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Société Publié le mardi 12 février 2013 | Nord-Sud

Tia Koné à propos de l’arrêt rendu : «Je n’ai pas été habité par un quelconque démon»

© Nord-Sud Par Emma
1er mai - Les travailleurs présentent leurs doléances au président Laurent Gbagbo
Samedi 1er mai 2010. Abidjan, Palais présidentiel du Plateau. Le président Gbagbo assiste au défilé des travailleurs et à la présentation de leurs doléances. M. Tia Koné, président de la Cour suprême
Dans cette interview exclusive qu’il nous a accordée, au lendemain de son repentir, au sujet de l’article 35 de la Constitution, Tia Koné, ancien président du Conseil constitutionnel et de la Cour suprême, explique qu’il n’est jamais tard pour reconnaître qu’on s’est trompé.

Vous venez d’exprimer des regrets pour les torts causés par l’article 35 de la Constitution. Est-ce que ces regrets sont sincères ?

Il ne s’agit pas d’un regret. Mon regret n’est pas fait par rapport à l’article 35 ; je regrette plutôt la peine que la décision a causé à  certains de mes frères. L’article 35, j’en ai fait plutôt une analyse exhaustive et scientifique en disant que c’était inique et  absurde. Si vous prenez le texte,  vous comprendrez pourquoi c‘est inique. Donc mon regret ne se situe pas au niveau de l’article 35. Je n’ai rien à regretter à ce niveau,  c‘est une analyse  scientifique que j’ai faite. Je n’ai donc pas à regretter d’avoir fait cette analyse. J’ai dit qu’en 2000, les Ivoiriens  ont été manipulés au moment où ils faisaient leur Constitution. Parce que ce sont les mêmes qui allaient siéger autour du président Robert Guéi à Abidjan qui allaient être les porte-parole des populations chez eux à l’intérieur du pays. Les mêmes qui restaient à Abidjan pour dire nous voulons le «et» sont les mêmes qui allaient à Aboisso, à Man ou ailleurs  pour dire que les populations sont d’accord pour la conjonction «et» au lieu de « ou ». Or, si on avait fait une étude exhaustive à cette période-là, si on avait touché véritablement les populations en leur expliquant véritablement la réalité des choses, ces populations n’auraient jamais voté cette loi. Parce qu’elles ont des enfants qui sont partis faire des études en France, qui ont marié des femmes là-bas, qui sont venus avec des enfants issus de ces mariages-là. Est-ce qu’ils allaient accepter que ces enfants qui sont leurs descendants, ne soient pas chefs de l’Etat de ce pays ? Voyez-vous ?  Nos enfants vont ailleurs, s’ils y ont épousé des femmes, ils viennent avec elles au pays. Ces enfants sont nos enfants, et nous allons voter une loi pour les empêcher d’être plus que nous ? Oui, ce n’est pas possible. C’est parce qu’on n’a pas expliqué aux populations à l’époque, souvent par des suites d’une manipulation politicienne, à des fins que j’ai dit inavouées à l’époque.

Vous dites que l’article 35 est inique !

Voyez, cet article 35, j’ai dit que c’était inique et c’est impossible qu’on admette cela. Donc j’ai expliqué pourquoi c’est inique, et j’ai expliqué pourquoi c’est absurde.  C’est absurde parce que quand on dit, il faut être né de père et de mère eux-mêmes Ivoiriens d’origine, alors que nous nous situions à l’an 2000, où tous les candidats,  qui devaient avoir au moins quarante ans, étaient nés en 1960 au plus. Mais tous ceux qui étaient nés avant, ils n’étaient pas nés Ivoiriens, encore moins leurs pères ou leurs mères, qui eux sont nés en pleine période coloniale, soit sous la nationalité française, s’ils avaient ce droit ou des sujets français. Parce qu’à l’époque, ce n’est pas tout le monde qui avait droit à la citoyenneté française. Ces derniers étaient ceux qui travaillaient avec les colons. Et tous les autres, nous étions des sujets français. En tout cas, personne n’était citoyen ivoirien. La citoyenneté ivoirienne n’existait pas. Dire qu’à cette époque, il fallait être citoyen ivoirien, je trouve cela absurde.

Cette sortie que vous venez de faire n’est-elle pas tardive ?

Ecoutez, une décision qui a été prise en 2000,  qui fait encore mal, il n’est jamais tard pour l’expliquer. Et faire réconcilier tout le monde. Nous sommes à l’ère de la réconciliation. Il y a certaines personnes qui n’ont pas de problème particulier. Ceux qui ont un certain nombre de mises au point à faire, doivent le faire. Il n’est pas tard de dire certaines choses pour que nous repartions sur de nouvelles bases de fraternité, d’entente et de concorde pour renouer avec notre passé d’amitié.
 
N’est-ce pas parce que M. Ouattara est aujourd’hui au pouvoir que vous tenez à faire amende honorable ?

Non, j’ai dit dans mon discours qu’à cette époque, nous nous étions rendu compte de cet état de chose. Mais le juge a un devoir d’appliquer la loi. S’il ne l’applique pas, il commet ce qu’on appelle une forfaiture ; il peut être poursuivi en justice. Le juge n’a pas pour vocation de critiquer la loi et de refuser de l’appliquer ; c’est un devoir pour lui.
 
Même si cette loi est mauvaise ?

Le juge n’est pas là pour voir si elle est bonne ou mauvaise ; il doit l’appliquer. Mais il l’applique en conservant la raison. Qu’est-ce que nous avons fait en son temps ? J’ai dit que nous avons été obligé de faire une analyse elliptique, en ramenant en quelque sorte la citoyenneté que nous avions à l’époque où nos parents étaient nés. En ce qui me concerne, c’est en 1899 que mon père est né. On a supposé que tous ceux qui habitaient ce lopin de terre qu’on appelle aujourd’hui la Côte d’Ivoire, étaient déjà des Ivoiriens. C’est ce que nous avons dû faire, parce qu’il fallait donner un contenu juridique à la loi. Autrement, on allait dire qu’aucun des candidats n’était Ivoirien et on allait les rejeter tous en bloc ; ce n’était pas possible.  Donc ce n’est pas parce que le président Alassane Ouattara est au pouvoir aujourd’hui que je le dis. Personnellement, j’étais contre cette loi au moment où elle se votait. J’étais conseillé spécial du président Robert Guéi et je le lui ai expliqué. Je lui ai dit que moi j’ai cinq enfants qui sont nés de mère française.  Lui également avait des enfants qui étaient nés de mères sénégalaises. Je lui ai dit que si nous faisons ça, nous risquons de bloquer l’évolution de nos enfants. Je lui ai demandé si nous ne risquons pas de pénaliser ces enfants ? Et vous savez, dans mon exposé, j’ai dit qu’il est dans la nature de l’homme de se projeter dans son propre miroir qu’est son enfant.  Alors si cela est dans la nature de l’homme, pourquoi pénaliser ses enfants dès leur naissance? Ce n’est pas une affaire qui date d’aujourd’hui. Cela date de depuis toujours ; c’est une position personnelle, et quand on dit qu’on fait un referendum, chacun dit ce qu’il pense. Mais c’est la majorité qui l’emporte.

Yao N’dré a dit pour ce qui est des causes de la crise postélectorale, que les Ivoiriens étaient sous l’emprise du diable. Qu’en dites-vous ?

Je ne peux pas de manière globale affirmer certaines choses. Chacun a vécu ces évènements en interne et personnellement. Si Yao N’Dré dit qu’on a été habité par des démons, moi il ne me semble pas avoir été habité par un quelconque démon. Je vous ai dit tout à l’heure que depuis 2000, cette position est la mienne. Aujourd’hui encore, je la soutiens. Au moment où on discutait de cette loi, en ce qui concerne l’article 35, j’ai toujours été conforme à cela, en disant de ne pas pénaliser nos propres enfants. Ce que les Ivoiriens ignorent souvent, c’est que notre loi sur la nationalité qui est notre code de la nationalité, est fondée sur nos deux conceptions de la famille en Côte d’Ivoire. La conception patrilinéaire et celle dite matrilinéaire. Chez nos amis les Akans de l’Est, c’est la mère qui détermine l’appartenance à une famille. Chez nous qui sommes les Mandé et chez nos frères Krou, c’est le père qui détermine l’appartenance à une famille. Dans le choix qu’il nous avait fallu faire à l’époque, il était question de choisir entre les deux. Le président Houphouet-Boigny que nous connaissons tous pour sa sagesse aujourd’hui, a décidé de prendre ces deux valeurs pour dire qu’il suffit que l’un des deux parents seulement soit Ivoirien, pour qu’on soit Ivoirien. C’est à cela que je reviens dans mon analyse et je dis que nous devrions mettre cela en exergue à tout moment, c’est-à-dire l’essentiel est d’être né d’un des deux parents Ivoiriens, pour qu’on soit candidat à l’élection présidentielle. Parce que je ne comprends pas qu’il y ait des catégories de personnes qui puissent avoir le privilège d’être président de la République et d’autres pas. Je l’ai toujours dit. 

On vous voit de plus en plus avec des membres de la direction de l’Udpci. Peut-on dire que vous êtes de retour à la maison ?

Ce n’est pas un retour ; je n’ai jamais été à l’Udpci. J’étais magistrat ; et vous savez que quand on est magistrat, on n’a pas le droit de militer dans un parti politique. Lorsque j’ai eu la chance d’être à la retraite, je me suis dit qu’il y a un parti politique laissé par mon frère Robert Guéi, que je me dois d’aller avec ceux qui ont maintenu haut la flamme de ce parti, pour les aider, puisque j’ai encore la force de le faire,  je suis venu aux côtés de mes frères. Notre devise c’est la paix. Mon devoir de réserve est donc levé et je suis un simple citoyen heureux de servir son pays.

Entretien réalisé par Kindo Oussény à Man
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