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Société Publié le samedi 30 avril 2011 | Nord-Sud

Kodjo Gaba Franck Romuald (assistant opérationnel du secrétaire général du Cicr) : “Nous avons pleuré…”

Depuis la crise post-électorale, le Comité international de la Croix-rouge (Cicr) a porté secours à de nombreux Ivoiriens. Au cours de cette interview, Kodjo Gaba explique combien les enlèvements de corps ont été difficiles.


l Quand avez-vous commencé l’enlèvement des corps ?
Le 8 avril. Nous avons commencé par le Plateau, le matin.

Comment était l’ambiance ?
Les rues étaient désertes. Tout était fermé. Il y avait juste quelques vigiles devant des agences. Nous avons vu de part et d’autre des hommes en armes. Certains nous indiquaient qu’il y avait des corps à des endroits. Donc, nous avons fait le Plateau, Cocody, Treichville.

l Dans quel état étaient les corps que vous enleviez?
Les premiers jours, tous les corps étaient en putréfaction, à partir du second jour, les corps ont commencé à être brûlés.

l Combien y avait-il de corps au Plateau ?
C’étaient des dizaines.

l Où se trouvaient -ils ?
Ils étaient sur les routes, sous des bâtiments. C’étaient en général des corps de combattants, de personnes qui avaient reçu des balles perdues. Il y a eu même des corps que nous avons pris à domicile.

l Au Plateau, quelles sont les zones où il y avait le plus de corps ?
C’était un peu partout. A côté de la Bicici, près de la Librairie de France, à la Sorbonne, à l’assemblé national, en allant aux quarante logements, etc.

l A quel moment de la journée travailliez-vous ?
Nous avons travaillé la journée. Au plus tard 14h30 - 15h, on arrêtait. Parce que la situation n’était pas encore stable, pendant la période du 8 au 11 avril.

l Y avait-il des corps de femme ou d’enfant?
Tous les corps que nous avons pris étaient des corps d’hommes.

l Comment cela se faisait ?
Mon équipe et moi, c’était notre première fois de procéder à l’enlèvement de cadavres. Ceux de Boua­ké avaient déjà fait des enlèvements de corps. Mais à Abidjan, c’était la première fois que la Croix-Rouge procédait à l’enlèvement de corps. C’était dur de voir la finition de l’homme. Nous avons vu différents types de décomposition. Nous avons trouvé certains enflés, d’au­tres, les squelettes dehors. Il y en a qu’on avait recouvert avec des plastiques, ce qui accélérait leur décomposition. La chaleur était dense avec le soleil. D’autres étaient à l’abri, leur décomposition était donc lente. Nous avons vu l’apparition de mouches sur des corps, l’apparition des larves, le gonflement de corps, etc. Donc, c’était tout ce que nous avons vu pendant la formation.

l Y avait-il des gens autour de vous, pendant le ramassage ?
Nous n’avons vu personne à côté. Peut-être qu’il y avait des gens qui observaient de loin. Mais notre premier souci était d’éviter que la population sorte et qu’elle découvre ces horreurs et qu’elle soit choquée. Surtout les femmes et les enfants.

l Y avait-il d’autres corps ailleurs ?
Oui, à la Riviera-Palmerais, à Angré, sur le boulevard Latrille, il y avait des corps calcinés. Nous sommes passés par le Zoo aussi.

l Pendant ces opérations, vous n’avez jamais secouru des personnes encore vivantes ?
Non. Lorsqu’une personne n’est pas morte qu’on nous appelait on appelait à notre tour un véhicule pour l’évacuer. Il y avait une cellule d’évacuation qui se chargeait de ce cas.

l Quelle est la zone qui vous a le plus marqué?
Personnellement, toutes les zones m’ont marqué. Déjà, la vue d’un corps, c’est quelque chose de marquant.

l Et quel est le corps qui vous a le plus marqué ?
Le corps qui m’a le plus marqué, c’est le corps d’un jeune, qui nous avait appelés la veille à deux heures du matin, pour dire qu’il avait mal à un pied. Mais on ne pouvait pas sortir à cette heure. On se disait que ce n’était pas grave, le lendemain on devait aller le chercher. Mais pendant que nous étions en route, on nous a dit qu’il était décédé. Je suis allé quand-même le voir. Quand je l’ai vu couché sur son lit avec une certaine sérénité, cela m’a marqué. Il avait à peine 19 ans. Contrairement aux autres interventions où on allait enlever les corps, on s’est dit qu’on aurait pu le sauver. ça été dur pour l’équipe. J’ai pleuré au bureau, plusieurs de mes camarades aussi.

l Vous ne craigniez rien pendant vos interventions ?
On craignait toujours. Quand on sortait des bureaux, on priait pour que le Seigneur nous garde. A tout moment il pouvait avoir des tirs.

l Ce n’est jamais arrivé ?
C’est arrivé plusieurs fois. La règle est qu’on s’abrite quand cela arrive.

l Que faites-vous des corps enlevés ?
Les corps qui sont complétement en putréfaction sont enterrés dans un des cimetières. Les corps qui sont identifiés, sont conservés. Ivosep conserve ces corps-là. Quand nous avons le contact des parents, on les appelle. Souvent, ils savent que leurs proches ont été tués et sont à Ivosep. Ils viennent les chercher.

l Comment les parents reconnaissent-ils leurs proches dont vous avez enlevé les corps ?
Par des photos ou des pièces d’identité. Nous nous servons aussi des lieux où nous avons retrouvé les corps. Mais le plus difficile, c’est de permettre aux parents de faire le deuil. Parce que si vous ne voyez pas votre proche disparu cela ne veut pas forcément dire qu’il est mort. C’est lorsque vous avez la certitude que la personne est morte, que vous faites le deuil. C’est pour cela que j’ai lancé dernièrement un appel pour demander aux gens de ne pas brûler les corps. Car, une fois brûlé, il est difficile d’identifier le corps.

l Mais la population estime que les odeurs de corps gênent.
Oui, c’est ce que la plupart des gens nous disent. Mais en les brûlant l’odeur ne part pas complètement.

l Comment votre intervention à la résidence du chef de l’Etat s’est-elle passée ?
Nous y sommes allés, trois jours avant l’arrivée du Premier ministre sur les lieux. Nous avions été appelés par des autorités en place qui y ont découvert quatre corps.

l Qui étaient ces personnes tuées ?
Il y a avait trois personnes de l’armée et un technicien de surface. Nous avons trouvé le technicien dans l’une des pièces de la maison qui comportait des groupes électrogènes. Nous avons trouvé les autres personnes un peu partout dans la cour, d’autres dans la cuisine, dans des bâtiments annexes.

l Etaient-ils tous morts par balle ?
Difficile de le savoir sans autopsie. Par contre, on pouvait voir des impacts de balle sur certains.

l On imagine qu’il y avait des corps dans le périmètre de la résidence.
Nous n’avons pas trouvé des corps dans le périmètre de la résidence. Peu-être que les gens ont ramassé d’autres cadavres. Nous avons juste pris un corps à l’entrée du lycée Sainte-Marie et beaucoup plus en allant vers la Riviera. Avant la gendarmerie.

l On peut donc supposer que des gens ont ramassé des corps.
Je n’en ai pas vu. Mais nous étions près à retourner dans le périmètre de la résidence pour chercher d’au­tres corps, mais on ne nous en a pas donné l’autorisation, parce que l’endroit n’avait pas encore été bien sécurisé.

l Etes-vous allé vers Yopougon ?
Une autre équipe y est allée.

l Quelle satisfaction tirez-vous de votre travail ?
Une satisfaction morale. Pour l’anecdote, on a eu un corps dans l’eau, à la Carena. En temps normal, c’est le rôle du Groupement des sapeurs pompiers militaires. On se demandait s’il fallait le laisser dans l’eau où l’enlever nous-mêmes. Puis, l’un de nos camarades a décidé qu’on l’enlève. A l’aide de bâtons nous l’avons ramené doucement à la berge, puis récupéré. Le lendemain, l’un de nos collègues a affirmé qu’il avait fait un rêve dans lequel cette personne est venue lui dire merci de l’avoir sorti de là et permis qu’on l’enterre. C’est ce genre de satisfaction que nous avons. Ce sont des choses qui vous marquent.

l Vous faites aussi des rêves de ce genre ?
Oui. Presque tout le monde dans l’équipe a déjà fait ce genre de rêve.


Interview réalisée par Cissé Sindou et Raphaël Tanoh
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