x Télécharger l'application mobile Abidjan.net Abidjan.net partout avec vous
Télécharger l'application
INSTALLER
PUBLICITÉ

Économie Publié le mardi 26 juin 2012 | Le Patriote

Interview / Pr. Bamba N’Galadjo : “Le deuxième miracle économique aura lieu”

Pr. Bamba N’Galadjo, commissaire macro-économique à la commission de la Cedeao pour le compte de la Côte d’Ivoire, a terminé, depuis trois mois, sa mission au sein de cette structure. Nous l’avons rencontré pour qu’il fasse le bilan de son passage à la Cedeao mais aussi pour qu’il se prononce sur l’économie ivoirienne. Entretien avec celui qui a géré ce département de février 2007 à février 2012.
Le Patriote : Vous avez été Commissaire chargé des politiques macro-économiques. Quels sont les chantiers intégrateurs qui ont été menés sous votre mandat ?
Bamba N’Galadjo : J’avais en charge, essentiellement, trois grandes directions. D’une part la direction de la Surveillance multilatérale dont l’objectif principal était d’aider la région Afrique de l’ouest, c`est-à-dire la CEDEAO, l’ensemble des 15 Etats, pour mettre en ?uvre les programmes de coopération militaire de la CEDEAO. Ils avaient pour objectif ultime, d’arriver à créer une monnaie unique en Afrique de l’Ouest. Dans cette région, dans une première zone nous avons 8 Etats qui utilisent la même monnaie : le franc CFA. Les 7 autres pays utilisent chacun leur propre monnaie. L’idée est qu’à terme, et cela est inscrit dans le traité de la CEDEAO, qu’ils puissent arriver à utiliser une seule monnaie dans tout cet espace (Ndlr : 2020). La monnaie qui va être retenue pourrait être le franc CFA ou une autre monnaie et également là, il est possible qu’on puisse renoncer à cette monnaie et créer totalement une nouvelle monnaie. Le deuxième grand chantier qui m’était confié, c’est celui de la Promotion du secteur privé en Afrique de l’Ouest. Avec une grande direction de la promotion du secteur privé de la CEDEAO. L’idée était de faire en sorte que notre région puisse connaitre un environnement des affaires qui soit viable et qui puisse permettre aux opérateurs économiques d’un pays quelconque de pouvoir travailler sur l’ensemble des 15 Etats membres. C’est dans ce cadre que nous avons mis en place le marché commun des investissements de la CEDEAO qui a été adopté par la conférence des chefs d’Etats. Objectif : faire en sorte qu’un investisseur ivoirien qui veut investir au Nigéria, au Ghana, puisse bénéficier des mêmes avantages comme s’il était originaire de ce pays et vice-versa. Avoir également un bon environnement des affaires pour attirer les investisseurs étrangers. Je m’occupais aussi de la recherche et des statistiques. Si vous voulez faire un développement régional, il est bon d’avoir de bonnes informations statistiques sur l’ensemble de la région. Il fallait arriver à produire des statistiques régionales mais amener les Etats eux même à produire de très bonnes statistiques. Tous ces programmes étaient sous ma responsabilité.

L.P. : Quel bilan peut-on alors faire de votre passage ?
B.N. : Je peux dire que le bilan est positif. Il est ressorti l’impulsion d’une nouvelle dynamique, notamment au niveau du grand département des politiques macro-économiques. J’en veux pour preuve, tous les ministères de l’Economie et des Finances des 15 Etats membres qui sont aujourd’hui engagés dans le programme de convergence macro-économique de la CEDEAO. Et nous avons pu organiser tout le secteur privé régional. C’est ainsi qu’on a pu créer les grandes fédérations du secteur privé, comme la Fédération des patronats de l’Afrique de l’Ouest, présidé par la Côte d’Ivoire. Ensuite, on a créé la fédération des manufacturiers de l’Afrique de l’Ouest, présidée aujourd’hui par le Nigéria, la vice-présidence étant assurée par la Côte d’Ivoire. On a également créé, la fédération des femmes d’affaires de l’Afrique de l’Ouest qui fonctionne et dont la présidence est assurée par le Togo, et vice présidence, par la Côte d’Ivoire. Nous avons même mis en réseau, l’ensemble des Centres de promotion de l’investissement de l’Afrique de l’Ouest à travers une association et l’Association des agences de promotion de l’investissement de l’Afrique de l’Ouest et l’ensemble des codes d’investissements. Toutes ces organisations ont été pour les unes, créées, pour les autres, redynamisées, et fonctionnent aujourd’hui.

L.P. : Mais que s’est-il passé pour que vous rentriez à la ‘‘maison’’ ?
B.N. : Mon mandat est terminé. Il était de quatre ans non renouvelables pour l’ensemble des commissaires. Il s’agit d’une commission de 9 membres et chacun des commissaires, y compris le président et le vice président, avaient un mandat de quatre ans non renouvelable. Nous avons même eu une année supplémentaire. Nous devrions finir depuis février 2011 mais compte tenu du fait que la conférence des chefs d’Etat n’avait pas encore pu attribuer les postes aux différents pays, une année supplémentaire nous a été accordés.

L.P. : Vous rentrez désormais chez vous, en Côte d’Ivoire. Que pouvez-vous apporter à ce pays qui a de nombreux défis à relever ?
B.N. : L’expérience que j’ai eue au niveau de la CEDEAO, les chantiers que j’ai mis sur pied au niveau de cette organisation sont des atouts non négligeables. Sur beaucoup de ces chantiers, la Côte d’Ivoire, compte tenu de la situation de conflit, n’a pas bénéficié de l’essentiel de ces programmes. Il y a un programme essentiel que je n’ai pas énuméré. Il s’est agit de créer ce que nous avons appelé les nouveaux partenariats. C’était des négociations très fructueuses. Pour preuve, jusqu’à ce jour, on n’a même pas pu conclure ces négociations par l’Accord de partenariat économique et il nous est apparu opportun de regarder d’autres types de partenariat que nos pays peuvent avoir. Il est vrai, l’union européenne est notre principal et gros partenaire aujourd’hui. Mais il y a de nouveaux Etats émergents dont la Chine, le Brésil et l’Inde qui sont des pays où les technologies sont relativement beaucoup plus proches de nous. C’est dans cette optique que nous avons initié des négociations avec les grands pays émergents. L’on a instauré un partenariat avec la Chine et dans ce cadre, nous avons entendu parler au niveau de la Côte d’Ivoire, de plusieurs missions de la Chine. Dans ce cadre là, un certain nombre de projets peuvent être financés par la Chine, en prime, des partenariats d’affaires avec les opérateurs chinois. Pour un programme de ce type que nous avons négocié, un pays comme le Ghana a pu obtenir des projets. Les négociations sont terminées pour un montant d’investissement de l’ordre de 5000 milliards de dollars que la chine va investir au Ghana. Cet investissement concerne la construction d’autoroutes, de centres hospitaliers universitaires, de ponts, de routes, de côtière. Pour un pays comme la Sierra Léone, on était au moment où je partais, à 3000 milliards de dollars d’investissement négociés avec la Chine. Pour la Côte d’Ivoire, les opérateurs et officiels chinois m’avaient exprimé nettement que pour eux, l’une des entrées principales qu’ils recherchaient, c’était justement ce pays. Malheureusement, nous n’avons pas pu avoir quelque chose pendant cette période. Avec le Brésil, nous avons fait un même type de partenariat qui a été signé. Là aussi, il faut qu’au niveau de la Côte d’Ivoire, nous puissions mettre en place une stratégie pour exploiter les avantages de ce type d’accord. L’Inde a exprimé un fort intérêt pour la Côte d’Ivoire. Il nous faut adopter une bonne stratégie pour exploiter toutes ces opportunités qui sont là au niveau de la CEDEAO. Ce sont des opportunités qui existent. Et je pense modestement que je peux encore être utile pour travailler sur ces questions.

L.P. : Le président Ouattara entend faire de la Côte d’Ivoire, un pays émergent à l’horizon 2020. Comment y arriver selon vous ?
B.N. : Quand on parle de pays émergents, il s’agit d’un ensemble de pays qui sont sur la voie de la croissance, du développement et dont on estime qu’ils ont atteint un niveau de taux de croissance qui ne peut que continuer à s’élever. La Côte d’Ivoire peut devenir un pays émergent. Il faut faire en sorte que la croissance puisse s’accélérer et qu’elle atteigne un niveau tel qu’il y ait une dynamique qui entraine tout le monde dans le sens du progrès. D’où un certain nombre de stratégies, de politiques d’orientations des différents acteurs économiques. Dans chacun des pays, il faut repérer les postes où bâtir véritablement les stratégies. Il faut repérer également les faiblesses. Quand vous élaborez une stratégie, elle doit vous permettre de savoir où aller et comment contourner les obstacles. Il faut avoir tous ces éléments disponibles avant de s’engager. Pour la Côte d’Ivoire, on sait que jusque là, c’est notre Agriculture qui a été le grand moteur. A ce niveau, les éléments qui tirent un peu plus c’est la filière café-cacao, aujourd’hui l’anacarde s’ajoute et encore les secteurs fruitiers avec l’ananas, la banane. Il faut arriver à adopter des politiques qui feront que toutes ces filières puissent aller dans la même dynamique et que malgré les perturbations au niveau des marchés internationaux sur l’une ou l’autre de ces filières, les autres puissent compenser et permettre à la dynamique de continuer. C’est ce genre de politique qu’il faut élaborer. Il faut avoir également des mécanismes de redistribution de la richesse. Le pays peut produire beaucoup de richesses mais s’il n’y a pas de mécanismes qui permettent que cette richesse redescende pour arriver aux populations, on ne sentira pas les effets.

L.P. : Quels sont ces mécanismes ?
B.N. : Les mécanismes, c’est de savoir comment organiser l’ensemble de ces filières pour faire en sorte que lorsque ces produits sont écoulés sur les marchés internationaux, les revenus qu’on obtient puissent être redistribués et atteindre tout le monde. La richesse doit rester dans ce pays sinon l’on ne sentira pas les effets. Il faut donc des mécanismes qui permettront aux de ressentir les effets. Et c’est ce qu’on est arrivé à faire notamment avec les prix garantis aux producteurs de café-cacao.

L.P. : En tant qu’expert, quel regard portez-vous sur l’économie ivoirienne ?
B.N. : Quand le coup d’Etat de 1999 est intervenu, l’économie ivoirienne est entrée dans une période très difficile. De 2000 jusqu’à 2011, c’est sur cette période que l’on a pu constater de temps en temps des taux de négatifs. Cela a été une période difficile pour l’économie ivoirienne. Et là encore, ce qui est frappant, quand on regarde par rapport à la sous-région, c’est que depuis 2000 jusqu’à aujourd’hui, l’ensemble de la CEDEAO a connu des taux de croissance positifs et jamais les taux de croissance de notre région n’ont été aussi élevés quand on prend depuis l’indépendance jusqu’à maintenant. Donc de 2000 jusqu’à 2012, tous les taux de croissance ont été positifs sauf en Côte d’Ivoire. Ca veut dire que pendant que les autres pays partaient plus vite que nous, au contraire, nous, on reculait. Mes les perspectives de la Côte d’Ivoire sont très bonnes. Déjà après ce qui s’est passé en 2011, nous avons pu nous projeter avec des taux de croissance de plus de 8%. C’est exceptionnel. Et je pense même que qu’après 2013, si cette dynamique se poursuit les taux vont devenir de plus en plus forts et la Côte d’Ivoire aura la possibilité de rattraper d’autres pays. Mais malgré cette situation difficile, la Côte d’Ivoire a continué à soutenir la sous-région, en particulier le franc Cfa. C’est le seul pays qui n’a pas eu de force extérieure déficitaire même pendant les dix ans de crise. C’est ce qui a fait que pendant cette période, l’on n’a pas parlé de dévaluation. Mais si l’économie de la Côte d’Ivoire n’avait pas de fondamentaux solides, on aurait déjà connu deux à trois dévaluations. C’est dire que les fondamentaux sont là et ce que tout le monde attend, c’est la mise en ordre de l’économie ivoirienne. Tout le monde est convaincu qu’on va rebondir et probablement, le deuxième miracle économique aura lieu.

L.P. : Mais avant d’en arriver-là, il faut lutter contre la cherté de la vie ?
B.N. : L’analyse la plus claire que je peux faire sur la cherté de la vie, est qu’il y a un déséquilibre entre l’offre et la demande. C’est parce que ce que des personnes veulent acheter en Côte d’Ivoire n’est pas suffisamment produit dans leur pays que les prix continuent de s’envoler. Mais quand on regarde beaucoup plus en détail, c’est le panier de la ménagère qui constitue l’alimentation. Or, quand on regarde bien cette cherté, elle a démarré depuis la crise alimentaire. Il y a eu trois crises qui se sont succédées : la crise immobilière en 2008, la crise alimentaire et ensuite la crise financière. Beaucoup de décisions ont été prises mais les prix n’arrivent pas à redescendre et il y a cette résistance qui fait que pour redescendre, c’est très difficile. Donc, c’est ce premier phénomène qui fait que les prix du riz, du sucre et autres n’arrivent pas à redescendre quand les prix montent. La solution pour en sortir est de libérer l’offre. En ce qui concerne le riz, il faut qu’on arrive à produire davantage en Côte d’Ivoire. C’est le même problème pour la viande. Il faut continuer à discuter et faire en sorte que notre production locale augmente parce que si l’on veut prendre des solutions radicales, c’est vrai, cela va peut être faire baisser les prix, mais toutes les personnes qui vivent de ces activités vont se retrouver sans emploi pendant plus de 6 mois et cela n’est pas bon. Et si vous avez remarqué, on a eu une expérience pareille en Côte d’Ivoire durant la période de crise, c’était au niveau du sucre. Le gouvernement avait autorisé une importation de sucre à la veille du mois de Ramadan et la quantité de sucre livrée par le bateau était l’équivalent de la consommation de la Côte d’Ivoire pour un an. Toutes nos usines qui ont produit leur sucre, l’avaient sous la main et ne pouvaient plus les vendre. Cela a occasionné des pertes d’emplois et nos parents qui avaient des plantations de canne à sucre n’ont plus eu d’activité. Vous voyez les dangers de ces stratégies radicales. Le décideur est donc souvent obligé d’aller doucement pour le bien de tout le monde.

L.P. : Ce mois-ci, la Côte d’Ivoire pourrait obtenir le point d’achèvement de l’initiative Ppte. Qu’est ce que cela peut apporter au pays ?
B.N. : L’initiative Ppte est un gros soulagement. Il faut savoir que près de 600 milliards de FCFA sont utilisés chaque année pour le règlement de la dette. Alors que si nous atteignons le point d’achèvement, cette somme ne sortira pas et sera utilisée pour l’investissement intérieur du pays. Aussi, la stratégie de réduction de la pauvreté que nous avons élaborée pourra être appliquée. Mais sous le regard des bailleurs de fonds. Qui veilleront à ce que l’argent soit utilisé pour construire des écoles, des centres de santé et autres comme nous l’avions promis. Mais si ce n’est pas le cas, l’on devra rembourser l’argent. Autrement, ces mesures obligent à la bonne gouvernance et c’est l’un des effets positifs du point d’achèvement. Mieux, cet argent ne sortira plus de notre pays. Il tournera à l’intérieur de la Côte d’Ivoire et servira à créer davantage d’activités. De nouvelles infrastructures verront ainsi le jour à travers des investissements socio-économiques. A cela il faudra ajouter une crédibilité de la signature de l’Etat de Côte d’ivoire. Ce processus est très important et fortement attendu. Avec un tel montant que la Côte d’Ivoire devrait faire sortir sur près de 10 ans, ce sont 6000 milliards que nous pourrons investir dans le pays.
L.P. Le président Ouattara peut-il compter sur vous face à ces nouveaux défis ?
B.N. Absolument ! Je viens me mettre au service de mon pays et du président Ouattara. Si l’on me sollicite, je n’hésiterai pas à apporter mon expérience à la Côte d’Ivoire qui doit non seulement tirer la Cedeao vers le haut, mais qui doit aussi contribuer à faire de l’Afrique, un lion. Nous en avons les capacités.
Par Jean Eric ADINGRA
& Soumba O
PUBLICITÉ
PUBLICITÉ

Playlist Économie

Toutes les vidéos Économie à ne pas rater, spécialement sélectionnées pour vous

PUBLICITÉ