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Société Publié le lundi 18 février 2013 | Nord-Sud

Insécurité à Tiassalé : Des miliciens pillent et tuent

Ils sont 150 miliciens environ. Ils sont lourdement armés, s’entrainent dans les forêts de Mouzoukro où ils sèment mort et désolation au sein de la population. Reportage.

Une heure trente minutes, c’est le temps qu’il faut approximativement pour parcourir en transport en commun les vingt deux kilomètres qui séparent la ville de N’Douci de la bourgade de Broubrou, dans le département de Tiassalé (plus de cent kilomètres d’Abidjan). Nous sommes en pays Abidji-Agny, dans la région de l’Agnéby-Tiassa. A notre arrivée, ce mercredi 13 février, à 10 heures 30 min, le village est presque vide. Les habitants principalement des planteurs de cacao et d’hévéa, sont dans leurs champs. Trois jeunes gens, dont l’un a le crâne rasé et portant des boucles d’oreille, sont assis sous une paillotte. Les deux autres sont coiffés de képis. Un paquet de cigarettes et une boîte d’allumettes traînent sur une table. Ils dévisent autour d’une bouteille de bandji (vin de palme). On contourne le cabaret pour emprunter une piste. Elle mène à la rive du fleuve « Bandaman». Deux piroguiers dont Narcisse aident les villageois à traverser le cours d’eau. En cette période de saison sèche, le niveau et le courant d’eau ont baissé. Pieds nus, vêtu d’un pantalon jeans coupé au niveau des jambes sur lequel est dressé un tee-shirt de couleur noire, il nous invite à monter à bord de sa vieille pirogue. Sur le flanc droit de l’embarcation, il y a des trous. Mais le piroguier nous rassure qu’on ne court aucun danger. «Cela fait dix ans que je fais ce métier. N’ayez pas peur. Tout va bien se passer », assure le jeune homme de trente cinq ans. Néanmoins, il ne cache pas qu’un climat d’insécurité règne dans la zone et singulièrement dans les villages de Taïkro, Azokokro et Mouzoukro, qui composent le canton de Broubrou depuis quelques mois.

Populations agressées et dépouillées

Lors de nos échanges, pendant la traversée du fleuve qui dure une dizaine de minutes, notre interlocuteur parle de la présence de groupe d’individus dans les différents campements. «Ces hom­mes armés ne portent pas de treillis. Ils ont des tenues bigarrées. Ils ne sont ni policiers, ni gendarmes, ni Frci (Forces républicaines de Côte d’Ivoire, ndlr). Ils sont dans nos forêts et nos plantations. Je ne sais qui ils sont. Mais, j’ai constaté que depuis qu’ils occupent les forêts, les agressions et les braquages sont récurrents. On vit dans la peur, ici », s’inquiète Narcisse dont les coups de pagaie font accélérer l’embarcation. Nous arrivons sur la rive. Notre contact, un autochtone, pour des raisons de sécurité appelons-le Jules, nous attend depuis quelques minutes. Il nous aide à descendre sur la terre ferme de Mouzoukro (environ 1500 habitants, ndlr), situé à trois kilomètres de Broubrou. Ce village fait partie de la sous-préfecture de Gbolouville, ex-Binaho-Bouzué. Une ambiance particulière y règne. Des enfants jouent, des femmes s’activent dans la cuisine pour le repas de midi. Des seniors bavardent dans un kiosque à café. Ils arrêtent de parler dès qu’ils nous voient. L’un d’entre eux se dirige vers nous. Il porte un pantalon jeans de couleur bleue, un tee-shirt rouge, un collier et des lunettes teintées. Il murmure des mots à l’oreille de notre contact. Cinq minutes après, nous reprenons notre chemin. On se faufile entre les concessions pour prendre la direction du campement Brèbi, à dix kilomètres de Mouzoukro et à trois kilomètres du village d’Akpoungbou. Il se trouve dans une forêt classée sur l’axe Irobo-Bécedi. Selon notre source, le campement de Brèbi a été transformé en un camp de miliciens dirigés par un certain « commandant » Jack Bauer. C’est un homme fort d’un mètre soixante-dix, le teint bronzé et gardant une barbe.

150 miliciens aux ordres de Bauer

D’après notre source, ce chef milicien commande 150 combattants, en majorité des jeunes gens originaires de Sikensi. «Ils se confondent aux paysans. Cela a été possible grâce à la complicité et à la cupidité de la chefferie. Ces jeunes gens sont armés de kalachnikovs. Ils se livrent à des exercices physiques et aux techniques de combat dans le campement. Les planteurs ne veulent pas en parler de peur d’être tués. Mais, moi, je dénonce cette situation », s’insurge Jules, en précisant que sa plantation d’hévéa de dix hectares est pillée par la bande du « commandant » Jack Bauer. K. Olivier, un autre planteur de cacao révèle que ces miliciens ont érigé trois barrages autour de Mouzoukro, Taïkro et Azokokro. Ils rançonnent les populations qui empruntent ces « passages obligés » pour se rendre dans leurs plantations.
« Nous sommes victimes de racket. A chaque passage au corridor, nous devons payer la somme de mille FCfa. Pour les plus chanceux, si vous refusez de payer, ils vous bastonnent. Ou bien ils vous arrachent vos biens. Souvent, ils tirent sur ceux qui veulent défier leur autorité. En novembre 2012, ils ont abattu deux jeunes gens qui revenaient de leurs plantations parce qu’ils ont refusé de payer. La brigade de gendarmerie de Tiassalé a été saisie, mais rien n’a été fait. Ces cas sont légion et nous souffrons sans que les forces de l’ordre ne volent à notre secours », déplore-t-il, en insistant sur le fait que les éléments du pseudo « commandant » Jack Bauer sont disséminés dans la forêt, par groupes de cinq à dix individus armés de kalachnikovs et d’armes blanches (couteaux et machettes, ndlr). Interrogé, Kacou Brou Ernest, chef de village de Mouzoukro souligne que sa notabilité et lui sont préoccupés par la situation sécuritaire de cette localité. « Nous avons initié une série de réunions pour sensibiliser nos jeunes, afin qu’ils abandonnent ces actions qui mettent à mal la cohésion sociale et nationale. Nous continuons de leur parler avec le soutien du sous-préfet. Nous sommes résolument inscrits dans le processus de réconciliation », explique-t-il. Des déclarations qui ne semblent nullement perturber les actions des hommes armés. Ceux-ci continuent de terroriser les villageois en toute impunité. «Nous sommes fatigués de cette présence de miliciens. Nous vivons dans la peur et dans l’angoisse. Régulièrement, ils sortent du campement avec des kalachnikovs pour se rendre à Mouzoukro et à Akpoungbou. Ils sèment le désordre. Nuitamment, ils tirent en l’air pour des raisons que nous ignorons. Ces tirs sont suivis de pillages ou d’attaques. Ils nous dépouillent de nos biens», regrette F.E. qui évoque l’assassinat du jeune Tano Kacou Martial, alors qu’il se trouvait à des funérailles.

Des innocents assassinés

Selon lui, le planteur de trente ans a été abattu dans la nuit du 25 au 26 janvier dernier à deux heures du matin par trois miliciens armés de kalachnikovs, identifiés par des témoins comme étant Adamo, Gayé Alégbé Joseph alias Doh et Francis Djiri Koffi. Ceux-ci ont été arrêtés par la brigade de gendarmerie de Tiassalé et déférés devant le tribunal de la municipalité. Nous quittons Mouzoukro aux alentours de quinze heures. Laissant sur place Narcisse, Olivier, Jules et les autres qui attendent l’intervention des Forces républicaines pour mettre fin à leur calvaire.

Ouattara Moussa, envoyé spécial à Mouzoukro (Tiassalé)
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