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Politique Publié le samedi 25 juin 2011 | L’intelligent d’Abidjan

Nathalie Koné-Traoré, Vice-présidente du FOSCAO : ‘’Il n’y a pas de dichotomie entre la justice et la réconciliation’’

Quel regard jetez-vous sur le concept de justice transitionnelle que votre pays la Côte d’Ivoire expérimente actuellement ?
La Côte d’Ivoire, qui revient d’une crise aiguë ayant profondément affecté tous ses fondements, est dans une situation de transition. Nous avons vécu une situation unique en son genre depuis notre accession à l’indépendance. Les cas de violations des droits humains ont été massifs, les victimes nombreuses et ce n’est pas évident que la justice ordinaire puisse juger tous ceux qui se sont rendus coupables de violations des droits de l’Homme, tous ceux qui les ont alimentées et commanditées pour que cela serve de leçons afin que le pays ne retombe plus dans une crise d’une telle nature et gravité. Ainsi, la justice transitionnelle doit-elle être mieux abordée dans ses différents mécanismes en tenant compte de nos réalités locales, afin de ne pas s’apparenter à un effet de mode. Il faut y aller à sang froid.

Soit. Entre autres mécanismes, les poursuites judiciaires et une commission baptisée Dialogue, Vérité et Réconciliation (DVR) sont à ce jour en cours d’activation. Ces deux outils sont-ils appropriés au cas ivoirien ?
C’est pour cela que je dis d’aborder ce processus à sang froid avec toute lucidité que la gestion de la sortie de crise implique. Effectivement, une commission dénommée Dialogue-Vérité-Réconciliation a été mise en place. Son président en la personne de M. Charles Konan Banny a été nommé. Il s’est déjà mis au travail pendant que le mandat de la commission, ses attributions et termes de référence ne sont toujours pas connus. A côté, le processus judiciaire est en branle. Tout juste après la chute du précédent régime, des personnalités civiles et militaires pro-Gbagbo ont été arrêtées. Mais le motif de leur arrestation reste toujours inconnu. C’est avec beaucoup de plaisir et de soulagement que nous avons appris que certains ont été libérés. C’est vrai qu’il leur est reproché d’avoir commis des actes odieux aux yeux de notre mémoire collective mais une civilisation, une démocratie qui se construit, doit respecter les droits liés à la détention. En outre, tous ceux qui ont été interpellés, l’ont été pour les faits liés à la crise postélectorale. Je ne pense pas que la fracture profonde entre les Ivoiriens remonte seulement, au refus de l’acceptation du verdict des urnes en novembre 2010. En 2002, il y a eu des massacres, des violations massives des droits de l’Homme. Il y a également l’année 2000 avec le charnier de Yopougon et 1999 avec le coup d’Etat. Tous ces faits ne doivent pas être occultés dans ce processus transitionnel, notamment celui du.déroulement du processus va donner le sentiment d’une justice à double vitesse. A la suite de ces crises, des Ivoiriens ont tout perdu, il y a eu des morts et par la suite une amnistie. Mais, cela n’a servi à rien, puisqu’il y a eu la crise postélectorale avec ces milliers de morts, cette humiliation et ce gâchis économique dont on aurait pu se passer. Il faut donc des procès équitables pour tous ces faits. Il faut juger pour tirer des enseignements de ces crises successives.

Cette activation concomitante des volets ‘’Poursuites judiciaires et la commission DVR’’ sert ou dessert-elle la réconciliation nationale ?
J’estime qu’il n’y a pas de dichotomie entre la justice et la réconciliation. Pour moi, il faut juger ceux qui ont été arrêtés et désignés comme des auteurs, responsables et commanditaires des violences postélectorales. Il est bon qu’ils soient jugés pour eux-mêmes. Il faut qu’ils soient jugés pour qu’ils puissent comprendre, pourquoi on les accuse, puis se défendre et laver leur honneur. Souvent la rumeur vous impute un fait qui peut susciter votre inculpation. C’est dans le cadre d’un procès juste que vous pourrez rétablir les faits et vous blanchir. Mais, s’il n’y a pas de procès équitable, l’opinion aura une image écornée de vous. Déjà, pour cela, il faut qu’il y ait procès. Mais, il faut élargir les faits à 2002, à 2000 et 1999 car les victimes de ces drames ne sont pas plus Ivoiriens que ceux qui sont tombés depuis le 28 novembre 2010. Pour nous, il faut juger mais de manière juste et équitable. Il ne s’agit pas de juger seulement ceux du camp Gbagbo, ceux du camp des vaincus. Mais tous ceux qui ont été impliqués dans les violations graves des droits de l’Homme de quelque camp qu’ils soient. Après avoir ainsi établi les responsabilités et fait toute la lumière sur le douloureux et lourd héritage des violations des droits humains pendant ces différentes crises à répétition, on pourra alors explorer la voie de l’amnistie voire d’une grâce présidentielle. Mais avant, il faut juger. On peut pardonner après. Les victimes, tous ceux qui ont vécu tant de traumatismes, quand il y aura les procès et que les bourreaux auront reconnu les faits, seront soulagés même si par la suite, une grâce intervient. Il faut savoir également que, ce sont les procès qui vont ouvrir la porte à des réparations. Ce qui est également très important dans les mécanismes de justice transitionnelle. Pardonner sans juger, c’est comme si, rien ne s’était passé. Or, il y a eu de pires violations des droits humains qui ne peuvent pas passer à perte et profit. La Côte d’Ivoire a été sérieusement défigurée. Et il serait utopique de croire qu’il y aura une véritable réconciliation sans justice, sans faire l’éclairage sur les violations qui ont été perpétrées.

Le Président Alassane Ouattara se montre intraitable sur la question d’un procès de son prédécesseur et ses proches. Une telle initiative ne gêne-t-elle pas la réconciliation ?
Absolument pas. Je suis pour la justice. Mais pas pour une justice des vainqueurs sur les vaincus qu’on voit se dessiner actuellement. Lorsqu’on est pour la démocratie, pour le respect de la dignité humaine et pour l’avènement d’un pays avec une démocratie dynamique, il ne faut ni jouer, ni ruser avec les questions de droits de l’Homme. Nous saluons l’engagement du Président de la République à œuvrer pour faire toute la lumière sur les faits graves de l’histoire récente de la Côte d’Ivoire. Seulement, nous demandons que le processus soit équitable tant dans sa démarche que dans sa mise en œuvre. Lorsqu’on évoque le cas des atrocités de Duékoué, il ne faut pas que des proches du Président Ouattara arguent que c’est une arnaque, une mise en scène ou un montage. Cela heurte les consciences des victimes de cette région du pays. Donc de certains Ivoiriens qui sont appelés eux aussi à participer à la réconciliation nationale. Il faut être juste et reconnaître que de part et d’autre, il y a eu des violations des droits humains. Je soutiens l’engagement du Président Ouattara à faire en sorte que tous les crimes soient sanctionnés mais, les tueries n’ont pas commencé en 2010. Il faut aller à 1999, à 2000 et à 2002. Et, les mécanismes de la justice transitionnelle activés à ce jour qui semblent écarter ces faits, nous laissent un peu sur notre faim.

Si on vous suit bien, le processus est quelque peu mal engagé…
Je suis de ceux, dans la société civile ivoirienne, qui pensent qu’on est allé un peu trop vite en mettant en place une commission DVR pendant que les exactions n’ont pas totalement cessé. Ainsi, le processus s’apparente à un effet de mode pour contenter des partenaires extérieurs et leur signifier que le pays est de plain-pied dans la réconciliation. Mais la réconciliation ne se fait pas pour des amis, ni par précipitation. La réconciliation est un art de vivre surtout avec ses adversaires. Aujourd’hui, des Ivoiriens sont en prison. D’autres sont en exil. Nous avons des éléments des FRCI qui ont été peu rigoureux sur le point des droits humains pendant la bataille d’Abidjan et qui ont montré un autre visage inacceptable peu après. Pendant que le train de la réconciliation a été lancé avec la commission DVR, ces forces ont aujourd’hui des comportements qui ne sont pas dignes de leur position dans la société. Des cas de violations des droits humains sont toujours enregistrés. Et les Ivoiriens de tous les camps sont tourmentés et perdus. Lorsqu’on vient pour libérer un pays, on n’a pas besoin de terroriser, de piller des domiciles et des magasins. Le Président Alassane Ouattara incarne la lutte d’un idéal démocratique. C’est le sens du soutien que nous lui avons apporté à nos risques et périls. C’est pourquoi nous refusons que des forces se réclamant de lui, rament à contre-courant des principes de droit et de justice. Les FRCI ont été créées pour des questions de principes démocratiques. Elles ne doivent pas se laisser aller à des comportements de Gestapo. Nous refusons cela. Il est hors de question pour nous d’être avec les FRCI pour le pire que nous avons dénoncé et combattu hier. Nous serons en phase avec ces forces seulement que pour le meilleur qui fonde leur existence. Ce ne sont pas elles seules qui ont permis au Président de la République d’exercer la plénitude du pouvoir exécutif conformément à la volonté de la majorité des Ivoiriens. Il y a eu des Ivoiriens qui ont fait le plaidoyer et le lobbying au niveau sous-régional, régional et international. Ce qui a permis une mobilisation internationale autour de la lutte contre le coup d’Etat électoral avec des résolutions internationales décisives. Il ne faut donc pas se réfugier derrière la lutte par les armes pour s’adonner à des dérives que nous avons condamnées hier. Les nouvelles autorités doivent frapper fort. On parle de brebis galeuses mais quand on a des forces constituées dont des éléments commettent des impairs, il faut les assumer. C’est cela la démocratie. Il faut donc la sécurité. Sans sécurité, les Ivoiriens qui sont à l’extérieur par peur de représailles, ne reviendront pas. Ensuite, il faut la justice. A ce niveau, il faut que ceux qui ont été arrêtés, connaissent les charges retenues contre eux ou qu’ils soient relaxés. Après cela, ceux qui seront en prison sauront pourquoi ils y sont. Les droits de l’Homme ne sont pas dans un sens unique ou pour un seul camp. Même en détention, il y a des droits à respecter, notamment le droit aux visites et aux soins. Après tout cela, on pourra alors parler de réconciliation et de cohésion sociale. Sinon quand on parle de réconciliation et que ma maison est occupée par les FRCI, quand on parle de réconciliation et que des FRCI posent des actes qui vont contre la cohésion, contre la paix, la démocratie et les droits humains, je me pose des questions.

Si vous devriez lancer un appel, lequel serait-il ?
Bien avant, je tiens à préciser que nous ne pouvons pas garder le silence sur des dérives que nous avons dénoncées et combattues hier. Ce sera mettre en péril la démocratie et les droits humains, pour lesquels il y a eu tant de morts. Il faut donc arrêter de diaboliser tout un régime et peindre sous les traits des anges, un autre régime. Si nous voulons changer qualitativement notre pays, il ne faut pas faire ce que nous avons dénoncé hier. La victoire doit être humble, modeste et la défaite digne. Comment peut-on travailler pour avoir une Assemblée Nationale dynamique quand tout un parti significatif est décapité ? La Côte d’Ivoire a connu des moments difficiles. Mais, nous ne sommes pas le seul pays comme en témoigne la longue liste des Etats qui ont expérimenté le processus de justice transitionnelle. La seconde guerre mondiale a divisé la France et l’Allemagne mais aujourd’hui, ces deux pays travaillent ensemble pour une Europe plus forte. C’est vrai que les Ivoiriens ont souffert du refus de l’acceptation du verdict des urnes et continuent de souffrir mais nous devons regarder plus loin. Au terme de cette guerre, il faut se rendre compte qu’aucun camp n’a gagné. Mais que c’est la Côte d’Ivoire qui a perdu. La question de sécurité est aujourd’hui importante pour tous les Ivoiriens quelque soit leur camp ou leur bord politique. La sécurité est la base de tout ce qui se fera comme activité de réconciliation. Ensuite, vient la justice véritable et non une justice des vainqueurs sur les vaincus. En réalité, ce qui compte, c’est la Côte d’Ivoire. Pour les Ivoiriens, ce qui compte, c’est de vivre en paix dans un environnement de sécurité, de sérénité, de confiance et de progrès économique pour le bien-être social. Mon appel est à la remise en cause de chaque Ivoirien. Il faut que nous nous ressaisissions de part et d’autre, parce que les droits humains ne sont pas à exiger au seul régime déchu. L’actuel pouvoir qui incarne pour nous la victoire de la démocratie sur la dictature, a sa part à jouer. Le Président Ouattara doit faire de la démocratie et des droits humains une priorité car c’est la base du succès de l’œuvre de réconciliation nationale qu’il a lancée. Afin que la Côte d’Ivoire reparte de plus belle sur la voie de la démocratisation, du respect des libertés et des droits de l’Homme.
Réalisé par M Tié Traoré
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