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Art et Culture Publié le vendredi 13 janvier 2012 | Notre Voie

Valen Guédé (musicologue, musicien) : “Amédée Pierre pouvait se transformer en rivière”

© Notre Voie Par Prisca
Littérature - René Babi dédicace son l`ouvrage "Amédée Pierre, le Dopé national, grand maître de la parole"
Jeudi 16 septembre 2010. Abidjan. Palais de la culture Bernard B. Dadié de Treichville. Le célèbre chanteur Amédée Pierre (photo) assiste à la cérémonie de dédicace de l`ouvrage écrit par René Babi, et consacré à sa vie.
Demain, c’est le jour de l’inhumation au cimetière de Williamsville (Abidjan) d’Amédée Pierre, décédé le 30 octobre 2011), à l’âge de 74 ans, à Abidjan. Avant l’ultime séparation, le musicologue et musicien Valen Guédé rend hommage au Dopé national, père de la musique moderne ivoirienne.
Notre Voie : De quelle manière écrivait Amédée Pierre que vous avez cotoyé ?
Valen Guédé : L’écriture d’Amédée Pierre vient du savoir traditionnel tel que le tohourou et les masques. Quand on regarde la ligne mélodique dans laquelle on trouve souvent des croches liées entre elles qui s’étalent sur plusieurs mesures et se terminent par des chœurs, on se rend compte que c’est de la même manière que l’on chante en tohourou. Amédée avait également des mélodies narratives. On les retrouve dans plusieurs de ses compositions. Donc il s’inspirait de nos poètes lyriques du tohourou et autres.

N.V. : Amédée était au départ infirmier de formation. Comment a-t-il viré à la chanson ?
V.G. : Son père était en poste en Tabou comme agent des douanes. D’ailleurs lui-même est né dans cette région du sud-ouest de la Côte d’Ivoire. Amédée le suivait donc partout où il était affecté. Lorsqu’il est rentré à Abidjan, il a vécu d’abord chez un de ses oncles. C’est ce qu’il m’a dit. Il avait un ami, Christophe Digbeu. C’est avec lui qu’il a commencé à chanter. Ils ont commencé par interpréter les chansons des grands chanteurs français de l’époque. Quand son ami est parti à l’aventure en France, c’est alors que l’idée lui est venue de créer un orchestre. Qu’il a baptisé Amédée Pierre et sa Bande. On était en 1960. Plus tard, il changea le nom de son orchestre parce que, selon lui, cette appellation faisait penser à une bande de gangsters. Sur conseil d’un de ses amis ghanéens, il adopta en définitive Ivoire Orchestre Etoile de Côte d’Ivoire. Ce qui a donné Ivoiro Star qui était composé, entre autres, de Djabo Steck à la batterie, Martino Zog et Dally Anatole comme deuxième voix et Tchebo Aurélien, Kaza au toumba. C’est donc avec ce groupe qu’Amédée a enregistré ses quatre premières chansons dont « Bhougrou Nekpa », qui deviendra le générique des concepts de Radio Côte d’Ivoire. Bhougrou Nekpa veut dire l’homme Noir au pays des Blancs. Dans cette chanson, Amédée Pierre stigmatise le comportement de cet enfant pour qui les parents ont serré la ceinture pour le mettre à l’école et qui en sort bardé de diplômes. Mais qui se met à renier ses us et coutumes. Lorsque sa famille est endeuillée, en pleurant, il dit : « Maman » au lieu de « Gniah ». C’est cette situation qui a inspiré Amédée Pierre.

N.V. : Avec qui Amédée a-t-il appris à jouer de la guitare ?
V.G. : Je ne saurais vous le dire. Ce qui est sûr, en plus de la guitare, il savait jouer de l’orgue devenue plus tard synthétiseur. Mais je crois qu’il a appris tout cela en compagnie de son ami Digbeu. D’une manière générale, Amédée s’est formé dans les ensembles musicaux. Amédée a chanté dans des langues nationales comme le kroumen, le gnaboa, l’agni, etc. On peut alors dire qu’il a été influencé également par les grands courants musicaux traditionnels.

N.V. : N’avait-il pas aussi flirté avec le milieu du high life ghanéen, bien avant 1960 ?
V.G. : Il a eu des contacts avec des Ghanéens. Il a même eu à interpréter un tube ghanéen de Ranblez Band. Il faut dire qu’à cette époque, la radio n’existait pas encore en Côte d’Ivoire. Cela veut dire que tout ce qu’on écoutait nous venait de l’extérieur. Soit de l’ex-Zaïre, soit de la Guinée Conakry et, bien sûr, du Ghana voisin.

N.V. Amédée était-il un compositeur inspiré ou travaillait-il autrement ?
V.G. : Amédée Pierre était un compositeur inspiré qui a à son actif une soixantaine de phonogrammes. Son inspiration, on le sent aussi dans sa manière d’écrire. Sur les rythmes afro-cubains qui l’inspiraient beaucoup, il inscrivait souvent des mélodies originales qui venaient de son génie-créateur. Au niveau de la nature, de temps en temps, il pouvait se transformer en rivière, il se mettait dans la peau d’un génie… Amédée conversait avec tous les états de la nature, donc il a puisé aussi dans l’ambiance sociologique où il vécu.

N.V. : Quelle place occupe la femme dans l’œuvre du défunt ?
V.G. : Quand Amédée évoque la femme, c’est pour faire référence à sa mère, morte très jeune. En dehors de cela, il a chanté « Joséphine », une femme abstraite. Celle qui pleure éternellement le deuil de son mari bien aimé. A cette femme, il demande de sécher ses larmes car, lui promet-il, tout sera mis en œuvre pour tisser les mailles de son cœur. Là, il ne s’agit pas d’une femme pour qui il a de l’amour.

N.V. : Et pourtant il aimait beaucoup les femmes, dit-on ?
V.G. : Je ne sais pas le nombre de conquêtes d’Amédée. Ce que je peux vous dire, c’est qu’il était un bel homme et il l’est resté jusqu’à sa mort. Et les femmes l’aimaient. Pour un grand artiste comme lui, il ne pouvait pas en être autrement.

N.V. : A partir de quel moment Amédée a-t-il commencé à tomber dans l’oubli ?
V.G. : Amédée ne peut jamais tomber dans l’oubli. Même mort, il ne tombera jamais dans l’oubli. Quand on lit la plupart des pans musicaux aujourd’hui, chez Ernesto Djédjé, Justin Stanislas, Beny Bezy et bien d’autres musiciens du centre-ouest, il y a un peu de parcelles mélodiques ou de pan rythmique d’Amédée Pierre.

N.V. Vous vous préparez à publier un livre sur l’œuvre d’Amédée. S’inscrit-il dans cette dynamique d’immortalisation du musicien ? Où en êtes-vous d’ailleurs avec ?
V.G. : Le professeur Zadi Zaourou et moi avons extrait 105 chansons du répertoire d’Amédée Pierre pour les traduire, du Bété en Français, sous la forme poétique. Nous l’avons fait pour le grand public pour que les Ivoiriens découvrent la profondeur des textes d’Amédée Pierre. En même temps, je crois que le travail peut servir dans le domaine de l’enseignement. Le professeur Zadi a eu une étudiante qui a travaillé sur un texte d’Amédée pour la soutenance de sa thèse. Nous, nous avons fini d’écrire. Le livre s’intitule « Dopé, les mélodies éternelles ». Bientôt, il sera publié en Côte d’Ivoire et à l’étranger.

N.V. : Valen et Amédée. Quelle influence du Dopé sur le musicologue et musicien ?
V.G. : C’est quelqu’un qui maîtrisait la langue bété à travers ses chansons. Ainsi j’ai appris des expressions bété avec lui. Amédée m’a enseigné beaucoup de choses avec ses paroles.

Entretien réalisé par Schadé Adédé
schadeci@yahoo.fr
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