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Politique Publié le mercredi 7 novembre 2012 | Diasporas-News

Afrique du Sud : la fin d’un mythe ?

© Diasporas-News
Nelson Mandela (au centre) entouré par Jacob Zouma (à gauche) et Thabo M`beki (à droite)
02 Aout 2008. Pretoria.
Telle une litanie, l’Afrique du Sud vit depuis quelques semaines au rythme des menaces de licenciement des grévistes de l’industrie minière : 8.500 chez Goldfields, 12.000 chez AngloGold Ashanti… Simple turbulence conjoncturelle comme l’affirme le président Jacob Zuma ou l’avatar d’une société inégalitaire.

Le jour où tout a basculé

Le 16 août dernier, la manifestation de mineurs grévistes de la société d’extraction de platine du groupe Lonmin de Marikana – Rustenburg (Nord) - a basculé dans l’horreur. La police a tiré sur les manifestants, armés de gourdins et prêts à en découdre avec les forces de l’ordre. Bilan : 34 morts, soixante-dix blessés et des centaines d’arrestation. Etat de légitime défense ? Les premières révélations de la commission d’enquête indiquent que certaines victimes auraient reçu des balles dans le dos.
La nation pays « arc-en-ciel » a-t-il renoué avec ses vieux démons de l’époque du régime blanc ? Les images, qui tournaient en boucle sur toutes les chaînes de télévision locales, nous ramenaient à l’époque des répressions violentes de manifestants des townships. C’était le temps où la police anti-émeute débarquait, habillée en robocop et accompagnée de chiens – dressés pour mordre du Noir - n’hésitait pas à tirer sur la foule.
Les mineurs de Marikana ont déjà débrayé depuis quelques semaines avant le drame parce qu’ils étaient excédés par leurs conditions de travail et avec le sentiment de ne pas être correctement rétribués. En effet, les foreurs sont les ouvriers qui descendent à plus de 1.000 mètres de fond pour gratter des tonnes de terre avant qu’elles ne soient remontées à la surface. La particularité des gisements sud-africains vient de sa très grande profondeur et de la dureté des roches limitant ainsi la mécanisation de la production. Vivant dans une région à vocation agricole, cette population est quand même devenue la plus grande pourvoyeuse de main-d’œuvre car les terres ancestrales ont été déjà spoliées par les blancs. Or depuis la fin de l’Apartheid, leur appointement mensuel tourne autour de 4.500 Rands (400 €uros) alors que les sociétés détenues par des capitaux étrangers continuent de faire d’énormes profits. Avec une vingtaine d’années d’ancienneté, leur revendication est pour le moins légitime : 14.200 Rands/mois (1.250 €uros/mois) !

Aujourd’hui, la contagion s’est emparée des compagnies minières de la région dont les principales comme la filiale du leader mondial Aglo American Platinum (Amplats), Royal Bafokeng Platinum. Cette effervescence du secteur minier a commencé dès 2011. Longtemps régi par le principal syndicat national des mineurs le National Union of Mineworkers (NUM), les revendications de la base sont longtemps restées lettre morte. Le NUM, branche minière de la fameuse confédération syndicale COSATU, ne fait pas mystère de son accointance avec l’ANC (Congrès National Africain), parti au pouvoir depuis maintenant deux décennies. L’ancien Secrétaire général Cyril Ramaphosa dudit syndicat, et non moins membre influent de l’ANC, siège désormais au sein du conseil d’administration de la Lonmin.
Indignée par cette collusion, une branche dissidente a vu le jour ; il s’agit de l’AMCU, plus radical et dont les membres sont prêts à se sacrifier pour obtenir gain de cause. C’est ainsi qu’en février dernier, deux grévistes ont déjà payé de leur vie dans une autre mine de platine de la région.

Les phases de négociation

Les négociations entre les mineurs et les dirigeants des différentes sociétés minières sont au point mort. Le climat social reste tendu. D’un côté les mineurs exigent une augmentation conséquente. Confinés dans des taudis, dans des conditions déplorables – sans eau courant ni électricité- à proximité de leur lieu de travail pendant des années, ils espèrent que le sang versé pèsera dans la balance pendant toute cette phase de négociation. Alors que de l’autre coté, les sociétés minières demeurent inflexibles et certaines ont mis à exécution leur menace de licenciement massif.
Les négociations entre le patronat et les grévistes ressemblent à un bras de fer où chaque partie se campe sur sa position. Par exemple dans l’activité aurifère, les grévistes restent sur une revendication salariale qui tourne autour de 13.600 Rands (1.200 €uros) alors que la direction propose un mix c’est-à-dire une partie en numéraire et le reliquat sous forme de promotions et d’allocations. Ce statu quo risque de paralyser les lignes d’extraction. Début octobre, Goldfields, détenteur de plusieurs mines d’or avait menacé de licencier les deux tiers de son effectif (23.500 mineurs) s’ils ne reprennent pas le chemin du travail. Depuis, seuls quelques 400 salariés ont refusé d’obtempérer.

Les forçats de l’industrie extractive mondiale

Ce mouvement de contestation qui s’étire en longueur amène également son lot de victimes : des règlements de compte entre syndicaliste, des arrestations abusives de grévistes voire même des policiers qui assassineraient des membres d’AMCU.
Parce qu’il y a eu mort d’hommes et par centaine depuis plus d’un an en Afrique du Sud que les médias commencent à s’emparer des problèmes structurels et les scandales qui sont pourtant monnaie courante dans le secteur minier.
Le droit et les conditions de vie des travailleurs importent peu. Les quelques 200 grévistes survivants de Marikina ont été présentés devant un juge qui leur a signifié leur maintien en prison. C’est un cas propre à l’Afrique du Sud qui n’a pas su dépoussiérer son code pénal – datant de l’Apartheid - qui stipule « que toute personne s’opposant aux forces de l’ordre doit être condamnée, fusse-t-elle en état de légitime défense ».

L’essoufflement de l’économie sud-africaine

Les agences de notation Moody’s d’abord suivie ensuite de Standard and Poor’s ont dégradé le risque de solvabilité de l’Afrique du Sud. Il est passé de BBB+ à BBB. Une croissance au ralenti – 2,5% prévue en 2012 – mais surtout les tensions sociales dans le secteur minier sont les facteurs qui ont motivé leurs décisions. Le président Jacob Zuma, était à Maputo pour un Sommet de la SADC au moment du drame de Marikina ; il a préféré rentrer et abandonner ses collègues au regard de la gravité de la situation nationale. Depuis, il s’efforce de désamorcer la crise et s’implique personnellement dans les rapprochements entre les protagonistes c’est-à-dire la chambre des mines et les syndicats. C’est ainsi qu’il a demandé un geste symbolique de la part dirigeants des compagnies minières : geler temporairement leur salaire et l’attribution des bonus.
Ce conflit social se télescope avec l’agenda politique et aura certainement un impact sur le congrès de l’ANC du mois de décembre. Comme de coutume, celui qui sortira vainqueur de l’élection de ce parti majoritaire devient de facto le chef de l’Etat. Autant dire que son siège du président-sortant n’est pas directement menacé mais il devra tout de même rendre des comptes auprès de ses adhérents. Par contre, la situation actuelle laissera des séquelles et créera au moins des dissensions au sein de l’ANC voire une perte de crédibilité.


Les contrecoups du Black Empowerement

Depuis le début du mois de septembre, d’autres secteurs d’activités ont plus ou moins débrayées. La grève des transporteurs routiers a failli paralyser le pays car l’approvisionnement de carburant se fait en grande partie par des camions citernes.
Cette crise de l’industrie minière, qui risque de se répandre dans tous les secteurs d’activités, est révélatrice des inégalités sociales profondes qui gangrènent la nation arc-en-ciel. L’archevêque Desmond Tutu, prix Nobel de la paix, jamais en manque de formule lapidaire, déclara ainsi que « Marikana (le massacre des mineurs) ressemblait à un cauchemar, mais c’est ce que notre démocratie de 2012 est devenue ».
La fameuse « Black Empowerement » a creusé un fossé incommensurable entre une oligarchie noire et la plèbe. Deux décennies après la fin de l’Apartheid (littéralement développement séparé en Afrikaans), pour plus de 70% de la population noire, l’espoir d’une liberté retrouvée et d’une vie meilleure restent encore une chimère.
Paradoxe au sein la première puissance économique du continent, les chiffres de l’analphabétisme, l’éducation, l’accès aux soins médicaux de l’Afrique du Sud avoisine les indicateurs des pays du continent. Quel est le taux d’électrification des townships ? La recrudescence de la violence et de la criminalité dans des grandes villes comme Johannesburg sont directement imputables à cet énorme fossé entre les différentes classes.

En 1994, Nelson Mandela et les dirigeants de l’ANC devaient relever plusieurs défis : entamer un processus de réconciliation nationale et faire intégrer leur économie dans la mondialisation. En d’autres termes, il s’agissait de rassurer les blancs détenteurs de capitaux au moment le pouvoir politique échoit aux noirs. Et surtout éviter l’exemple du Zimbabwe de Robert Mugabe : en expropriant les blancs de leur terre, le principal grenier à céréales crève de faim aujourd’hui.
Comme dans la désintégration de l’URSS, les cartes de la richesse et du pouvoir politique ont été rebattues. La nouvelle bourgeoisie noire actuelle a une double origine. D’une part, des entrepreneurs auxquels le gouvernement de Thabo Mbéki avait largement favorisé en les intégrant dans le capitalisme naissant. La majorité d’entre eux sont des cadres noirs qui ont bénéficié au début des années 1970 de l’affirmation action : un code préconisé par le pasteur américain Léon Sullivan, non moins administrateur de General Motors (GM). Grâce à son lobbying, GM était devenue à l’époque le principal employeur de noirs en Afrique du Sud. Dans la foulée, plusieurs sociétés américaines installées là-bas ont adopté le code Sullivan.
Cette middle-classe s’est embourgeoisée et adoptent de nos jours les mêmes codes consuméristes planétaires. Le dernier chic est de faire apprendre la langue zouloue ou d’autres dialectes à leurs enfants complètement déracinées et acculturées. La deuxième branche de la bourgeoisie naissante n’est autre que les membres de l’ANC et ceux qui gravitent autour du pouvoir.
Cette éruption conjoncturelle masque en fait la faillite de la politique socioéconomique préconisée par l’ANC, au moment de son accession aux responsabilités. Le président Jacob Zuma réagit maintenant avant qu’il ne soit trop tard. Il a annoncé récemment l’engagement du gouvernement sur un programme pluriannuel de grands travaux : 315 milliards $ seront ainsi investis sur les 15 prochaines années pour des équipements collectifs et le développement économique du pays.

Alex ZAKA
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