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Politique Publié le samedi 30 juin 2012 | L’Inter

Insécurité en CI-crise malienne/Jean-Paul Zunon Kipré, expert en sécurité et défense : « Ce qu’il nous faut faire »

Expert en sécurité défense et consultant en relations internationales, Jean-Paul Zunon Kipré est également un spécialiste du désarmement. Il a travaillé pour le compte des missions de maintien de la paix et d’organisations internationales en Afrique. De passage à Abidjan, il s'est prêté volontiers à nos questions relatives à la situation sécuritaire en Côte d'Ivoire, mais surtout à la crise au Mali qui représente aujourd'hui une menace pour la sécurité sous-régionale.

Récemment, l’ancien ministre de la Défense Lida Kouassi, a été arrêté puis extradé en Côte d’Ivoire. Il a reconnu qu’un coup était en préparation contre le régime, et une vidéo montrant une déclaration de prise de pouvoir lue par le lieutenant-colonel Gnatoa Katé, a été présentée à la télévision nationale. Quel commentaire en faites-vous ?

Je n’arrive pas à imaginer le colonel Katé et ses amis en train de vouloir tous seuls prendre le pouvoir. Non, ils sont trop intelligents pour cela. Je crois que nous avons avec Katé, la face visible de l’iceberg. De plus, ce que je pourrais dire ne serait pas objectif, parce qu’un analyste doit analyser à froid et faire fi de l’émotion. Moi, j’ai beaucoup de douleurs, car celui que vous venez de nommer est un ami pour qui j’ai beaucoup d’affection et qui me le rendait bien. Mais cela fait dix ans ou douze ans que nous ne nous sommes pas revus. Pour en revenir à l’attaque, je suis sceptique car on ne voit pas de suite logique dans son action. Et Katé était très intelligent, brillant même. De plus, dans le raisonnement militaire, il faut toujours une suite logique. En l’absence de cela, j’affirme qu’il s’agit de la face visible de l’iceberg. Il faut donc comprendre qu’il y a une suite logique qui n’a pu être décelée ou encore mise en œuvre.

Comment faut-il régler ce problème avant que ça ne dégénère ?

Il faut tendre la main, et le ministre de l’Intérieur a eu la bonne approche ; je m’en félicite. Une situation comme celle-là, on ne peut la régler par le tout coercitif. S’ils ne prennent pas la main tendue, il faut tendre les deux mains à la fois et s’attaquer aux causes fondamentales du problème. Reste à définir sincèrement les causes fondamentales de ces attaques armées. Il faudrait abattre un travail de fourmis ; il faudrait comprendre, évaluer, cibler, définir ; de la sensibilisation, de la communication, planifier. Et tout cela doit être dimensionné dans un timing. Cela va marcher, car il y a déjà une forte volonté politique de le faire. Et dans ce traitement, il faut associer encore plus de CIMIC, c’est-à-dire les actions civilo-militaires, car nous en avons les ressources. Et dans l’armée ivoirienne, et dans l’ONUCI civil et militaire, et dans les organisations internationales et locales, qui ont été très bien formées, et cela depuis des lustres. L’espace et le rayon d’action devra être global, sous-régional et non seulement ivoirien.

Que pensez-vous des accords de défense avec la France ?

Ce que vous appelez les accords de défense, la dénomination exacte à l’époque était des accords de coopération en matière de défense. C’était de la coopération bilatérale (ou peut-être multilatérale) qui comprenait deux grands volets : la fourniture d’équipements militaires et l’assistance militaire technique. Par exemple, cette coopération s’est réduite pour plusieurs raisons, officiellement, des raisons budgétaires, en France, avec la professionnalisation de son armée. Ce pays se tournait vers lui-même et vers l’Europe. Le ministère de la Coopération devenait une sous-direction du ministère des affaires étrangères.

Dans le cadre de la coopération militaire justement, des ex-commandants de zone ont suivi des formations au 43ème BIMA, la base militaire française à Abidjan. Quel commentaire faites-vous ?

Déjà, je ne sais pas ce qu’on leur propose. Est-ce une instruction , un entraînement, une formation, une école ? Ce que je sais, c’est que ces messieurs ont des galons de commandants depuis quelques années, dix ans au moins. S’ils restent à commander des troupes sur le terrain, ils devront avoir in fine les compétences correspondantes à leur grade, puisque nous nous dirigeons droit vers une intégration en matière de défense. Ils devront pouvoir être à la hauteur face à leurs collègues sénégalais ou maliens, par exemple. Pour ce faire, ils devraient vite (si ce n’est déjà fait) assimiler les compétences de chefs de bataillons et apprendre la planification pour diriger un état-major. Leurs formateurs devront donc les pousser à vite assimiler les compétences de chefs de section, de commandant de compagnie et effectuer le premier degré du diplôme d’état-major.

Croyez-vous qu’ils pourront être à la hauteur, dans la mesure où beaucoup d’entre eux ont un bas niveau ?

J’ai connu des chefs d’état-major qui n’avaient pas fait l’école de guerre et qui s’en sortaient brillamment. Des officiers français qui, juste après la 2e guerre mondiale sont partis pendant une décennie en Indochine puis une décennie en Algérie, ont eu tous leurs galons sur le terrain. Mais ils ont dû faire l’école de guerre pour assimiler autre chose que la tactique opérationnelle.

Une crise secoue en ce moment l’Afrique de l’Ouest, c’est la situation au Mali. Quelles en sont les causes, selon vous ?

Il y a une cacophonie telle au Mali que je ne peux me prononcer avec exactitude. Ce que je sais, c’est que cette situation était plus ou moins prévisible. Nous en avions ressenti les prémices et les avons mis en garde. Mais une fois de plus, nous n’avons pas été entendu. Le Mali a une frontière avec l’Algérie dans une zone de non-droit ; avec la Mauritanie, avec la Libye, d’où des milliers de combattants malio-libyens sont rentrés avec armes et bagages ; une frontière avec la Guinée du côté de Kouroussa, Siguiri, une région aurifère, ce qui pourrait compliquer les choses ; avec la Côte d’Ivoire, une région pas tout à fait stabilisée ; avec le Burkina, les séquelles de l’affrontement d’il y a 28 ans entre ces deux pays peuvent resurgir. Comme le Niger qui lui-même avait maille à partir avec une rébellion Touareg et Toubou pas tout à fait réglée, le Mali a connu plusieurs rebellions Touareg. La situation entre les régions et les ethnies a été fragilisée par les échéances électorales maliennes et sénégalaises ; les problèmes intérieurs ont été exacerbés par le fondamentalisme islamique (AQMI), les problèmes ethniques guinéens et ivoiriens. Nous voyons donc pas mal de conflictualités stabilisées, mais pas tout à fait réglées et régulées. Donc on pourrait assister à une résurgence.

Quelle solution ?

C’est la mise en commun des moyens. Je pense que nous devons allouer nos maigres moyens vers des secteurs prioritaires, comme l’éducation nationale, la santé, l’agriculture et aujourd’hui l’habitat. Nous ne devons pas négliger les problèmes de sécurité, car nous sommes tous menacés par ces problèmes. Je pense que c’est par la mise en commun de leurs maigres moyens sécuritaires, et donc une intégration en matière de sécurité, que nous pourrons juguler la situation. Il faut intervenir au Mali. Il faut se pencher sur les problèmes du Mali, il faut un engagement formel de la Sous- région, car si le Mali s’effondre, nous serons les premiers à le regretter.

Donc une armée unique comme solution pour endiguer l’insécurité dans la Sous- région ?

Si on pouvait le faire, une bonne partie des problèmes serait réglée. Il faut commencer par le début, harmoniser nos moyens et nos visions sous forme d’alliance de force. Ensuite un état-major commun, puis une politique de défense commune. Déjà feu Kouamé N’Krumah était pour la création d’un haut commandement militaire unifié, dans sa conception des Etats-Unis d’Afrique. Ses ambitions ne lui survécurent guère. Il était opposé à certains dirigeants qui étaient soutenus par le bloc occidental, et qui ne voulaient pas d’union africaine, tant militaire que civile, et qui prônaient la non-ingérence et l’intangibilité des frontières.

Avec une armée unique, on peut en déduire que les coups d’État en Côte d’Ivoire ou ailleurs, c’est terminé ?

Ce que je sais, c'est que les menaces sont réelles, les risques et les périls aussi. La profusion des armes est réelle et concrète, le ciment de l'unité nationale n’est pas encore consolidé, les frontières sont poreuses. Tout cela est réel. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que les conditions sont réunies pour que ceux qui font des coups d’État ne s'éternisent pas.

L’autre défi de la CEDEAO, c’est de recouvrer l’intégrité territoriale du Mali, face à l’occupation du nord de ce pays

Il faut, dans tous les cas, que les Africains eux-mêmes s'occupent un jour de leur sécurité collective. Malgré la fragilité du système, les interventions de l’ECOMOG ont prouvé la viabilité d’une idée où les Africains pourraient eux-mêmes s’occuper
de leur sécurité collective. Cela parait essentiel. Cette efficience en matière de défense et de sécurité collective de la CEDEAO est d’autant plus remarquable depuis de nombreuses décennies que dans le même temps, le parapluie français et les bases étrangères occidentales en Afrique, ont fait montre de quelques défaillances, notamment au Rwanda. Nos armées locales également ont fait montre de limites. C’est pourquoi la mise en communauté de nos moyens de défense pourrait nous permettre de faire des économies et de réorienter les dépenses dans d’autres secteurs tels que la santé. Pour ce faire, il faudrait que notre politique commune de défense soit pensée et financée par nous-mêmes, avant d’être exécutée par nous.

Pour le nord du Mali, comment cela va se faire sur le terrain ?

Nous sommes confrontés dans ce cas à l’espace et au temps, ce sont eux les vrais adversaires. Il est vrai que des troupes burkinabé sont en train d’être formées par des néerlandais et sont prêtes. Mais cela ne suffit pas, et le Mali est très grand. Il n'est pas facile de se projeter à partir de Bamako jusqu'à près de 3000 km et sur toutes les frontières en même temps, pour ce qui est de l'espace. Par ailleurs, pour ce qui est du temps, espérons que d'ici là, les rebelles n'auront pas pris Bamako, car la donne ne sera plus la même. Le temps également, parce que d’ici là, je ne crois pas qu’en un mois les troupes de la CEDEAO seront opérationnelles, même si elles seront appuyées par l’armée du Mali légale, surtout pour ce qui est du renseignement sur le terrain. En Côte d’Ivoire en 2002, la CEDEAO a quand même mis 6 mois pour être opérationnelle à l’époque, avec toutes les volontés. Il y avait des problèmes d’approvisionnement en carburant, des véhicules chargés des patrouilles, etc.
L’autre critique à apporter est relatif au choix des troupes et des hommes sur le terrain. Il faudrait faire attention à ne pas choisir des gens qui ont envie de se faire un peu d’argent. Par exemple, face à la rébellion Touareg, le choix devrait se porter sur les militaires nigériens qui ont longtemps combattu la rébellion Touareg et la rébellion Toubou au Niger.

La CEDEAO peut-elle réussir ?

C’est un fait, des pays membres de la CEDEAO ont acquis une connaissance des conflits nationaux et des missions d’interposition sous mandat de l’ONU en intervenant par pays et par continent.

Entretien réalisé par Germain Dja
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