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Société Publié le vendredi 7 octobre 2011 | News and Co

Littoral en danger

© News and Co Par new&co
Vu du Littoral
Du 24 août au 2 septembre dernier, le littoral ivoirien a subi de violentes marées de tempête qui ont causé de graves dommages, notamment au niveau de Grand Bassam, où la plage a reculé de 10 à 25 m avec un pic houleux dans la nuit du 27 au 28 août, et des vagues atteignant jusqu’à 4 m de haut. L’équinoxe ayant habituellement lieu courant-fin septembre, à l’heure où nous mettons sous presse, tout le monde attend cette échéance avec inquiétude. Si aucune action d’envergure n’est entreprise dans mois à venir, les conséquences environnementales et socio-économiques de ce phénomène pourraient s’avérer désastreuses…

Les habitants du village d’Azuretti ont coutume de dire que la mer rend ce qu’elle reçoit, et se met en colère lorsque les hommes ne la respectent pas suffisamment. Assurément la période août-septembre aura marqué la « goutte » de trop pour l’homme comme pour la mer… et la première fois depuis longtemps que l’océan entrait dans une telle fureur, emportant sur son passage plus de 450 000 tonnes de sable, alors que l’occupation du trait côtier se déploie à une distance comprise entre 2 et 6 m de l’eau.

En ce dimanche de la mi-septembre, tout le monde profite des plaisirs balnéaires comme si de rien n’était. Mais la côte porte encore les stigmates de la brusque montée des eaux survenue quelques semaines plus tôt. À commencer par la marée de déchets plastique venue se déposer au pied des réceptifs hôteliers sur tout le long de cette partie du littoral. Certains d’entre eux flottent encore tristement sur la surface noire de l’eau, dans la piscine de l’Étoile du Sud que les vagues sont venues submerger. Au Koral Beach, les flots déchaînés ont emporté des pans entiers de la terrasse du restaurant. Désormais, pour accéder à la plage, il faut descendre un dénivelé d’1 à 1,5 m. Plus loin, le patron de la Madrague explique qu’il a perdu 12 m de plage et deux rangées de cocotiers. « On entendait les racines craquer et grincer comme des cordes de chanvre sous la pression de l’eau. Quand les dernières ont cédé, les arbres ont été emportés avec autant de facilité que si ç’avait été des allumettes ». Vanessa Martinez, gérante de la Playa voisine, n’en revient toujours pas : « C’est dans ces circonstances que l’on se rend compte de la puissance de l’océan : nous avions fait construire une clôture bétonnée renforcée par une armature de fer à étais, à 4 m de profondeur sous le sable. La houle a emporté le mur bloc par bloc, comme si c’était du polystyrène… »

Si tous les hôteliers de Bassam ne sont pas sinistrés, plusieurs se retrouvent au bord du gouffre. Car les dégâts causés par la mer impactent négativement le chiffre d’affaires qui, sérieusement diminué, ne suffit plus à compenser les frais liés aux charges et à l’entretien, sans parler des éventuelles réparations. « Personnellement, j’ai perdu la moitié de ma capacité d’accueil, ajoute Vanessa. Alors qu’on venait juste de refaire la peinture et le paillage des appatames, je me retrouve avec 40 transats en chômage technique ». Une situation d’autant plus préoccupante pour les gérants de ces établissements balnéaires qu’elle vient s’ajouter au manque à gagner induit par plusieurs mois de crise. Les populations villageoises ont également été touchées, car les pêcheurs ne pouvaient sortir par temps de mauvaise mer, et que la houle sans pitié a détruit leurs pirogues et leurs filets.

Quelles solutions dans l’immédiat ? « En attendant que la plage se reconstitue, on va entasser des sacs de sable et replanter des rangs de cocotiers. Pas vraiment le mur de l’Atlantique, mais on fait avec les moyens du bord », indique Jordi Martinez, l’un des présidents d’honneur du collectif des hôteliers et restaurateurs de Grand Bassam (Horest).
Et du côté des autorités, qu’en est-il ? Le ministre du Tourisme, Charles Aké Atchimon, s’est rendu le 3 septembre à Grand-Bassam et a parcouru toute la plage en compagnie des opérateurs économiques auxquels il a été demandé de chiffrer les dégâts et pertes subis.
Pour Jean-Michel Moulod, député-maire de la commune, une solution serait de déclarer le quartier France zone sinistrée, afin que ses opérateurs reçoivent des indemnités leur permettant de garder la tête hors de l’eau, au moins sur le court terme dans un premier temps, en attendant la mise en œuvre de solutions plus durables. Mais les membres du milieu hôtelier restent sceptiques. « Nous ne nous attendons pas à recevoir de subventions » ; « Dans le contexte actuel, Bassam n’est peut-être pas la priorité du nouveau gouvernement… », affirment-ils. « Ҫa fait 10 ans qu’on nous sert des promesses et des “Y a pas d’argent”. Rien n’est jamais la priorité dans ce pays. Cette ville au potentiel extraordinaire est gérée comme un village, dans l’urgence et au coup par coup, alors que si l’on agissait une bonne fois pour toutes, les recettes touristiques pourraient largement compenser les investissements à consentir pour résoudre le problème de l’érosion côtière », explose l’un d’entre eux, découragé.
Pour l’instant, le conseil des ministres, réuni le 7 septembre sous la présidence d’Alassane Ouattara, a donné son accord au ministère de l’Environnement et du Développement durable pour toute une série de mesures préventives et correctives parmi lesquelles la création d’un comité interministériel chargé de la lutte contre l’érosion côtière et ses impacts sociaux-économiques. De son côté, le conseil général entend procéder à l’actualisation et à l’achèvement de l’étude scientifique initiée en 1996. Coût de cette opération : environ 850 millions FCFA. Quant aux restaurateurs, faute de mieux, ils ont remis une pétition aux autorités fin septembre.

Quelles causes ? Quelles solutions ?

« De la façon dont sera traité le problème de l’érosion, dépendent plusieurs projets porteurs, comme l’autoroute Abidjan-Bassam, mais aussi et surtout l’existence de milliers de personnes vivant directement et indirectement des bienfaits persistants de la cité aux quatre vents »

Les causes invoquées pour justifier la violence des marées de fin août-début septembre sont nombreuses et variées. On mentionne notamment l’incidence de la nouvelle lune, avec une amplification du phénomène d’attraction, la force des courants marins et thermiques, les mouvements tectoniques au large des côtes et, de façon plus hypothétique, l’ouragan Irène, qui a touché la côte est des États-Unis fin août.
Parmi les facteurs aggravants, citons bien sûr le réchauffement climatique et son corollaire de montée des eaux (60 à 70 % de la ville de Grand-Bassam se trouve actuellement en-dessous du niveau de la mer), mais aussi l’extraction sauvage de sable pour la construction d’habitations ou d’établissements hôteliers.
Bassam est qui plus est située sur la partie du littoral ivoirien (segment Port-Bouët/Ghana) qui présente le profil le plus vulnérable à l’érosion côtière, puisque de type sédimentaire, les sols y sont essentiellement sablonneux et argileux, ce qui les rend très friables. En témoigne la vitesse alarmante de l’érosion côtière dans cette zone, qui varie de 1 à 3 m par an.
Par ailleurs, l’évolution naturelle de cette partie du littoral se traduit par des cycles d’engraissement et de recul. La saison des pluies (censée s’achever à la mi-juillet) correspond à une période de grosses déferlantes où la plage se trouve dûment éprouvée par l’érosion. Le problème dans le cas des marées de fin août, est que celles-ci sont survenues avant que le littoral n’ait eu le temps d’entrer en phase d’engraissement, d’où l’importance des dégâts constatés.

Mais le transit littoral de sable s’effectuant d’ouest en est, le recul inquiétant de ce que l’on appelle communément le trait de côte trouve d’abord son origine dans la fermeture de l’embouchure de la Comoé (la passe), sous l’effet conjugué d’une baisse du débit moyen du fleuve et de l’aménagement du canal de Vridi, vers lequel est détournée une grande partie de l’apport sédimentaire (alluvions) du réseau hydrographique. Selon le professeur Koffi Koffi Philibert, chercheur au CNRO (Centre de recherche océanographique), ce canal, véritable « épi hydraulique » en travers du transit sédimentaire, et sa jetée d’arrêt de sable, ont favorisé l’avancée du rivage de la zone sur plus de 300 m de plage, au détriment des côtes s’étendant jusqu’au Ghana.

Les conséquences néfastes de la fermeture de l’embouchure sont connues et déplorées depuis longtemps : profusion de végétaux flottants envahissants (jacinthes d’eau) qui créent des difficultés aux riverains en entravant notamment la circulation et la pêche lagunaire, appauvrissement des ressources halieutiques, risques d’inondation de la ville de Bassam et érosion des berges en raison du fort courant à marée descendante.

Comme le précise Jean-Michel Moulod, depuis la fin des années 80, les autorités ont déjà procédé à plusieurs ouvertures artificielles de l’embouchure. Quatre en tout (la dernière remontant à 2004), dont les effets bénéfiques se firent sentir au bout de quelques mois à peine (enrichissement très net des eaux lagunaires, navigation plus fluide, baisse des risques d’inondation, etc.). La durée de vie des ouvertures dépend entre autres de la crue du fleuve Comoé (en 1987 par exemple, l’ouverture, pratiquée sur plus d’1 km, ne s’est refermée que deux ans plus tard). Cependant chaque fois, il faut compter un investissement de 350-400 millions FCFA minimum. De l’avis de la majorité des personnes concernées, la solution au problème d’érosion de Bassam consisterait donc en une ouverture définitive de l’embouchure, reproduisant un canal de Vridi en « miniature ».

Dans cette optique et à la demande du gouvernement, le Port autonome d’Abidjan a commandé dès 1996 une étude au laboratoire hydraulique de Grenoble. Les simulations effectuées prévoient l’édification d’un bras de mer d’une largeur de 90 m, avec une jetée ouest longue de 220 m qui entraînerait l’accumulation du sable venant de l’ouest et permettrait de regagner environ 150 m de littoral dans les 6 ans d’exploitation. Cette opération, dont le coût total est estimé à 13-14 milliards FCFA, permettrait de sécuriser le quartier France, où se concentre l’essentiel de l’activité touristique de la ville… au détriment de Mondoukou, et de la partie du littoral située à l’ouest du canal.

Et c’est justement là que le bât blesse, car comme l’explique le Dr. Koffi, si les effets bénéfiques de structures destinées à piéger le transit sédimentaire et protéger les plages sont avérés, leur impact n’en reste pas moins localisé dans leur zone d’emprise, ce qui implique à terme de multiplier des champs d’épis sur tout le long du littoral, procédure qui s’avèrerait extrêmement coûteuse. « Chaque fois que l’on construit un ouvrage, on déplace le problème : de Bassam à Mondoukou, de Mondoukou à Assinie, puis d’Assinie au Ghana. Non seulement il s’agit d’investissements massifs qui nécessiteront chaque fois des études de faisabilité onéreuses et actualisées, mais en plus il faut également prendre en compte les problèmes d’entretien et de réparation des ouvrages », précise le Dr. Hauhouot Célestin, maître-assistant des universités et chercheur à l’Institut de géographie tropicale de l’université de Cocody.

La communauté scientifique préconise donc que les autorités repensent la façon d’occuper le littoral et aient une idée très précise de la dynamique du trait de côte. Toutes choses qui passent nécessairement par la mise en place d’un plan de gestion rationnel du littoral, une occupation sélective du cordon et une vaste campagne de sensibilisation auprès des populations. De la façon dont sera traité le problème de l’érosion, dépendent notamment la candidature du quartier France au patrimoine mondial de l’Unesco, le projet d’autoroute Abidjan-Bassam, mais aussi et surtout la vie de milliers de personnes vivant directement et indirectement des bienfaits persistants de la cité aux quatre vents.
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