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Art et Culture Publié le vendredi 4 novembre 2011 | L’Inter

Pont de mire : Les secrets de l`Abissa, fête des N`Zimah

Depuis le dimanche 30 octobre 2011, se tient la partie festive du grand événement culturel en pays N'zimah qu'est l'Abissa. Au moment où se tient cet événement culturel de premier rang, nous avons rencontré un des dignes fils de cette communauté pour en savoir davantage. Des origines de la fête, comment elle se fait, pourquoi au Ghana avant la Côte d'Ivoire, les grandes étapes de la manifestation et surtout les interdits, etc. Sans faux-fuyant, M. Joachim Agbroffi Diamoi, sociologue du corps et des stratégies mentales, enseignant-chercheur à l'université de Bouaké, nous fait découvrir l'Abissa dans toutes ses dimensions. Selon notre sachant, l'Abissa est avant tout une nécessité en pays N'zimah. «Lorsque l'Abissa voyait le jour, il existait toutes les institutions ludiques, sociales, économiques, etc. Ce qui manquait aux N'Zimah, c'était une institution qui permettait aux gens de s'exprimer et de faire une critique sans être sanctionné quel que soit ce qu'on dira. Au cours des travaux champêtres, un membre de la famille Nvavilé (signifiant l'esprit d'à-propos, qui a l'esprit de justesse), va rencontrer des génies-créateurs qui étaient en train de mettre en place cette institution. C'est lui donc qui a envoyé l'institution en ville afin de faire sereinement la critique.», précise l'universitaire dont la thèse de doctorat, soutenue en 1997, est intitulée ''L'Abissa N'Zimah: ordre social et politique''. Selon Dr Agbroffi, la critique et la célébration de l'Abissa se faisaient sur trois (3) mois auparavant. Mais, vu le caractère laborieux que cette durée donnait à la pratique, elle a été ramenée à une semaine sur la place publique, précédée d'une semaine de préparation. «J'ai fait l'Europe, l'Australie, l'Asie... en tant qu'anthropologue, je n'ai jamais vu cette forme de démocratie ou de critique populaire. La critique faite à l'Abissa n'a pas d'appartenance à un groupe. Des dispositions sont prises durant cette critique, de sorte à respecter la dignité de celui qu'on critique. On respecte la place, le rang social de celui qu'on critique. Il n'y a pas de propos discourtois, on ne manque pas de respect lors de cet exercice.». Au contraire, pour rendre la critique acceptable à tous, poursuit le professeur Agbroffi, on magnifie d'abord le rôle dans la société, de celui qu'on va critiquer. «Pour les N'Zimah, un méfait est le verso de l'élévation de soi, de la qualité, de la perfection. On montre que celui qui t'a critiqué n'est pas ton ennemi, mais quelqu'un qui veut t'aider à avancer dans la société». Aussi, paradoxalement, celui qui est critiqué offre des présents à celui qui lui a fait la critique. Cette critique, a, par ailleurs, révélé notre source, se présente sous deux formes au cours de l'Abissa. Il y a la critique verbale et la critique non verbale.

Des gestes pas anodins dans l'Abissa...

La critique verbale se caractérise par des gestes, par des mimiques. «Ce sont les discours que comprennent les N'Zimah. Ils savent les lire. Il n'y a pas de gestes anodins. La gestuelle fait partie de la critique. Des gens peuvent danser pour se moquer du roi.», indique l'universitaire. La critique verbale est réalisée par des gens qui parlent en dansant. Il y a ensuite ceux qui ont les perches et qui chantent. «On parle ici de chants critiques ou des critiques chantées. Il n'y a que les N'Zimah qui le font. Il est bon de noter qu'un non-N'Zimah peut participer à la critique en rapportant le fait vécu à un N'Zimah qui fait la critique en chantant. Le texte est fait de telle sorte que celui qu'on critique ne peut pas se plaindre. Le texte est toujours beau. Les femmes peuvent y participer. Chez nous, les femmes ont un rang particulier », explique Dr Agbroffi. Une femme qui a ses menstrues, a-t-il indiqué, peut participer à la fête sans problème. Contrairement aux us dans certaines régions du même groupe Akan dont font partie les N'zimah. L'anthropologue explique aussi le fait que l'Abissa débute au Ghana avant de s'étendre à la Côte d'Ivoire. «L'espace du Ghana à la Côte d'Ivoire était occupé par les N'Zimah avant le tracé des frontières. Quand on fait la célébration de l'Abissa, on part du dernier village qui se trouve à Azim au Ghana près de Takoradi, pour arriver en Côte d'Ivoire. La fête se fait par vagues successives. Le dernier village N'Zimah qui célèbre l'Abissa est Bassam. C'est une célébration à la chaîne», dit-il pour couper court à toute spéculation. «La frontière est venue, mais les N'Zimah n'ont pas arrêté leur façon de faire». Parlant de l'organisation des N'Zimah, l'anthropologue a noté que ce peuple a une société pyramidale. C'est une société où il existe un bicéphalisme pour faire régner la démocratie. «Depuis 1848, il y a un bicéphalisme régnant dans nos sociétés. Ainsi au Ghana, il y a un roi à Begnili et un autre à Adouanabou. En Côte d'Ivoire, nous avons la même structuration. Nous avons le roi de Tiapoum et celui de Bassam.», a souligné l'homme bien au fait de la cosmogonie N'Zimah. Il révèle que cette structuration est caractéristique du système Akan, qui se subdivise en quatre (4) groupes. Lorsqu'un groupe X est au pouvoir, les trois autres restants sont dans l'opposition. «Dans la société Akan, il y a toujours un groupe régnant et une opposition. Exemple chez les Agni Sanwi, le roi de Krinjabo est toujours intronisé par le village d'Adaou. C'est la même chose avec les N'Zimah de Bassam. Se sont les N'Zimah d'Azuretti qui destituent le roi de Bassam. Grand-Lahou et Dabou gèrent la royauté», a-t-il précisé.

Des étapes et des interdits à l'Abissa

Deux grandes étapes meublent l'Abissa. Il y a la semaine silencieuse au cours de laquelle le représentant du peuple, qui a une fonction à vie, va voir le représentant de la famille Nvavilé, dépositaire du Tambour sacré, qui va le déposer dans une clairière pendant une semaine. C'est durant cette semaine que l'on prépare la critique. Chacun affine ses critiques. La deuxième étape, la plus importante, c'est le retour du ''Edo N'Gbolé'' (signifiant en N'Zimah, détente des tensions ou des dissensions sociales), le tambour sacré, sur la place publique pour la célébration de l'Abissa pendant une semaine. Pour le profane, c'est la semaine festive de l'Abissa. C'est en ce moment que tout le monde danse sur la place de l'Abissa au quartier France de Grand-Bassam. Dr Agbroffi révèle des interdits au cours de l'Abissa. Il insiste sur l'interdit et la levée de l'interdit. «Au cours de l'Abissa, ce qui est interdit, c'est la non-participation. Il est interdit de ne pas participer à l'Abissa. Les pratiques magiques sont interdites, les pratiques médiumniques sont interdites, par exemple, les Komians (ou danseuses traditionnelles). Il est interdit de pleurer les morts, d'enterrer publiquement les morts. Il est également interdit de vaquer à ses occupations et de négliger l'Abissa, puisque tout le monde doit participer à la critique. Il est aussi interdit de se plaindre de la critique de quelqu'un ou de porter plainte. Il est interdit de démettre quelqu'un de ses fonctions pour avoir fait une critique. Il est interdit de manifester un mécontentement, une indignation, une frustration des suites des critiques», a noté l'anthropologue. Hormis ces interdits, toutes les autres formes de participations sont autorisées dans l'Abissa, à l'image des femmes ayant leurs menstrues qui peuvent participer à la fête et même à la critique. «Le rapport d'égalité est mis en avant. Il n'y a pas de chef, d'esclave, d'enfant, de jeune. On est sur le même pied . Pendant l'Abissa, le roi devient un citoyen ordinaire. Tout le monde peut le critiquer, mais on se respecte.». Même si l'Abissa est une fête de réjouissance, Dr Joachim Agbroffi veut apporter une révolution à la manifestation. «L'Abissa est une occasion de réjouissance, les gens y vont pour se défouler. Mais il serait bon qu'ils prennent un peu de temps pour apprendre à critiquer dans le respect, la dignité humaine, dans le respect des rangs. Il faut récompenser également ceux qui critiquent. Il faut voir en eux des amis intimes et non des ennemis. La critique est à l'homme ce que l'eau est à la nature. Sans l'eau, ce serait le désert. Sans la critique, on est une personnalité vide de profondeur, de dimension humaine.», a conclu le chercheur universitaire pour montrer le bien-fondé de la critique sociale en pays N'zimah, qui se termine par les festivités publiques. Cette dimension culturelle marquant la cohésion préservée dans la société.

Thibault R. GBEI
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