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Société Publié le samedi 5 janvier 2013 | Notre Voie

Célébration de l’ « Eb-eb » à Toupah (Dabou) : Le mode de succession en pays adioukrou

L’ « Eb-eb », l’intronisation du patriarche chez les Adioukrou, a été célébré, à Toupah, à l’instar de plusieurs localités du département de Dabou, le samedi 22 décembre dernier.

Gare de Toupah, le samedi 22 décembre 2012. Il y a quelque chose qui saute aux yeux : une grosse affiche! Elle barre pratiquement toute la façade d’une maison en hauteur. On y voit un poster géant. La photo d’une dame. Une sexagénaire ou octogénaire parée de bijoux. En gros caractère d’imprimerie, l’affiche indique « Eb-eb 2012 : Bonne fête maman Marie Agnéro ». En cette mi-journée de ce 22 décembre, la sous-préfecture de Toupah (sud de la Côte d’Ivoire) vit donc au rythme de l’ «Eb-eb », la célébration des patriarches chez les Adioukrou.

Depuis le lever du jour, les femmes sont à la tâche. Un peu partout dans les cours, l’on prépare à manger pour les nombreuses personnes attendues. De grosses marmites sont donc au feu. Certaines d’entre elles donnent déjà un avant-goût du repas. L’on distingue aisément, entre autres, le parfum du riz local, le poisson frit. Dans de nombreuses maisons, c’est l’attiéké, le met privilégié dans la région, qui est au menu. Outre l’attiéké, il y a le foufou et la bouillie d’igname. Les femmes se mettent souvent à plusieurs pour préparer dans la joie et la convivialité. Pratiquement dans toutes les cours, des bâches ou des apatams sont dressés, avec des tables et des chaises en dessous.

Les rues de Toupah bondées de monde

La musique tonne dans la ville. Elle est rythmée et cadencée. Entre autres sonorités, la musique religieuse, le zouglou et surtout la musique du terroir sont de mise. Les rues de Toupah sont bondées de monde. Il y a beaucoup de visiteurs qui arrivent en voitures personnelles. La plupart des gens sont vêtus d’uniformes en pagne ou de T-shirts à l’effigie de Jean Noël Savi, le parrain de la célébration. Les hommes sont revêtus de complets culottes et chemises. Certains portent des chapeaux, ainsi que des chaînes et des bracelets en or. Les jeunes se distinguent à travers leurs accoutrements aussi bigarrés que variés. Les jeunes garçons ont attaché des pagnes autour des reins, à l’image des femmes. Ils portent même des perruques et des soutiens-gorge. Quelques-uns ont des foulards sur la tête. Spectacle exotique.

Le doyen d’âge de la génération M’Bédié

A présent, il est un peu plus de 11h. La rue principale de Toupah, le lieu de célébration par excellence des grandes cérémonies, est prête pour la tenue de l’« Eb-eb » 2012. Les impétrants sont installés. Au nombre de 76, il y a 55 femmes et 21 hommes âgés de 72 à 77ans. Ils portent tous le même uniforme pagne confectionné spécialement pour l’événement. A l’origine, c’est un tissu blanc sur lequel des desseins ont été faits avec une grande variété de couleurs. L’on peut voir des représentations d’animaux et bien d’autres figures. Par endroits, il est marqué, « Eb-eb 2012 ». En face des impétrants, la communauté et les invités. Les autorités préfectorales de la région. Le préfet de la Région des Grands Ponts, préfet du département de Dabou, Kouakou Assouma, et Madame le sous-préfet de Toupah, Koné Fatoumata. Des cadres du terroir parmi lesquels d’anciens ministres. Au nombre des invités, des diplomates et les communautés allogènes. Des artistes de renom, notamment Jeanne Tessia, Oméga David et bien d’autres sont présents. La presse est également au rendez-vous. Il y a plusieurs photographes et cameramen pour immortaliser l’événement. Plus de vingt bâches sont pleines ! Certaines personnes sont obligées de se tenir debout.

Civilités d’usage. Le doyen d’âge de la génération M'Bédié, l’une des classes d’âge, procède à la libation. Il sert de la liqueur dans un petit verre et prononce quelques mots pour invoquer les mânes. « Dieu des dieux qui est le maître du temps et de la création, nous te recommandons cette cérémonie ainsi que tous les étrangers qui sont là, pour qu’ils fassent la fête et regagnent leurs domiciles sains et saufs », dira-t-il. A présent, les nouvelles des étrangers. Le tambour-parleur crépite pour annoncer les couleurs. « Quelles sont les nouvelles du jour ? » « Monsieur le préfet de région, Madame le sous-préfet, Monsieur le parrain, honorables invités, on nous demande les nouvelles. Mamibr ongne. (Ndlr : Je vous salue). Au nom de tout Dabou, je vous adresse mes chaleureuses salutations. Ce village est un village béni. On y trouve l’eau et le miel, car ce village a un emplacement géographique formidable ».Tonnerre d’applaudissements. « Nous sommes venus pour vivre avec vous l’Eb-eb 2012 ». Le tam-tam crépite à nouveau…

Un noyau de la descendance

Le soleil est au zénith. Il fait donc très chaud à Toupah. Les futurs patriarches attendent l’intronisation. Ils sont détendus et suivent le déroulement de la cérémonie avec beaucoup d’intérêt. Certains échangent et commentent des faits. D’autres, beaucoup plus sous le poids de l’âge, ont l’air, eux, impassibles. Chacun a juste derrière lui un noyau de sa descendance. Des enfants, des petits-enfants, des neveux, des nièces… Ceux-ci tiennent des parapluies pour protéger les candidats contre le soleil, offrent de la boisson, notamment de l’eau. Ces accompagnateurs sont aux petits soins des futurs patriarches. Les impétrants sont vêtus d’habits et de parures à la taille de l’événement. Les femmes sont soigneusement coiffées. Des coiffures parées de chaînes de valeur, de coquillages et bien d’autres objets traditionnels du terroir. Elles portent des bracelets, des boucles d’oreille, des montres en or plaqué. Entre autres choses, des sacs à main, des foulards et des lunettes. Pour les hommes, des cannes, des chaînes, des bagues et des gourmettes de valeur, des chapeaux, des lunettes, des pagnes traditionnels de valeur.

Le passage des classes d’âge constitutif de la société sur la rue principale de Toupah est maintenant à l’ordre du jour. C’est l’ossature de l’organisation sociale. Le tam-tam parleur, l’Atigbani, crépite, annonçant l’arrivée des Sêtê. Cette arrivée se fait au son émis par l’Akpôgbô, un autre tam-tam du patrimoine culturel musical adioukrou. Les femmes des Sêtê précèdent les hommes. Elles chantent et dansent en agitant des foulards blancs à leur passage. Les hommes de cette classe d’âge exécutent les chœurs des chansons entonnées par les femmes. « D’habitude ici, pour trouver quelqu’un pour parrainer l’Eb-eb, on est obligé d’aller chercher loin. Cette fois-ci, Sêtê a offert un homme, en la personne de Savié. Tout ce que vous voyez ici est son œuvre. Il a mis de la valeur dans les habits, dans le pagne », revendique la chanson. Qui arrache les acclamations nourries dans le public. Le parrain et son épouse réagissent en se levant pour saluer cet hommage mérité.

Les M'Bédié, relativement plus jeunes, portent des T-shirt à l’effigie du parrain. Même dispositif, avec les femmes devant et les hommes derrière. Chants et danse sous l’aire de l’Akpôgbô. Place aux Abriman. A travers leur chanson, ces derniers exhortent toutes les filles et tous les fils de la localité à l’union. Les N'Djrouman, les Bodjr, puis les Abrman entament leur tour de passage et bouclent la boucle. A la différence des précédentes classes d’âge, ils sont très jeunes et comprennent exclusivement des hommes. Ils sont vêtus d’accoutrement étrange, qui dévoile leur corps, à l’exception des parties intimes. Ils ont une démarche majestueuse qui met en exergue leur plastique… Leur passage est accompagné par le tam-tam parleur.

L’Atigbani tonne

Place maintenant au spectacle. L’Akpbôgbô crépite à un rythme infernal et détonant. Soudain, l’Atigbani tonne à son tour. En toile de fond, un instrument de percussion qui enrichit le rythme devenu de plus en plus endiablé. Un danseur surgit soudain de la foule avec une queue d’animal en main. Il tient apparemment une queue de bœuf. A petits trots, à la façon du kangourou, il parcourt toute la rue en longueur en saluant le public. Après cette phase, il marque un arrêt et jette un regard vers le batteur du tam-tam parleur. Le rythme de la musique devient alors plus intense. Légèrement incliné, il fait quelques pas devant, puis en arrière. Tonnerre d’applaudissements du public. Selon le rythme imprimé par le percussionniste, il accélère ou ralentit ses pas. Dans cet exercice, le corps du danseur s’exprime à travers une certaine gestuelle. Il donne véritablement le sentiment d’être en parfaite symbiose avec le tapeur de tam-tam. Une dame atterrit sur scène. Elle tient deux foulards en main. Les bras levés, elle fait un tour d’horizon pour saluer le public. Au niveau de certaines personnes, la danseuse s’agenouille en signe de respect. Avant de faire face au batteur de tam-tam. Le rythme de la musique redouble d’ardeur. Elle s’abaisse alors légèrement et, avec une technique dont elle seule a le secret, bouge méthodiquement, en se déhanchant à gauche et à droite. Le public, subjugué par tant de panache, exulte. Plusieurs personnes se jettent sur elle en introduisant des billets de banque et des pièces dans sa bouche, en signe de congratulations. Cette danse très appréciée est « l’Ereim eidj », la danse des fesses.

13h 48 min. Le tam-tam parleur crépite à nouveau. Il annonce enfin l’intronisation des patriarches. Nomel Henri Essoh, représentant les dignitaires- les M'Bédié-, vient se pointer sur l’esplanade aménagée. Il est aussitôt rejoint par Laurent Akpa Lasm, le porte-parole des futurs patriarches. Celui-ci lui remet une machette. Tout en expliquant que cet outil n’est pas fait pour faire la guerre, mais pour plutôt régler les litiges dans la droiture et la démocratie. Une canne, signe de sagesse, puis un chasse-mouche pour chasser les mouches, c’est-à-dire pour se débarrasser de tout ce qui est gênant, sont aussi des attributs qui lui sont remis. L’Atigbani crépite à l’envi et salue les nouveaux tenants du pouvoir. Les Mborman reçoivent les félicitations des membres de leurs familles respectives et leurs connaissances dans une ambiance de gaieté.
14h 25min, fin de la cérémonie ! La fête n’est pas pour autant terminée. Les enfants, petits-enfants, neveux et nièces raccompagnent leurs parents à la maison en chantant et en dansant. Plusieurs processions s’ébranlent à travers les artères de la ville dans une ambiance carnavalesque. Au passage, prises de photos, accolades, salutations avec les parents et connaissances sont de mise. Toute la soirée, jusqu’à la tombée de la nuit, c’est la fête dans chaque concession.

Les patriarches n’ont pas, en réalité, la gestion du pouvoir au quotidien. Ils jouent un rôle consultatif auprès du pouvoir exécutif. Pouvoir incarné par le chef et sa notabilité. Pour déclarer la guerre ou prendre des mesures qui engagent l’avenir, l’avis des patriarches est nécessaire. L’emblème des Mborman est le soleil levant. Ils doivent donc éclairer le peuple pour guider le navire à bon port.

Retenons que la prochaine fête de l’Eb-eb aura lieu en décembre 2020. Selon les experts traditionnels, celle célébration a lieu au mois de décembre, en vue d’entamer la nouvelle année avec un nouveau pouvoir. Avant la prise de fonction effective des Mborman, c’est les M’bédié qui évacuent les affaires courantes.

Un reportage de César Ebrokié
(Envoyé spécial à Toupah)
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