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Société Publié le mardi 24 janvier 2012 | Le Mandat

Enquête/Parc national de la Marahoué : Au cœur du grand réseau de racket des hommes en treillis - Un patrimoine au bord de l’agonie

Situé à 350 kilomètres au nord-ouest d`Abidjan, à proximité de l`axe routier Bouaflé-Daloa, le Parc national de la Marahoué a été créé en 1968 et il occupe une superficie de 101 000 hectares. Ce parc qui se caractérisait par la grande diversité de sa faune et de sa flore agonise, au grand dam des autorités en charge de son fonctionnement. Ce massif forestier est devenu un véritable centre d’affaires pour des forces de l’ordre et des civils assoiffés de gain facile.

Il était 15h17 mn, ce jeudi 12 janvier, quand, en route pour cette réserve animalière, nous foulons le sol de Bonon, précisément au marché de bananes. Ici, le constat est plutôt écœurant. Plus d’une douzaine de camions remorques chargés de fèves de cacao pour certains et de bananes pour d’autres vont en direction des pays étrangers. D’où proviennent exactement ces tonnes de cacao et de bananes ? Nulle autre part que de la réserve forestière de la Marahoué, un des huit parcs de la sous-région. Se rendre dans ce parc n’est pas chose aisée. Par contre, deux types d’engins, notamment les taxis motos ou les camions de marque KIA peuvent nous y emmener. A peine 5kilomètres de piste parcourue, nous voici à un premier corridor dressé par des Forces républicaines de Côte d’Ivoire sur les trois kilomètres existants sur ce trajet. Les faux frais exigés restent les mêmes à tous les corridors Frci et sont visiblement connus de tous ceux qui fréquentent cette piste.

13.000 FCFA par chargement
Il faut payer mille francs pour l’entrée du KIA dans le parc. Mille autres francs pour toute personne étrangère dans le camion. Il fallait également payer mille francs et voire plus, pour les commissions de sac de riz et autres vivres importées de la ville pour les villageois des campements au sein du parc. Une fois la zone sous contrôle des Frci traversée, c’est un barrage de police qui nous attendait. Les prestations sont identiques à celles des Frci, mais cette fois, la mise est doublée. C`est-à-dire qu’il fallait payer la somme de deux mille francs. Un peu plus loin, c’est le barrage de la gendarmerie qui nous accueille. Là encore, il faut payer tout simplement trois mille francs avant de continuer ton chemin. A une petite distance, avant de trouver le campement de Blaisekro, sont postés un premier groupe des agents des Eaux et forêts. Ils sont appelés « Eaux et forêt de ville ». Avec ces derniers, la formule ne change pas. Le passager est soumis à une « amende » de trois mille francs. Contrairement aux vendeuses de bananes qui payent six mille francs par chargement à ces agents des Eaux et forêts, l’on nous renseigne que les transporteurs de cacao, eux, doivent débourser treize mille francs par chargement. C’est une manne financière considérable, quand l’on sait que certaines commerçantes de bananes disent faire en moyenne neuf chargements par jour.

Une manne financière pour les hommes en treillis

« Nous sommes environ 350 femmes. Nous payons 3000f aux Frci, 2000 aux policiers, 3000f aux gendarmes, 3000f aux agents des Eaux et forêt de ville et pour finir, nous donnons 6000f aux agents des eaux et forêt du parc. Ce qui fait 17000f que nous payons en moyenne par chargement chaque jour pour faire sortir nos bananes. C’est devenu pour nous un réflexe. Si tu refuses de donner, ton camion, ne rentre pas. D’ailleurs, tu dois payer avant de faire rentrer ton camion… », indique une commerçante qui a requis l’anonymat. M. Liabi Goré, propriétaire de véhicule de marque Kia met les pieds dans le plat. Sans porter de gant, il soutient en des termes explicites la complicité des forces de l’ordre. « Certes, nous sommes dans l’inégalité, mais si tout l’argent que nous payons aux hommes en treillis et au colonel Adompo (officier des Eaux et Forêts gestionnaire du parc Ndlr) pouvait avoir des traces comptables, je pense que cet argent aiderait le gouvernement dans ses charges. Malheureusement, ça profite seulement qu’à un petit groupe d’individus…». Pour dame I. L. Chantal, dans ce trafic, les responsabilités sont partagées. « Nous-mêmes sommes conscientes que nous sommes toutes dans l’inégalité. Chacun à sa part de responsabilité. Les responsables de ce parc sont les premiers indexés, parce qu’ils ont permis que les villageois s’y installent pour cultiver la terre réservée. Ils ont des retombées sur les récoltes des planteurs. Ils nous obligent à payer, sinon nos produits ne sortent pas ; nous payons parce que nous sommes dans l’inégalité », a-t-elle révélé.

Au cœur du parc de la Marahoué

Au dire de certaines personnes, l’exploitation des ressources de ce parc a une histoire. Au début, raconte un gardien du parc, des personnes y venaient pour de simples visites. Au fur et à mesure, certains ont entamé des travaux champêtres, avant d`élire définitivement domicile en ce lieu. Sur les six kilomètres de piste qui mènent du gros village de Gobazra au parc, on ne remarque pourtant aucun indice d`une intense activité humaine au milieu de cette forêt. Et de poursuivre : « Depuis le début de l`infiltration, la destruction des arbres et la chasse sont organisées impunément. Chaque soir, des chasseurs vendent des agoutis, des biches, des gazelles aux automobilistes ou aux tenancières de maquis au sein du parc comme en ville. Ils nous racontent qu`ils ont des revenus journaliers de 20.000 à 35.000 francs CFA. D`autres préfèrent abattre les arbres pour en faire des masques. Des villageois se ravitaillent aussi en bois de chauffe et de charbon ». Du côté du parc national, les langues se délient.
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La réaction du colonel Adompo

Selon le colonel Adompo Célestin, gestionnaire dudit patrimoine que nous avons rencontré, les accusations portées contre lui et ses hommes sont sans fondement. « C’est un véritable danger qui guette cette réserve. Si rien n’est fait pour mater ce racket et procéder au déguerpissement des occupants de cette forêt, elle disparaîtra d’ici 2015. Je ne perçois rien de personnes », s’est-il justifié. Néanmoins, il a tenu à relativiser: « Ces plaintes nous parviennent de façon récurrente. Ce sont des éléments incontrôlés. Comprenez aujourd’hui que tous les Bérets verts ne sont pas forcément des agents des Eaux et forêts. Je suis au regret de le dire. Mais nous sommes un peu mélangés. Au-delà même du racket, je pense que des mesures urgentes de sauvegarde de ce parc s’imposent aux gouvernants…». Pour le colonel Adompo Célestin il faut huit cents millions de nos francs pour sauver le Parc de la Marahoué. Cette somme servira, selon le premier responsable de ce massif forestier, au déguerpissement des populations qui y vivent et au recadrage du parc. Avis au premier responsable du ministère des Eaux et forêts.

Réalisée par Olivier Yao
(Envoyé spécial dans la Marahoué)
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