombre de suffrages exprimés en faveur d’un candidat. L’effet moralisateur ne fait en l’espèce aucun doute. Il s’agit de ne point donner de prime aux irrégularités (provoquées) dont l’importance n’a pu impacter le résultat d’ensemble. Ici le pouvoir de réformation vise à (reformer) redresser les résultats obtenus de manière déloyale en vue du rétablissement de l’authenticité du choix des électeurs. En l’espèce, les pouvoirs du juge sont tellement importants qu’il peut même reconnaitre vainqueur un autre que celui qui a tiré avantage des irrégularités. Lorsque l’une seulement des deux conditions s’est réalisée, le juge constitutionnel dispose d’une seule option : procéder à l’annulation partielle de l’élection et proclamer un vainqueur.
C’est ainsi que peut être analysée la mise en œuvre par le juge constitutionnel ivoirien des pouvoirs que lui reconnait l’article 64, al 1er à travers sa décision du 3 décembre 2010 consacrant la victoire du candidat LMP.
Les irrégularités relevées par le Conseil peuvent être résumées en deux catégories : les violences sur les personnes et la fraude. Les violences sont constitutives d’atteinte à la liberté de suffrage. Quant à la fraude, manœuvre déloyale, elle trahit la sincérité du scrutin. De plus, même si en termes de chiffres (quantum) la fraude sanctionnée par l’annulation des scrutins s’y rapportant est importante, elle a dû être appréciée tant pour ce qu’elle est (une manœuvre déloyale) que dans un rapport de proportionnalité. De sorte que les annulations ont concerné les résultats de 7 départements électoraux sur les 11 que comptent les 3 régions suivantes : vallée du Bandama (Bouaké, Katiola et Dabakala) ; Savanes (Korhogo, Ferkessédougou et Boundiali) et Worodougou (Séguéla). Au plan national, sur un total de 106 départements électoraux 7 départements ont eu leurs résultats annulés par le Conseil constitutionnel. Après l’appréciation faite, le juge constitutionnel a conclu à l’existence d’irrégularités graves de nature à entacher la sincérité des scrutins départementaux qui s’y rapportent. Faisant application de son pouvoir de réformation, il a extirpé du choix sincère des électeurs ces irrégularités. N’ayant pas relevé l’influence déterminante de ces irrégularités sur le résultat d’ensemble, le juge ne devait pas prononcer l’annulation de toute l’élection. Est-il permis en définitive de douter que l’article 64 nouveau du code électoral d’août 2000 a été appliqué ? Une réponse négative s’impose évidemmentn


N.B. : Le titre est de la Rédaction

Par Dr. Mel Agnéro Privat
(Enseignant-chercheur,
Université de Bouaké)
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