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Société Publié le vendredi 30 décembre 2011 | Soir Info

Cadavres dépouillés, incendie, accident, retard, etc. Colonel Adama Coulibaly (commandant supérieur des Gspm) : «Des gens appellent pour nous insulter»

© Soir Info Par Emma
Grave accident de la circulation au Plateau: un autobus de la Sotra plonge dans la lagune avec ses passagers
Vendredi 5 août 2011. Abidjan. Un autobus de la société de transport public abidjanais (Sotra) plonge dans la lagune au niveau du pont Felix Houphouët-Boigny reliant le Plateau à Treichville. Photo: le colonel Adama Coulibaly, commandant les sapeurs pompiers militaires
Le Colonel Adama Coulibaly, commandant supérieur du Groupement des sapeurs pompiers militaires (Gspm) de Côte d'Ivoire donne, dans cette interview, les raisons des retards dans les interventions, parle de ceux qui dépouillent les cadavres et prodigue des conseils aux populations. Nous l'avons rencontré, à l'Indénié, le lundi 19 décembre 2011.


Colonel Adama Coulibaly, la période des fêtes de fin d'année est un moment bien difficile pour les pompiers, n'est-ce pas ?

Le mois de décembre est crucial. Non seulement il y a beaucoup de monde dehors mais il y a beaucoup plus de voitures qui roulent. Quand les fêtards lèvent un peu le coude, ils ne savent pas qu'ils sont dans un état second. Ils prennent la voiture et l'accident est vite arrivé. En décembre, il y a Noël , la Saint Sylvestre et on rentre dans une nouvelle année. Chacun veut avoir un an de plus. Chacun est content et heureux d'avoir terminé l'année sur les deux pieds. Le 31 décembre, il y a des gens, quand ils ne sortent pas de leurs maisons pour aller faire la fête, c'est qu'ils n'ont pas fêté. Il y a une effervescence. La Pâques, la Tabaski, le Ramadan, la Toussaint, ce sont de petites fêtes.

Combien d'interventions, en moyenne, faites-vous en période de fêtes de fin d'année?

On peut avoir, dans la journée, vingt interventions comme on peut en avoir cinq. Ce ne sont pas des chiffres immuables. Hormis les fêtes, il y a des jours où vous pouvez avoir trois minicars qui se renversent. Il y a des jours où on peut avoir 5 ou 6 morts à Abidjan dans les accidents de circulation. Dès qu'on nous appelle, le chef de garde se déplace avec les sept membres de son équipage.

Mais vous arrivez souvent en retard...

Le retard, c'est l'arrivée postérieure à un heure donnée. Quand il y a un incendie ou un accident et qu'on nous appelle, ce n'est pas un rendez-vous dont la date est connue depuis longtemps. On ne peut pas donc dire que nous sommes en retard. On peut dire que le sapeur pompier n'arrive pas avec célérité. Mais ce n'est pas de notre fait. Quand je dois quitter Abidjan pour éteindre un feu à Bingerville, je ne vais ni en MI-24 ni en hélicoptère. Je vais en véhicule. Le véhicule d'incendie porte 3000 litres d'eau derrière et c'est plombé à 90km à l'heure. S'il y avait une caserne à Bingerville, je serais arrivé avec célérité.


Même quand les faits se produisent non loin de vos casernes, on constate néanmoins que vous arrivez en retard.

Quand on m'apprend par exemple que le feu est à côté d'une boutique de Mauritanien, comment voulez-vous que je sois là à temps quand on sait le nombre de boutiques de Mauritaniens dans une zone. Je fais la politique de mes moyens.Trois engins d'incendie à Abidjan et trois engins sanitaires pour les accidents de circulation, c'est insuffisant. Il aurait fallu pour chaque commue, au moins une caserne de sapeurs pompiers. A l'indénié ici, nous avons un engin d'incendie. Nous avons un engin sanitaire pour les accidents de la circulation. Même chose en Zone 4 et à Yopougon. Alors que normalement, il aurait fallu qu'il y ait deux engins d'incendie et deux engins sanitaires par compagnie. S'il y a le feu à Cocody et que l'engin d'incendie de l'Indénié y est et en même temps, un feu à Bingerville ou à Adjamé, nous faisons partir l'engin de la Zone 4 ou de Yopougon. Sil y a un incendie à Yopougon et un feu à Koumassi, ce n'est pas possible de l'éteindre. Dans le même temps, il peut avoir un feu, à Cocody, à Koumassi et à Yopougon, tous les trois engins d'incendie disponibles à Abidjan vont sur ces interventions. S'il y a un quatrième feu à Abobo, qu'est-ce que je fais? Je n'y peux rien. Je suis obligé d'attendre que les véhicules qui sont déjà sur les autres incendies finissent avant d'aller à Abobo. Comparaison n'est pas raison. Quand je prends la ville de Paris, par exemple, il y a plus de 90 casernes. Cela fait que les sapeurs pompiers, quand ils ont trop mis du temps, avec l'embouteillage, c'est 10 minutes, au plus. Normalement, une commune comme Yopougon devait avoir quatre casernes. Nous faisons ce que nous pouvons dans la mesure de nos possibilités. Les gens qui ne connaissent pas nos difficultés, nous lapident parce qu'ils disent que nous sommes toujours en retard. La vérité, c'est que nous n'avons pas assez de véhicules.

Vous semblez justifiez votre manque de célérité par un équipement insuffisant. On se demande, alors, ce que sont devenus les véhicules que vous ont offerts des Ong en 2009 ?

Nous ne pouvons pas refuser les vieux véhicules qu'on nous donne. En France, chaque deux ans, tout le matériel neuf qui avait été payé est réformé et on nous le donne. Quand ça arrive chez nous, c'est tout neuf par rapport à nos véhicules qui datent de mathusalem. Ce sont des véhicules de seconde main. La plupart des véhicules restent garés à la première panne. Nous avons un véhicule super galio, beau, au garage qui a un problème de moteur. Mais il n'y en a pas à la ferraille. C'est d'ailleurs à la ferraille que nous nous débrouillons.

Mais si vous allez à la ferraille, que fait alors l’Etat ?

Dans la plupart du temps, nous n'avons pas de concessionnaires ici qui ont les pièces de rechange. Moi, je n'attends pas la manne financière de l'Etat. L'Etat nous habille, nous loge, nous déplace. L'Etat fait ce qu'il peut dans la mesure de ses possibilités. Nous avons un budget. Mais il est insuffisant. Il faut souligner que l'Etat n'achète pas de pièces à la ferraille. Il nous donne des ambulances neuves. Moi j'ai la chance de travailler avec les opérateurs économiques. Je les mets à contribution.

Pourtant, le Gouvernement a demandé de ne plus exiger quoi que ce soit des opérateurs économiques, non ?

Ils nous aident. Je prends un exemple palpable. Quand je suis arrivé en 2007, la piscine de la caserne de l'Indénié était une mare à boue avec des grenouilles et du sable. Je suis allé voir un opérateur économique spécialisé en piscine. Je lui ai dit de retaper ma piscine, de la gérer et de se rembourser avant de me la remettre.

Comment s'est-il fait rembourser?

Il y a des gens qui viennent y nager. Il a investi 25 millions de francs Cfa. On a changé toute la machinerie et les tuyaux. Comme c'est la seule piscine qui était ouverte à Abidjan, avant la crise post- électorale, à part celles des grands hôtels, les clients venaient moyennant une participation. Une piscine demande beaucoup de moyens pour être fonctionnelle. Ce sont les frais d'entretien. Au bout d'une année, il avait fini de se rembourser. Ce sont les fonds générés par cette piscine qui me permettent d'acheter des pièces détachées pour nos véhicules. J'ai également un bar climatisé à la caserne de l'Indénié. Après la crise post-électorale, j'ai demandé de l'aide aux opérateurs économiques et il est devenu fonctionnel parce que pendant la crise, tout a été pillé ici. Nous faisons également de la formation extérieure pour des sociétés. C'est ce qui nous a permis d'ouvrir la caserne des sapeurs pompiers de Bouaké, sur fonds propres. Depuis novembre, soit en un mois, à peu près, ils sont déjà à plus de 50 interventions. Il faut dire qu'il y a une compagnie à Yamoussoukro. Mais cela ne suffit pas pour l'intérieur du pays.

A combien estimez-vous l'ouverture d'une caserne?

Une caserne de sapeurs pompiers, clé en main, peut coûter un milliard de francs Cfa. Un fourgon-pompe coûte 4 00 millions de francs Cfa. Une échelle mécanique coûte 500 millions de francs Cfa. Une ambulance de réanimation fait 60 millions de francs Cfa. On avoisine le milliard de francs Cfa.

Un milliard de franc cfa, c'est tout de même lourd à débourser pour les communes, par ces temps difficiles...

J'ai dit aux maires de me trouver une fourgonnette. La vidangeuse qui s'occupe des fosses d'aisance peut aspirer l'eau partout. J'ai demandé un minicar pour enlever les sièges arrière. Si on met les crochets pour les ballons, pour les perfusions et des supports de brancard, ça devient une ambulance. Dans une bâchée, je peux mettre du matériel pour les électrocutés, du matériel d'essaim d'abeille et autre, et ça devient une camionnette d'interventions diverses. Si je trouve une villa pour garer les engins, le salon devient le dortoir. Les chambres deviennent des bureaux. Deux téléphones portables, un pour ceux qui vont aller sur le terrain et l'autre pour ceux qui vont rester sur place, suffisent. En outre, il faut un endroit où prendre du carburant. Avec tout ça, je crée un embryon de casernes de sapeurs pompiers. En France, par exemple, il y a les sapeurs pompiers militaires à Paris. Il y a les marins pompiers à Marseille. Dans tout le reste de la France, il y a des sapeurs pompiers communaux. En Côte d'Ivoire, les maires devaient créer des casernes de sapeurs pompiers dans leurs communes.

Qu'est-ce qui pose problème chez les maires, selon vous?

C'est à eux qu'il faut poser la question. Je les attends. Si les maires aiment leur population, qu'ils créent des embryons de caserne de sapeurs pompiers dans leurs communes. La création d'une caserne de sapeurs pompiers n'est pas un luxe. Toute honte bue, ils nous prennent pour des quemandeurs, des mendiants. C'est parce que j'ai la conscience professionnelle. Sinon je peux m'asseoir dans mon bureau ici. Si je ne le fais pas, c'est parce que je ne suis pas fier d'être un sapeur pompier cloîtré. Quand une usine brûle, elle l'est aussi pour la mairie. Quand nous allons faire des prescriptions , on pense que nous sommes des empêcheurs de tourner en rond. Deux usines ont brûlé à Yopougon parce qu'elles n'ont pas respecté ce qu'on leur a prescrit. La plupart du temps, les gens respectent une partie de la prescription. Dans des marchés, des gens ont construit des magasins sur des poteaux d'incendie. Ce sont des gens qui ont une autorisation du maire. Quand il y a le feu dans le marché et qu' on cherche les poteaux d'incendie, on ne les voit pas. Je voudrais demander à tout le monde de prendre conscience et de mieux respecter les prescriptions pour ne pas perdre ses biens. Les populations ont aussi des comportements qu'elles doivent changer.

Lesquels?

Que les populations sachent que nous sommes des fonctionnaires. Nous ne sommes pas payés au prorata des feux qu'on éteint ou des accidents. Si elles monopolisent les huit lignes pour raconter des bobards, parce qu'elles savent que le 180 n'est pas payant, ce n'est pas bon. En effet, il y a des gens qui occupent les lignes pendant que celui qui a besoin de nous n'arrive pas à nous avoir. C'est à celui-là qu'il font du mal. En 2007, il y avait huit cents appels par an, contre 25 actuellement. Il y a de fausses alertes et des appels pour ne rien dire. Pour s'amuser, on nous appel pour dire qu'il y a un incendie à St Jean par exemple. Quand on se déplace, on ne voit rien et on nous appelle pour nous dire qu'on nous a eus. C'est une fausse alerte. On nous appelle pour nous insulter. C'est un faux appel.

Quels conseils donnez-vous aux populations?

En Côte d'Ivoire, lorsque les gens appellent les sapeurs pompiers, c'est quand c'est gâté parce que la plupart du temps, chez nous, dans nos jargons, on dit à la première seconde, quand il y a le feu, c'est une étincelle et un verre d'eau suffit. Après l'étincelle, il y a le feu. Un seau d'eau suffit. Après, le feu devient un brasier. On fait ce qu'on peut. Dans la plupart du temps, quand il y a un début de feu, les gens essaient de l'éteindre. C'est quand ils ne peuvent plus qu'ils pensent appeler les sapeurs pompiers. Donc quand ils nous appellent, cela veut dire qu'ils sont tous dehors. Ils ont fait ce qu'ils ont pu, dans la mesure de leur possibilité, sans résultat positif. Dans les quartiers précaires, quand il y a des baraques en feu, les gens doivent savoir que comme les baraques sont contiguës, le feu va très vite parce que tout est en bois. Ils doivent casser toutes les baraques autour de celles en feu pour ne pas que les flammes aient de l'aliment. Quand le feu n'a plus rien, il est obligé de s'éteindre. Sinon si nous avons des informations précises et l'origine du feu, on peut donner des conseils. Mais quand quelqu'un vous appelle et laisse entendre qu'il y a du feu à Yopougon Niangon et qu'il raccroche, qu'est-ce qu'on peut faire?

Dans vos interventions, on vous reproche bien de choses. On vous soupçonne de dépouiller les cadavres

C'est possible. Dans toutes les corporations, il y a des voleurs et des brebis galeuses. Un sapeur pompier a une éducation de base avant d'être recruté. Même si on fait une enquête de moralité, le cleptomane, ce n'est pas écrit sur son front. Donc il y a des pompiers qui détroussent les blessés ou les morts. Mais on les renvoie aussitôt. Si c'est pour s'enrichir, on ne vient pas au sapeur pompier. Et puis les pompiers ne doivent pas garder les objets des victimes

Comment les parents rentrent-ils en possession des objets retrouvés sur les victimes?

Lorsqu'il y a une intervention , nous appelons la gendarmerie en rase campagne ou la police en ville. Sur tous les accidents de circulation, il y a toujours la gendarmerie ou la police pour faire le constat d'usage et garder les biens jusqu'à ce que les parents arrivent pour les récupérer. Dès qu'ils arrivent, tous les objets qui sont récupérés dans les véhicules accidentés, leur sont donc remis. Notre travail est d'évacuer les blessés aux Chu mais pour les décédés, nous appelons les pompes funèbres. Si la personne a des parents sur les lieux, elle nous indique la morgue. Quand il n'y a pas de parent, la gendarmerie ou la police donne un « de par la loi ». Ce document donne l'autorisation aux pompes funèbres d'enlever le corps et de le conduire dans une morgue.

Pourquoi est-on obligé d'attendre les pompiers avant les évacuations des accidentés?

Celui qui veut peut évacuer son parent. Mais il lui fera beaucoup plus de mal parce qu'il ne sait pas les lésions dont il souffre. Or, le pompier est formé pour le secours.
Dans nos équipes, chacun sait à quoi s'en tenir. Il y a, par exemple, un médecin qui constate le décès. Il est clair que quelqu'un qui a peur de voir un cadavre ne peut pas être pompier.

La formation ne prépare-t-elle pas à ce genre de situation?

Un gars qui a peur du sang ne peut pas faire ce travail. C'est comme un infirmier. Il y a des gens qui tombent en syncope, une fois qu'ils voient du sang. Il y a des gens qui ne s'habituent jamais à la vue du sang. Un homme qui voit le sang et qui tombe en syncope, on n'a pas son temps. Si on va sauver des gens et que toi tu tombes dans les pommes, à quel moment on va te relever et sauver les autres? Des gens comme ça, on n'en veut pas ici. Ce n'est pas obligé de devenir sapeur pompier. Quand un gars voit un cadavre et commence à pleurer, à chialer, que viendra-t-il faire au sapeur pompier?

Comment devenir sapeur pompier militaire?

Il faut d'abord être militaire. Vous êtes recrutés par le service de recrutement. Vous faites vos deux ans et après, vous êtes affectés pour être sapeur pompier. Il y a plusieurs autres formations qui délivrent des diplômes.

Interview réalisée par

Dominique FADEGNON
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