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Sport Publié le jeudi 2 février 2012 | L’expression

Interview/ Gérard Dreyfus (Journaliste français) : « Pourquoi la Côte d’Ivoire doit gagner cette Coupe d’Afrique » « Le peuple ivoirien a besoin de la Coupe d’Afrique »

© L’expression Par DR
Football: CAN 2012, Préparatifs des quarts de finale/ Entrainement des Elephants et du N’Zalang Nacionale.
Malabo (Guinee Equatoriale), mercredi 02/02/2012
Ancien journaliste sportif à Radio France Inter(Rfi), Gérard Dreyfus, est un spécialiste de la Coupe d’Afrique des nations. Maintenant animateur du site de la Caf, il en est à sa 17ème participation. Le journaliste français juge la compétition à mi-parcours. Et explique surtout pourquoi la Côte d’Ivoire doit remporter cette édition.

Comment jugez-vous le niveau des matches du premier tour de la Can 2012 ?

J’aime bien cette Coupe d’Afrique parce qu’elle est organisée par deux pays qui en sont à leur première expérience. Ce qui est intéressant c’est que les deux pays organisateurs ont fait le maximum pour se qualifier dès leur 2ème match, et cela a donné un élan supplémentaire au tournoi. Or jusque-là, on ne parlait que des mêmes équipes notamment la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Sénégal etc. Je constate que depuis quelques années, il n’y a plus d’équipes en Afrique qui soient au-dessus du lot. Les dites petites équipes ont fait des progrès considérables. Quand on prend le Niger, on se demande comment a-t-il pu éliminer l’Egypte, l’Afrique du Sud. Ce pays a montré, sur le terrain, que son football a fait des progrès énormes. On a donc vu des spectacles de qualité, il y a des matches qui ont énormément fait plaisir, d’autres ont été moins bons. Pour moi, le Ghana a été décevant, il n’a rien montré de convaincant, je ne parle même pas du Sénégal qui peut terminer dernier de la Can. Concernant la Côte d’Ivoire, on dit d’oublier le spectacle pour gagner. C’est une stratégie, mais nous, en tant que spectateurs, on est un peu déçus, mais je comprends. On vient à une compétition pas pour amuser la galerie, mais pour gagner des matches et remporter le trophée. Je mets juste un bémol. Depuis plus de 30 ans que je suis la Côte d’Ivoire en Coupe d’Afrique, la seule fois qu’on a dit que l’équipe était nulle, c’est là qu’elle a gagné le trophée en 1992. La presse avait démontré que Yéo Martial et son équipe étaient nuls, qu’ils avaient fait une mauvaise préparation et j’en passe. Et les nuls ont montré que rien ne leur était impossible.

Pour vous, à quoi peut-on lier ces nivellements de valeurs des petites nations de football ?

J’estime que cela pose le problème des professionnels en Coupe d’Afrique. Dans quel état d’esprit abordent-ils la compétition ? Ils se sentent tenus de disputer la compétition, mais elle ne les arrange pas vraiment parce qu’elle intervient au moment où la plupart des championnats européens reprennent, c’est la préparation de la Ligue des Champions, de l’Europa Coupe etc. Quand un joueur, avant de venir à la Can, signe un nouveau contrat, ça veut dire qu’il va se préserver. Il ne peut pas rentrer blessé dans son nouveau club. Certains signent des contrats pendant la Can. Et les dits petits pays comme le Soudan ont progressé parce que leur sélection s’appuie sur deux clubs, Al Hillal, El Merek qui, chaque année, jouent les Coupes d’Afrique des clubs. Ils connaissent mieux le football africain que ceux qui sont à l’étranger. C’est un peu la même chose pour la Tunisie dont la plupart des sélectionnés évoluent au pays. L’Egypte a montré l’exemple en remportant trois Coupes d’Afrique d’affilée en 2006, 2008, 2010. Quand on voit les trois éditions gagnées par l’Egypte, il a toujours mal terminé, mais cela ne les a pas empêchés de gagner. Ceux qui travaillent au pays, finalement, abordent la compétition avec plus d’atouts dans leurs manches que ceux qui appellent les professionnels au dernier moment. Ces joueurs ont un problème de désir et ça pose le problème de cohésion dans leur équipe. Le joueur peut vouloir jouer et gagner, mais il y a toujours cette dualité entre les intérêts du pays et ceux des clubs employeurs. La Coupe d’Afrique est une vitrine pour certains, ils se disent que la Can peut leur permettre de signer un nouveau contrat avec un nouveau club européen. Pour moi, personne n’est au-dessus du lot.

Quand on voit les « grands » tâtonner, et ceux qu’on n’attendait pas vraiment émerger comme le Gabon, la Guinée Equatoriale, peut-on encore parler de favori à ce niveau de la compétition ?

Absolument pas. Ceux qui étaient en première ligne pour gagner la Coupe ne montrent pas grand-chose. Le Sénégal est sorti, la Côte d’Ivoire et le Ghana, je suis encore sceptique. Je n’ai pas vu dans leurs matches des équipes rayonnantes et mieux placées pour gagner la Coupe. Il faut se méfier de tout le monde. La Côte d’Ivoire pourra-t-elle se défaire de la Guinée Equatoriale ? Ce n’est pas évident. Tout est possible. Tel qu’on voit la compétition, il n’y a pas de favori qui s’impose. Je suis à ma 17ème Coupe d’Afrique, je regarde et j’essaie d’avoir une analyse lucide en regardant les équipes qui progressent d’un match à un autre, celles qui stagnent, celles portées par l’enthousiasme comme le Gabon, la Guinée Equatoriale. Ce dernier ne devrait pas passer les quarts de finale, parce que même s’ils ont la détermination, le courage, la volonté, ils sont encore un peu justes. Il leur manque de l’expérience pour arriver au niveau des autres.

Des déceptions et satisfactions à ce niveau de la compétition ?

Le Burkina Faso, le Sénégal sont les plus grosses déceptions. La seule fois que le Burkina a joué les demi-finales, c’est lorsqu’il a organisé la Can en 1998. Alors j’ai demandé aux dirigeants d’organiser une autre Can s’ils veulent aller loin. Depuis que le Sénégal a disputé les quarts de finale de la Coupe du monde, il n’a plus vraiment bougé. Des satisfactions, attendons un peu même si on peut citer la Tunisie avec un bon milieu de terrain. Finalement, c’est une Can que je trouve sympathique, parce que l’environnement est un peu moins professionnel que d’habitude où il y avait une foultitude de stars dont on ne faisait que parler. Mais là, on a le temps de regarder le football. De voir l’évolution du football sur le continent, et cela est important. La Guinée Equatoriale et le Gabon ont été des terres d’authenticité pour cette Can.

Comment trouvez-vous la prestation de la Côte d’Ivoire et de sa star, Didier Drogba, comme vous parliez de stars moins en vue à cette Can ?

C’est un peu toujours la même chose avec Didier, on compte sur ses exploits personnels pour faire la différence. Il n’est pas loin de la fin, et ce serait merveilleux que ce joueur puisse conclure sa carrière internationale par une victoire à la Can. Et surtout formidable pour un pays qui a beaucoup souffert au cours de la dernière décennie. Je souhaite ardemment que la Côte d’Ivoire gagne cette Coupe d’Afrique. Peut-être que ce trophée effacera un peu les douleurs de ces dix dernières années. Et le pays saura s’il peut repartir à nouveau de l’avant. Redevenir ce qu’il a été quand je l’ai connu dans les années 1970. On ne peut pas être sportif et ne pas regarder ce qui se passe autour. Pour le pays, ce serait formidable. Pour les autres, ce ne serait pas la même chose. En Côte d’Ivoire, la Coupe aura une valeur symbolique très forte. Maintenant, je n’ai pas de parti pris en Coupe d’Afrique. Par contre en Coupe du monde, je supporte les équipes africaines. J’ai vécu ma première Coupe du monde en 1974 avec le Zaïre. Car je me suis donné au football africain.

Vous parliez tantôt d’authenticité de la Can avec la Guinée Equatoriale et le Gabon, quel jugement portez-vous sur la première organisation du tournoi par ces deux pays ?

Je suis à la Caf, je ne suis pas habilité à porter un jugement critique sur l’organisation, j’ai un devoir de réserve. Par contre, je suis très heureux qu’on ait donné à ces deux pays l’opportunité de démontrer qu’ils étaient en mesure d’organiser la Can. Pour le reste, il appartient aux autres d’apporter un jugement sur l’organisation de la compétition.

Le président de la Caf, Issa Hayatou, est parti pour un nouveau mandat, quel commentaire ?

On m’a souvent posé cette question. Je connais Issa Hayatou depuis plus de 35 ans. Il ne s’agit pas de dire qu’on veut changer. Il faut plutôt se poser la question de savoir si quelqu’un sera capable de faire ce qu’il fait. Il a toujours servi les intérêts de l’Afrique même s’il a été souvent décrié. Je n’ai pas à le supporter, car je ne suis pas un Africain encore moins un électeur. Seulement, je regarde le bilan, j’étais là avant la plupart de ceux qui le jugent aujourd’hui. J’ai débuté dans le football africain en 1972, j’ai fait ma première Can en 1980. Vous savez, le bilan s’inscrit dans la durée. J’ai connu la génération Tessema. Pour moi, c’est la bonne personne à la bonne place. En Afrique, il faut comprendre que le poste de président de la Caf est d’une grande importance. Parce que je le considère comme un poste politique. Si le président Hayatou n’était pas là, êtes-vous sûr que les compétitions trouveraient des pays hôtes ?

Que voulez-vous dire par là ?

J’en viens. Quand il s’agit de remplacer, au dernier moment, l’Egypte pour l’organisation du tournoi des U23, il a suffi d’un coup de fil du président Hayatou pour que le Maroc prenne le relais et organiser.

Mais à votre avis, qui devait le faire ? Il n’a fait que son travail non ?

Ce n’est pas de cela qu’il s’agit.

De quoi s’agit-il alors ?

Je veux dire que chaque fois qu’il s’est agi de trouver une solution de remplacement, son réseau de relations personnelles avec des chefs d’Etat a permis de résoudre des difficultés. Et vous savez que sans les Etats en Afrique, il n’y a pas de compétitions. Parce qu’il n’y a pas de football sans l’argent des Etats. On a donc besoin d’une haute autorité qui soit une référence presque légale des chefs d’Etat pour diriger le football africain. Et pour l’heure, je pense qu’Issa Hayatou est le meilleur à cette place. Car ça demande une formation, beaucoup de compétences. Mais aussi et surtout c’est de la politique, parce que le football est d’abord politique. Au président de la Caf il faut le pouvoir de persuasion et le sens politique, c’est une notion que les gens ne prennent jamais en compte.

Donc pour vous, il doit continuer après 24 ans à la tête de la Caf ? Ne peut-on pas essayer d’autres compétences africaines ?

Bien sûr ! S’il en exprime le désir où est le problème ? Il a souvent essuyé des critiques qu’il ne méritait pas. On lui a fait de mauvais procès. Souvent, vous journalistes, vous vous êtes transformés en procureur pour juger. Pour le moment, en toute honnêteté, je ne vois pas encore se dessiner la personnalité capable de réaliser la même chose qu’Hayatou. La Caf se porte bien, y a l’argent, le football africain progresse. C’est clair, même si certains ne souhaitent que son départ.

Qui sont ceux-là ?

Non, je ne les citerai pas ! Ils se reconnaitront s’ils vous lisent. La dimension politique du président de la Caf est fondamentale. Que les gens le sachent.

Vous souhaitez que la Côte d’Ivoire remporte la Coupe d’Afrique, qu’est-ce que ce trophée pourrait représenter pour le peuple ivoirien et son président à vos yeux ?

Pas pour le président Ouattara, mais surtout pour la population ivoirienne. Ce trophée réapprendrait le vivre ensemble aux Ivoiriens. Au-delà de toutes les divergences, c’est une population qui a beaucoup souffert. Je suis très souvent venu en Côte d’Ivoire, je n’ai pas compris ces excès de haine, ce n’est pas possible. J’ai connu la Côte d’Ivoire en 1970, un pays en plein développement qui rayonnait en Afrique, cet élan s’est brusquement brisé.

Depuis 20 ans, rien n’a plus bougé. Je pense que le président Houphouët-Boigny s’est retiré trop tard, et cela a créé des problèmes de succession. Il s’était retiré un peu plus tôt, il aurait été le premier Mandela de la génération. Mais bon, on ne refait pas l’histoire. Je crois que si la Côte d’Ivoire gagne, les gens vont reprendre confiance dans le pays. Le plus important, il faut que les Africains se fassent et travaillent ensemble au-delà de leurs différences et divergences. Donc si les Eléphants gagnent cette Coupe d’Afrique, ça va être un moment de bonheur après tant de souffrances. Ce sera le début d’une ère nouvelle et peut-être un des grands facteurs de la réconciliation nationale. La Côte d’Ivoire est le pays africain où je suis passé le plus, pour ça j’y ai droit à une carte de fidélité !

Interview réalisée par Tibet Kipré, à Malabo
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