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Politique Publié le vendredi 1 juin 2012 | Le Patriote

Imam Aboulaye Camara : “Comment les miliciens ont tué mes cinq fils en quelques minutes”

Il est l’une des grosses victimes de la crise postélectorale en Côte d’Ivoire. L’imam, Camara Abdoulaye du quartier Mami Faitê dans la commune de Yopougon, a perdu dans la matinée du 12 avril, ses cinq fils. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, l’homme de Dieu revient sur ces évènements tragiques. Les miliciens de l’ancien président, Laurent Gbagbo, ont été selon lui, sans pitié pour sa famille. Cependant, il se dit prêt pour la réconciliation nationale.
Le Patriote : Vous avez perdu 5 enfants pendant la crise postélectorale. Est-ce que vous pouvez nous dire comment les évènements se sont passés?
Camara Abdoulaye : Je suis un imam. Mes premières paroles vont à l’endroit des dignitaires de notre communauté, notamment le Cheick Boikary Fofana et ses collaborateurs. Sans eux, la Côte d’Ivoire allait sombrer dans une guerre religieuse. Les miliciens de Gbagbo prenaient constamment les musulmans comme cibles. Depuis la fin du second tour de l’élection présidentielle en novembre 2010, ils ont juré ici à Mamie Faitê, de faire la peau aux Dioula et aux musulmans. On croyait à un jeu. Mais en réalité, ils ont mis cette menace à exécution. Tous les jours, ils commettaient des exactions sur nous. Ils tuaient sans scrupule jusqu’au 11 avril 2011. Après l’arrestation de Laurent Gbagbo, nous avons vécu l’enfer sur terre. Dans la nuit, ils ont investi le quartier. Dans leur colère, ils tiraient dans tous les sens. Ils arrosaient les gens. 18 personnes ont été arrêtées et arrosées. Toute la nuit, ils ont semé la mort. C’était horrible. C’était l’enfer sur terre.

LP : Avez-vous tenté de sortir et de fuir le quartier?
CA : On avait envie de quitter le quartier. Mais comment y arriver? Ils étaient partout. Ils procédaient à la vérification des identités et tous les malinkés arrêtés étaient systématiquement éliminés. Dans ce contexte, nous étions obligés de rester à la maison. Le mardi 12 avril, je me rappelle comme si c’était hier, les miliciens ont envahi ma cour. Ils étaient accompagnés par des jeunes du quartier que je connais bien. Il était 9 heures quand ils sont arrivés. Ils disaient : «ils ont voté le mossi, nous allons les tuer avant qu’il ne prenne le pouvoir». Depuis ma chambre, je voyais à travers la fenêtre des jeunes guéré excités qui en voulaient terriblement aux Dioula. Ils soutenaient que les FRCI ont tué les guéré et qu’il fallait qu’ils rendent leur coup en tuant tous les Dioula qu’ils rencontrent. Toutes les portes étaient fermées. Ils ont escaladé la clôture pour avoir accès à la cour. Là, j’ai découvert toute leur cruauté, leur sauvagerie et barbarie. Le premier qui a atterri dans la cour, je le connais, on l’appelait ‘’Katata’’. Il était ramasseur d’ordure dans le quartier avant la crise postélectorale. Une fois dans la cour, ils ont forcé les portes. Ils nous ont d’abord arraché l’argent, les cellulaires, les objets de valeur. Ils ont fouillé toutes les chambres et ont tout pris. On pensait qu’après cela ils allaient se retirer. J’ai été surpris de voir qu’après ce forfait, ils ont obligé mes trois fils à se coucher. En quelques minutes, ils ont anéanti toute ma vie. Ce sont ces fils qui partaient chaque jour travailler pour que nous puissions nous nourrir convenablement. Ils ont tous été abattus sur le champ. Ils ont reçu chacun sous mes yeux, deux balles. Une dans la poitrine, une dans la tête. Après l’assassinat des trois, un des miliciens a dit qu’il restait encore deux. Ces deux étaient cachés dans la douche. Ils les ont retrouvés et tués comme leurs frères. Après quoi, un des tueurs a lancé ceci : «On nous a signalé cinq garçons chez l’imam. On a tué les cinq. C’est fini. On peut partir maintenant». Pendant ce temps, tout le quartier était à feu et à sang. Les habitants qui couraient chez l’imam pour expliquer leur malheur tombaient sur la boucherie et retournaient chez eux sous le choc. Quand il y a eu une accalmie nous en avons profité pour fuir. Ils ont tué tous mes fils. Ils avaient entre 25 et 29 ans. Mes fils ont été massacrés sous mes yeux. Je ne peux jamais oublier ce jour. Je peux peut-être pardonné. Mais il est quasiment impossible pour moi d’oublier cet évènement.

LP : Mais, il est aujourd’hui question de réconciliation nationale. Etes-vous prêt à cela?
CA : Nous, nous sommes prêts à ce combat depuis bien longtemps. Au cours de la crise postélectorale, quand les miliciens s’attaquaient aux nordistes et aux musulmans, les chefs de la communauté nous ont demandé de ne pas réagir. Ils ont brûlé nos mosquées. Mais le Cheick Boikary Fofana nous a recommandé la retenue. C’est ce que nous avons fait. Nous avons toujours mis Dieu au devant de nos actes. Boikary Fofana nous a dit de ne pas brûler d’Eglises ni de tuer un chrétien. Nous avons sensibilisé nos enfants au respect de cette consigne. C’est pourquoi, quand ils ont massacré mes fils, j’ai dit que c’est Dieu qui a permis cela et que c’est le même Dieu qui me rendra justice. C’est uniquement Dieu qui me rendra justice. Donc moi, je suis prêt pour la réconciliation nationale prônée par les autorités.

LP : Nous avons appris que vos cinq fils après leur assassinat ont été brûlés par la suite. Est-ce vrai?
CA : (Long silence avant d’écraser les larmes qui coulaient sur ses joues). C’est la vérité. Ils ont été tués dans la matinée et nous sommes restés enfermés jusqu’à 16 heures. Mes femmes qui étaient dans ma chambre n’ont pas assisté à l’évènement tragique. Donc elles n’étaient pas informées de la mort de mes fils. Je ne voulais pas qu’elles sachent. J’ai donc pris le soin de mettre les corps dans une chambre après le retrait des tueurs. Quand on a décidé de partir, j’ai rencontré un groupe de ceux qui ont tué mes enfants. J’ai eu peur. J’ai pensé qu’ils venaient me tuer. A ma grande surprise, ce sont les corps de mes fils qu’ils sont venus chercher. Mais j’ai refusé de livrer les corps de mes enfants. Ils ont décidé enfin de me laisser aller informer mes parents. Ils m’ont conseillé de revenir le lendemain, c’est-à-dire mercredi pour l’enterrement de mes enfants. Je devais venir seul. Je suis allé au centre social de Port-Bouët II où étaient stationnées les FRCI. J’étais décidé à retourner pour enterrer les enfants. Mais les FRCI m’ont déconseillé cela. Ce même mercredi, les miliciens sont venus chercher les cinq corps et ils les ont brûlés. J’ai passé 26 jours au centre social de Port-Bouët II. C’est le 6 mai 2011 que je suis revenu à la maison. Je suis venu trouver devant ma cour les os des mes enfants. C’était encore plus douloureux. Ils ont tué mes enfants. Ils ne se sont pas arrêtés là. Ils ont brûlé les corps. Quelle atrocité ! Mais moi, je suis confiant que Dieu me rendra justice. J’ai pardonné mais, je ne peux jamais oublier ce qui s’est passé.

LP : Vous dites que vous reconnaissez ceux qui ont massacré vos enfants. Est- ce que vous en avez rencontré depuis la fin de la crise postélectorale?
CA : Non ! Ils savent ce qu’ils ont fait et que les habitants les reconnaissent. Depuis la fin de la crise, ils sont partis du quartier. Ils ne sont pas encore revenus. Cependant, nous n’avons rien contre eux. C’est par peur de représailles qu’ils ont quitté le quartier. Nous nous sommes engagés pour la réconciliation nationale.

LP : Quel message avez-vous pour les autorités et le peuple ivoirien?
CA : Je demande à tous les Ivoiriens de s’inscrire dans la dynamique de la réconciliation nationale et de la paix. Epaulons la commission dialogue, vérité et réconciliation pour la stabilité de notre pays, gage de tout développement. La Côte d’Ivoire a traversé des moments terribles. Mais le passé, c’est le passé. Nous devons dépasser nos souffrances, nos peines, nos pertes pour nous orienter vers l’avenir. C’est la volonté de Dieu qui s’est exprimée. Nous devons comprendre cela. Ce qui est aujourd’hui important, c’est de tirer les leçons de ce qui s’est passé afin que ces crises ne se reproduisent plus jamais dans notre pays.
Réalisé par Lacina Ouattara
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