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Société Publié le jeudi 23 juin 2011 | Le Temps

Reportage à Abobo : Le village d’Anonkoua Kouté tente de revivre

Les populations d’Anonkoua Kouté qui ont vécu une douloureuse attaque des hommes de feu Ibrahim Coulibaly, dit Ib, dans la nuit du 6 mars dernier, tentent de retourner sur la terre de leurs ancêtres, ti-mi-de-ment…

Il est 8 heures ce lundi 20 juin 2011. L’atmosphère est lourde et le temps menaçant. Un vent chargé d’humidité souffle sur le village d’Anonkoua Kouté qui vient de se réveiller. En ces temps de saison pluvieuse, le ciel ne tarde plus à s’assombrir et les inquiétants gros nuages qui s’amoncèlent dans le ciel viennent augmenter l’angoisse d’une population meurtrie. Il y a déjà quatre mois (le 6 mars 2011), ce village avait payé un lourd tribut à la crise post-électorale. Des centaines de villageois surpris par une guérilla urbaine sont morts brûlés vifs dans leur maison. D’autres sont abattus comme de petits lapins dans leur tentative de fuite par des mercenaires en mal de sensation. Aujourd’hui, le village d’Anonkoua Kouté est sous un plomb de chape et les villageois désemparés tentent un retour angoissé. C’est dans cette atmosphère délétère que des habitants essaient tant bien que mal de mettre de l’ordre dans leurs foyers. Emmanuel est un jeune et natif dudit village. Il est de retour après un exil forcé de près de quatre mois. Il veut refaire sa vie après avoir tout perdu. «C’est terrible. J’ai tout perdu. La maison de mes parents a été pillée et brûlée». Il fond en larmes et sa gorge est nouée de douleur. Il ne parvient plus à articuler un seul mot, étreint par l’émotion. Sa sœur cadette assise sur un tabouret dans un coin de la maison a des larmes aux yeux. Le regard fixé sur le tas d’immondices formés par les gravats des maisons détruites et autres affaires appartenant à leurs parents, entassées au fond de la cour. La scène est insoutenable lorsque son frère aîné, dans une des pièces de leur maison dévastée découvre des morceaux de pagnes déchiquetés appartenant à leur mère et des restes de chaussures calcinées. Il entre en transe. Sa soeur cadette psalmodie des paroles à l’endroit des pillards et invoquent l’esprit de ses ancêtres pour un sévère châtiment.
Les maquis à nouveau ouverts
Avant la crise, dès que le mini car communément appelé « gbaka » vous laisse à l’arrêt de bus et que vous descendez les marches de l’escalier pour entrer dans le village, ce sont les maquis et surtout l’ambiance des commerçants qui longent le couloir qui vous accueille. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Ces maquis qui font la fierté et l’orgueil des enfants de ce village sont tous partis en fumée. Dans les alentours de l’Ecole 1 (première école publique du village), tout est saccagé. C’est un village fantôme qui s’offre au premier visiteur avec sa cohorte de désolation. Cependant, certains fils du village gagnés par le courage s’attèlent à réhabiliter leurs commerces. C’est le cas de A. Z. qui aide ses frères à reconstruire leur vie. «ce magasin que vous voyez ne m’appartient pas. Le propriétaire n’est pas encore rentré de son «exil». Mais, nous avons reçu ordre de sa part pour la réfection de son local. Ici, tout le monde vit dans l’angoisse et beaucoup hésitent à retourner au village», dit-il. Dans la rue principale, tout est calme. Quelques jeunes gens assis devant leur maison conversent autour d’une cabine téléphonique. L’Eglise méthodiste unie du village a fait sa mue et semble attendre l’arrivée de ses disciples et autres fidèles. On peut encore constater l’ampleur du désastre après le passage des hommes en treillis dans le village par la destruction des portails et autres clôtures des maisons des dignitaires. Dès qu’un inconnu arpente la rue principale, les regards de quelques riverains déjà installés se braquent sur lui. Tous ses gestes sont suivis. Et la population a hâte de savoir à qui elle a affaire. Un réflexe de curiosité s’est subitement développé chez ces villageois de retour d’un exil forcé. Yapi Valentin est père de plusieurs enfants. Il n’a pas été épargné par le sort qui s’est abattu sur le village. Sa cour familiale qui comporte treize portes est passée au peigne fin par les pilleurs. Tout a été emporté chez lui. Même les fils électriques et le sanitaire ont été également emportés. «Cela fait plus de sept ans que je ne travaille plus. Je suis à la retraite. Ce sont ces maisons là qui me donnent à manger. J’ai tout perdu. Je vis dans l’angoisse et j’ai peur du lendemain. Que ferais-je avec mes enfants sans argent, sans travail ? Si l’un d’eux tombe malade, ce serait le désastre chez moi», fait-il savoir. C’est la même complainte chez les Diodan, où un bâtiment à deux niveaux a été saccagé et pillé. Notre consoeur Rosine Diodan, Enseignante dans une école supérieure de communication de la place n’a que ses yeux pour pleurer. Même ses chiens qui montaient la garde autrefois dans la cour ont été massacrés. C’est tout simplement ignoble. Sa belle sœur, trouvée sur les lieux ne décolère pas. «J’ai fui avec mes enfants en abandonnant tout derrière moi. J’ai perdu 400 000 Fcfa, représentants mon fonds de commerce. Je suis triste et j’en veux à ceux qui ont pillé notre domicile. Rien ne peut remplacer tout ce que j’ai perdu», lâche-t-elle, les larmes aux yeux.
Le symbole des Atchans détruit
Dans cette destruction des biens, le symbole des Atchan construit à l’entrée du village pour marquer l’ère du temps a été détruit par les ex-combattants pro-Ouattara, effaçant du coup, la mémoire de tout un peuple. Ce monument rappelle l’histoire du peuple Ebrié qui, autrefois vivait dans ce village. A l’époque, témoigne un villageois qui a requis l’anonymat, Anonkoua Kouté constituait le berceau du savoir Atchan. En sa qualité de village mère, ce monument a été construit en mémoire des sept villages qui constituent ledit village à savoir : Anonkoua Kouté, Anonkoua Blockauss, Abobo Doumé, Eloka 1 et 2, et enfin Abiaté 1 et 2. Faut-il le noter, chaque année, le mois de décembre qui est le dernier mois de l’année a été choisi par les anciens pour commémorer la mémoire des ancêtres. C’est ce symbole qui a été détruit. Ils veulent, pensent quelques notables rencontrés, effacer la mémoire de tout un peuple. Les Atchans dans leur ensemble refusent de mourir. Des voix s’élèvent pour exiger la réhabilitation immédiate de ce vestige qui représente l’âme du peuple Ebrié.
Jean Baptiste Essis
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