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Politique Publié le jeudi 27 décembre 2012 | LG Infos

Un juge de la Cpi révèle : «On n’avait aucune preuve contre Charles Taylor»

Pour les cinq ans qu’ont duré l’action en responsabilité pour crime de guerre contre l’ancien Président libérien, Charles Taylor, le juge sénégalais, EL Hadji Malick Sow, était juge suppléant à la chambre de première instance du Tribunal spécial pour la Sierra Leone. Il en assurait la présidence toutefois que l’un des trois «principaux» juges du fond était indisponible. Durant ces cinq années, Sow parlait en ces termes: «Je travaillais plus que tout autre parce que je prenais l’affaire au sérieux». Pour moi, continuait-t-il, «j’étais le seul juge de la sous région ouest africaine, et en tant que tel, je ne pouvais retourner chez moi face à mon peuple, dire des mensonges sur ce que je n’avais ni vu, ni ne pouvais justifier». L’engagement consciencieux de Sow et sa détermination à appliquer la loi, tels que l’exigent les statuts de ce Tribunal d’exception et le dispositif de la justice pénale internationale, l’ont rendu impopulaire parmi les autres juges statuant sur l’affaire, au point où, ils l’ont isolé au stade crucial des délibérations où il fut débattu de l’innocence ou de la culpabilité de Taylor. Ce ne fut donc pas une surprise quand après, le 26 avril 2012, Sow lut une opinion dissidente, après que les juges principaux eurent rendu leur décision en référé, déclarant Taylor coupable et le condamnant par voie de conséquence à 50 ans de prison. «Je ne suis pas d’accord avec la décision et les conclusions des autres Juges, parce que selon moi, aux termes du régime de la responsabilité, et aux termes de tout moyen admis de preuve, la culpabilité de l’accusé n’a pas été indiscutablement établie au delà de tout doute raisonnable par les preuves apportées à ce procès par l’accusation», avait déclaré Sow : «Et ma seule inquiétude est que tout le système est en désaccord avec tous ces principes que nous connaissons et que nous chérissons, et qu’il est en plus en désaccord avec les valeurs de la justice pénale internationale, et je crains qu’il soit tout entier en danger de simplement perdre toute crédibilité, et j’ai peur que le tout court à la perte». Nombreux sont ceux qui ont trouvé sa déclaration courageuse, eu égards aux circonstances, mais les autres juges n’en étaient pas contents. En effet, quand Sow a entamé la lecture de sa déclaration, les trois autres juges se sont levés et sont sortis de la salle d’audience. Le micro de Sow fut après débranché, les rideaux dans la gallérie publique furent tirés, descendus, et fermés. Plus tard, sa déclaration fut enlevée du registre officiel de la cour et il fut sanctionné par la majorité des juges, à la fois de la première instance et de l’instance d’appel de la cour pour faute professionnelle. En punition, il fut ordonné à Sow par les autres juges de suspendre sa participation à toute délibération jusqu’à ce que fût rendue une décision de l’autorité tutélaire (à laquelle, les juges avaient demandé de se prononcer sur ce qui adviendrait de Sow, son statut futur). Depuis cette décision des juges en Mai, Sow n’a pas eu l’occasion de donner au grand public sa version des faits. C’est à la lumière de ces faits, que notre correspondant, Sheriff Bojang, est allé l’interviewer à son domicile à Dakar, au Sénégal. Après la lecture de ses critiques, nombreux pourraient se demander comment une cour, établie par le droit international à dessein supposé de rendre justice, puisse se conduire de la manière décrite par Sow. Interview…

Au moment où le monde entier suivait la retransmission en direct de la décision longtemps attendue, dans l’affaire Charles Taylor, vous avez adjoint à la décision unanime de la Chambre de la première instance une opinion dissidente. Qu’est ce qui n’a pas marché et qui vous a ainsi déterminé ?

Ce qui n’a pas marché, c’est le plan secret, ourdi par les autres juges de la Chambre de la première instance II pour me réduire au silence. Des consignes avaient été données aux fonctionnaires de la cour pour déconnecter mon micro, et aux techniciens pour descendre les rideaux. Affirmer au people Sierra Léonais que le Président du Libéria, le pays voisin, a sa responsabilité pénale engagée dans les crimes commis en Sierra Léone est une affaire sérieuse. Et les preuves en appui à cette affirmation doivent être claires, convaincantes et sans trop de contentieux.

Ce que je disais était que, l’accusation n’avait pas apporté la preuve, qui établisse au-delà de tout doute raisonnable, la culpabilité de l’accusé. Ce fut une surprise totale pour moi d’entendre que la décision fut unanime, parce ce que, toutes les rares fois que nous discutions de quelque point, il y avait des opinions divergentes. Je fus très surpris de les voir servir une décision en référé dont ils se prévalent comme d’une décision unanime. Même les brouillons de rédactions préliminaires que je recevais subissaient toujours des modifications. Les autres juges savaient que je n’étais pas d’accord avec la décision. Voilà pourquoi ils voulaient me contraindre au silence. Et ma seule inquiétude est que tout le système est en désaccord avec tous ces principes que nous connaissons et que nous chérissons, et qu’il est en plus en désaccord avec les valeurs de la justice pénale internationale, et je crains qu’il soit tout entier en danger de simplement perdre toute crédibilité, et j’ai peur que le tout court à la perte.

En tant que juge suppléant, vous avez été présent tous les 5 ans qu’ont duré le procès. A quel moment vous êtes vous rendu compte que le tout courait à la perte ?

Les principes fondamentaux du droit pénal international se trouvent consignés dans les statuts des différentes cours et ils sont les mêmes: Ils commencent tous par la présomption d’innocence. Et, le seul critère de preuve acceptable, est la preuve au-delà de tout doute raisonnable. Le troisième principe, est un principe général de droit pénal tel qu’il s’énonce dans sa formule latine, «In dubio pro reo» (l’accusé a le bénéfice du doute ou le doute profite à l’accusé). Ces principes ont été foulés aux pieds dans le procès de Charles Taylor. Mais avant que nous n’allions plus loin, laisser moi éclairer ce point. Au moment où je prenais la parole à l’audience, je n’étais plus juge suppléant. J’étais juge à part entière siégeant en tant que tel. Je n’étais pas celui qui n’était pas à sa place. Une des juges siégeant en première instance avait été élue juge à la Cour Pénale Internationale (Cpi). Cette juge a solennellement prêté serment et siège à la Cpi, dans cette juridiction. Comme si de rien n’était, et de manière concomitante à son exercice à la Cpi, cette juge avait gardé son ancien poste de juge au Tribunal spécial pour la Sierre Léone (Scls). Je ne pense pas que ces deux postes soient compatibles. Si l’élection à un poste dans une juridiction différente ne rend pas un juge inapte à continuer de siéger au Tribunal spécial pour la Sierra Leone, on doit alors nous expliquer quand un juge suppléant devrait-il être éligible au plein exercice en tant que juge à part entière. J’ai eu des difficultés inimaginables pour que soit inscrit à l’ordre du jour de la réunion des juges en session plénière en septembre 2008, le sujet de l’interprétation qu’il faudrait faire des articles Article 12 des Statuts de la cour, et des règlements 16. Ma requête a été rejetée par les mêmes juges qui m’ont férocement attaqué dans ce qu’ils appelaient une procédure disciplinaire. Les procès verbaux des deux réunions en séance plénière sont disponibles.

La question est de savoir si vous aviez l’autorisation d’exprimer en public cette opinion comme vous l’avez fait?

Je ne sais pourquoi personne ne veut parler des l’Article 18 du Statut de cette Juridiction d’Exception et du Règlement 88 du code de procédure et de preuve, qui sont les seules dispositions précises relatives aux décisions et aux opinions qui les accompagnent. L’article 18 du statut dit clairement (à lire dans notre livraison suivante) Comment peut-on alors dire que pendant les «délibérations», un juge suppléant n’a pas le droit d’avoir une opinion, donc ne pourrait en exprimer une ? Il va de soit, qu’en principe général de droit, toutes les exclusions et limitations fassent l’objet d’une disposition expressément écrite. Ici, il n’est pas question du droit de vote aux délibérations. Il est question de mon opinion sur ce procès, et contrairement au règlement 16 Bis (c), il n’y a ni limitation, ni interdiction ou exclusion dans la norme supérieure qu’est le Statut de la cour, ni non plus dans le règlement 88 pour l’expression d’opinions sur une décision.
Source : Africawatch, de novembre 2012
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