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Politique Publié le mardi 10 mai 2011 | Le Patriote

Reportage / Après son occupation par les miliciens et mercenaires pro-Gbagbo: La commune de Yopougon balafrée et dévastée

© Le Patriote
Yopougon sécurisé par les forces pro-Ouattara, mais dévasté
Hier cité de la joie, Yopougon présente aujourd’hui le visage hideux d’une ville dévastée et sans âme. Des maisons détruites ou incendiées, des commerces et stations-service pillées, la commune, qui a perdu, une bonne partie de son monde, ne fait plus plaisir à voir.
Yopougon, Siporex. « Adjamé, Liberté ! », hurlent à tue-tête des jeunes « balanceurs », ces apprenti-chauffeurs qui passent le plus clair de leur journée à héler les passants, à la recherche de clients potentiels au voyage. L’endroit ne grouille pas de monde, mais les minibus, appelés encore gbaka, sont visibles. De même que les taxis communaux, peints en bleu. Sur l’esplanade de la pharmacie Siporex, trônent plus d’une centaine de cd audio et vidéo que proposent de jeunes vendeurs. Les étals des commerçants qui peuplent d’ordinaire le coin sont déserts. La voie qui mène à Dabou en passant par Gesco, vaste bourgade de Yopougon, est aussi animée. Mieux, la circulation y est plus dense. Au marché de Gesco, les commerces ont fleuri de nouveau. Les bruits fusent de partout. Les tables des commerçants sont garnies de diverses marchandises : des légumes aux tubercules en passant par le poisson, la viande et autres condiments, bref de quoi pour mitonner une « bouffe» délicieuse pour la famille. Même les maquis semblent avoir repris du service en distillant de la musique, essentiellement des succès des Dj reconvertis dans le chant.

Au Corridor de Gesco, qui sert de base aux soldats FRCI, l’ambiance est tranquille. Les cars de transport et autres véhicules personnels ne sont nullement inquiétés. « On ne les touche pas. Il n’y a pas de corridors, donc de fouilles. La circulation est libre », assure le Chef Soro Ninja, au milieu de ses troupes. L’homme travaille visiblement sous le commandement du commandant Ben Laden. Le rang des soldats s’est grossi avec le ralliement des ex-combattants du défunt sergent-chef Ibrahim Coulibaly alias « IB », venus d’Abobo.

De Siporex à Ananeraie en passant par Port-Bouët 2 et Maroc, la vie semble avoir repris. Même si on est encore loin de l’ambiance grouillante et bruyante, d’avant la bataille d’Abidjan, qui a débuté le 31 mars dernier. De visu, on croirait que Yopougon a renoué avec son train-train quotidien. Faux, cette relative reprise des activités dans la plus vaste commune du pays est en réalité trompeuse. Car non loin de là, à Niangon (aussi bien au nord qu’au sud) notamment, c’est le calme plat, même si la circulation, avouons-le, est possible, mais pas dense. Les taxis, gbaka et autres véhicules personnels écument les artères principales de ce sous-quartier. On y aperçoit ça et là quelques personnes. Mais, pas d’échoppes fournies, encore moins de magasins ouverts. Pis, les quelques rares qui ont échappé, sans doute par miracle, à la furia des pilleurs ont les grilles baissées.

Une commune, deux visages

Même constat à la Sideci. Là, le calme est un peu plus pesant. Au niveau du pont qui relie ce sous-quartier à Niangon, quelques éléments des FRCI (Forces républicaines de Côte d’Ivoire) sont positionnés. Malgré cette présence, pour le moins, rassurante, Sideci s’est vidé d’une bonne partie de ses habitants. Le quartier, il est vrai, a été le théâtre de rudes combats entre d’un côté miliciens et mercenaires à la solde de l’ancien président et de l’autre les FRCI. En témoignent les impacts de balles sur les maisons. Des trous parfois béants, qui attestent du caractère féroce des affrontements. Il faut le dire aussi, pendant l’occupation de Yopougon par les chiens de guerre de Laurent Gbagbo, beaucoup d’exactions y ont été commises. Des hommes, originaires du Nord et du Centre, supposés être des militants RHDP, taxés de « rebelles » y ont été abattus sans coup férir. Ce pont que gardent aujourd’hui les FRCI était, comme on le dit, le « terminus » des supposés pro-Ouattara. « Les miliciens y avaient érigé un barrage. Ils arrêtaient tous ceux qui traversaient le pont et exigeait leur carte d’identité. Dès qu’ils découvrent que tu as un nom baoulé ou dioula, ils t’abattent. Certains parlaient anglais », témoigne une habitante du quartier, qui a requis l’anonymat.

Sur le bitume, des traces d’incinération d’individus sont perceptibles. Quelques centaines de mètres plus loin, en direction du village de Kouté. C’est le Palais de justice. Les portes d’accès ont été visiblement forcées. Mais, ce qui titille plus les regards, ce sont les nombreux trous qui ont perforé la façade extérieure du bâtiment. Pas de doute, le temple de Thémis a reçu plusieurs projectiles, certainement pendant les combats. Là encore, c’est un silence lourd. Les populations, celles qui l’ont pu, ont, pour la majorité, fui les maisons. Au Terminus 40, d’ordinaire grouillante, c’est aussi le calme plat. Point de braisières et autres grils pour concocter des mets succulents, avec du poulet ou du poisson.

Les taxis communaux qui, d’ordinaire, y stationnent pour attendre les clients ont disparu. Quelques mètres plus loin, c’est le carrefour Saguidiba, où se trouvent encore des éléments des FRCI. A deux pas, c’est le quartier Doukouré, peuplé en majorité des ressortissants du Nord et des pays de la sous-région. Là-bas, c’est la désolation totale. Des maisons ont été incendiées, puis détruites. Les magasins qui s’y trouvaient et avaient pignon sur la rue principale du quartier ont été dévastés par les miliciens et mercenaires de Gbagbo. Tout a été enlevé. Oui, tout. Même les cadres des fenêtres n’ont pas été épargnés. De même, la mosquée du coin a été simplement incendiée, après avoir été vandalisée.

Sur cette voie qui mène à Siporex, les dégâts sont indescriptibles. Stations-services, boutiques, magasins, restaurants, agences d’opérateurs de téléphonie mobile, superettes ont été totalement réduits à néant. Y compris les succursales de banques aussi bien nationales qu’internationale. Rien, absolument rien, n’a été épargné. A cela s’ajoutent, les tas d’immondices qui commencent sérieusement à obstruer les voies.

A la Sicogi, et la Sogefiha, deux nids de partisans de l’ancien Chef de l’Etat et aussi véritables terreaux de miliciens, il y a plus de maisons que d’habitants. Tout comme à la Selmer, au Nouveau Quartier et à Toits-Rouges.

Partout, les habitations sont quasi désertes. On se croirait dans une ville fantôme. Renseignements pris, les gens sont partis. Fuyant certes les miliciens, mais aussi les combats. Même les partisans de Gbagbo, qui offraient, pour certains, gîte et couvert aux mercenaires, ont dû se résoudre à prendre la poudre d’escampette devant l’intensité des affrontements.

Des quartiers fantômes

A Toits-Rouges, la brigade de gendarmerie et le commissariat du 19ème Arrondissement sont aux mains des FRCI, qui étendent manifestement leur emprise sur ce quartier, qui a souffert le martyre avec les miliciens. D’innocentes personnes y ont été exécutées, et brûlées. « Les miliciens prenaient parfois position sur les toits de nos maisons au carrefour Jean- Paul 2 et s’y postaient avec des lance-roquettes pour attendre les FRCI », raconte A.T, une résidence du quartier qui a regagné son domicile, après un exil forcé à Cocody. Elle dit avoir par exemple, vu un jeune être abattu, par ces miliciens et autres mercenaires, qui étaient parfois encagoulés.

Au Koweit, théâtre également des affrontements armés, les cendres des personnes brûlées sont perceptibles sur la route qui mène du carrefour des Sapeurs des Pompiers à Abobo-Doumé. Au carrefour Koweit, c’est l’horreur : deux corps gisent sur chaque côté de la voie. L’un porte manifestement des signes de brûlure. Ils commencent à se décomposer et dégagent une odeur fétide, à la limite suffocante.

Quelques mètres devant, on aperçoit l’hôtel blanc où logeait Maho Gloféhi chef milicien de sinistre réputation. Puis, c’est le quartier Santé, où se trouve un check-point des FRCI et enfin Abobo-Doumé. C’est le désert total. Le petit marché de poisson frais, qui grouillait de monde, est inexistant. C’est aussi le silence à la base lagunaire des bateaux bus. Ce village Ebrié servait de base arrière aux miliciens pro-Gbagbo, à cause sans doute de sa situation géographique stratégique, avec une large ouverture sur la lagune, qui empêche toute tentative d’encerclement de la zone.

Les combats y ont été rudes, mais pas autant qu’à Locodjro, bourgade voisine, qui abrite une base navale maritime. Un vrai fort, qui était le camp de retranchement des mercenaires libériens avec des armes lourdes, voire des chars. Là-bas, c’est l’effroi. Trois cadavres, en état de putréfaction, jonchent le sol, au milieu des détritus. L’un a les yeux sortis des orbites, les dents en l’air, la lèvre supérieure complètement arrachée. L’image est insoutenable. L’odeur pestilentielle que dégagent ces corps, également. Une crise sanitaire est à craindre. La base navale est désormais aux mains des FRCI, sous la houlette du commandant Zanga, malheureusement absent au moment de notre passage. Les miliciens et mercenaires ont été délogés, donc mis en déroute. Mais, leur siège a été terrible pour Yopougon. Elle a perdu beaucoup de ses enfants. D’ailleurs, elle continue de compter ses morts, même ceux qui ont été ensevelis dans des fosses communes. Il n’y a plus aucune banque dans la commune, toutes les grandes surfaces commerciales n’existent plus, la quasi-totalité des stations services ne sont plus opérationnelles…
Pour avoir joué les prolongations dans la bataille d’Abidjan, cette joyeuse cité a payé un lourd tribut à la crise postélectorale. Il lui faudra du temps pour se relever…

Y. Sangaré
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