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Société Publié le samedi 16 février 2013 | Le Patriote

Massacres ciblés des populations d’Abidjan : le quartier SOS, une cité martyre oubliée

Devoir de mémoire. Dans notre publication du 31 juillet 2012, nous publions un reportage sur le massacre orchestré par les hommes de Laurent Gbagbo contre les populations aux mains nues, notamment celles d’Abobo SOS.
Quelques deux semaines, après le massacre des marcheuses d’Abobo, deux autres crimes ont été perpétrés par les hommes de Laurent Gbagbo, le 17 mars 2011. Si celui du marché Siaka Koné est connu de tous, le cas du sous quartier SOS, est passé presque sous silence. Pourtant ce même jour, cinq obus sont tombés dans ce quartier faisant au moins 11 tués, des dizaines de blessés et des centaines de populations traumatisées qui sursautent au moindre bruit. Nous les avons rencontrés.

Ce mardi, 24 juillet, il est un peu plus de 11h lorsque notre véhicule de reportage s’immobilise au quartier SOS, juste devant le domicile de la famille Adama. Le quartier, pour rappel, tire son nom du village pour enfant en difficultés de la commune. Un domicile devenu, selon plusieurs témoignages, un lieu de pèlerinage. Nous y pénétrons sous la conduite de notre guide du jour, Sylla Aboubakari, président d’une ONG en charge des victimes. En l’absence du père de famille, c’est la maitresse des lieux, Koné Alice, qui nous accueille dans une ambiance conviviale. Les échanges de civilités se passent plutôt bien. Sur les lèvres des membres de notre équipe de reportage, de notre guide et des membres de la famille, des brins de sourire se dégagent. Soudain, à l’invocation de la date du 17 mars 2011, un silence de cimetière plane dans la pièce. La mère de famille fond en larmes. Autour de moi, un calme plat fait place aux sourires que les uns et les autres échangeaient. « Ici, rapporte la maitresse des lieux, entre deux sanglots, on a décidé de ne plus évoquer cette date. Même si c’est un jour inoubliable, comme nous l’avons baptisé au quartier, nous évitons d’en parler », lâche-t-elle. Elle essaie de reprendre son souffle, cherchant au fond d’elle une force nécessaire pour poursuivre son récit.

Finalement, elle se décide à nous raconter son calvaire. « Ce jour là, mes enfants m’avaient demandé de leur faire des galettes. J’ai fait le ménage et je m’apprêtais à aller me laver quand j’ai entendu un premier bruit assourdissant juste derrière notre cour. J’ai invité mes enfants à se mettre à l’abri », poursuit-elle. La famille Koné décide donc de se terrer dans la mosquée du quartier, juste à quelques mètres de leur domicile. Pour les habitants, c’était le lieu le plus sûr puisque l’édifice en dalle, les protégeait des dégâts causés par les obus. « Mes enfants m’ont donc devancé dans la mosquée. C’est en ce moment que juste devant ma cour, un autre obus est tombé. Elle se retient, ses yeux sont imbibés de larmes. A nouveau, un autre silence plane dans l’assistance. « J’ai senti une brûlure dans ma jambe droite, puis j’ai commencé à saigner à cet endroit. Je me suis trainée avec ma blessure jusqu’à la mosquée pour me cacher », relate-t-elle. Autour d’elle, elle remarque une absence, celle de son fils Keita Kanséré. « Je l’ai vu fermé le portail. Nous étions presque côte à côte quand l’obus est tombé à quelques centimètres de nous. Je l’ai vu s’écrouler, mais paniquée il ne m’est pas venu à l’idée de me plancher sur son sort », indique Mme Koné. C’est en ce moment que les rumeurs les plus folles ont circulé sur son cas. Certaines des ces rumeurs annonçaient le jeune homme mort. Elles n’étaient pas fausses. « J’avais dans un premier temps perdu connaissance.

Les oubliés de la crise

J’ai repris mes esprits quelques minutes plus tard. Je me suis trainé jusqu’à l’intérieur de la mosquée. Les obus avaient cessé de tomber. J’avais très mal », se souvient Keita Kanséré. Qui ajoute que de leur cachette, ils entendaient des pleurs dans les environs. Dames N Faty et Dambelé Awa et M Kahoun Kouassi Maturin, présents ce jour là également ne sont pas prêts d’oublier. D’une main tremblante, M Kahoun a du mal à articuler les mots. Comme seul témoignage, il nous tend sa main droite. « Aujourd’hui, j’arrive à la bouger. J’ai été réveillé en sursaut ce jour. Je cherchais à m’abriter quand un éclat d’obus m’a atteint au bras ». La gorge nouée, il arrête son récit, presqu’en larmes. A l’unanimité, les populations de SOS pensent que les médias n’ont pas trop fait écho de leur malheur.
Pourtant, nous avons subi l’enfer ici, indique entre temps, M Koné Adama, le chef de famille qui vient de faire son entrée. « En l’espace de quelques minutes, cinq obus sont tombés dans un périmètre de 200m. Depuis, sa maison était devenue une curiosité. « Il y avait des impacts d’obus sur le mur et sur le portail. J’ai fini par passer un coup de ciment sur la clôture et changé le portail », explique –t-il. Mais avant, nous avons vécu d’autres drames ici », indique-t-il.

Pour échapper aux balles assassines, les populations étaient obligées de se déplacer en rasant les murs, au risque d’être fauchées par une balle des snipers. Avant d’évoquer le cas du 27 mars 2011. « Je ne savais pas que les hommes étaient cruels jusqu’à ce point. Rien qu’à me rappeler ce qui est arrivé à la jeune fille enceinte et à toutes ces personnes qui les tueurs perchés sur les toits des maisons, tuaient à longueur de journée, cela me révolte », indique-t-il. Avant d’exiger que justice soit faite. La jeune fille en question, se nomme Kanaté Nadougouyé. Au moment des faits, elle était enceinte de 6 mois, selon son oncle Kanaté Soualio que nous avons rencontré dans les environs du grand marché d’Abobo. Elle a été tuée à bout portant. « Elle a eu le malheur de tomber sur un cortège des FDS vers le lycée moderne d’Abobo. L’un des occupants du véhicule est descendu pour lui demander pourquoi elle avait peur d’eux. Juste le temps qu’elle réponde, il lui a logé une balle dans le cou. La balle a traversé sa main droite qu’elle avait placé comme bouclier pour se défendre », relate l’oncle de la jeune fille.

Au quartier SOS, cette mort hante toujours les esprits. C’est Mlle Koné qui nous rapporte ce qui s’est passé : «quand la jeune fille est tombée, ses assassins l’ont abandonnée et sont partis. Nous sommes allés voir ce qui se passait. L’enfant à l’intérieur du ventre de sa maman à commencer à se débattre. Au début, ses battements étaient fréquents, ils se sont ralentis pour s’estomper définitivement. Partout, c’était des pleurs». Que dire de dame Dembélé qui en plus du calvaire du 17 mars, a vécu un autre drame : «Vous n’allez peut être pas me croire. Mais ce que je vais vous dire est la vérité. Une fois, les policiers de Laurent Gbagbo m’ont poursuivie alors que nous étions au marché. Dans ma fuite, je ne me suis pas rendue compte que je n’avais plus de pagne sur moi. J’ai couru du marché à chez moi en caleçon. Ce n’est que quand mon mari m’a interpellé que je me suis rendue compte que je n’avais pas de pagne, c’était terrible ». La tempête passée, après la pluie d’obus, les victimes ont, selon Mme Koné, été conduites à l’hôpital d’Abobo. « J’ai été marquée ce jour là par un fait qui est gravé dans ma mémoire. Juste à côté de moi, il y’avait un monsieur qui saignait énormément de la bouche. Sa fille, le suppliait de ne pas mourir. J’ai prié le médecin de se pencher sur son cas. Il s’est approché de moi pour me siffler à l’oreille que l’homme ne vivrait pas au-delà de 30 minutes. Sa fille continuait de le supplier quand il a rendu l’âme, sous son regard impuissant. C’était horrible». Aujourd’hui, les populations de ce quartier ont repris goût à la vie. Mais pas totalement, traumatisées qu’elles sont. « Il suffit d’un bruit assourdissant pour que je perde ma sérénité », indique dame N Faty. Leur souhait, comme l’a indiqué monsieur Adame Koné, c’est que justice leur soit rendue. « Si les crimes devraient se commettre en toute impunité, on serait dans la jungle et non dans un Etat de droit », termine-t-il. Nous quittons le quartier, laissant derrière nous des murs lézardés par les obus et une population encore traumatisée par les stigmates de la crise portélectorale.

Thiery Latt
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