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Société Publié le jeudi 15 mars 2012 | Le Patriote

Enquête / Avancée de la mer détruisant les côtes : Abidjan et Grand-Bassam menacées de disparition

© Le Patriote Par Franck Danon
Intempérie : Les installations touristiques de Bassam endommagées par la mer.
Plusieurs établissements touristiques de Bassam dont l`hôtel Etoile du sud et le térézo ont subi des dégâts du fait de la montée de la mer.
L’avancée de la mer, du fait de l’érosion côtière est réelle. Dans la ville balnéaire de Grand-Bassam, l’Océan a gagné plus de 100 mètres sur le continent, de 1960 à ce jour. Dans leur progression, les vagues troublent constamment la quiétude de milliers d’habitants dont les villes et villages sont à chaque bouleversement, menacés de disparition. Enquête.
24 août 2011. Les populations vivant sur le littoral à Port-Bouët sont surprises dans leur sommeil par l’eau de mer. Cette montée des eaux se reproduit le lendemain et le surlendemain toujours dans la nuit. A la suite du passage des vagues folles, même si fort heureusement, aucune perte en vie humaine n’est signalée, les dégâts matériels sont importants: des rangées de maisons ont été totalement englouties. En bordure de mer, les sinistrés impuissants, regardent partir sur l’eau, au petit matin du 25 août 2011, leurs biens: appareils électro ménagers, matelas, ustensiles de cuisine, etc. Le spectacle est désolant à tout point de vue. Les populations installées en bordure de mer dans la zone allant du quartier Gonzagueville à Jean Folly en passant par l’escale des Princes jusqu’à la limite d’Adjouffou, ont été les plus éprouvées. «Dans cette zone, ce sont 187 logements qui sont entraînés par les eaux, le premier jour », conte avec tristesse, la présidente du collectif des victimes du raz-de-marée de Port-Bouët, Philomène Kacou Agnimou épouse Grobo. « Là, ce sont trois rangées de maisons qui sont tombées dans l’eau, au fur et à mesure, les pans qui restaient s’effritaient », poursuit-elle. A la date du 6 février, ce sont, au total, 1047 familles qui ont été touchées à Port-Bouët par le phénomène, selon le collectif des victimes de la commune.

Menace de la mer

Lorsque les vagues se déchaînaient et troublaient la quiétude des riverains sur le littoral à Port-Bouët, elles menaçaient au même moment, plusieurs personnes dans le département de Grand-Bassam. « Les vagues venues ces jours -ci étaient très fortes. Elles faisaient vraiment peur », soutient Kodjané, un originaire du sous-quartier Fanti de ‘’la ville historique’’, ancienne capitale du pays, que nous avons trouvé marchant en bordure de mer. Il fait savoir que l’avancée de la mer est une réalité en ce sens que, précise-t-il, ‘’lorsque nous étions enfants, l’eau était vraiment loin d’ici (Ndlr : lieu où on se trouvait)’’. Il ajoute que les nombreux cocotiers qui se dressaient sur la rive ont été avalés par les eaux. Le président des hôteliers, restaurateurs de Grand-Bassam, Ablé Jacques-Alain s’appuyant sur les dégâts de la dernière catastrophe, confirme la menace de l’avancée de l’Océan Atlantique. « Tous les hôtels de la plage ont été touchés. Transats, lampadaires, instruments de protection de la plage, tout est parti », déplore-t-il. Et de préciser que les dégâts ont été proportionnels à l’occupation que les hôteliers ont faite par rapport à la mer. « Ceux qui avaient les piscines et des clôtures un peu avancées ont été détruites », confie-t-il. Selon lui, les dégâts ont été considérables. Nombre d’opérateurs ont perdu entre 12 et 15 mètres de plage lors de ces derniers bouleversements. Le directeur technique de la mairie de la première capitale de la Côte d’Ivoire, Bakayoko Kassoum, conforte l’ampleur des dégâts occasionnés par l’Océan. « De Mondoukou à Azuretti, toute la zone a été touchée.», relève-t-il. L’avancée de la mer, en raison de l’érosion côtière, est une réalité. Et cela est ressenti tout au long du littoral. « Pendant la période de mauvaise mer, l’Océan a gagné de 15 à 20 mètres sur le continent à Bassam », relate le patron du service technique de la collectivité territoriale. Il poursuit pour dire que de 1960 à nos jours, la mer a gagné plus de 100 mètres sur le continent. Cela ne fait l’ombre d’aucun doute. L’Océan se rapproche davantage de la côte et des villages. L’avancée de la mer est une certitude pour Abraham et ses parents qui vivent à Jean Folly (Port-Bouët). Alors que la distance qui séparait leur concession de la mer était de l’ordre de 100 mètres il y a de cela une dizaine d’années, elle est aujourd’hui de moins de 10 mètres.

Cette poussée de la mer s’explique, selon les Océanologues. Le spécialiste en questions environnementales, Lombardo Cédric est formel sur la question : « Vous avez une érosion mécanique, permanente. Chaque année, le long du littoral, la mer gratte et elle dépose un peu de sable. Comme elle a tendance à gratter beaucoup plus qu’elle ne dépose de sable, on assiste à une érosion côtière », affirme-t-il. A ce phénomène permanent, s’ajoutent, selon lui, des phénomènes exceptionnels assez rares qui font des percées sur la rive. C’est un bouleversement pareil qui est survenu au mois d’août 2011 et qui a provoqué la disparition de 25 mètres du littoral et 2 mètres d’épaisseur de la plage. Une véritable menace. « Si on a encore deux ou trois érosions exceptionnelles comme celle qu’on vient de vivre, peut-être que c’est toute la plage qui va disparaître », s’inquiète le spécialiste. Pour certains observateurs, il y a de quoi craindre pour l’avenir, face à ces bouleversements surtout quand on fait une projection dans l’avenir. Si les choses restent en l’état et qu’on considère que chaque année on perd en moyenne, près d’un mètre de terre du fait de l’érosion permanente, il est certain que dans 20, 30 ans, Abidjan, Grand-Bassam et d’autres villes de Côte d’Ivoire n’existeront plus.

Devant cette réalité, le rapprochement de l’Océan des lieux d’habitation s’avère inquiétant. Les populations d’Azuretti apeurées et craignant de voir leur village disparaître sous l’effet de l’érosion côtière exceptionnelle comme celle qui s’est produite en août 2011, ont même saisi l’autorité municipale de l’ancienne capitale coloniale relativement à cette menace.

Proximité des domiciles

Avec le rapprochement de la mer de la côte, il n’existe pratiquement plus de distance de sécurité entre les vagues et les habitations. Le domaine public maritime n’est plus respecté. La contigüité de la clôture du domicile de dame Philomène Kacou Agnimou épouse Grobo à Gonzagueville avec la mer, en est un témoignage patent. La proximité des domiciles de l’Océan fait vraiment peur, aujourd’hui. Le visiteur qui arrive ces temps-ci en bordure de mer à Gonzagueville et à Jean Folly (Port-Bouët) pour la première fois, est tout de suite frappé par le rapprochement des maisons de l’eau. Une vie à risque aux antipodes de la réglementation en vigueur. Pour certains observateurs, le non respect du domaine public maritime n’est toujours pas le fait des populations. D’ailleurs, sur la convenance de la vie sur le littoral, la réponse du Directeur technique de la mairie de Grand-Bassam est toute simple. « Les villages tels Azuretti et Mondoukou sont des sites naturels qui étaient là depuis belle lurette et en conséquence, les gens sont autorisés à y vivre », tranche-t-il. Relativement à l’occupation du domaine public maritime, il indique que ces riverains autorisés à l’époque à vivre là où ils se trouvent parce que des dispositions avaient été prises, ont été simplement victimes des aléas de la nature. « Au fur et à mesure que les années passent, l’Océan gagne du terrain sur le continent et c’est ce qui donne l’impression que le domaine public maritime n’est pas respecté alors qu’il l’était à l’origine », clarifie le responsable technique de la collectivité territoriale qui ne manque pas de préciser que ces gens là vivaient à ces endroits depuis des vingtaines voire des trentaines d’années. Cela fait certes longtemps que ces villages sont là. Mais le droit de se loger ne doit pas faire oublier le danger que représente la vie sur certains de ces lieux. A Port-Bouët par exemple, le danger est réel du fait de la fragilité du littoral composé essentiellement de sable. « Nos côtes se sont fragilisées parce qu’il y a trop d’activités au niveau du littoral », reconnaît le professeur Ochou Abé Delfin, Directeur général de l’Environnement au ministère de l’Environnement et du développement durable. Selon qui, le rapprochement excessif des êtres humains de la mer est un danger permanent.
En dépit du danger, particulièrement à Port-Bouët, certains sinistrés qui avaient même déserté le littoral vu les risques, reviennent s’y installer agissant comme s’ils défiaient à la limite les vagues. D’autant que la plupart d’entre eux vivent dans les restes de bicoques qui ont été presque totalement emportées par les eaux en août 2011. Les concernés, s’expliquent difficilement cette présence dangereuse. Rigobert Miassi de nationalité togolaise fait partie des téméraires. Sa bâtisse de huit pièces de l’époque, située à Gonzagueville Corridor a été engloutie dans sa presque totalité par le raz-de-marée. Seule une pièce qui présente des fissures, a échappé à ce triste sort. Ses locataires qui ont presque tout perdu sont allés élire domicile ailleurs. Le maître des lieux a évacué son épouse et leurs quatre enfants au lendemain du déluge. Sa compagne et les deux plus petits enfants ont rejoint ses beaux-parents. Les deux autres enfants ayant respectivement 12 et 16 ans sont confiés à des amis au quartier Jean-Folly. Le père de famille que nous avons surpris en train de colmater un pan de la fondation de sa concession balayé par l’eau de ruissellement quelques semaines après le déluge, lui n’est jamais parti de là. Motif évoqué : il n’a eu aucun point de chute. En dépit du danger certain, le sieur Rigobert Miassi va par-dessus le marché, chercher à la rentrée des classes, ses deux enfants, les plus âgés qui le rejoignent. Sa progéniture partage avec lui, la seule pièce qui a été miraculeusement épargnée lors de la catastrophe. « Je les ai ramenés ici pour qu’ils soient proches de leur école », se défend-il. A la question de savoir s’il n’a pas peur de vivre dans cette zone, notre interlocuteur dit se confier à Dieu. Un comportement irresponsable, dirait-on. Comme ces deux enfants, nombre d’infortunés sont revenus depuis quelques temps sur le site sinistré. « Quand la mer a détruit nos maisons, je suis allé vivre avec des amis à Jean-Folly. Mais depuis quatre mois, je suis revenu parce qu’on ne peut pas vivre indéfiniment chez quelqu’un d’autre », argumente Narcisse Konan, un autre infortuné vivant sur le site. Pour la présidente du collectif des victimes de Port-Bouët, les sinistrés agissent ainsi parce qu’ils n’ont pas le choix. « Nous avions hébergé les victimes dans la solidarité africaine. Elles partageaient tout avec leurs tuteurs. Mais avec la promiscuité on assiste de temps en temps, à des énervements. Et quand les gens n’arrivent plus à se contrôler, ils préfèrent retourner sur les ruines que de rester là à subir des humeurs », justifie-t-elle ces mouvements de retour.

Kouadio Emmanuel qui exerce une profession libérale vit également avec son épouse et leurs trois enfants dans une bicoque à quelques mètres de l’Océan. Ayant fui auparavant le littoral, les membres de cette famille qui évoquent un manque de moyens financiers pour justifier leur retour, ont choisi de venir vivre à nouveau dans la baraque qu’ils occupaient par le passé. Attendant un appui des autorités locales ou nationales. « Si le gouvernement trouve un autre site pour nous, on va aller se débrouiller là-bas », souhaite-t-il ardemment. Une vie véritablement à risque surtout qu’entre l’Océan et cette habitation de fortune, aucun moyen de protection n’existe. Seul un dépôt sauvage d’ordures créé à deux pas de la bicoque sépare les deux entités. Pendant les échanges, notre interlocuteur nous informe que la maison qui se trouvait entre sa baraque et la mer a malheureusement disparu. Malgré la dangerosité de cet endroit, il se dit serein. On le voit, le risque que courent certains riverains est grand.

Limiter les dégâts

La question de l’érosion côtière est préoccupante, aujourd’hui. Le Directeur technique de la mairie de la ville historique qui en est conscient, tire la sonnette d’alarme en ces termes : « Si nous ne prenons garde, le quartier administratif de Grand-Bassam qu’on appelle quartier ‘’France’’ pourrait disparaître ».

Imaginons un seul instant que des catastrophes similaires à celle du mois d’août 2011 se reproduisent. Que deviendraient les personnes qui dorment dans des baraques à proximité de la mer ? Le danger est certain.

C’est pourquoi, il faut agir en bâtissant les ouvrages et infrastructures qu’il faut pour assurer la défense du littoral. La construction de jetées d’arrêt de sable, comme le conseille M. Lombardo Cédric, expert en Environnement pourrait, dans ce cadre, être bénéfique à plus d’un titre.

Cette solution, même si elle n’est pas la solution définitive, aura le double avantage de permettre de protéger l’environnement fortement menacé et de préserver de nombreuses vies humaines. Mais, avant même la fin des études et la mise en route de ces projets dont les coûts sont élevés, quelque chose mérite d’être fait dans l’urgence pour la protection des riverains.

Il est nécessaire d’agir dans l’urgence pour éviter l’irréparable. C’est pourquoi l’œuvre du comité interministériel mis en place pour se pencher sur la question du littoral doit être consolidée. A ce niveau, il faut saluer la mission d’experts hollandais venue à l’invitation du ministère de l’Environnement et du Développement durable et qui a fait une première analyse de terrain. Dans ce schéma, les études techniques qui doivent être réalisées par le CIAPOL (centre ivoirien anti-pollution) avec l’Université de Cocody, le CURAT (centre universitaire de recherche et d’application en télé-détection), pour pouvoir mesurer, quantifier et analyser le phénomène et qui vont certainement mettre du temps, doivent être boostées. En plus, si un recasement et un déguerpissement sont prévus comme l’affirment certains sinistrés, ils doivent se faire le plus vite possible pour ne pas que, comme le dit la présidente du collectif des victimes de Port-Bouët, ‘’le pays ait à nouveau des morts sur la conscience’’. Nous avons déjà enregistré trop de morts du fait de la crise post-électorale, lors de graves accidents de la circulation et même par noyade. Si des riverains de la zone à risque doivent être évacués, c’est le moment de le faire. Surtout que les infortunés disent attendre les mesures et l’appui du gouvernement. Les autorités sont averties.

COULIBALY Zoumana
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