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Politique Publié le vendredi 16 décembre 2011 | Le Patriote

Un rescapé témoigne: “Les FDS nous poursuivaient en nous tirant dessus comme des lapins”

© Le Patriote
Crise post-électorale : encore des morts à Abidjan
Mercredi 12 janvier 2011. Abidjan. Affrontements meurtriers entre des éléments des Forces de défense et de sécurité et la population dans la commune d`Abobo.
Ce qui devait être une marche pacifique, fut transformé en une horreur sans nom. Des soldats ivoiriens tirant à bout portant sur des manifestants sans arme ni pierre. Des soldats tirant avec un assortiment d’armes allant du gaz lacrymogène aux grenades et à l’arme automatique. Tout y est passé. J’y étais, armé seulement d’une volonté de paix, le sourire aux lèvres, comme les milliers de militants ayant répondu à l’appel de leur président. A partir de cet instant, je vais relater la suite des évènements comme un reportage, de façon chronologique. Je vais raconter l’inimaginable.

l 9h 25mn: Je quitte mon domicile pour aller faire un repérage des lieux du côté de la RTI. Je passe par le Carrefour de la Vie en bifurquant à gauche vers le boulevard Latrille. Je vois des militaires descendre d’un cargo. Leur particularité est qu’ils portent un bandeau blanc sous forme de brassard long avec une inscription que je n’arrive pas à déchiffrer sur leur treillis. Je continue jusqu’au carrefour de la polyclinique des Deux-Plateaux, puis je fais demi-tour.

9h 45mn: J’arrive au niveau de l’église Saint-André, lorsque des clameurs se font entendre venant de la voie menant à Adjamé. Je m’y engage. Et là, au bord de la route principale, je suis pétrifié par la vue d’une nuée de marcheurs s’étendant à perte de vue, plusieurs milliers de manifestants, à pied, chantant. Ils étaient au niveau de l’échangeur d’Adjamé menant à Cocody. Je rejoins rapidement la foule encore sur l’autoroute menant à la Riviera en venant d’Adjamé, après avoir garé mon véhicule. Une marée humaine totalement désarmée. Pas même un bâton, ni pierre. Strictement désarmée avec, pour quelques-uns, des lianes de feuilles ceintes autour de la tête comme dans un festival. Beaucoup ont soif et cherchent à boire. L’un d’eux m’apostrophe en me disant de les rejoindre plutôt que de les photographier. Et je lui réponds que c’est bien mon intention. Je pose la question à un autre de savoir d’où ils venaient. Il me répond : d’Abobo. Je suis étonné, car je venais d’apprendre que les FDS avaient empêché ceux de Yopougon de quitter la ville pour rejoindre la marche.

Il me répond qu’ils en ont fait de même avec eux, mais cela ne les a pas empêchés de braver les barrages. J’apprendrai plus tard que trois ou quatre marcheurs y avaient déjà laissé leur vie.

10h 00mn: Le peloton de tête des manifestants arrive vers l’embranchement de la bretelle qui part, à droite, vers la RTI, en direction du fameux Carrefour de la Vie, où se trouve le premier barrage des FDS, et qui va bientôt être transformé en Carrefour de la Mort. A gauche de cet embranchement, la route continue vers la Riviera. La plupart des marcheurs ignorent où se trouvent la RTI et certains continuent sur la gauche. Ils sont très rapidement ramenés vers les autres. Un manifestant me hèle et vient poliment me saluer. Mon appareil photo intrigue et inquiète.

10h 17mn: La tête du peloton est au niveau du Carrefour de la Vie, moi je suis au niveau du carrefour menant par la gauche vers le lycée technique, mais un peu après le carrefour.

La queue du peloton se perd derrière moi. Un mot d’ordre est lancé d’attendre les autorités du RHDP dont on annonce l’arrivée imminente. La consigne est de ne pas bouger, ni braver le barrage. L’ambiance est bon enfant. Mais je constate avec amertume qu’il n’y aucune protection militaire ou policière des manifestants encore moins celle des forces impartiales comme promis. Cela m’inquiète. Pendant que je prends des photos, un manifestant, soupçonneux, m’accoste pour savoir pourquoi je fais des photos. Ne serait-ce pas pour les identifier après? Je suis donc pris pour un agent infiltré. Je lui décline mon identité et comme je le pressentais, me savoir nordiste, fit baisser la tension. Triste réalité de cette crise injustement exploitée en crise identitaire.

10h 18mn: Une Jeep CeCOS traverse la foule qui lui ouvre le passage très amicalement. A bord, environ huit «Corps Habillés». Six sont assis derrière par rangées de 3 et deux devant. Ils sont lourdement armés, l’un d’eux tenant un lance-roquette. Ils ont une mine impassible et aucunement impressionnée par la foule. De véritables professionnels. C’est par eux que la fin du monde, pour beaucoup de compagnons, viendra.

10h 20mn: Soit exactement 2 mn après que ces soldats eurent traversé les manifestants pour rejoindre le premier barrage, le cauchemar va débuter. D’abord, des gaz lacrymogènes sur la foule pourtant totalement passive. Les premiers mouvements de panique commencent pour des manifestants incrédules, certains que je vois nettement, ne bougent toujours pas du peloton de tête et demandent même aux autres de revenir tenir leur position. Ce que certains font, malgré l’asphyxie due aux gaz lacrymogènes. Les manifestants se réorganisent en rejoignant les points non touchés par les lacrymogènes, à savoir la voie de droite en partant dans le sens de la RTI.

10h 22mn: Une série de tirs de gaz lacrymogène noie complètement le peloton de tête suivi de tirs d’armes automatiques à balles réelles. De ma position, je vois des personnes tomber vers le Carrefour de la Vie. Une fumée épaisse s’élève des premiers rangs. Les manifestants refluent, mais semblent toujours déterminés. Chose hallucinante, les manifestants applaudissent leurs agresseurs à chaque tir comme pour montrer leur intention pacifique et surtout pour se redonner du courage. Jusqu’alors et jusqu’à la fin, aucune agression quelconque des manifestants sur les forces de l’ordre n’est enregistrée. Je ne vois d’ailleurs pas comment ils auraient pu, car totalement désarmés. Ils avaient pris le mot d’ordre du RHDP à la lettre, à savoir : une marche pacifique.

10h 23mn: Les premières victimes blessées arrivent à mon niveau, soutenues, pour l’une d’elles, par des manifestants et pour l’autre, portée par d’autres. Une solidarité inouïe pour des gens qui ne se connaissent pas, mais qui sont soudés par le même fil du désir d’espérer et de ne point abandonner. L’une des victimes a pris un projectile dans la joue qui saigne abondamment, l’autre en est défigurée. Et là, je vais assister à une scène surréaliste à vous dégoûter de l’image que les gens ont, à tort ou à raison, des médecins, mais hélas bien souvent, à raison. Je leur suggère d’aller à une clinique près du Lycée technique. L’un deux me rétorque: «C’est quel hôpital?» Je n’avais pas bien compris l’arrière-pensée de la question et un autre reprend en disant que les médecins vont les tuer à l’hôpital s’ils savent qu’ils étaient de la marche. L’un propose de les amener à Abobo, mais il n’y a pas de véhicule. Ils se résolvent à aller vers la clinique avec les blessés. Je n’en saurai pas plus sur le sort de ces blessés, car un déluge incroyable de tirs de feu va nous tomber dessus. En ce moment, je me souvenais que dans les films de guerre, je voyais les soldats se courber en courant. C’est ce que je fis, machinalement, pendant que les balles sifflaient, sans savoir comment cela était censé me protéger des balles. Trois différents sons lugubres d’armes crépitaient. Je ne saurais dire à quelle arme chaque son correspond, mais il y avait un son qui, en soi, peut assourdir l’adversaire, un véritable son de tonnerre ou de foudre. Absolument assourdissant.

10h 24mn: Un manifestant court en traînant une jambe ensanglantée. Je lui demande si c’est une balle. Il n’en sait rien, mais il sent de moins en moins sa jambe. Les tirs se rapprochent, lui donnant une seconde énergie qui le propulse. Je le perds de vue. La débandade est à son comble; les tirs sont nourris et de plus en plus rapprochés. Ils nous poursuivent en nous tirant dessus comme des lapins. Une ironie du sort va se glisser dans ce triste tableau. La plupart des manifestants viennent d’Abobo et ignorent complètement ce quartier bourgeois de Cocody avec plein d’impasses. Dans leur fuite, certains s’engouffrent dans la voie donnant accès à l’hôtel du Palm Beach. Je leur crie de revenir, que ce n’est pas le bon chemin. Certains reviennent, mais d’autres continuent. L’idée admise, par tous, est maintenant de rejoindre le siège du RDR à la rue Lepic située un peu plus haut et attendre d’autres instructions. Tout le monde s’y engage, poursuivi par les tirs. Mais une fois encore, beaucoup ignorent où se trouve la rue Lepic, siège du RDR. Dans la fuite, ils s’engouffrent dans une voie à droite, en pensant aller à la rue Lepic. Je suis derrière. Le temps d’arriver pour indiquer la direction de la rue Le pic, beaucoup sont déjà engagés dans cette voie sans issue où certains vont être cueillis par les FDS. D’autres arrivent à déboucher sur la voie principale menant vers le fameux embranchement précité. Un homme tombe à mes pieds.

Est-ce d’une balle ou de fatigue? Il réclame de l’eau. Des femmes le lui en apportent. Pendant toute cette fuite, ce qui fut le plus insupportable pour moi, c’était d’entendre ces manifestants crier à tout moment: «On nous avait dit que l’ONUCI allait nous protéger».

l 10h 36mn: Je compris que je ne pouvais pas continuer à servir de guide à ces manifestants désorientés et totalement livrés à eux-mêmes. Le plus urgent pour moi, était désormais de rejoindre les autorités du RHDP à l’Hôtel du Golf et leur dire ce qui se passait afin qu’elles y mettent un terme.

Je pars récupérer mon véhicule pour tenter de foncer vers le Golf Hôtel. Vers la Pharmacie se trouvant à la montée du lycée technique, je vis 3 Jeep montées de mitraillettes avec des soldats en train d’embarquer violemment des pauvres manifestants perdus. Je redescendis vers le carrefour de l’Hôtel Palm Club, que les manifestants tenaient il y a à peine 20 mn. J’aperçus brusquement des militaires de partout. En les voyant, je fus pris de panique, car j’avais le film et les photos des évènements sur moi que je voulais protéger. J’entrepris de cacher l’appareil photo sous mon siège et je manquai de rentrer dans le caniveau tant la panique était grande. Je m’arrêtai in extrémis devant le barrage. Mon comportement a dû attirer leur attention. Pendant que j’étais tenu en joue par d’autres éléments, on m’intima l’ordre de descendre pour fouiller le coffre et jeter un œil dans la voiture. Quand je fus autorisé à poursuivre ma route, j’ai préféré prendre à gauche pour éviter de passer par le carrefour de la Vie à droite. 100 mètres plus loin, une autre fouille par des soldats puissamment armés. Je compris que beaucoup de mes compagnons d’infortune allaient se faire arrêter, dans le meilleur des cas. La chasse à l’homme était ouverte. J’en voyais dans les convois croisés, torse nu. Il devenait urgent de retrouver une autorité. J’appelai deux responsables de média de la place pour leur relater les faits. Puis, j’ai continué vers l’Hôtel du Golf en passant par le lycée français. J’avoue avoir été un peu soulagé quand j’aperçus 2 chars de l’ONUCI et des cargos pleins de soldats de l’ONUCI vers le carrefour de la Riviera 3. Pour moi, cela était une certitude que je pouvais vite rejoindre l’Hôtel du Golf pour alerter les responsables RHDP. Mais que ne fut ma surprise et mon désarroi quand j’aperçus un barrage des FDS proche du carrefour qui mène à l’Hôtel du Golf. Ils m’ont intimé l’ordre de rebrousser chemin. Je venais de réaliser que les FDS contrôlaient tout, y compris l’accès à l’Hôtel du Golf, citadelle jusqu’alors inviolable. Je vis deux véhicules 4x4 de l’ONUCI me dépasser, remplis de personnel civil et militaire en direction de l’Hôtel du Golf. Je fus repris d’espoir. Je fis demi-tour et m’engageai à leur suite. Finalement, je revins à la raison en me disant que les FDS ne me laisseraient jamais passer ce barrage. C’en était fini pour ce jeudi noir. Les questions me taraudaient qui étaient sans réponse.

Comment les autorités du RHDP pouvaient-elles assurer garantir la sécurité des manifestants alors qu’elles n’étaient pas arrivées à assurer la leur propre ? Qu’est-ce qui n’avait pas marché ? Les sifflements de balles, les interrogations des manifestants sur leur protection, les images des manifestants piégés dans des voies sans issue, les morts, les blessés, le miracle de ma propre survie, tout s’entrechoquait dans ma tête. Ce fut le jour inaugural du plus long blocus perpétré en Côte d’Ivoire, l’embastillement de l’Hôtel du Golf.

Dr Coulibaly Foungonté Hamidou
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