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Société Publié le samedi 2 mars 2013 |

Affaire Dodo Habib (acte 2) : Le témoignage exclusif d’un membre du commando qui a enlevé l’étudiant

© Par Emma
Charnier: exhumation de corps de présumées victimes de la Fesci à la cité universitaire de Port-Bouët III
Mardi 15 mai 2012. Abidjan. Résidence universitaire de Port-Bouët III. Les pompes funèbres procèdent à l`exhumation de nombreux corps de présumées victimes de la Fesci, en présence de la police scientifique, de la gendarmerie, de l`ONUCI et des représentants des organisations internationales de défense des droits humains
Après avoir fait le film de l'arrestation de Dodo Habib, dans l'acte 1 de cette investigation, nous publions aujourd'hui l'interview de l'étudiant Yokou (c'est ainsi que nous l'appellerons), qui nous a accordé l'essentiel de cette interview, un an après les faits. Certaines parties ont été actualisées, quatre ans plus tard. Pour mémoire, l'étudiant Yokou faisait partie du commando qui est allé chercher à Yopougon, Dodo Habib et l'a conduit à l'université de Cocody, où il a été froidement exécuté. Marcel Opadjilè, l'un des premiers responsables de la Fesci à sa création en 1991, que nous avons consulté tout au long de cette investigation, en sa qualité d'expert en méthodes de la Fesci, après avoir écouté ce témoignage, a déclaré qu'en certains points, il était incohérent. Cependant, a-t-il précisé : « c'est un témoignage qui est globalement crédible ». Lisez plutôt.

Que savez-vous de l'affaire Habib Dodo ?
Tout est parti d'une assemblée générale au campus de Cocody, où le « général » Terrain (surnom de Serge Kuyo, alors secrétaire général de la Fesci, NDLR) a dit qu'il a été informé par un ancien de la Fesci qui vit en France, de ce qu'un mouvement plutôt rival à la Fesci, cautionné par la rébellion, avait été créé. Il a précisé que cet ancien a eu l'information à partir d'un article publié sur un site Internet. Le « général » Terrain a dit que cet ancien a estimé qu'il fallait étouffer à tout prix ce mouvement et que cela ne devait pas être fait, en tout cas, sous son mandat. C'est ainsi que Serge Kuyo est entré en contact avec des camarades étudiants proches de Dodo Habib et d'Innocent Gnelbin, alias Maniac. Ces étudiants ont infiltré l'Ageeci (Association générale des élèves et étudiants de Côte d'Ivoire d'Innocent Gnelbin, NDLR). C'est à partir de là qu'on lui a donné l'information selon laquelle il y a des éléments de la Fesci, proches du courant communiste qui tenaient des réunions avec l'Ageeci pour déstabiliser la Fesci. Alors Terrain a invité tous les responsables de la Fesci à une AG éclair dont on ne maîtrisait même pas l'ordre du jour, à la résidence universitaire de Williamsville. Lors de cette réunion, Terrain n'était pas lui-même présent. C'est le secrétaire général adjoint, Djékou Fayo qui était présent et c'est lui qui a présidé l'AG.

Quand a eu lieu cette assemblée générale ?
L'assemblée générale a eu lieu le jour de la mort de Dodo Habib. Ce jour-là, le secrétaire aux finances a remis à chaque section 5000 FCFA pour 4 personnes, représentant le titre de transport pour aller à Yopougon Sideci quartier Kotibé en face du Palais de justice. C'est là-bas qu'un de nos indicateurs a dit que se trouvait Dodo Habib après qu'on l'avait aperçu, le matin même, au siège de son parti à Williamsville, non loin de l'endroit où on a tenu l'AG. Je ne me rappelle plus le nom du secrétaire aux finances, je sais seulement qu'on m'a dit qu'il avait été recruté quelques mois plus tard, par le DG du Port d'Abidjan, Marcel Gossio (aujourd'hui en exil au Maroc, NDLR). Je sais aussi que quelque temps après cette mission, il a été nommé deuxième secrétaire général adjoint au sein du bureau national de la Fesci.

Combien de sections y avait-il à cette AG ?
Toutes les sections de résidences universitaires d'Abobo, de Williamsville, de 220 logements et toutes les sections de Cocody à savoir Cité rouge, Mermoz, Campus 1 et 2, et Riviera 2. Toutes les sections des facultés Sciences éco, Flash, Crimino, Droit Abidjan, Droit Bouaké, CMS Bouaké et Fast Abidjan, étaient également présentes. Seules les sections qu'on appelle communément "Derrière l'eau" à savoir Port-Bouët et Vridi, qui n'étaient pas là. L'explication de leur absence c'est que c'était une AG rapide pour régler un problème urgent.

Qu'est-ce qui a été dit à cette AG ?
A cette AG, on nous a dit qu'il y a un syndicat rival à la Fesci cautionné par la rébellion. Des laissez-passer signés par Soro Kigbafory Guillaume (alors secrétaire général de l'ex-rébellion des Forces nouvelles, NDLR) donnés à des étudiants pour aller parler à leurs camarades restés en zone rebelle, nous ont été présentés. C'est fort de ce document que l'assistance a été convaincue que l'Ageeci était directement liée à la rébellion et qu'il fallait la faire taire. Ceux qui ont infiltré les réunions de ce syndicat, ont dit qu'ils ont aperçu Dodo Habib et que c'était lui le maître penseur de ce mouvement inspiré par le "vieux père" Guéi Paul (un dissident de la Fesci lors de la meurtrière guerre des machettes sur les campus universitaires, entre 1998 et 2000, au moment où Charles Blé Goudé était secrétaire général de la Fesci, NDLR).

Est-ce que l'ordre a été donné à l'AG d'éliminer physiquement Habib Dodo ?
L'ordre a été donné aux sections d'aller chercher l'ennemi donc Dodo Habib, d'aller le prendre pour l'envoyer sur la résidence universitaire du campus de Cocody, pour qu'on en sache plus sur la création de ce syndicat. Nous avons reçu l'argent et nous sommes partis.

Que s'est-il passé par la suite ?
Direction Yopougon. On a emprunté des taxis. Certains n'ont même pas payé la note, c'est toujours comme ça quand on se déplace en groupe. Le chauffeur de taxi qui se plaint est battu et on lui arrache sa recette. Notre instructeur s'appelait Abiali Guy Roger, dit Séry Attention, qui était en maîtrise de criminologie et était secrétaire de la section Fesci Riviera 2.

Une fois à Yopougon, qu'est-ce qui s'est passé ?
Lorsque nous sommes arrivés à la résidence de M. Ekissy, le secrétaire général du Parti communiste révolutionnaire de Côte d'Ivoire (PCRCI); ce dernier a été accosté par un étudiant responsable de la Fesci Campus 2 Kaba Cheick Mohamed. Kaba Cheick était un dur. Il a été impliqué dans le meurtre de l'étudiant Gbogou Marius qui avait défrayé la chronique à son temps. J'ai appris qu'il a par la suite eu des troubles psychiques qui l'ont conduit au village. Il prenait la drogue et il était connu pour être impitoyable. Il a demandé à M. Ekissy si c'est là qu'habitait Dodo Habib. La réponse a été négative. Alors il l'a dépouillé de son portable. Ceci pour empêcher qu'il puisse entrer en contact avec des gens qui viendraient freiner notre élan. C'est ainsi que nous nous sommes introduits dans la maison. Le salon a été saccagé. Les chambres à coucher ont été visitées. Dodo Habib a été découvert dans un placard. Il a été identifié par des étudiants qui venaient de Bouaké comme lui. Parce que nous ne le connaissions pas.

Qui étaient ces étudiants de Bouaké ?
Il y avait, je crois le camarade Baï Guédé qui était à son temps le secrétaire à l'organisation de la section Flash Bouaké. Il était l'ami personnel de Dodo Habib. Il le connaissait bien et connaissait ses pratiques. C'est lui qui a dit : « c'est lui qui est là ».

Qu'avez-vous fait après cela ?
Sur le chemin du retour, nous avons "braqué" un gbaka.

Combien étiez-vous dans le "gbaka"
Nous étions pratiquement 23. Le fait le plus marquant c'est qu'au niveau du commissariat du 16e arrondissement après l'Institut Nelson Mandela, il y avait un barrage tenu par les forces de l'ordre. Ils ont arrêté le "gbaka" et nous ont demandés ce qui se passait concrètement, puisque c'était surchargé et qu'on maintenait l'individu Dodo Habib, qui saignait parce qu'il avait été poignardé par Kaba. On leur a dit de rentrer en contact avec le commandant de la DST. J'ai oublié son nom mais je sais qu'il est mort accidentellement.

Combien de temps avez-vous passé à cet endroit ?
On est resté là pendant 15 minutes, le temps que les agents reçoivent des consignes par radio et qu'on nous libère. Cela a été ainsi à tous les barrages.

A quels autres barrages avez-vous été arrêté ?
Nous avons été arrêtés au carrefour de Yopougon Sable, puis au barrage de Williamsville, avant le pont piéton et au niveau de l'école de gendarmerie, à un kilomètre du campus.

Quelle heure était-il à cet instant ?
Nous sommes arrivés à Yopougon à 13h. Nous sommes arrivés au campus aux environs de 15h.

Où précisément ?
C'était au siège de la section FescI Campus 2. Précisément les anciens locaux de l'AUC (Abidjan université club, NDLR). Là, il a subi un procès fait par certains responsables de la Fesci.

Qui a conduit le procès ?
Le procès a été conduit par Siahou Vitalien, qui est devenu par la suite président des souscripteurs de Côte d'Ivoire. C'est lui qui, en sa qualité de membre du bureau national et étudiant inscrit en DEA de droit pénal, a conduit le procès.

A ce « procès », y avait-il un procureur, un avocat ? Expliquez comment cela s'est passé ?
C'est Siahou qui lui posait les questions. Après l'interrogatoire, il a dit que les enquêtes menées sur l'étudiant Dodo Habib se révèlent vraies et qu'il est plutôt proche de Soro Guillaume.

Qu'est-ce qui a été décidé ?
Il a été décidé qu'un homme de cette trempe ne soit plus parmi nous.

Qui a décidé cela ?
Dans ce genre de cas, personne ne donne un ordre clair. C'est ce que dans l'armée on appelle les ordres implicites.

Habib Dodo a-t-il reconnu les faits qu'on lui reprochait ?
Il n'a jamais reconnu les faits depuis la première question jusqu'à la dernière.

Quel genre de questions était posé à "l'accusé" ?
Les questions étaient du genre quelles étaient ses activités après la Fesci ? Ceci parce que lors d'une AG de la Fesci, il avait dit ouvertement qu'il ne faisait plus partie de la Fesci et qu'il voulait désormais faire de la politique. La question lui avait été posée de savoir dans quel parti il partait militer, parce qu'à la Fesci, si tu ne militais pas au Front populaire ivoirien (FPI, parti de Laurent Gbagbo, NDLR), cela voulait dire que tu étais un infiltré. Il avait répondu de façon évasive que les gens allaient le constater sur le terrain. Cette déclaration avait contribué à le rendre suspect, puisque si c'était au FPI qu'il partait militer, il n'aurait aucune gêne à le dire. C'était lors d'une AG en janvier 2003, avant le congrès du PCRCI.

Après la sentence, que s'est-il passé ?
Alors, il a été transporté par des étudiants à la piscine du Forum de l'université, non loin de là. La piscine était vide, tous les étudiants qui étaient dans les parages ont été sommés de quitter les lieux. Tous ceux qui pouvaient faire le travail sans qu'il n'y ait de fuite d'information ont été choisis. Les deux durs étaient l'étudiant Ouattara Ali alias Catamaro, en maîtrise appliquée de lettres modernes et deux autres non étudiants dont je ne connais pas le nom. C'étaient en tout cas des loubards qui étaient logés à la Cité rouge de Cocody par le « maréchal » KB, le parrain de la Fesci. Ce sont eux qui ont fait le travail.

Quel travail ?
Dodo Habib n'a pas été tué par pendaison. Il a été exécuté à l'aide de gourdins, de bois et de machette. C'est après que les bourreaux ont tenté de couvrir cela, en enroulant une corde à son cou pour faire croire à un suicide. Après leur forfait, ils ont dit que de toute façon personne ne pouvait croire au suicide si le corps restait là. Il fallait donc qu'on l'enlève de là. Il a été mis dans un sac de charbon et il a été jeté sur l'ancienne route de Bingerville en passant par l'école de police.

Comment a-t-on pu sortir le corps de l'enceinte de l'université à cet endroit, sans apparemment éveiller de soupçons ?
Il a été transporté dans un véhicule par Chasseur (je ne connais pas son vrai nom), un étudiant qui était un responsable de la Fesci au Campus 1 mais qui était surtout le chauffeur personnel de Serge Kuyo. C'est lui et Catamaro qui ont enlevé le corps.
(NDLR : Ironie du sort, Chasseur a été tué dans cette même voiture, le même jour que Serge Kuyo, sur l'axe Bouaké-Yamoussoukro).

A qui appartenait le véhicule ?
Il appartenait à Serge Kuyo. C'est un véhicule de marque BMW. Il a été réquisitionné à une dame qui est la directrice d'une grande école à Yopougon. Elle était soupçonnée de rouler pour la rébellion.

Savez-vous que cette histoire allait se terminer ainsi ?
On nous a dit d'aller chercher Habib Dodo, c'est tout. Nous avions pensé, en tout cas moi j'avais pensé que c'était juste pour l'interroger ou même le mâter un peu et le relâcher. J'ai été bouleversé toute la nuit de l'assassinat et je n'arrive pas à oublier ce qui s'est passé ?

Pourquoi décidez-vous de parler ?
J'ai cette mort sur la conscience bien que je ne suis pas responsable de celle-ci. Je suis aussi choqué par le fait qu'à la Fesci, alors que nous tous savons ce qui s'est passé, les gens ont tenté de salir la mémoire de Dodo Habib en disant qu'il a été une des victimes de la guerre fratricide au sein de la rébellion. Habib a été tué pour l'exemple, c'est tout. Et c'était un crime gratuit.

Pourquoi n'allez-vous pas témoigner chez les policiers ?
Laissez-moi rire, les Renseignements généraux étaient informés de ce coup et vous voulez que j'aille me jeter dans la gueule du loup.

Pourquoi êtes-vous parti en exil ?
J'ai eu le malheur de confier à un ami, (enfin je croyais que c'était un ami) que j'avais fait enregistrer mon témoignage au cas où il m'arriverait malheur. Celui-ci a parlé et j'ai reçu plusieurs menaces de mort sur mon téléphone portable. Des amis à moi m'ont conseillé de sortir du pays. Je suis allé au Ghana puis au Togo. Mais je suis rentré au pays en 2008. Aujourd'hui, j'ai un petit boulot et je donnerais tout pour oublier mon passé à la Fesci. Ce syndicat a détruit beaucoup de vies de jeunes Ivoiriens.

Interview réalisée par Ouattara Moussokoro

A lire bientôt acte 3 : Présumés coupables, tous nient en bloc
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