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Société Publié le mercredi 16 janvier 2013 | Le Patriote

Entretien / Alain Lamkan Coulibaly, président de l’Association nationale des Albinos de Côte d’Ivoire : “Nous vivons une situation très difficile”

Les albinos de Côte d’Ivoire, à l’instar de leurs camarades d’ailleurs, sont confrontés à d’énormes difficultés qu’ils vivent dans le silence. Alain Coulibaly, président de l’Association nationale des Albinos de Côte d’Ivoire, évoque dans cet entretien, leurs péripéties et interpelle les autorités sur leur situation.

Le Patriote : Qu’est ce qui a motivé la création de l’Association nationale des albinos de Côte d’Ivoire ?

Alain Lamkan Coulibaly : L’initiative de nous constituer en association est partie de l’assassinat d’un albinos, dans les environs des Vallons, aux deux plateaux, en 2008. J’étais à Katiola à l’époque quand cette situation s’est produite à Abidjan. Nous nous sommes sentis alors menacés après cet assassinat et avons décidé en mars 2009 de nous constituer en association pour défendre les droits des albinos. Nous veillons donc à la protection, à la promotion et à l’épanouissement des albinos.

LP : Quel était le mobile de l’assassinat de votre camarade en 2008?

ALC : Sur le mobile, il faut avouer que ce sont les journaux qui nous ont le plus édifiés. A priori, notre collègue n’avait pas été victime d’un sacrifice humain qui est une réelle menace pour nous. Il a plutôt été pris pour un dément, un malade mental et agressé comme tel.

LP : Vous avez évoqué les termes « sacrifices humains ». Y a-t-il eu des cas en Côte d’Ivoire ?
ALC : A ce jour, nous ne pouvons pas l’affirmer. Cependant, nous assistons beaucoup plus à des tentatives d’enlèvements qui visent des sacrifices humains. Après l’assassinat en 2008 de notre camarade, nous avons assisté à une autre tentative d’assassinat d’un de nos membres, récemment, à Toumodi. Ce dossier a été beaucoup médiatisé. Une dame a tenté d’enlever un de nos membres. La justice a été saisie et elle a été condamnée à cinq ans de prison. Mais elle a fait appel de la décision. Le phénomène de tentative d’enlèvement des Albinos est une réalité en Côte d’Ivoire. Cela ne se passe pas qu’ailleurs. En septembre dernier, il y a eu une énième tentative d’enlèvement d’un bébé albinos de trois ans, dans la région de Man.

LP : Combien de membres revendique votre association aujourd’hui?

ALC: A ce jour, je ne peux pas vous dire le nombre exact d’albinos en Côte d’Ivoire mais notre association, spécifiquement, enregistre aujourd’hui plus d’une centaine de membres actifs des femmes et des hommes. La majorité de nos membres vivent à Abidjan et dans les banlieues. Nous comptons installer à l’intérieur du pays des sections de notre association pour mieux nous faire entendre.

LP : Comment vous sentez vous dans la société?
ALC : En Côte d’Ivoire, nous vivons une situation très difficile. Il y a des gens qui crachent dès qu’ils voient passer un albinos. D’autres nous considèrent comme des hommes à part. Quand vous êtes dans les lieux publics, vous êtes l’objet de curiosité et lorsque vous vous asseyez quelque part, vous n’aurez pas un voisin à côté de vous. Parce qu’on pense qu’en étant en contact avec un albinos on pourrait devenir comme lui. Ce sont des appréhensions normales mais nous pensons qu’il faut encore beaucoup de sensibilisation sur ces questions. On peut améliorer la perception des gens. Il est vrai que nous vivons une situation difficile en Côte d’Ivoire mais nous sommes acceptés dans le pays. Ce n’est pas le regard de quelques uns qui nous ferait penser le contraire. Il n’y a pas de règle sans exception.

LP : Sur le plan professionnel…

ALC : C’est là notre véritable problème. Sur le plan professionnel, nous déplorons une discrimination. A cause de notre peau et d’autres handicaps comme la mauvaise vision, certaines entreprises refusent de nous recruter. Même quand nous avons les diplômes et les compétences requises. Cela crée, malheureusement en nous, un complexe d’infériorité. Un sentiment d’autant plus fort que les gens nous regardent avec pitié. On nous juge donc sans nous laisser souvent faire la preuve de ce dont nous sommes capables. Nous avons pourtant des aptitudes à même de produire des rendements à la hauteur des attentes. Mais comment le prouver si à la vue de la couleur de notre peau nous sommes recalés. Nous avons un problème d’insertion professionnelle et nous profitons de cet entretien pour interpeller les autorités sur la situation que nous vivons.

LP : Quelles sont les vraies difficultés liées à l’albinisme au plan sanitaire?
ALC : Au plan sanitaire, nous avons d’énormes problèmes au niveau dermatologique. Les problèmes de peau sont propres à l’albinos et nous en souffrons, il faut l’avouer. Nous sommes très allergiques au soleil. Mais pour nous qui vivons en ville, c’est encore mieux. Nos frères qui vivent à l’intérieur et qui pratiquent les travaux champêtres, quand vous les voyez, vous vous demandez si nous sommes conçus de la même façon. Nous avons l’un des nôtres qui a un véritable problème de peau pour lequel d’ailleurs nous lançons un appel à l’aide. Mais au-delà de la peau, nous avons aussi des problèmes de vision. Ce handicap participe pour beaucoup à nos difficultés d’insertion. Mais ce n’est pas notre faute. Nous n’avons pas de moyens pour nous assister nous-mêmes. Au Burkina où j’ai été, les albinos ont un dermatologue et un ophtalmologue. En prime, des consultations tous les jeudis après midi. J’ai trouvé cela très intéressant. Nous souhaitons mettre ce même système en Côte d’Ivoire. Mais sans l’aide des autorités, nous n’y parviendrons pas parce que nous n’avons pas les moyens.

LP : Avez-vous entrepris des démarches auprès des autorités?

ALC : Bien sûr. D’ailleurs, à la suite d’une conférence que nous avons initiée sur l’albinisme et ses difficultés, nous avons écrit au ministère de la santé qui nous avait fait venir un spécialiste en dermatologie et un ophtalmologue. Le dermatologue avait conclu, ce jour-là, que notre pire ennemi était le soleil. Il a parlé de la fragilité de la peau des albinos et nous a suggéré des consultations régulières en dermatologie et en ophtalmologie. Mais comment le faire sans moyen. C’est-là que réside notre souffrance.

LP : On note aussi un fort taux d’analphabétisme chez les albinos ?

ALC: En effet, sur cent albinos, il y a seulement 25 qui franchissent la classe de 3ème. L’analphabétisme est criant en notre sein. Mais cela s’explique par nos problèmes de vision qui sont un frein à la poursuite des études. Nous plaidons pour des écoles aux normes des albinos. Nous plaidons aussi pour la conception d’appareils qui tiennent comptent de nos problèmes visuels. On peut par exemple concevoir des écrans d’ordinateur plus adaptés à nos lacunes visuelles.

LP : Avec quels moyens menez-vous alors vos activités?

ALC : Avant de répondre à votre question, je voudrais préciser que nous levons des cotisations de 500 FCFA/ mois et par membre. Mais je dois vous avouer sans honte que les cotisations ne rentrent pas. A supposer même que les cotisations rentrent. Avec une centaine de membres, que peut-on recueillir face aux besoins que je viens d’exprimer ! C’est infime pour réaliser un projet. Je suis souvent sollicité par des membres en difficulté qui exposent leur problème de santé sans qu’on ne puisse les secourir parce nous n’avons rien. Nous demandons au gouvernement de penser à nous subventionner.

LP : Vous avez quand même des projets pour vos membres?

ALC: Oui, nous en avons. Notre association a monté un projet de création d’une ferme. Si nous avons un partenaire qui accepte de financer ce projet, nous pourrions disposer à terme de ressources pour faire face à nos problèmes. Nous avons soumis ce projet au ministère des ressources animales et halieutique et au district d’Abidjan. Malheureusement, nous n’avons pas eu de suite. Nous souhaitons pouvoir également disposer d’un site où l’on peut nous retrouver. Nous pensons à une structure d’accueil. Nous avons monté un projet également dans ce sens et nous avons sollicité une fondation de téléphonie mobile qui a approuvé le projet. Mais il nous faut d’abord une parcelle que nous n’avons pas encore trouvée. Nous pensons que l’Etat peut au moins nous trouver un site. Il faut que nous ayons absolument ce site.

LP : Un appel aux autorités ?

ALC : Pour l’instant, nous ne mendions pas comme c’est le cas ailleurs. Nous attendons beaucoup des autorités mais il n’y a pas que le gouvernement. Nous pensons que des organisations internationales et des entreprises citoyennes peuvent nous apporter leur aide. Nous sommes d’ailleurs invités en mars prochain à un séminaire des Albinos de France. Mais n’avons pas les moyens de nous y rendre. Nous pensons aussi à la Première Dame qui a un grand cœur et qui fait beaucoup pour les enfants et les déshérités de Côte d’Ivoire. Nous espérons son aide pour assurer aux Albinos, un minimum de dignité dans la société.

Réalisé par Alexandre Lebel Ilboudo
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