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Santé Publié le mardi 23 août 2011 | Ivoire-Presse

Naissance du premier bébé-médicament en France. Les explications du Dr Coulibaly Foungotin Hamidou

© Ivoire-Presse Par DR
Médecine - Dr Coulibaly Foungotin, généticien et Biologiste de la procréation
L’actualité scientifique internationale en début d’annéea fait état de la naissance du premier bébé-médicament en France par l’équipe du Pr Frydman René. Qu’en est-il exactement ?
Permettez-moi de présenter mes salutations à votre lectorat et vous remercier aussi de l’opportunité que vous m’offrez d’aborder un sujet assez délicat dans lequel je confesse être à l’aise d’autant plus que l’équipe française dont il est question est celle dans laquelle j’ai été initié à la biologie de la procréation.

Pour comprendre de quoi il est question dans cette performance de la naissance du bébé-médicament que l’on désigne aussi plus sympathiquement sous le vocable de « Bébé-docteur », il faut nécessairement apporter un certain éclairagesur des notions essentielles en génétique et en science de la reproduction. Sachez tout d’abord que les parents de ce bébé-médoc, sont turcs mais ils vivent en France. Il est important de préciser leurs origines pour comprendre l’affection génétique dont souffre leurs deux premiers bébés et qui est très prévalent dans les pays méditerranéens tels que l’Italie, la Grèce, la Turquie, la Chypre, etc. Cette maladie génétique s’appelle la beta thalassémie. Elle fait partie du groupe des maladies génétiques que l’on désigne par Hémoglobinopathies et dont fait partie la Drépanocytose qui est très bien connue en Côte d’Ivoire. Ces maladies génétiques héréditaires affectent le sang et plus particulièrement le pigment qui donne la coloration rouge au sang que l’on appelle Hémoglobine. Cette hémoglobine joue un rôle capital dans le sang car c’est lui qui transporte l’oxygène dans tout notre organisme et se charge de récupérer les déchets carboniques. Les personnes souffrant de beta thalassémies ont une très mauvaise qualité et quantité de sang dont le fonctionnement va être défaillant et vont être soumises à vie à de multiples transfusions de sang. L’espérance de vie s’en trouve réduite avec une prise en charge thérapeutique pour toujours. C’est une maladie grave et invalidante. Et comme toute maladie génétique héréditaire, elle est incurable. L’on naît et meurt tout comme la drépanocytose. Cependant la prise en charge précoce et bien suivie de la drépanocytose permet aujourd’hui d’avoir une espérance de vie quasi normale. L’éradication de ces maladies repose avant tout sur le conseil génétique dans les populations à risque.

Mais alors, si l’on ne peut pas en guérir, en quoi le bébé-médicament peut-il sauver son frère de cette maladie ?

C’est face à ce diagnostic sans appel, ce destin implacable, que va entrer en scène le génie de l’homme et plus précisément celui de la génétique combinée à la procréation. En principe, ce qui est héréditaire est figéet fiché à vie. Du moins jusqu’à une époque récente. Car aujourd’hui avec la manipulation génétique, il est possible de réécrire une partie du génome d’un organisme vivant, à savoir modifier le message génétique originel transmis par les deux parents et contenus pour l’homme dans ses spermatozoïdes et pour la femme dans ses ovules, de sorte que la rencontre de ces deux cellules sexuelles vont, lors de la fécondation,fusionner leursinformations génétiques respectives pour donner un embryon qui finalement aboutit à la naissance d’un bébé neuf mois plus tard. La constitution du bébé est la conséquence et l’expressionde l’information génétique ou message génétique unique (sauf dans le cas de jumeaux monozygotes) apporté par chacun des parents à travers la cellule sexuelle dont il est donneur (ovule pour la mère et spermatozoïde pour le père). Cette information génétique est unique et définitive. Mais quelquefois, ces informations contenues dans une molécule appelée ADN, sous la forme de la disposition aléatoire de 4 bases ou lettres qui sont ATGC (Adénine, Thymine, Guanosine et Cytosine), dont la longueur, la combinaison en ces bases vont constituer ce qu’on appelle un gène, peuvent contenir des erreurs appelées mutations et conduire à l’apparition de maladies. C’est le fonctionnement de ces gènes contenant l’information qui va aboutir à la formation de chaque constituant de notre organisme (yeux, cœur, sang, voix, le caractère, etc.). On imagine aisément les conséquences qui peuvent être gravissimes lorsqu’une erreur apparaît dans l’information de ce message. C’est ce qui aboutit à des maladies telles que la drépanocytose, la thalassémie et aussi toutes les formes de cancers. Mais pour ces derniers, seulement 5% ont une origine héréditaire et transmise par les parents maisdans 95% des cancers, la conséquence est génétique mais pas héréditaire, donc pas transmis par les parents et liés la plupart du temps à des causes environnementales.

L’approche telle que menée par l’équipe du Pr Frydman se décompose en plusieurs phases et même en plusieurs spécialités ; d’où la nécessité d’une collaboration entre plusieurs équipes scientifiques. La première étape va consister en une AMP (Assistance Médicale à la Procréation) classique, à savoir prélever plusieurs ovules de la mère, après stimulation ovarienne qui va permettre d’obtenir pour un cycle, plusieurs ovocytes (environ une dizaine) au lieu d’un seul ovule comme c’est souvent le cas lors d’un cycle naturel sans stimulation chez la femme. Au laboratoire,on féconde tous ses ovules avec les spermatozoïdes recueillis chez le père. On obtient ainsi plusieurs embryons (futurs bébés). Au stade 4 cellules ou 8 cellules, à savoir 48h ou 72h après la fusion des deux cellules sexuelles, une autre technique va entrer en ligne de compte. Et c’est l’étape la plus importante, celle du DPI (Diagnostic Pré-Implantatoire). Elle requiert une haute compétence du biologiste. Il va s’agir de retirer une cellule unique de chaque embryon sans l’endommager (c’est le commencement du bébé) par une technique appelée Hatching. Toutes les cellules (une cellule par embryon) retirées des embryons (chaque embryon comportant 8 cellules se retrouvent avec 7 cellules) vont être traitées et fixée sur des lames de microscope et transférées dans un laboratoire spécialisé de génétique ou de cytogénétique en fonction de la pathologie suspectée, pour identifier les cellules qui sont porteuses de la maladie génétique ou pas (de cette même façon, on peut choisir le sexe de son enfant, la couleur de ses yeux, identifier la compatibilité HLA, le groupe sanguin,etc.). Les cellules qui seront déclarées saines et donc exemptes de la maladie vont ainsi être identifiées et l’on sait évidemment les embryons dont elles sont issues. Ce sont ces embryons sains qui vont être sélectionnés et inséminés dans l’utérus de la mère pour donner un beau bébé au bout de neuf mois, sans maladie génétique.
Mais comment ce « bébé-docteur » peut-il soigner son frère déjà né et qui est malade ?
D’abord, je dois préciser qu’à ce stade des explications, ce bébé n’est pas un bébé-médicament. C’est un bébé sain né avec la certitude qu’il ne porte pas la maladie génétique pour laquelle il a subi le DPI. C’est l’usage que l’on fera secondairement de ce bébé ou du moins de son cordon ombilical, qui fera qu’il sera bébé-médicament ou simplement bébé-bien portant. Si ce bébé n’a pas de frère malade, c’est tant mieux. Mais s’il a un frère malade de cette tare génétique pour laquelle il a subi le DPI et si et seulement s’il est compatible HLA qui est un système de compatibilité tissulaire très importante pour toutes les chirurgies de greffes (intervention de greffes d’organes) appelé compatibilité HLA (HumanLymphocyte Antigen), alors le bébé qui devient un bébé-médicament pourra donner les cellules sanguines issues de son cordon ombilical à son frère malade.Si l’intervention marche, ce dernier est définitivement guéri.

Tout va donc se jouer lors de la naissance du bébé-docteur, car le médicament dont il s’agit n’est rien d’autre que le sang de cordon ombilical et placentaire. Dans la pratique, dès que l’on sépare le bébé de la mère en sectionnant le cordon ombilical, on recueille le sang provenant de ce cordon et du placenta. Ce sang contient ce que l’on appelle des cellules souches hématopoïétiques, qui sont capables de régénérer toutes les cellules du sang (plaquettes, globules blancs, globules rouges), que l’on va transplanter, après traitement de ce sang à un receveur compatible HLA, dans le cas d’espèce ce sera son frère malade. Prélevé dans le cordon ombilical au moment de l'accouchement, il représente une véritable source de vie. Les cellules qu'il contient se développent rapidement et, en plus, elles n'ont jamais rencontré d'agents infectieux. Elles sont intéressantes, car elles sont naïves et immatures sur le plan immunitaire. Ce nouveau sang va remplacer le sang malade du frère. Le frère sera donc guéri. Ces cellules souches une fois traitées peuvent être conservées pendant près de 25 ans dans de l’azote liquide. Il existe des banques de sang de cordon ombilical partout dans le monde.

La première transplantation de sang de cordon a été faite en 1987 par l'équipe du professeur Éliane Gluckman en France. Elle a permis de guérir un enfant atteint d'anémie de Fanconi, une grave leucémie induite par un dysfonctionnement de la moelle osseuse.
De plus en plus de maladies génétiques sont guéries par cette méthode, y compris la drépanocytose. Les cellules-souches de sang de cordon sont surtout utilisées pour les cancers hématologiques tels que des leucémies, des lymphomes, des myélomes. Plus de 80 maladies génétiques ou des formes de cancers peuvent être traités par cette technique ainsi que des maladies du système immunitaires.

Ces techniquessont-elles applicables en Afrique ?

Pourquoi pas ? Nous avions caressé cet espoir il y a quelques années avec des amis qui avaient reçu la formation en France. Il s’agissait plus précisément de la greffe de moelle osseuse pour guérir définitivement les enfants atteints de leucémie ou de drépanocytose homozygote majeure. Mais vous savez, en Afrique, lorsque vous arrivez après une formation en Europe, vous avez la volonté de soulever des montagnes, mais très rapidement vous vous rendez compte qu’arriver à soulever déjà vos propres pieds pour les placer l’un après l’autre pour marcher relève du miracle, tant les obstacles sont innombrables et diversiformes.

Avez-vous déjà travaillé sur du sang de cordon ombilical ?

Oui. Nous avons mené des recherches sur la prévalence d’une maladie génétique qui est la déficience en G6PD (Glucose 6 Phosphate Déshydrogénase) dans la population des nouveau-nés en Côte d’Ivoire. Cette recherche était faite à partir du sang de cordon ombilical que nous avons collecté dans les différentes maternités d’Abidjan pour ensuite effectuer les travaux de recherches en France. Cela a donné lieu à une publication en abstract dans la revuescientifique américaine de référence BLOOD.

Une précision que je souhaite apporter. Elle va concerner la dernière étape du parcours du bébé-médicament, à savoir la transplantation de son sang de cordon à son frère malade. Il faut avertir que les chances de succès ne sont pas de 100%.Les cellules de sang de cordon sont administrées au malade par simple transfusion. Dans le cas d’une leucémie, auparavant la moelle osseuse du malade est détruite par chimiothérapie ou radiothérapie. Ayant très peu de globules rouges et globules blancs servant aux défenses de l’organisme, le patient devra rester à l’hôpital en chambre stérile.

Ensuite, le sang placentaire est transfusé au malade. Les nouvelles cellules souches sanguines vont coloniser l’intérieur des os du patient, pour ensuite produire de nouveaux globules rouges, globules blancs, et de nouvelles plaquettes. Le temps que la quantité de ces cellules sanguines soit suffisante, le malade doit rester en chambre stérile durant environ trois semaines. Le groupe sanguin du malade peut changer s’il est différent de celui du donneur dont il aura désormais le groupe sanguin.

Nos lecteurs vous remercient pour l’éclairage que vous avez apporté pour ce qu’est une bébé-médicament. Et demain, que nous réserve la science ?

Demain, la science va permettre à des hommes de procréer sans femme et à des femmes de procréer sans hommes. Le clonage nous permettra de nous démultiplier à l’infini. Des biopuces permettront en quelques minutes de nous dire l’ensemble des maladies dont nous sommes porteurs. On pourra choisir le sexe de l’enfant, ses caractéristiques physiques dans un catalogue. On pourrait mélanger des gènes ou des gamètes d’espèces différentes pour fabriquer des chimères d’embryon. On pourra fabriquer des embryons à volonté pour les utiliser et guérir de beaucoup de maladies. L’un des espoirs les plus proches et les plus plausibles de guérir du SIDA repose sur cette technique et sur la thérapie génique.

Ai-je dit demain ? Lapsus ! Cela se fait déjà pour la plupart de ces projets. Avec la rencontre de l’informatique et de la biologie, la bioinformatique, nous en verrons des vertes et des pas mures. Déjà des laboratoires proposent des tests génétiques pour dire jusqu’à quel âge vous pourriez espérer vivre.

Alors, Mesdames et Messieurs ! Pour ou contre les bébés-docteurs ?


Cet article est une contribution du CRIE (Centre de Recherche Interactive et d’Expertise)

Dr COULIBALY Foungotin Hamidou
Maître-assistant Génétique Humaine
Biologie de la
Procréation et Cytogénétique
Attaché de Recherches Cliniques
E-mail : cfoungh@yahoo.fr
Site Internet : www.crieafrique.net
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