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Politique Publié le lundi 12 décembre 2011 | L’intelligent d’Abidjan

Entretien / Charles Onana (Journaliste d’investigation et auteur de ‘’Côte d’Ivoire, Le coup d’Etat’’): ‘’L’autorité du Conseil Constitutionnel ayant été bafouée, Yao N’dré a décidé d’attribuer la victoire à Gbagbo’’

© L’intelligent d’Abidjan Par Prisca
Elections présidentielles - Pr. Paul Yao N’Dré, président du Conseil constitutionnel
Journaliste d’investigation, Charles Onana est un auteur prolixe. De 2002 à 2011, il a produit une quinzaine d’ouvrages dont le dernier porte sur la crise ivoirienne. Dans cet entretien, l’homme parle de Laurent Gbagbo, de Nicolas Sarkozy, et aussi du procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo.

Charles Onana, pouvez-vous nous dire dans quelles conditions vous avez réalisé ‘’Côte d’Ivoire, Le coup d’État ‘’?

Dès le début de la crise ivoirienne, je m’intéressais déjà à ce pays. C’est-à-dire, peu avant le coup d’État. Mais j’ai décidé d’approfondir mon travail après les élections présidentielles.

Quand j’ai constaté que la communauté qui se fait appeler communauté internationale avait pris fait et cause pour un candidat, en violation flagrante de la constitution de ce pays, et au mépris des institutions ivoiriennes. Car le Conseil constitutionnel était le seul habilité à dire qui était le vainqueur ou le perdant de la présidentielle. Quand j’ai vu que la parole du Conseil constitutionnel ne comptait plus, et que ce sont les paroles du représentant spécial de Ban-Ki Moon et de Youssouf Bakayoko de la CEI qui avaient valeur de vérité, je me suis dit que la situation était extrêmement grave. C’est à ce moment-là que j’ai intensifié mon travail, jusqu’à très récemment où j’ai clôturé mon enquête. Je ne voulais pas faire mon enquête contre quelqu’un, mais je voulais comprendre pourquoi la constitution qui est sacrée dans les pays occidentaux n’a pas été respectée en Côte d’Ivoire. Et cela tout simplement parce qu’on avait pris fait et cause pour un candidat.

Le Conseil constitutionnel n'est pas infaillible. Par exemple, le code électoral prescrit qu'en cas de fraude et d'irrégularités graves avérées de nature à entacher la sincérité du scrutin, il est procédé à l'annulation pure et simple du scrutin, et un autre scrutin est organisé. Qu’est-ce qui empêchait le Conseil constitutionnel de s'en tenir à cette disposition constitutionnelle?
Il faut toujours tenir compte du contexte dans lequel ont lieu les événements. La CEI avait proclamé les résultats hors délai. Les trois jours réglementaires étant arrivés à expiration, l'action de la CEI était donc forclose. Le problème est que le candidat Ouattara bénéficiant du soutien du président de la CEI et de la communauté internationale n'a pas considéré qu'il était du ressort du Conseil constitutionnel de se saisir de ce dossier ni que le lieu de proclamation des résultats du second tour (l'hôtel du Golf, son propre lieu de résidence) était inopportun. Il s'en est suivi une reconnaissance précipitée de la Communauté dite internationale et des présidents français et américain, d'un résultat non validé par la seule instance légale et légitime en la matière: le Conseil constitutionnel. Cette situation ne créait pas une atmosphère de sérénité pour le travail du Conseil constitutionnel. Du côté du candidat Gbagbo, on attendait logiquement que les requêtes adressées au conseil et portant sur la fraude massive observée dans le Nord soient analysées lorsque la victoire de monsieur Ouattara a été annoncée. Le Conseil constitutionnel ainsi ignoré et son pouvoir bafoué n'avait plus le temps de tergiverser. C'est son autorité qui était en cause et il a décidé d'attribuer la victoire à Laurent Gbagbo. Peut-on le blâmer dans ces conditions? Je ne le crois pas. Ce sont ceux qui avaient pris l'initiative de passer outre le travail et l'autorité du Conseil constitutionnel ivoirien qui sont fautifs. Vous ne verrez jamais un tel défi lancé au Conseil constitutionnel en France ou aux Etats-Unis. Dans ces pays, la constitution est sacrée et personne ne peut agir avec le conseil constitutionnel dans ces pays comme on l'a fait à Abidjan au lendemain de l'élection présidentielle.

Vous parlez du respect de la constitution, mais Laurent Gbagbo s’est souvent accordé des libertés par rapport à la Constitution, en témoigne l'accord de Ouaga qui a mis au cœur de la République, sans pression internationale ou extérieure, des personnes qui ont attaqué le pays et mis son intégrité à mal...

Pardonnez-moi de vous contredire, selon l'article 34 de la constitution de la Côte d'Ivoire, le président est garant de l'intégrité du territoire national; ce qui s'est produit en Côte d'Ivoire depuis 2001 est une violation de l'intégrité territoriale. Cette action n'a été possible que du fait des ingérences extérieures et de l'imprudence de certains Ivoiriens (les forces rebelles) qui ont ouvert la porte à l'instabilité dans leur pays. Le président Gbagbo a donc essayé non pas de prendre des libertés avec la constitution comme vous l'affirmez, mais de ramener ces Ivoiriens égarés dans une bataille non démocratique et anticonstitutionnelle à la raison. Il avait la possibilité soit de les mettre en prison de façon brutale soit de les convaincre d’utiliser des méthodes de contestation conformes aux règles constitutionnelles. Si ces Ivoiriens qui ont effectivement attaqué leur propre pays militairement manquent de culture démocratique, est-ce la faute du président Gbagbo qui, de ses longues années d'opposition, n'a jamais utilisé les mêmes méthodes ? Je suis au regret de vous apprendre que les pressions internationales ont toujours été intenses avant et après les accords de Ouaga sur le président Gbagbo. Il ne vous a pas échappé que celui qui a alimenté l'instabilité en Côte d'Ivoire et soutenu les rebelles, Monsieur Blaise Compaoré, est tout de même devenu parrain des accords de Ouagadougou et médiateur de la crise ivoirienne.

Quand vous reprenez la thèse du recomptage des voix, est-ce que Yao Paul N’dré et le Conseil constitutionnel ne pouvaient pas le faire puisque ceci relevait de leurs compétences ?

Dois-je vous rappeler qu'un ultimatum avait été donné au président Gbagbo de quitter le pouvoir sous une semaine par le président Sarkozy ? Recompter les voix n'a jamais été une priorité pour ceux qui voulaient installer Alassane Ouattara au pouvoir. En revenant au contexte, monsieur Yao Paul N'dré était dans une situation extrêmement difficile et le Conseil constitutionnel n'avait pas voix au chapitre. C'est la CEI qui avait les pleins pouvoirs ainsi que le représentant du secrétaire général de l'ONU, Monsieur Choi. Un haut fonctionnaire de l'ONUCI m'a confié qu'il était hors de question de recompter les voix car cela risquait d'entamer la crédibilité de l'ONU.

Parlant du respect de la constitution, seriez-vous prêt à accepter une décision arbitraire du Conseil constitutionnel camerounais ?

Cette question mérite d'être posée à des hommes ou femmes politiques de ce pays. Je n'en fais pas partie. De plus, il ne me semble pas avoir vu au Cameroun le même cas de figure que ce qui s'est produit à Abidjan avec l'ONU et la Communauté dite internationale entre le 28 novembre 2010 et le 11 avril 2011. A mon avis, tous les Africains doivent être attentifs à l'expérience ivoirienne parce qu'elle peut être reproduite ailleurs.

Au terme de votre enquête, quelle conclusion tirez-vous ?

Deux choses. Premièrement, un sentiment de frustration. Un sentiment de frustration pour le peuple ivoirien, car son choix n’a pas été respecté. Même si les gens contestent la victoire de Laurent Gbagbo, l’on pouvait au moins recompter les voix comme l’avait demandé le président Gbagbo. Cela aurait permis de clarifier définitivement le contentieux électoral.

Vu la tension qui existait déjà, était-il vraiment possible de vider ce contentieux électoral ?

La situation était tendue parce que les Ivoiriens avaient le sentiment qu’il y avait des manipulations sur le processus électoral.

Qui manipulait qui ou quoi ?

Par exemple, le mandat de Choi ne l’autorisait pas à dire qui est le gagnant ou le perdant de cette élection. Le seul mandat qui lui était accordé était de regarder et de voir si les élections se déroulaient selon les normes. C’est tout. Il devait simplement vérifier que tout se passait normalement. La seconde chose, c’est la reconnaissance précipitée du président de la République française et du président américain du candidat Ouattara foulant aux pieds la loi fondamentale de Côte d’Ivoire. En 2000, lors des présidentielles aux États-Unis, lorsqu’il avait été prouvé que Bush avait fraudé lors des élections, il n’y a eu personne pour dire que son adversaire était le président des États-Unis. Pourquoi en Côte d’Ivoire, les gens se sont précipités à reconnaître Ouattara comme président en violation et du droit international, et de la souveraineté de la Côte d’Ivoire ? Toutes ces manipulations-là, ont laissé un sentiment de frustration. Ce sentiment de frustration est également amplifié par cette soif de justice et de vérité qui n’est pas assouvie. Je suis sûr que d’autres personnes et même dans le camp de Ouattara diront aussi les choses telles qu’elles se sont passées.

Mais pourquoi dans votre enquête, vous n’avez pas interrogé des personnes du camp Ouattara dans un souci d’équilibre comme le requiert le métier de journaliste ?

Écoutez, moi je n’enquêtais pas sur l’autre camp. J’enquêtais sur la légalité et le respect du processus électoral. Et surtout, j’enquêtais sur les dix années de règne du président Laurent Gbagbo. Sur les différentes accusations à lui reprochées qui ont émaillé son règne. Je me suis dit, pour comprendre le 11 avril 2011, il ne fallait pas se limiter à le regarder comme un épiphénomène, mais plutôt comme l’aboutissement de plusieurs épisodes du règne du président Laurent Gbagbo.

Entre les lignes de votre livre, vous accusez clairement la France d’avoir piétiné la constitution ivoirienne et d’avoir empêché Laurent Gbagbo de régner tranquillement…

A de nombreuses occasions, l’interférence de la France dans la vie politique ivoirienne sous le règne de Laurent Gbagbo a posé beaucoup de problèmes. Lorsqu’en 2003, lors des accords de Linas-Marcoussis, la France a proposé un Premier ministre à Laurent Gbagbo qu’il s’est vu obligé d’accepter. Sinon il avait été élu sur un programme qu’il devait réaliser avec le Premier ministre de son choix. Que les accords soient signés en France et sans le gouvernement ivoirien, on est déjà en train de violer la constitution ivoirienne. Tout cela voit son apothéose, quand Nicolas Sarkozy lance un ultimatum à Laurent Gbagbo de quitter le pouvoir. Cela ne s’est jamais vu au monde. Un président élu au même titre que le président français soit menacé d’être enlevé s’il ne partait pas dans un délai d’une semaine. La France a violé son mandat du point de vue de la présence de la force Licorne en Côte d’Ivoire. Et elle a également violé son mandat avec l’ONUCI. Les forces onusiennes n’ont jamais été envoyées en Côte d’Ivoire pour une opération militaire contre la présidence.

Tout le monde sait quasiment tout ce que vous venez d’évoquer. Laurent Gbagbo l’a d’ailleurs dit lors de sa première audition à La Haye ; c’est la France qui a fait tout le travail, a-t-il dit. Quel éclairage donc nouveau, pensez-vous que votre livre-enquête pourrait apporter ?

Il y a plusieurs éclairages. Le premier, je ne dirais pas que c’est la France qui a renversé le président Laurent Gbagbo. C’est plutôt Nicolas Sarkozy qui a pris la décision personnelle de renverser Laurent Gbagbo. La chute de Laurent Gbagbo n’a jamais fait l’objet d’un débat parlementaire en France. Comme vous savez, dans tous les pays démocratiques, lorsqu’on prend une décision sur les questions de politique étrangère, cette décision doit faire l’objet d’un débat parlementaire. Il y a des Français qui vivent en Côte d’Ivoire depuis plusieurs années ; et lorsqu’on doit prendre des décisions qui vont engager d’une manière ou d’une autre ces Français, il est nécessaire d’avoir un débat parlementaire. Mais cela n’a pas été le cas. La deuxième chose, c’est que de nombreux députés français ont protesté contre cette intervention française en Côte d’Ivoire car trouvant qu’elle était contraire au droit international.

La troisième chose est que j’ai rencontré des agents de l’ONUCI qui m’ont révélé que Nicolas Sarkozy avait demandé aux forces onusiennes d’intervenir directement sur le palais présidentiel en prétextant qu’il y avait une cache d’armes. Ces cadres de l’ONUCI m’ont dit qu’ils ont répondu par la négative à la demande de Nicolas Sarkozy parce qu’ils n’avaient pas mandat de le faire. Ils ont donc proposé au président français de mener l’opération de façon conjointe. Pour les diplomates onusiens, en présentant les choses de cette façon, Nicolas Sarkozy reculerait. Qu’il n’oserait pas mouiller son armée dans cette affaire. Mais à leur grande surprise, il y est allé avec l’ONUCI. La présence de l’ONUCI était donc d’appuyer l’initiative personnelle du président français.

Durant votre enquête, auriez-vous rencontré Laurent Gbagbo ? Et comment cela a pu être possible ?

Oui, le président Gbagbo m’a fait un certain nombre de confidences, mais permettez que je ne donne pas les circonstances dans lesquelles les choses se sont passées.

Vous l’avez rencontré pendant sa détention à Korhogo ?

Oui.

Mais comment, puisqu’il n’avait droit à aucune visite en dehors de celle de ses avocats ?

Écoutez, c’est ce qu’on appelle dans le journalisme, le secret des sources. Je ne peux pas exposer les personnes qui sont intervenues dans ce dossier. Ces personnes peuvent être mises en danger en Côte d’Ivoire.

Laurent Gbagbo est depuis le 30 novembre à la CPI, qu’est-ce que cela vous inspire ?

C’est un scandale d’emmener Laurent Gbagbo à la CPI. Moi, j’ai enquêté sur Luis Moreno-Ocampo, il n’a jamais été un procureur indépendant comme on le prétend. Lorsqu’il était avocat en Argentine, sa fondation était financée par le département d’État américain. C’est-à-dire que son salaire comme les salaires des employés de sa fondation étaient directement financés par les États-Unis. Lorsqu’il arrive également à la CPI, il arrive sur un certain nombre de recommandations. Donc je ne pense pas que le procureur de la CPI soit impartial dans le dossier ivoirien, ou puisse porter une accusation crédible contre Laurent Gbagbo.

D’autant plus qu’on sait qu’il y a eu les massacres de Duékoué, et que les forces de Ouattara aient commis des crimes, il est étonnant que c’est Laurent Gbagbo qui est arrêté dans des conditions troubles. Tout cela dit une seule chose, il fallait que Ouattara disqualifie un adversaire politique redoutable qui, même en détention, demeure populaire en Côte d’Ivoire et en dehors. Il fallait donc éloigner cet adversaire politique du territoire ivoirien. Laurent Gbagbo représente uniquement un danger politique pour Ouattara.

Réalisé par Jean-Paul Oro à Paris
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