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Société Publié le lundi 24 octobre 2011 | Soir Info

Exclusif/ Attaque à la frontière ivoiro-libérienne : Pour la première fois, le chef du Village de Nigré parle : « Ce que j’ai vécu » - « Quatre de mes fils ont été assassinés »

L’attaque à la frontière ivoiro-libérienne remonte à la mi-septembre 2011. Elle a fait officiellement 23 morts. Nigré fait partie, avec Zriglo, de ces deux localités balafrées par l’attaque. Un témoin privilégié raconte.

Peut-on savoir qui vous êtes ?

Djahi Benoît : Je m’appelle Djahi Benoît. Je suis chef du village de Nigré. Je suis né en 1939 à Para, sous-préfecture de Djouroutou.

Racontez-nous ce que vous avez vécu entre le 16 et 17 septembre 2011 ?
D.B. : Le vendredi 16 septembre 2011, le matin à mon réveil, entre 07h et 08h, j’apprends qu’à Zriglo, village voisin, des tirs de fusil ont été entendus très tard dans la nuit. On nous dit qu’il y a eu des morts. Je me suis rendu chez mon voisin, un de mes notables qui est le chef baoulé, Aboli Joseph, pour en savoir plus. Il m’a dit qu’il n’a pas entendu les coups de feu la nuit et que c’est à son réveil qu’il a eu les mêmes informations que moi. On cherchait à savoir ce qui s’était passé. Les informations devenaient de plus en plus inquiétantes. J’apprends que lors de ces fusillades, il y a eu plusieurs morts dont une de mes petites filles qui vit dans ce village. Personne ne m’a approché, en tant que premier responsable du village, pour me donner les informations comme cela a toujours été. On ne savait pas à qui s’adresser. Je cherchais à convoquer le conseil des sages sur la situation. J’ai appelé mon grand fils à Abidjan. Mes enfants étaient autour de moi. Tout le monde était inquiet. L’atmosphère devenait lourde. Vers 10 heures, des hommes en treillis, plus de cinq éléments Frci du village de Para conduits par un habitant de mon village, Abou mécanicien, arrivent dans ma cour qu’ils encerclent aussitôt. Quand ils sont arrivés, ils ont demandé le chef du village. Je me suis présenté. Aussitôt, un élément a enlevé la cale de son arme. Je me suis caché dans la maison. Les enfants qui étaient autour de moi, m’ont suivi. Puisqu’ils menaçaient, nous sommes ressortis. Ils m’ont conduit à Zriglo sur une moto. Mes enfants également me suivaient sous la menace des armes. Dès que j’ai quitté mon village Nigré, j’ai entendu des rafales de fusils derrière moi. Je suis arrivé à Zriglo. Peu de temps après, j’ai été embarqué dans le cargo militaire pour Para. Pendant le voyage, il y avait un canon de fusil sur ma tempe et un autre à mon côté.

Que s’est-il passé à Para ?
D.B. : Dans le camp de Para, hormis les menaces des éléments incontrôlés et cela lorsque leur chef s’absentait, j’ai été bien traité. J’ai passé une nuit dans le camp de Para. Plus tard, les gendarmes sont venus me voir. Ils avaient commencé à enquêter. Ils ont dit que ma maison était brûlée ; que mes enfants sont en brousse (ils ne m’ont pas dit que mes enfants sont morts). Quand j’ai cherché à comprendre, un élément m’a répondu que les gens disent que je cache des fusils dans ma maison. Je lui ai dit : quand tu es parti, c’est vrai que ma maison a brûlé. Mais est-ce que tu as vu des traces de fusils. Il dit : non ! Il a vu des assiettes. Le lendemain, les gens des droits de l’Homme sont allés à Nigré faire leur enquête. Ils sont venus par la suite me trouver là où j’étais. Ils m’ont demandé : « chef, qu’est-ce qui s’est passé ? ». Je leur ai expliqué ce que j’ai vécu. Ils m’ont dit : « le lieutenant qui est sur place à Nigré dit que tu as des fusils ». Je leur ai dit que c’était un mensonge et que je m’en remettais à Dieu.

Selon vous, pourquoi tout cela est arrivé ?
D.B. : Je suis encore troublé. J’essaie de comprendre un peu. L’un de mes petits-fils qu’ils ont tué m’avait dit un jour : « Papa, le Lieutenant dit que s’il voit que son temps est arrivé, il va nous cafouiller. Il va récupérer tes bœufs, ton champ, tous tes biens ». J’avais répondu à mon petit-fils : « Tais-toi ! Pourquoi tu dis des choses comme ça ? ». Je me souviens de ce qu’a dit un autre. On l’appelle « Laisse à Dieu ». Il disait : ce qu’on a fait à Duékoué-là, c’est ce qu’on doit faire ici. J’ai dit à leur chef : « Voici ce que tes éléments disent ». Il m’a répondu : « Comment il peut parler comme ça ? Est-ce qu’il connaît la guerre ? ». Un autre jour, ma femme passait. Elle a entendu un groupe dire : ceux-là, ils verront ce qu’on va leur faire ici avant de partir. Ils vont voir ! Ma femme m’a rapporté ça. Je lui ai dit de laisser tout ça à Dieu : « Nous, on ne connaît pas la guerre à Nigré ». Enfin, le Lieutenant a envoyé une fois les éléments au parc pour aller tuer les animaux. Un petit lui a dit : « Ça ne se fait pas ». Il a dit au petit : pourquoi il dit ça ? Plus tard, il lui a dit : « Tu vas récolter ce que tu as semé ». J’ai dit à Yah Roger : « Toi qui es venu nous surveiller, tu parles comme ça ». Il s’est absenté une semaine. Il est revenu un mercredi. Le lendemain, à mon réveil, ma fille m’apprenait ce qui s’est passé à Zriglo.

On évoque la possible responsabilité de gens venus du Libéria pour faire ces attaques…
D.B. : On dit que les réfugiés sont passés au village. Et qu’on leur a demandé de venir attaquer. Je réponds : qui sont ces réfugiés qui arrivent et qui s’attaquent seulement aux autochtones, les Oubis.

A quel moment avez-vous appris que vos enfants sont morts ?
D.B. : Après avoir passé quelques jours chez mon collègue chef du village de Para, et après les enquêtes de la gendarmerie, je me suis rendu à Djouroutou, chez le chef Canton, puis le Sous-préfet pour leur rendre compte. Je suis arrivé à Abidjan le mardi 27 septembre 2011, pour des soins et un bilan en cardiologie. Après cinq jours de traitement, j’ai été informé, ici à Abidjan, que quatre de mes enfants (garçons), ainsi qu’un de mes neveux ont été assassinés : Djahi Julien, Djahi Bérenger, Djahi Kouloh Marcel, Djahi Aristide. Kouya Landry, mon neveu qui souffrait de démence a été découvert mort devant sa porte. Ils étaient encore en vie lorsque je quittais le village, le vendredi 16 septembre 2011.

Nous apprenons que vous avez un de vos fils qui a été arrêté. Comment cela est-il arrivé ?
D.B. : C’est mon neveu, Djahi Michel. Il a fui les exactions en parcourant campements et hameaux. Il a été capturé. On l’a présenté comme bourreau et déféré à la prison de Daloa. Il est injustement détenu. Nous attendons que justice soit rendue, le plus tôt possible.
Avec les graves évènements qui se sont produits, êtes-vous prêt à retourner au village ?

D.B. : Je dois retourner au village. C’est mon village. C’est vrai, ils ont détruit nos maisons. Les autochtones ont tout perdu. Il nous revient qu’actuellement des personnes ont accaparées le reste de nos biens : bétail, plantations qu’ils exploitent. Mais, il faut que j’y retourne.

Vous êtes un chef de famille meurtri. La réconciliation ne semble pas à l’ordre du jour ?
D.B. : Tout ce qui s’est passé est tellement dur que j’évite de trop y penser. Parce que je souffre de problèmes de tension, je suis obligé d’être prudent. Je m’en remets à Dieu.

Réalisé par Kisselminan COULIBALY
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