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Économie Publié le mardi 29 mars 2011 | Le Temps

La polémique autour de la dévaluation du franc cfa : ma part de vérité - «L’Afrique est la clé du problème noir», Malcolm X

Le thème de la dévaluation du franc Cfa revient régulièrement sur le devant de l'actualité africaine. Depuis quelques années, l’appréciation de l’euro vis-à-vis du dollar américain et les appels répétés de certains intellectuels africains en faveur d'une monnaie plus flexible et/ou compétitive, ont régulièrement entretenu les rumeurs de dévaluation du franc Cfa. Cette question de la dévaluation du franc Cfa est persistante lorsqu’on sait que la Côte d’Ivoire est une base de développement de grande importance en Afrique de l’Ouest francophone. Sa prospérité ou sa déchéance aura certainement des conséquences palpables dans les pays de l’Uemoa (Union économique et monétaire ouest-africaine).
Si la libéralisation croissante des échanges et la déferlante des produits asiatiques rendent un ajustement du franc Cfa inéluctable, il importe de cerner les contours d’une dévaluation. Face donc à la présence très prégnante de la question de la dévaluation du franc Cfa, il semble nécessaire de se pencher sincèrement sur le sujet. Lorsqu’on pose la question de savoir si le franc Cfa sera dévalué ou pas, une série de difficulté, corollaire apparaît dès lors, concernant les conditions de réussite d’une dévaluation. Evoquer toutes ces questions nous autorise à rejeter toutes les idées préconçues sur les retombés de la dévaluation afin d’aborder sérieusement cette question d’ajustement monétaire. C’est ici donc l’ambition de notre présent article : celle de relativiser les retombés d’une éventuelle dévaluation du franc Cfa en l’état actuel des structures économiques des Pays africains de la zone franc (Pazf).
L’impulsion inaugurale de notre réflexion se trouve dans une bonne présentation de la dévaluation. C’est la raison pour laquelle, en premier lieu, nous répondrons à la question : qu’est-ce qu’une dévaluation ?
Une fois, la définition acquise, nous pourrons, en deuxième lieu, faire un retour sur le bilan de la dévaluation de 1994. Nous verrons que le succès de cette dévaluation est mitigé.
Enfin, en troisième lieu, nous allons voir comme il est désormais solidement établi que le succès de la dévaluation est conditionné par certains aspects structurels de l’économie.

I. QU’EST-CE QU’UNE DÉVALUATION ?

On s’intéressera principalement dans cette partie à une présentation de la dévaluation. Cela exige de donner la définition de la dévaluation et ses fondements théoriques.

I.1. LA DÉFINITION D’UNE DÉVALUATION

Il n’est pas rare d’entendre, çà et là, de la bouche de certains, une confusion totale entre une dévaluation et une dépréciation. Pourtant, il ne faut pas confondre une dévaluation avec une dépréciation. La différence est très nette. La dévaluation consiste à modifier le taux de change officiel d'une monnaie (parité) par rapport à une monnaie internationale de référence : or, dollar, euro, par exemple. Dans un sens extensif, elle désigne l'altération de l'objectif de change que les autorités monétaires d'un pays s'assignent dans le cadre de leur politique économique globale, qu'elles soient ou non liées par des engagements internationaux en la matière. La dévaluation doit donc être bien distinguée de la dépréciation – même si, très souvent, elle ne fait que la consacrer. Cette dernière est, en effet, un mouvement du taux de change déterminé spontanément par le marché qui constate une perte continue de valeur de la monnaie domestique par rapport aux monnaies étrangères.
Techniquement, l’ajustement de la balance des paiements peut-être assuré par les variations du taux de change. Celles-ci provoquent les modifications de prix nécessaires à l’ajustement des importations et des exportations et au rétablissement de l’équilibre. Le taux de change peut faire l’objet d’une dévaluation qui traduit une baisse de la valeur de la monnaie nationale par rapport aux monnaies étrangères, ou d’une réévaluation, qui s’exprime comme une hausse de la valeur de la monnaie nationale par rapport aux monnaies étrangères. Dans le cas des pays africains de la zone franc, le débat porte sur une baisse de la valeur de la monnaie, la montée de l’euro surévaluant de facto cette dernière et décourageant les exportations.

I.2. LE FONDEMENT THÉORIQUE DE LA DÉVALUATION

En cas de déficit de la balance des paiements, diverses actions peuvent être mises en œuvre. On peut en citer quatre.
La première et la plus importante est celle qui tend à réduire la demande globale par une politique budgétaire et par une politique monétaire restrictive. Il est, en effet, indispensable de résorber l’excès de la demande intérieure sur la production, c’est-à-dire de diminuer « l’absorption » du produit intérieur par la consommation et par l’investissement. Une telle politique a pour effet de limiter les importations et de dégager en faveur de l’exportation une part de la production intérieure.
La deuxième consiste à élever les taux d’intérêt par rapport aux taux pratiqués à l’étranger, ce qui permet d’améliorer la balance des opérations en capital, notamment en freinant la sortie des capitaux nationaux et en attirant les capitaux étrangers.
Troisièmement, on peut recourir à des contrôles directs. Les restrictions quantitatives aux échanges (contingentement des importations) sont soumises à des limitations très sévères par des accords internationaux et ne peuvent être que des mesures de crise très graves.
Quatrièmement, lorsque les mesures qui viennent d’être indiquées ne peuvent aboutir à restaurer l’équilibre à moins d’une récession marquée de l’activité économique et du chômage, l’économie se trouve dans un état de « déséquilibre fondamental ». La disparité entre les coûts et les prix intérieurs et extérieurs ne peut être dans ce cas corrigée que par un changement de la parité monétaire, c’est-à-dire par une dévaluation.
Le fondement théorique de la dévaluation étant connu, reste à présenter quelques conséquences d’une dévaluation.
Une dévaluation a de forte chance de produire les effets escomptés que si les prix internes augmentent. En réalité et surtout pour les pays dont le secteur domestique est très important, la hausse des prix intérieurs sera, dans l’ensemble moins rapide et moins forte que la dépréciation du taux de change. En effet, de nombreux produits sont obtenus dans le pays et ne souffrent d’aucune concurrence étrangère (secteur abrité) si bien que leurs prix ne subissent qu’avec retard, ou faiblement, la contagion de la hausse due à la dépréciation. Il en va de même des prix des services et des facteurs de productions qui peuvent être déconnectés des prix étrangers. Pour les pays africains de la zone franc, leur dépendance plus ou moins grande à l’égard des importations va les obliger à alourdir le déficit commercial si les exportations ne sont pas stimulées. L’accroissement des exportations peut alors, dans certains cas, provoquer une perte de substance pour l’économie nationale. Or, à la suite d’une dévaluation, l’accroissement de la valeur des exportations (en monnaie nationale) sera d’autant plus important que l’élasticité de la demande étrangère sera forte. Etant donné que les pays membre de la zone franc Cfa sont essentiellement exportateurs de matières premières de base et face à une demande léthargique, accompagnée d’une concurrence des pays asiatiques, il s’ensuit que les bénéfices de la dévaluation sont théoriquement maigres. De l'avis de ceux qui sacralisent la dévaluation, la surévaluation du franc Cfa oblige les pays membres à déprécier leur monnaie car «le coût de la main d'œuvre, déjà élevé en comparaison avec les pays asiatiques, en est artificiellement gonflé. Il encourage les importations au détriment des productions locales, y compris l'importation de biens qui ne sont pas nécessairement indispensables». Une dévaluation, selon cette « école » va renforcer la compétitivité des produits, permettre une augmentation des exportations et de leurs revenus, et une atténuation de la pression des importations. Il est vrai qu’à l'exportation, les productions locales deviennent moins compétitives que celles de nos concurrents des pays hors zone euro. Il en est ainsi du coton béninois, de la banane camerounaise, du café ou du cacao ivoirien face aux produits analogues américains et latino-américains qui exportent en dollars, et qui sont, de surcroît, subventionnés. En conséquence, le revenu des exportations de matières premières africaines facturées en dollars, diminue conséquemment. A contrario, une catégorie d’économistes prudents, se méfie des dévaluations à tout va. Pour eux, une dévaluation du franc Cfa aurait pour conséquence une hausse vertigineuse du coût des importations, un surenchérissement de la facture pétrolière, une inflation globale. Cela n’a rien d’entonnant quand on sait que la croissance que connaît l’Afrique est tirée par les pays exportateurs de pétrole. La faiblesse du dollar diminue la facture énergétique des pays et le prix élevé du baril ne peuvent donner l’illusion de résister à cette surévaluation du franc Cfa. Mais pour combien de temps, la manne pétrolière contrebalancera les effets pervers d’un déficit structurel de balance des paiements ? La dévaluation peut être bénéfique pour un pays donné, que si ses exportations explosent mais à condition que les autres monnaies ne se déprécient pas dans les mêmes proportions. Historiquement, les dévaluations concurrentes ont été malheureusement adoptées par un grand nombre de gouvernement entre 1930 et 1940. L’exemple le plus éloquent fut la concurrence faite aux dévaluations britanniques et américaines supprimant du même coup l’effet prix favorable aux exportations britanniques et américaines. Lorsque la hausse des prix est plus rapide dans un pays tiers qu’à l’étranger, le gouvernement peut être contraint à la dévaluation. Cette situation est indéniable lorsque le déficit de la balance des paiements est structurellement considérable. Une surévaluation de la monnaie peut aggraver les difficultés d’exportation. Une croissance inflationniste ne peut durer indéfiniment car elle compromet gravement la compétitivité des entreprises sur les marchés extérieurs. Les pays qui marchent en tête dans la progression des prix se condamnent aux dévaluations successives et sapent la confiance dans la monnaie.

II. LE BILAN MITIGÉ DE LA DÉVALUATION DE 1994

Le 11 janvier 1994, après 46 années de stabilité monétaire, les 14 pays de la zone franc, sous la pression des Institutions internationales et la France, s’accordent pour modifier la parité du franc Cfa à compter du 12 janvier 1994 à 0 heure. Au-delà des traumatismes engendrés par cette mesure et plus de dix sept ans après, un consensus se dégage : les effets de la dévaluation sont encore difficiles à évaluer dans leur ensemble car ils possèdent un échelonnement différent dans le temps. Le bilan de la dévaluation de 1994 est donc mitigé. (A suivre)

Dr Prao Yao Séraphin
Enseignant-Chercheur à l’Université de Bouaké
Spécialiste des questions monétaires et président de l’Association des théoriciens africains de la monnaie (Atam).
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