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Politique Publié le mercredi 17 avril 2013 | Le Temps

Politique nationale, réconciliation, mauvaise gouvernance : Le Pit déshabille le régime Ouattara

Dr Aka Ahizi Daniel, président du Parti ivoirien des travailleurs(Pit), est dépité par les travers du régime en place. Dans cet entretien, il dit sa part de vérité sur la gestion Ouattara, non sans revenir sur l’arrestation du président Gbagbo, le 11 avril 2011.

Vous êtes aujourd’hui à la barre, après quelques moments tumultueux traversés par le Pit. Quel bilan pour votre parti, 23 ans après ?

Nous étions nombreux au départ. Au démarrage du multipartisme en 1990, nous étions nombreux. Beaucoup de partis politiques ont disparu. Les seuls partis de Gauche qui ont pu résister sont le Fpi et le Pit. Cela a donc été une bataille pour exister et se maintenir. C’est une prouesse de la part de nos devanciers que nous devons saluer. C’est déjà un premier bilan que nous qualifions de positif pour ces 23 années. Si nous sommes là pour vous accueillir, c’est un grand pas. On a existé en 1990. Et on a pu continuer d’exister jusqu’aujourd’hui en 2013. Le reste viendra à partir de nos actions sur le terrain, à partir de notre mobilisation. Mais déjà, pouvoir exister, c’était un pari qu’il fallait tenir. Nos devanciers l’ont fait. On ne peut que les féliciter et saluer la mémoire de ceux qui nous ont quittés. Rendre hommage à tous ceux qui sont tombés sur le champ d’honneur, sur le champ de la bataille politique.
Quand on retourne à ce qui s’est passé à la présidentielle de 2010, on se rappelle que le Pit s’est aligné sur le Rhdp au 2ème tour. Le Pit demeure-t-il toujours un parti de Gauche ?
Le Pit a été toujours un parti de Gauche. C’est le fondement du Pit. Prenez tous nos projets de société, le manifeste du parti, vous verrez que nous n’avons jamais été autre chose qu’un parti de Gauche. A certains moments, on ne l’a pas suffisamment affirmé. Mais depuis que nous sommes élus, nous tenons à l’affirmer beaucoup plus fortement que dans le passé. Nous n’avons jamais changé de camp. Mais nous avons seulement soutenu un candidat en 2010. De plus, il faut qu’on retienne cela, nous n’avons jamais eu d’alliance avec le Rhdp…
M. le président, au cours de votre conférence de presse du 6 avril 2013, vous avez clairement indiqué que vous vous désolidarisez du pouvoir en place. Quels sont les motifs de cette déclaration et quel bilan dressez-vous de la gouvernance Ouattara, deux ans après ?
C’est un parti de Droite qui dirige le pays et nous, nous sommes un parti de Gauche, il faut l’affirmer. Et dans la mesure où ils sont un parti de Droite et nous sommes de Gauche, nous ne sommes pas ensemble. Ça il faut être clair et le dire. Il fait une politique de Droite qui ne nous convient pas et ça il faut le dire. Nous n’étions pas solidaires pour qu’on soit désolidarisé. Nous sommes un parti de Gauche, et si on ne l’a pas suffisamment affirmé parce qu’il y a eu des tâtonnements au sein du parti. Parce quand le professeur Wodié a quitté le Pit, il y a eu pratiquement deux ans de transition. Si ceux-là n’étaient pas au fait des fondamentaux du parti et qu’ils tanguaient un peu, on pouvait leur restituer les choses et les ramener dans sa juste proportion. Pour dire que nous sommes un parti de Gauche et nous ne pouvons pas polluer notre positionnement de Gauche. On ne peut pas cautionner un parti de Droite qui en plus est au pouvoir. Pour ce qui est du bilan du régime actuel, nous faisons sans ambiguïté une opposition (…) Il faut regarder ce que fait l’autre. Et nous avons aussi dit que l’opposition a trois missions. La mission d’éveil, la mission d’alerte et la mission de proposition de programme alternatif. La mission d’éveil, il a été sur un programme. Est-ce que ce programme est respecté ? On regarde, on constate. Si c’est fait, on applaudit ou on dénonce. S’il ne change pas, on interpelle. Si ça ne va toujours pas, alors on alerte la population pour dire que le pouvoir ne respecte pas ses engagements et puis nous, nous proposons des programmes alternatifs. Voilà notre démarche. Pour ce qui a été fait jusque-là, nous avons constaté qu’il y a plusieurs grands chantiers qui sont ouverts, en tout cas d’énormes chantiers. Nous nous posons des questions d’ailleurs, est-ce que le pouvoir peut mener tous ces chantiers en même temps ? Parce que c’est une approche qui nous pose problème. De notre avis, il fallait plutôt fixer des priorités. C’est à dire amener un chantier au terme d’un autre, c’est beaucoup plus rationnel. Mais pour des raisons électoralistes parce qu’on veut peut-être être reconduit en 2015, on met tout en branle. Mais il faut reconnaître qu’il y a des chantiers qui sont ouverts. Mais que ceux-là, comme je le disais tantôt, ne restent pas au stade de la pose de la première pierre. Il faudrait que les engagements qui sont pris auprès des bailleurs de fonds et des opérateurs économiques soient respectés. Pour ne pas que, comme pour le cas de l’autoroute du Nord et bien d’autres chantiers, où les travaux sont arrêtés parce que les financements ne viennent pas. Autre chose, on nous annonce une croissance à deux chiffres, je crois que cette croissance est annoncée à 9,8%. Nous disons que nous, au Pit, nous ne nous laissons plus impressionner par la présentation chiffrée de la croissance économique. Etant entendu que la croissance économique, c’est l’augmentation de la richesse d’une année à une autre. Est-ce que vous dans votre situation de tous les jours vous vous êtes enrichi ? Est-ce que vos conditions de vie se sont améliorées ? On nous présente des chiffres pendant que la pauvreté augmente. Ce que nous appelons «la croissance appauvrissante». Ce type de croissance, nous n’en voulons pas. Comme disent les Ivoiriens, «on ne mange pas croissance». S’il y a création de richesses que les Ivoiriens n’en bénéficient pas, cela veut dire qu’il y a problème. Si cette croissance ne permet pas aux Ivoiriens d’améliorer leurs conditions de vie, il y a problème. Où va l’argent, où va la richesse qui est créée ? voilà le problème qui est posé. Donc il ne sert à rien de nous dire qu’il y a croissance. On est désillusionné sur certains aspects. On a dit que la Côte d’Ivoire allait avoir des milliards. On nous dit aussi que «l’argent travaille, mais ça ne circule pas». Mais moi, je suis économiste. Ce que j’ai appris en tant qu’économiste me permet de dire que c’est quand l’argent travaille que ça circule. Quand l’argent travaille, l’argent circule. C’est l’argent qui est thésaurisé qu’on met sous les matelas qui ne circule pas ou qui ne travaille pas. Quand l’argent travaille, l’argent circule. Mais en fait, la croissance est dynamisée par un secteur qui pose problème. C’est pourquoi nous insistons sur le fait que l’économie doit être une économie socialiste qui va dans le sens d’une croissance endogène. Qui se fasse par les Ivoiriens et que les résultats restent en Côte d’Ivoire. Si nous restons dans l’aspect de l’extraversion économique, les étrangers viennent avec leurs capitaux et repartent avec les richesses créées. Et c’est ce que nous vivons. L’argent ne circule pas en Côte d’Ivoire, mais il circule dans les pays de ceux qui apportent leurs capitaux. Ce sont des sociétés qui sont appelées à faire les routes, les ponts etc... Et donc qui retournent l’argent chez eux et ça ne circule pas en Côte d’Ivoire. C’est là véritablement la réalité de la «croissance appauvrissante». On crée des richesses mais qui ne restent pas chez nous. On dit qu’on crée des emplois, mais on constate sur ces chantiers que ce qu’ils nous réservent, c’est de mélanger le ciment. Donc voilà notre position par rapport au bilan du régime en place.

Vous savez que l’Ouest est un brasier. L’insécurité est vraiment endémique dans cette partie du pays. A l’image de l’Ouest, c’est toute la Côte d’Ivoire qui est menacée par la question de l’insécurité. Comment, selon vous, les Ivoiriens peuvent-ils sortir de ce bourbier ?

Il faut que ce problème soit, à mon sens, abordé en toute lucidité. Et qu’on s’asseye pour faire une analyse sérieuse de la situation. Qu’on ne prenne pas des raccourcis. Pour dire qu’on va déployer des militaires pour tout régler. Les problèmes à l’Ouest ne datent pas d’aujourd’hui. Ils existaient déjà sous l’ancien régime et qui se sont aggravés sous le régime actuel. Le fond du problème qui explique les crises dans cette région, c’est qu’il y a de nombreux problèmes fonciers. Parce que les gens se sont crus autorisés de venir s’installer parfois de force, sur des terres qui ne leur appartiennent pas. Donc les autochtones réagissent. C’est un problème foncier et il ne sera pas résolu si on ne le prend pas à bras le corps. Pourquoi est-ce toujours à l’Ouest, alors qu’on que dit le Liberia et la Côte d’Ivoire ont mis en place un dispositif pour mettre fin aux crises ? Mais elles ne s’arrêtent pas pour autant. On a un problème foncier qui est grave et qui a même des répercussions sur le plan économique. C’est une grande zone de production vivrière et industrielle. Aujourd’hui les prix sont élevés sur le marché. Cela est dû en partie au fait qu’une des grandes zones pourvoyeuse en produits agricoles est en crise. Cela explique pour une part les augmentations des prix. Donc il faut vraiment prendre ce problème à bras le corps. Qu’on ne se mette pas dans des approches trop simplistes d’attaques de pro-Gbagbo. Les pro-Gbagbo, ils sont combien aujourd’hui pour déstabiliser le régime à partir de l’Ouest ?

Le 11 avril 2011, nous rappelle l’usage de la brutalité, de la force militaire en lieu et place de ce que la démocratie pouvait offrir comme alternative, quels souvenirs?

Justement le 11 avril, nous rappelle des souvenirs graves en ce qui nous concerne. Nous avons tous fait des erreurs et cela a entraîné 3000 morts. Cela ne peut pas nous laisser de bons souvenirs. Cela ne peut pas laisser de bons souvenirs qu’un pays étranger vienne avec son armée, bombarder un citoyen ivoirien qui plus (était) Président de la République. Tout cela doit cesser. Nous ne pouvons pas l’accepter. Que ce soit la dernière fois que l’armée française vienne bombarder la résidence présidentielle, avec un corolaire de morts qu’on n’a jamais dénombré. On a vécu le cas de mon ami, le ministre Désiré Tagro qui a péri dans cette agression et il n’y a jamais eu d’enquête. Ce sont des choses qui nous ramènent dans un passé très douloureux. Il faut donc rapidement passer ce cap et envisager l’avenir autrement.
Le front social s’est rallumé ces derniers temps. En lieu et place du règlement du problème, c’est plutôt des mesures punitives qui sont infligées aux enseignants.

Ponctions sur salaires, arrestations… Quel est votre sentiment ?

Nous réagissons à ces événements avec beaucoup de désolation. Et nous dénonçons cette pratique de la violence face aux revendications qui sont posées. Nous-mêmes nous sommes enseignants. Ce sont des revendications que nous avons posées à un certain moment et qui peuvent trouver solution. Si le régime Gbagbo, au moment où il n’y avait ni Ppte, ni appuis financiers extérieurs, a pu résoudre le problème à 50%, pourquoi le régime actuel ne ferait pas la même chose en régularisant les 50% restants ?

C’est même dans l’intérêt des gouvernants actuels de régler ce problème et de motiver les enseignants. Puisqu’on veut aller à un pays émergent en 2020. Or un pays émergent repose sur deux choses: à savoir la formation et la recherche. On ne peut pas donc dire qu’on veut aller à un Etat émergent et bastonner les enseignants, les chercheurs. On fixe des objectifs de développement mais en même temps on anéantit la dynamique qui peut nous y conduire. Non, je crois qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Nous allons faire une déclaration pour dénoncer cette pratique. Non seulement on ne peut pas faire face aux revendications des enseignants qui sont légitimes, mais en lieu et place, ce sont des coups de matraque. C’est inacceptable.

Une loi a été votée par le parlement qui autorise le Président à gouverner par ordonnance ? Qu’en dites-vous ?

Nous avons interpellé nos juristes pour que nous puissions faire sur ce point une déclaration qui soit une déclaration ferme et concise qui ait un contenu. Mais en attendant que nos constitutionnalistes ne décryptent ce fait, la seule chose qu’on peut dire est que quand on dispose de la majorité à l’Assemblée et de Programme présidentiel d’urgence (Ppu), on se demande à quoi rime la gouvernance par ordonnance.

La réconciliation n’avance pas malgré la débauche d’énergie du président de la Cdvr, Charles Konan Banny. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?

Elle ne peut pas avancer, évidemment. Parce que quand on veut noyer un problème, on crée une commission. Ça ne peut pas avancer parce que nous les hommes politiques sommes responsables de la situation. Il faut qu’on ait le courage de le dire. Nous, nous avons proposé des mesures pour sortir de cette impasse. Parce qu’en même temps que nous faisons des critiques, nous proposons. La première mesure c’est la démission du Président de la République de la tête du Rdr. Parce que nous ne pouvons pas comprendre qu’il soit le Président de tous les Ivoiriens et qu’il soit encore le président d’une partie des Ivoiriens. Alors il faut qu’il démissionne. C’est un acte fort de réconciliation. Il ne doit plus être le président d’une fraction des Ivoiriens. La constitution le lui impose. Pour créer un environnement qui soit favorable. La deuxième condition est la justice équitable. Parce qu’il y a eu des atrocités commises dans les deux camps. Ce n’est pas seulement ce que disent les Ong internationales. Mais la commission nationale qu’on a mise en place a également identifiée des criminels dans les deux camps. Si on doit frapper, il faut frapper dans les deux camps. Si la Justice n’est pas impartiale, il y aura toujours des rancœurs. Il n’est pas normal que 150 personnes soient arrêtées du côté des pro-Gbagbo et aucune du côté de Ouattara. Cela ne va pas favoriser la réconciliation dans la pratique. Nous resterons au stade de la théorie. C’est dommage pour les Ivoiriens…
Plusieurs tables rondes ont été initiées par le gouvernement, dont le conclave de Grand-Bassam et les différentes rencontres dans le cadre du Cpd. On ne vous a vu nulle part…
Après le départ du Pr Wodié, il ya eu deux ans de transition au cours desquelles le parti n’a pas eu de repère. La direction, en son temps, a eu du mal à se positionner. Nous n’avons donc pu être invités. Alors que c’est nous qui sommes les initiateurs de ce qu’on appelle la «concertation nationale» et qui en avons le mode d’emploi. Maintenant, nous souhaitons qu’on nous prenne en compte. Nous en profitons pour lancer un appel au Fpi. C’est le problème de toute la nation qui concerne toutes les parties. Nous devons nous asseoir comme un seul homme pour discuter des problèmes du pays. Nous voulons une large concertation nationale.

Certains de vos détracteurs demandent votre départ. Que répondez-vous ?

C’est le problème de l’Afrique. Il faut qu’on intègre les réalités de la démocratie. Nous sommes allés à un vote dont il faut accepter les résultats. C’est dommage pour ces camarades qui n’ont pas accepté que je sois élu. Mais tout ce qu’ils font n’est que de la poudre aux yeux. J’ai été élu et je suis là pour 4 ans. Vous savez, en démocratie, surtout en politique, on ne reste pas éternellement à un poste. Il y aura toujours une force alternative qui viendra vous supplanter. Que chacun sache attendre son tour et travailler, dans ce sens.
Interview réalisée par Toussaint N’Gotta
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