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Afrique Publié le samedi 15 octobre 2011 | Le Patriote

Commémoration du 15 octobre 87 : Il y a 24 ans Thomas Sankara disparaissait

Il a fait parler de lui du 04 août 83 au 15 octobre 87 où il trouva la mort, fauché par un sanglant coup d’Etat. A l’image de Patrice Lumumba et de Kwamé N’Krumah, Thomas Sankara aura été une grande figure du panafricanisme et du tiers-monde. 24 ans après sa mort, nous sommes retournés sur les traces de ce qui reste encore de « l’héritage » de cet homme au pays des hommes intègres. Enquête.
Dans l’après midi du 15 octobre 1987, on se souvient, la ville de Ouagadougou était en proie à une confusion totale. Des crépitements d’armes au centre-ville donnent lieu à un branle-bas au sein de la population. Dans le tumulte, l’on apprend avec une vive émotion que le «Président du Faso» venait d’être fauché par un sanglant coup d’Etat militaire au Conseil de l’Entente, Etat-major de la révolution.
Pourtant, ils étaient quatre à mener la révolution du 4 Aout 83, Thomas Sankara, Henri Zongo, Jean-Baptiste Lingani et Blaise Compaoré. Un quatuor soudé au départ qui pouvait compter sur l’appui du redoutable commandant du bataillon d’infanterie aéroportée (BIA) Boukary Kaboré dit le Lion du Boulkiemdé. Mais la politique a des exigences qui échappent parfois aux lois de l’Amitié, de la fidélité et de la loyauté.

Le parcours…

A 34 ans, le jeune officier de l’armée burkinabé qui a rebaptisé la Haute-Volta, Burkina-Faso, pays des hommes intègres est un président comme on n’en avait jamais vu auparavant. L’homme se distingue par sa sobriété, son humilité, son franc-parler. Il n’éprouvait aucune peur à faire du jogging en public, à rendre visite à des amis et à se comporter comme s’il était un vulgaire citoyen en dépit de ses fonctions de chef d’Etat. Le capitaine sankara qui s’est distingué par une brillante formation qui la conduit du Pritani Militaire de Ouagadougou (PMK) en 69, à la direction du célèbre Centre national d’Entraînement (CNEC) de Pô en 72, en passant par l’Académie militaire d’Antsirabe, et la compagnie de génie de Ouagadougou, était un militaire achevé.
En 1978, il effectuera, avec son ami Blaise Compaoré, un stage au centre de formation de parachutistes à Rabat au Maroc. Après quoi, Blaise devient son adjoint à Pô. En février 1981, Thomas Sankara est promu Capitaine et nommé à l’Etat-major de la division opérationnelle. Il cède alors la direction du CNEC à son adjoint. En 1981, se souvient Fidel Toé, un ami d’enfance du défunt, Sankara devient Secrétaire d’Etat à l’Information dans le gouvernement du colonel Sayé Zerbo issu du premier coup d’Etat de la Haute-Volta. « Il m’a demandé de venir travailler à ses côtés et j’ai accepté mais Thomas n’a passé que cinq mois à cette fonction. Il démissionnera en avril 81 », indique t-il. Selon Fidel Toé, des divergences de vues se faisaient jour et ont abouti le 7 novembre 1982 à l’éviction militaire du Colonel Sayé Zerbo au profit du Conseil du Salut du Peuple (CSP) présidé par le Médecin-militaire Jean-Baptiste Ouédraogo.
Deux mois plus tard, Sankara prend les rênes du Premier ministère. L’idylle entre le président et son Premier ministre est de courte durée. Le 17 mai 1983, le Capitaine Thomas Sankara et le commandant Jean Baptiste Lingani sont mis aux arrêts.

…d’un président atypique

L’unité du groupe est mise à mal. Selon, l’ex-commandant du bataillon d’infanterie aéroportée (BIA) que nous avons rencontré à Ouagadougou au quartier 1200 logements, Sankara était d’un tempérament qui dérangeait. « C’était un idéaliste, très instruit qui avait un rare courage qu’on trouvait chez un homme à dire haut ce qu’il pense », nous renseigne t-il sur l’illustre disparu.
Mais les propos de Boukary sont un euphémisme, comparés à ce que nous avons appris de la verve, du père du Faso. Car des témoignages que nous avons recueillis auprès des personnes qui n’ont pas souhaité être citées, présentent Thomas comme quelqu’un qui avait le verbe tranchant et provocateur. L’un d’entre eux nous a confié qu’après l’éviction du Colonel Zerbo, il avait été demandé à Sankara d’assumer les fonctions de Chef d’ Etat. « Ce qu’il a refusé », précise notre source. Mais toujours est-il que le pouvoir lui échoit le 04 août 1983 après une situation trouble, faits de divergences politiques et idéologiques. « C’est une longue histoire, ce qui s’est passé », reconnaît Boukary dit Le Lion. Du 4 août 83 à octobre 87, Thomas Sankara est à l’épreuve de la gestion du pouvoir.
Il entame une politique révolutionnaire, bouleversant les anciennes habitudes. Il impose une rigueur inimaginable aux membres du gouvernement qui n’avaient pas droit au luxe sur le dos du contribuable Burkinabé. On se souvient des Renault 5 qu’il avait imposés à ses ministres comme voiture de fonction. Il met fin à la corruption en si peu de temps et incite les burkinabè à ne compter que sur eux-mêmes. « Il a obligé les membres du gouvernement et des cadres du pays à s’octroyer des terrains à crédit et des maisons que le trésor prélevait sur leurs salaires. C’est ainsi que le projet immobilier des 1200 logements de Zogona est né. Mais avant, il y a eu les cités AN II, AN III et AN IV», se souvient Fidèle Toé, entre-temps, devenu ministre du Travail, de la Sécurité sociale et de la Fonction publique, sous la révolution sankariste. Pour Toé, Sankara croyait que le sous-développement pouvait être résolu si l’économie est centrée sur les besoins des populations, c’est-à-dire l’agriculture vivrière, et la petite manufacture. « Consommons burkinabé ! », tel était son slogan officiel, et les ministres devaient montrer l’exemple en s’habillant avec des tissus locaux.
Selon lui, Sankara était un homme d’initiative mais ce qui le fascinait en l’homme c’est le fait qu’il donnait l’exemple lui-même. « C’était quelqu’un d’exceptionnel», avoue t-il. « Nous étions nous-mêmes lésés par sa rigueur. Même quand tu avais les moyens de t’offrir une voiture de marque tu n’osais pas du moment que le président lui-même roulait dans une vieille voiture sans gêne », témoigne t-il.
Et pourtant, pendant qu’il était en fonction, Thomas Sankara aurait reçu en don, plusieurs voitures à lui offertes respectivement par Kadhafi, Denis Sassou N’Guesso et le Général Babangida qui, sans doute, avaient été surpris de savoir que le président du Faso roulait dans une voiture qui n’était pas digne de son rang. « Mais Sankara n’a jamais roulé dans ces voitures, il les a mises dans le parc auto de l’Etat estimant que ces dons revenaient à l’Etat Burkinabé et non à lui. Comment expliquez-vous une telle attitude?», s’interroge Toé. En effet, devant la commission du peuple pour la lutte contre la corruption, Thomas Sankara, selon les archives que nous avons consultées déclarait le 19 février 1987, avoir reçu en don, une Bmw, une Alpha Roméo, une Cressida Toyota, et une Mitsubishi. Des véhicules qui ont tous été reversés dans le parc auto de l’Etat. Mais Thomas n’avait pas reçu que des dons en matériel, pendant ses fonctions présidentielles, il aura au total reçu la bagatelle de 845 millions de FCFA en don. Mais tout cet argent que l’ex-président à lui-même déclaré devant la commission du peuple a été reversé dans les caisses de l’Etat.

….aux méthodes révolutionnaires

Dans un souci de combattre la corruption, Sankara crée le 19 octobre 83 les Tribunaux Populaires de la Révolution (TPR). Sa démarche trop intègre choque plus d’un. Beaucoup de ses concitoyens pris dans les griffes des T P R sont jugés publiquement et humiliés. A Ouaga, on nous a rappelé l’histoire de ce ministre qui a perdu la face à un procès pour avoir gardé par devers lui, quelques millions FCFA. Ce simple acte avait été considéré par l’ex-président comme un crime. Un exemple parmi tant d’autres. Les chefs religieux et traditionnels, les operateurs économiques, le personnel administratif et les fonctionnaires étaient régulièrement inquiétés par les Comité de défense de la révolution (CDR). « L’idée des CDR était de bonne guerre mais il faut tout de même reconnaître qu’il y a eu des excès et des abus sous la révolution», dénonce M. Bruno Ky, professeur d’Histoire à Ouagadougou.
Et pendant que Thomas a du mal à soigner son image au plan de la diplomatie internationale, des murmures internes s’amplifient. Le capitaine était certainement trop intègre. Mais c’était, un message fort à l’endroit de l’histoire et du monde entier. Il donnait-là une idée de ce qu’il voulait que le Burkina Faso, le pays des hommes intègres soit. Il prônait pour ainsi dire, la bonne gouvernance. Mais ces « qualités » que beaucoup ne partageaient pas gênaient au plan national et international. Au niveau local, l’homme ne s’est pas fait que des amis. Le bouleversement, du moins, le nouvel ordre politique qu’il engage au Burkina-Faso gêne. Et même ses proches souffraient visiblement de sa rigueur.
Au niveau sous régional et international, Thomas ne parvient pas à être non plus l’ami de bon nombre de ses pairs qui lui conseillent « d’aller doucement ». Mais le père du Faso est un idéaliste, comme l’a dépeint Boukary Kaboré, qui refuse de considérer que la politique est la saine appréciation du moment. Sa fougue met mal à l’aise ses « vieux pères » chefs d’Etat, qui se montrent parfois agacés par le franc-parler du « petit ». Mais Sankara ne s’arrêtera pas, il va s’attaquer aux puissances occidentales et dénoncer l’impérialisme de ses tuteurs qui asphyxient l’Afrique. Il pourfend l’impérialisme dans ses discours et appelle à de nouveaux rapports entre le Nord et le Sud.
Invité au sommet Franco-africain de Vittel quelques mois après son arrivée au pouvoir en 1983, il refuse de serrer la main à Guy Penne, le conseiller de François Mitterrand venu l’accueillir à l’aéroport à Paris pour protester ainsi contre le manque de considération à un chef d’État africain. « Guy Penne avait été précédemment Ambassadeur de France au Burkina-Faso et le président a ressenti cela comme un manque de considération de la part de son homologue français », précise Toé.
Thomas Sankara s’attaque avec force à l’apartheid. A la tribune de l’OUA, des Nations unies, son discours dérange. « (…) Je dis que les Africains ne doivent pas payer la dette. Celui qui n’est pas d’accord peut sortir tout de suite, prendre son avion et aller à la Banque mondiale pour payer », avait lancé le président burkinabé sous un tonnerre d’applaudissements au sommet de l’OUA à Addis-Abeba le 29 juillet 1987 sur l’endettement de l’Afrique.
Malheureusement, le père du Faso est fauché en plein exercice du pouvoir, le 15 octobre 87, par un coup d’Etat sanglant. Avec lui, tomberont ce même soir, ses conseillers et ses gardes du corps. Mais 24 ans après sa mort, sa mémoire continue de vivre au Burkina, en Afrique et même au-delà.

Sa famille n’a pas profité de ses fonctions

Thomas Sankara n’était pas un homme riche. On disait de lui qu’il était le président des pauvres. Et sa famille, soutient-on, n’a profité en rien de ses fonctions présidentielles. Pour la petite histoire, celle-ci raconte même qu’à sa mort, ce sont ses sympathisants qui ont cotisé pour solder les traites de sa villa qui était sous la menace d’une hypothèque. « C’était le papa et ses amis l’épaulaient financièrement », dévoile Valentin Sankara. On imagine alors la « galère » qu’a dû vivre et continue de vivre sa famille, 24 ans après sa mort. Nous avons fait un tour dans la cour familiale du géniteur du père de la révolution burkinabé. C’est une cour ordinaire, au portail bleu. A l’intérieur, juste à gauche, se dressent côte à côte, les tombes de feu Joseph Sambo Sankara, décédé le 04 août 2006 et de feue Margueritte Sankara, décédée six ans auparavant. Le père nous a-t-on appris, était un gendarme-infirmier à la retraite et la mère, une vendeuse de condiments au marché. Ce n’était donc pas une famille riche. « Thomas n’a pas ajouté une seule brique à la clôture de la maison de papa ni avant d’être au pourvoir ni pendant son pouvoir», affirme Valentin avec une pointe de regret. « Je vais vous étonner mais, nous avions une sœur (Marie, ndlr) qui était handicapée. Elle avait souhaité que Thomas lui achète un vélo pour les handicapés. Thomas lui a répondu que s’il le faisait pour elle, il lui fallait le faire aussi pour tous les handicapés du Burkina-Faso », se souvient Valentin, qui ajoute que lui-même avait essuyé de son frère, le même refus lorsqu’il était allé le voir à la présidence pour solliciter le financement d’un projet d’élevage. Sa veuve, Mariam Séremé et ses deux enfants, Philippe et Auguste, ont eu leur dignité sauve grâce aux bonnes volontés comme feu Omar Bongo, qui vouait une admiration au défunt chef d’Etat. « Elle vit aujourd’hui avec ses deux garçons à Montpellier en France », nous informe Valentin. Mais, comment un chef d’Etat a-t-il pu prendre le risque de vivre dans un tel dénuement, ne se contentant que d’un salaire à l’époque dérisoire ? La réponse vient de Valentin qui déclare que son frère était un homme modeste, intègre et honnête. « Il ne prenait pas ce qui ne lui appartenait pas et n’était pas intéressé par la fortune comme beaucoup de chefs d’Etat aujourd’hui qui volent l’argent du contribuable pour eux et leurs proches », commente-t-il.


Un président endetté avant sa mort

A Ouagadougou, nous avons pu constater que 24 ans après sa mort, à l’image du modèle qu’il a incarné, la tombe de Thomas Sankara se dresse à Dagnoen au milieu de ses 13 collaborateurs abattus le même jour que lui, comme une sépulture quelconque. Une tombe sobre, et même banale pour un homme de son rang. Mais pouvait-il en être autrement, Thomas étant, dit-on, avant sa mort le seul chef d’Etat endetté au monde. « Il n’avait pas fini de payer les traites de la villa qu’il avait acquise dans le cadre d’un crédit immobilier. Je crois qu’à sa mort, il lui restait entre trois et quatre mois d’échéances encore», nous a dévoilé son frère cadet, Valentin Sankara. Nous avons fait un tour à Bilbalgo, non loin du stade municipal, quartier où est située la villa du père du Faso. C’est une villa au tire-laine ocre, et d’un portail vert, habitée depuis par le Dr Karim Séremé, beau frère du défunt président, le frère de Mariam Séremé. « C’est tout ce que Thomas a laissé comme bien matériel avant sa mort. Au village à Témabokin, il a aussi une parcelle qu’il n’a jamais eu les moyens de mettre en valeur. C’est Papa qui avait finalement construit une maison en banco de dix tôles pour éviter le retrait de la parcelle », rapporte Valentin Sankara, que nous avons rencontré à la cour familiale, située derrière le camp de Gendarmerie de Paspanga. Cette villa avait une valeur de 4 millions à l’époque.
A Temabokin, village de Thomas Sankara où nous nous sommes également rendus à une centaine de kilomètres de Ouaga dans la province du Passoré, nous avons été frappés par l’état de ce qu’on pourrait appeler « la cabane de l’ex-homme fort du Burkina-Faso ». Car la maison que nous a décrite la veille, Valentin est une bicoque d’à peine 700 briques où le plus petit agent de la Fonction publique burkinabé n’accepterait même pas de vivre. Mais ce qui nous a le plus étonné, c’est de savoir que Thomas Sankara percevait un salaire net de 138.736 FCFA en tant que président du Faso. C’est le salaire qu’il a déclaré le 19 février 1987 devant la commission du peuple chargée de la prévention contre la corruption. A sa mort, Thomas selon de sources recoupées, possédait deux comptes créditeurs de moins de 500.000 FCFA, 422.000 FCFA pour être plus précis.
A Lebel
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