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Politique Publié le vendredi 8 février 2013 | L’intelligent d’Abidjan

Contribution / Justice, vérité et réconciliation - Pourquoi l’Etat doit s’engager plus pragmatiquement dans le processus

En dépit d’avancées certaines, et pour mettre fin à la crise, à l’instabilité politique et à un certain nombre de régressions démocratiques en Côte d’Ivoire, l’Etat doit s’engager plus pragmatiquement dans le processus de réconciliation et prendre de façon courageuse un certain nombre d’engagements sur la justice, la protection des libertés et surtout la lutte contre l’impunité.

La difficulté actuelle réside certainement dans le manque d’identification précise et adéquate du processus de justice, vérité et réconciliation que l’Etat est censé mettre en place pour accompagner, la sortie de crise ou la construction de la démocratie. Si on admet, conformément à la définition adoptée par les Nations-Unies, que la justice après une crise recouvre l’éventail complet des divers processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à des exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation, alors la définition du processus de justice sur laquelle tous les acteurs ivoiriens peuvent s’accorder est essentielle. Premièrement, le processus de Justice, Vérité et Réconciliation commandait une approche au cas par cas. Il y a donc une nécessaire contextualisation et une appropriation locale de l’enjeu car les modèles proposés par nos partenaires devraient être considérés comme une sorte de boîte à outils dans laquelle l’Etat ivoirien devrait choisir la procédure la plus adaptée à nos réalités et qui peut être qualifiée de justice particularisée qui opère in situ. Deuxièmement, ce processus devrait avoir un caractère dérogatoire. D’abord, parce qu’il renverse la normalité dans la mesure où la situation que nous avons connue est, par hypothèse, anormale et que tout devrait être mis en œuvre à partir de règles marquées par leur caractère dérogatoire pour reconstruire une situation conforme à nos lois nationales et à la normalité internationale. Ensuite, les étapes devraient être accompagnées de mesures nécessairement limitées dans le temps avec toujours le risque qu’elles ne deviennent définitives et que la légalité dérogatoire ne s’érige en légalité de droit commun. Troisièmement, le processus de Justice, Vérité et Réconciliation en Côte d’ivoire devrait inciter à adopter une approche globale. La réflexion sur la mobilisation de ce mécanisme devrait être inclusive et systématique ; elle devrait se placer dans le cadre des trois pouvoirs que sont le législatif, l’exécutif et le judiciaire, et pas simplement dans le cadre du pouvoir judiciaire et ce, durant toute la période. Elle devrait prendre en compte les enjeux ethniques et l’enjeu national ; elle devrait saisir les trajectoires individuelles et collectives, culturelles et sociales. En toutes hypothèses, cette vision devrait obliger l’Etat ivoirien à mener toutes les réformes simultanément et devrait la conduire nécessairement à adopter une vision stratégique et inclusive. Et tout en étant relatif, ce mécanisme devrait reposer sur des séquences bien identifiées et devrait s’ordonner généralement autour de quatre grands piliers identifiés par Louis Joinet dans son rapport sur la lutte contre l’impunité présentée à la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU en 1997. D’abord, le droit à la justice. Le choix de la juridiction compétente devrait être important. Il devrait s’agir d’une juridiction hybride, comme une chambre extraordinaire au sein du tribunal de première instance d’Abidjan ou un tribunal spécial, ou bien encore plusieurs tribunaux ad hoc installés au sein des sous-préfectures et non le tribunal de première instance d’Abidjan avec les fonctionnaires de l’Etat comme ce qui se pratique en ce moment et que nous constatons. Il devrait s’agir d’une espèce de jury populaire pour juger ces personnes qui ont posé toutes sortes de faits et même des faits non qualifiés pénalement, et qui ont pourtant contribué à la dégradation de la conciliation nationale. Plus largement le recours à ce processus extrajudiciaire devrait être envisagé, le tout, et toujours, dans une logique de complémentarité et d’articulation avec le mécanisme juridictionnel.
Ensuite, le droit à la vérité. Les enquêtes devraient être organisées et exclusivement menées par la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation créée par l’ordonnance n° 2011-167 du 13 juillet 2011. La création d’une cellule d’enquête n’a fait que plomber la mission de la Commission qui se contente désormais de rendre des visites de courtoisie à des chefs de religion ou de villages alors que certains parmi ces derniers sont auteurs, coauteurs ou incitateurs de ce qui ce qui a marqué macabrement notre pays. L’échec du Forum de la réconciliation nationale limité aux principaux acteurs politiques devrait interpeller fortement cette Commission qui devrait s’adresser directement à des milliers de victimes afin de comprendre l’ampleur et les types de violations commises et établir leur réalité. Là encore, la complémentarité avec les juridictions doit jouer. La Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation n’est pas et ne doit pas être destinée à agir comme des tribunaux et ne peut être un substitut à un processus judiciaire visant à établir des responsabilités criminelles individuelles. Elle devra rendre des conclusions à l’issue de ses travaux ; conclusions sur la base desquelles, il revient aux juridictions d’engager ou de ne pas engager de poursuites. Suit le droit à réparation. Plusieurs éléments répondent à cette obligation de réparer. Il s’agit d’une indemnisation matérielle, une restitution des biens, des mesures de réhabilitions pour les victimes, des mesures symboliques comme par exemple ; des excuses publiques, une commémoration ou un mémorial. Pour le moment et à notre connaissance, seuls des responsables politiques ou des chefs militaires sont indemnisés. Cependant, toute recommandation en vue de réparation ne devrait pas pour autant être considérée comme un substitut à la traduction des responsables en justice ou comme un obstacle pour les victimes de demander aussi réparation devant les tribunaux spéciaux ou ad’hoc et cette possibilité qui est un droit devra être largement médiatisée par des médias d’Etat qui ont pour l’heure, le souci essentiel de faire la promotion de ceux qui les nomment. Enfin, des garanties de non répétition et des réformes institutionnelles doivent être proposées. L’Etat devra procéder à un vetting (vérification et filtrage institutionnel), c’est à dire à des réformes notamment en matière de systèmes de sécurité (RSS) et de justice – afin de permettre la responsabilité pénale à l’égard des violations du passé supposées et de s’assurer que des institutions politiques efficaces et équitables puissent prévenir les abus éventuels futurs – de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR), les violations massives de droits de l’homme lors des tristes évènements que nous avons subis étant commises par des agents de sécurité.
Toutes les institutions, judiciaires, para-judiciaires ou extrajudiciaires qui interviendraient dans le cadre des différentes séquences du processus de justice et vérité devraient nécessairement travailler de concert et être articulées non seulement entre elles, mais aussi avec les formes de justices institutionnelles existantes. Sans quoi, les mécanismes risquent l’inefficacité et le processus de Justice, Vérité et Réconciliation l’illégitimité.

Docteur Cheick DIOP, avocat
président de avocats sans frontières CI
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