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Société Publié le lundi 9 mai 2011 | Nord-Sud

Dr Koua Lazare, (psychologue), à propos du traumatisme lié à la crise post-électorale : “Mes conseils pour oublier la guerre”

Dr Koua Lazare est psychologue et enseignant à l’Institut des sciences anthropologiques du développement de l’université de Cocody. Il explique comment les Ivoiriens ont vécu la crise post-électorale au plan psychologique et donne quelques recettes.


l Quand est-ce que les Ivoiriens ont commencé à être réellement traumatisés par la crise post-électorale ?
Le climat était tendu dans l’intervalle des deux tours de l’élection. Toute la tension est montée d’un cran après la proclamation des résultats définitifs par le Conseil constitutionnel. La peur a commencé à gagner tout le monde lorsqu’il y a eu les événements du 7 décembre. Le climat s’est détérioré et le traumatisme a commencé.

l Comment cela a-t-il pu se manifester déjà à cette époque ?
Les premières victimes sont celles qui ont été opprimées pendant les manifestations à l’époque. Lorsque le candidat du Rhdp voulait faire valoir ses droits par le processus d’installation du dg de la Rti, Brou Aka Pascal. Il y a ceux qui ont vu la manière dont ces répressions ont eu lieu, ces derniers ont intégré la peur en eux. Il s’agit de la peur causée par le choc.

l Jusqu’à quel niveau ce choc a-t-il pu affecter ceux qui l’ont subi ?
Nous avons reçu des témoignages de manifestations de choc après les résultats proclamés par le Conseil constitutionnel. Un patient m’a dit qu’il avait une voisine qui avait tellement crié ‘’au voleur’’ qu’elle est devenue paraplégique. Il y a des données psychologiques qui peuvent avoir des conséquences au niveau physiologique si l’individu ne supporte pas certains éléments traumatiques.

l Comment en est-elle arrivée là ?
Elle avait manifesté sa joie à la proclamation des résultats par la Commission électorale indépendante et un résultat contraire a été prononcé par le Conseil constitutionnel. Elle a crié au voleur ! Au voleur ! Et elle est restée paralysée. D’autres ont eu des palpitations cardiaques et ont été transportés à l’hôpital.

l Le traumatisme est-il du mê­me type chez tous ou varie-t-il en fonction du bord politique ?
D’un point de vue psychologique, on ne peut pas vivre le même traumatisme, même quand on partage la même opinion politique. Chaque individu fait son histoire. C’est pourquoi, lorsque ce genre de problème intervient, il faut le traiter de manière individuelle. Certains vivent la même situation de manière plus forte que d’autres parce que leur histoire les y prédispose. Cela dépend aussi de la constitution individuelle de chacun.

l Les partisans de Laurent Gbagbo pouvaient-ils être aussi concernés par les traumatismes de la répression des manifestations des 16 et 17 décembre?
Certains étaient sceptiques quant à l’issue de la situation. Ils retenaient leur souffle car ils ne savaient pas ce qui aurait pu se passer après ces violences. Des personnes étaient sur le qui-vive. Mais il faut être sur le terrain pour apporter une réponse claire à cette question.

l Il y a eu plusieurs rebondissements dans la crise. Comment ont-ils pu être vécus par les uns et les autres ?
C’était comme si on attendait les résultats d’un examen. Les gens avaient les yeux rivés vers les différentes chaînes de télévision ou étaient accrochés à leur poste radio pendant les ballets diplomatiques. Généralement, en situation d’attente, chacun est stressé. Les gens sont tendus car ils sont en état d’éveil maximum. Certains ont certainement eu des insomnies.

l Quelles peuvent être les conséquences d’une telle tension sur l’organisme ?
On peut être perturbé et ne plus contrôler certaines de ses réactions. On s’irrite, on est en colère. Le climat relationnel autour de nous peut se dégrader, même avec ceux avec qui nous partageons la même opinion car nous avons les nerfs à fleur de peau. Il y a des conséquences au point de vue physiologique comme la perte d’appétit ou le manque d’engouement pour certaines activités. On note également des troubles digestifs. On n’a pas l’attention nécessaire au travail car chacun attendait un dénouement. Tout était au ralenti. Dans la phase militaire, la tension est montée d’un cran puisque c’était une désorganisation. L’option militaire a été traumatisante. On est passé de l’irritation à la peur-panique. C’était le sauve-qui-peut. Des traumatismes peuvent marquer à vie. Mais la plupart des troubles liés au stress post-traumatique peuvent connaître une résorption au bout d’un mois si la situation se calme. Ceux qui ont vécu des atrocités particulières peuvent être marqués pour longtemps. Seuls les spécialistes peuvent les aider à s’en sortir.

l Pour lutter contre le stress et la pression, certaines personnes ont eu recours à des tranquillisants ou des somnifères. Est-ce conseillé ?
Lorsqu’il n’y a pas d’autre alternative, à cours terme, on peut recourir à ces éléments médicaux. Mais, il n’est pas bien de le prolonger. Les médecins sont mieux placés pour donner les délais exacts. Nous savons toutefois que la consommation prolongée de ces médicaments a un effet sur l’organisme. Il y a une sorte d’accoutumance qui va se créer. Et du point de vue physiologique, cela peut provoquer certaines formes de perturbation sur l’individu.

l L’usage de ces médicaments aide-t-il réellement à lutter contre le stress dans une situation comme celle que les Ivoiriens ont vécue ces derniers mois et semaines ?
C’est une solution partielle. Elle ne résout pas le problème de fond parce que quand l’individu se réveillera, il aura un peu récupérer, mais le problème de fond peut toujours demeurer. Il vaut mieux chercher à évacuer ce stress que nous désignons comme une névrose de guerre ou stress post-traumatique après un conflit. Dans ces conditions, les solutions au stress sont nombreuses. Il y a les solutions dites physiologiques. C’est l’activité physique. Chacun peut trouver le type de sport qui lui convient pour créer une saine fatigue qui va lui permettre de bien dormir. Lorsque les canons sont en train de tonner, on ne peut parler d’activité physique pour des raisons d’insécurité, mais lorsqu’il y a une accalmie, on peut faire le sport.

l Quelles sont les autres solutions ?
Il y a aussi le recours à certains dérivatifs comme le café, le tabac...qui permettent à certaines personnes de résoudre partiellement le problème. Certains même ont recours à l’alcool. Ce ne sont pas des solutions con­seillées, mais des gens y ont recours. Et s’ils s’y installent, ça devient nocif. Ces dérivatifs sont devenus aussi l’internet et autres jeux. Il faut ajouter à cela la diététique. L’alimentation pour une personne stressée doit être moins grasse et moins sucrée. Il faut réduire la consommation des muscles rouges de et toutes les viandes saturées qui fatiguent l’estomac. Les gens qui mangent trop ces genres de viande sont très souvent nerveux. Il y a par ailleurs les activités de détente et les loisirs. Ce sont les films moins violents, les films comiques, le théâtre. On peut aussi recourir à la thalassothérapie. C’est-à-dire profiter de la mer ou de l’environnement marin.

l Et au plan psychologique ?
A ce niveau, il y a également plusieurs types de solutions dont les solutions spontanées. Au niveau de l’inconscient, tous les mécanismes de défense peuvent être en jeu. Mais cela dépendra de l’individu. De même que l’organisme a ses défenses qui agissent sans notre apport, le psychique a ses défenses qui agissent pour permettre à l’individu de retrouver l’équilibre face à la tension. Quelquefois, certaines de ces défenses sont bonnes pour l’individu. D’autres sont des bombes à retardement. Quand il y a par exemple un refoulement d’un évènement traumatisant, cela peut rejaillir d’une certaine manière. On peut voir des surgissements de maladies
psy­cho­somatiques. A cours terme, l’individu peut s’en sortir tout seul. Mais si cela perdure, il faut voir un spécialiste. On peut ajouter les solutions d’amélioration. C’est-à-dire que l’individu doit changer un peu ses automatismes. Il doit évaluer ses ressources personnelles par rapport à la situation. S’il a une possibilité d’agir sur la situation, il le fait. Dans le cas contraire, il travaille plutôt à s’y adapter en positivant et en cherchant à savoir ce qu’il peut tirer de positif de ce qu’il vit.
L’individu peut aussi chercher quel­ques solutions dites relationnelles. Il peut revoir ses types de relations parce qu’il y a des personnes qui sont source de stress. Elles aiment toujours créer les conditions qui nous replongent dans le vécu des événements sans pour autant nous aider à évacuer ce que nous vivons.

l Pouvez-vous donner un exem­ple ?
Il existe des amis qui aiment la contradiction. Quand vous allez le voir en période de crise, au lieu de vous aider en vous demandant par exemple ce que vous avez vécu, il a tendance à vous faire croire qu’il a déjà vécu pire que vous. Il ne se dispose pas à vous écouter. Non seulement il crée la condition de la contradiction systématique en vous étouffant, mais parfois il cherche à créer le débat contradictoire inutile. C’est le type d’ami à éviter quand on est stressé par une situation. On réajuste donc ses relations non pas en excluant les autres, mais notre mode de gestion au niveau relationnel peut changer avec un certain nombre de personnes.

l Les pro-Rhdp semblent avoir été les premiers à répondre à l’appel à la reprise du travail. Ils sont venus au bureau bien que les rues étaient quasi vides au Plateau et que les tirs se poursuivaient à Yopougon. Est-ce parce que la victoire de leur camp les armait psychologiquement contre l’insécurité qui prévalait encore ?
La victoire à elle-seule n’est pas suffisante. Ceux qui n’ont pas intérêt à se faire égratigner par quoi que se soit parce qu’ils ne voient pas quelle cause défendre ne sont pas prêts à sortir aussitôt de chez eux. Et s’ils le faisaient, ils seraient les premiers à quitter les lieux aux moindre bruit de tir. Les autres ont par contre une certaine détermination de base qui fait qu’ils vont d’abord évaluer la situation, pour voir d’abord si elle est destructrice pour eux avant de quitter les lieux. Il y a surtout le fait que certains sont coupés de la réalité du terrain. Ils refusent de regarder TCI (chaîne de télévision créée par le gouvernement Ouattara pendant son retranchement au Golf Hôtel). Donc, ils sont en déficit d’information car, pour eux, à part la Rti (Radio, télévision ivoirienne), les autres médias ne peuvent pas leur donner l’assurance nécessaire. Ils sont dans l’imaginations d’un climat apocalyptique qui fait qu’ils ne sont pas rassurés totalement.

Interview réalisée par Cissé Sindou
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