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Art et Culture Publié le mercredi 6 juillet 2011 | Le Patriote

Interview / Père Germain Gazoa : "La réconciliation doit être un devoir civique"

© Le Patriote Par DR
Religion / Père Germain Gazoa, Professeur à l`Université Catholique de l`Afrique de l`Ouest
Professeur à l'Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest à Abidjan, Père Germain Gazoa est un observateur averti de la société ivoirienne. Dans cet entretien, cet homme de Dieu livre ses recettes pour une réconciliation sincère entre les Ivoiriens.



L P : La Côte d’Ivoire sort d’une crise postélectorale particulièrement violente et sanglante. Pensez-vous que la cicatrisation des blessures sera difficile ?

Père Germain Gazoa : La situation traumatisante du pays gêne tout le monde. Et le souhait de tout Ivoirien et de tout habitant de ce pays c’est que tout se normalise. Je pense qu’on peut s’en sortir. Il suffit de le vouloir. La seule condition, c’est la volonté. Si l’Ivoirien sait lui-même que ce n’est pas bien cette situation, il peut trouver en lui des ressources nécessaires pour s’en sortir.

L P : Quand on a été témoin de violence inouïe, quand on a vu des proches se faire tuer sous ses yeux, comment peut-on transcender cela ?

PGG : C’est justement là qu’on découvre la personne humaine. L’homme philosophiquement parlant est quelqu’un de dynamique, appelé tout le temps à se remettre en question, à faire un voyage en lui-même pour se repositionner. Le dogme n’est pas fait pour subir son histoire. Si on devait subir son histoire, je pense que le monde ne s’en trouverait pas là. On sait l’histoire des israélites et de toute l’histoire d’ailleurs. Si on se focalise sur notre passé, mais on éteint tous les signaux de la vie et on ne vit plus. C’est pour cela que de temps en temps, il faut se dresser contre son histoire, se rebeller par rapport à son histoire pour dire non je ne suis pas fait pour ça. Maintenant, il ne s’agit pas de chasser ce passé douloureux pour se camoufler dans une sorte d’expéditive. Il faut l’affronter pour l’objectiver, la réduire à sa plus simple expression, cette histoire, afin de se donner un mental pour aller de l’avant. On n’est pas fait pour regarder constamment notre histoire pour qu’elle nous façonne à sa guise. Ce n’est pas une personne humaine.

L.P : Le 23 mars dernier, vous avez lancé solennellement un message aux chrétiens que vous avez invités à ne pas être des vecteurs de violence, mais plutôt des messagers de paix. Avec cette violence que nous avons vécue, n’avez-vous pas le sentiment d’avoir parlé dans le vide ?

PGG : En tant que prêtre, nous semons dans le cœur des gens et l’Esprit saint arrose. Donc, mon devoir est de dire à tout chrétien baptisé dans le nom du Christ que son premier devoir est un devoir civique. Notre première identité, c’est la réconciliation. Le chrétien par définition est un réconciliateur parce que nous célébrons la messe qui est un sacrifice de la réconciliation, de Dieu avec sa créature. Donc, celui qui participe à ça est par définition est un réconciliateur. Nous n’avons pas le choix, la réconciliation s’impose à nous. Pour celui qui ne saisit pas l’invitation du Président de la République au bond et qui est Chrétien doit revoir sa manière de vivre sa foi. Le Président nous a facilité la tâche en tant qu’homme de Dieu en disant qu’il veut la réconciliation, mais cette réconciliation qu’il veut, c’est nous qui devons l’inviter à la faire. Mais si lui nous invite à la réconciliation, il a fait en partie notre travail. Nous lui disons merci de nous avoir facilité ce travail. Mais nous allons continuer à notre manière. Ce n’est pas jamais assez de dire allons, allons, mais on laisse le temps à l’esprit de nous amener à joindre les deux bouts. Vous savez, c’est difficile pour tout le monde. Dès que vous parlez tout de suite, on vous met dans un camp. Cela est propre à un cœur blessé, qui est toujours prêt à des susceptibilités. On ne peut pas se cantonner sur ça. On ne fait que progresser. L’essentiel est que le ciment soit fait au niveau des parties et que le monde puisse avancer. Je dirai quand même que le message est en train de faire son chemin dans les cœurs parce qu’il y a des positions qui ne sont plus assez tranchées. Des gens commencent par réfléchir par deux fois. Je vois des gens qui me téléphonent ou viennent me voir pour me dire : « ah, je n’avais pas compris telle chose ». L’exemple le plus pathétique est celui d’une femme qui me disait : « ah si ma maman pouvait aussi t’écouter. Je vois qu’elle ne s’en remet pas. Si tu pouvais lui parler ça serait bien parce que depuis que je t’écoute, je commence à comprendre beaucoup de choses ». Cela est déjà une satisfaction pour moi.

L.P : Est-ce le manque de la crainte de Dieu qui pousse les gens à être violents comme on a pu le constater durant la crise postélectorale ?

PGG : Il y a en partie cela, mais il y a surtout le concept même du pouvoir en Afrique. J’en parle dans mon livre sur les conflits. Est-ce que le pouvoir est service ? A-t-on une conception citoyenne de l’exercice du pouvoir ? Exercer un pouvoir rejoint vraiment la conception réelle d’un pouvoir politique. C’est à cela que le problème se pose. Je suis très Suisse, c’est un pays que j’estime beaucoup. Et il m’a beaucoup appris. Là-bas, c’est vraiment la conception service. Le pouvoir, ce n’est pas le népotisme où on fait profiter ses privilèges à sa famille. C’est cela la plaie en Afrique. Il faut qu’on dépasse cela. Pour une paix durable, il faut qu’on retourne un peu à nos origines. Dans mon livre, je propose des recettes purement traditionnelles qui permettent de trouver des solutions à nos problèmes. Le fait de la violence en Afrique, c’est une conception dégradée du pouvoir tel qu’on veut l’exercer sur le continent et qui est teintée de pas mal de subjectivisme, de nos intérêts individualistes, notre égoïsme.

L.P : Pour sortir de cet engrenage, faut-il une nouvelle race de politiciens en Afrique, et singulièrement en Côte d’Ivoire ?

PGG : Il faut reconstruire l’intellect africain. Pour la Côte d’Ivoire, il faut une véritable reconversion des mentalités de A à Z. Ce n’est pas parce que celui-là est de telle région, qu’il est mauvais. Parce qu’il n’est pas de mon parti, il est mauvais. Il faut vraiment un développement tout azimut de la Côte d’Ivoire et de l’Ivoirien. On a des masques qu’on fait porter aux autres et ça nous dénature. Il faut cesser tout ça. Moi, je ne suis plus capable de fréquenter untel parce qu’il est de telle région, il parle telle langue. Non, c’est satanique. Il faut récréer totalement l’Ivoirien. La confession à Dieu d’accord, mais confession d’abord à nos racines. L’Africain est d’abord communauté, société. Où sont passés toutes ces valeurs là ? Avant tout cela, je ne savais pas que mon voisin d’à côté était de telle région. Je savais que j’avais mon frère. Que s’est-il passé pour qu’il devienne du coup quelqu’un de telle religion, de telle ethnie ou de telle région. Avant c’était mon frère, mon frère, mais maintenant, je dois me méfier de lui parce qu’il est de telle ethnie ou telle religion. C’est une dénaturation de l’Ivoirien. Il a donc perdu de sa nature. La reconversion serait qu’on retourne à notre nature antique.

LP : Quels sont justement les clefs de cette reconversion ? Doit-on commencer par quoi ?

PGG : Il faut d’abord être sincère avec soi-même. Ensuite, il faut commencer à panser toutes les blessures. C’est qu’il faut la réconciliation, mais elle doit commencer avant tout par la guérison. Il faut guérir les gens. Si on fait la réconciliation avec des cœurs blessés, je ne sais pas si ce sera sincère. Il faut d’abord la guérison pour que la personne retrouve en elle-même sa place dans la société. Je pense qu’il faut la sincérité, l’esprit citoyen pour dire que si on ne le fait pas, personne d’autre ne le fera à notre place. Il faut également la volonté, la nécessité de l’acte qu’on doit poser. Le reste va suivre.

LP : Vous parlez de guérison. Comment doit-elle se faire ?

PGG : L’unique remède à la guérison est le sentiment de se sentir aimé, parce que toute forme de violence est un message. C’est parce qu’il y a eu un déficit de communication, qu’il y a eu cette réaction. Toute violence est un désir de communication. La première guérison commence par cette volonté de s’asseoir et de dire à l’autre, vraiment tu as raison, je te demande pardon. On va vivre ensemble, on va s’aimer, parce que c’est par l’amour qu’on soigne quelqu’un. Une blessure est une affectivité écorchée. Le remède conseillé, c’est donc l’affection. Montrer à l’autre que tu es capable du meilleur, d’apporter un plus. C’est l’amour qui peut désarmer les cœurs. On a l’exemple de Martin Luther King, de Gandhi, Mandela, du prophète Mohamed et du Christ, qui montre qu’avec l’amour, on peut désarmer toute sorte d’armée. C’est pourquoi, j’ai mis sur le marché une revue bimestrielle intitulée « Guérir » qui traite de tout de ce qui est psychisme, spirituel et aide tous ceux qui sont blessés intérieurement à s’en sortir. Il explique aussi comment cheminer dans sa foi. Il n’est pas destiné uniquement aux chrétiens catholiques, mais à toutes les personnes. D’ailleurs, je ne parle pas d’appartenance religieuse, je parle vraiment de l’homme. Le spirituel, c’est l’énergie qu’on a en nous qui nous permet de sortir de n’importe quelle situation. Ce sont des spécialistes qui y interviennent, des psychiatres, des neurologues. Pour le troisième numéro qui est à venir, on parle des maladies de l’âme, comment traiter cela.

L.P : Vous avez publié le livre intitulé, « Comment prier quand ça ne va plus ? » dont la première édition a été épuisée, quelle est sa singularité ?

PGG : Je montre dans ce livre que quand on est blessé et que ça ne va plus du tout, il y a une manière de se comporter devant Dieu, d’orienter ses prières. Je donne aussi des conseils à ceux qui sont en deuil, qui vivent un chagrin d’amour pour qu’ils puissent mieux s’orienter.

L.P : Un message à l’endroit des Ivoiriens ?

PGG : Comme on le dit chez nous, j’attrape les pieds de chaque Ivoirien pour leur dire qu’on peut se construire à partir du néant. Rien n’est tard, rien n’est totalement détruit. Que chacun se ressaisisse pour regarder celui qui est en face comme son frère. Pour l’avenir de nos enfants, il faut taire en soi-même toute velléité et regarder l’avenir avec sérénité. Il faut se dire qu’on a beaucoup à apprendre avec nos frères des autres régions et aussi des autres pays. C’est la capacité d’accueillir, de composer avec celui qui est autre nous qui fait la force d’une Nation.

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