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Politique Publié le mercredi 26 juin 2013 | Le Patriote

La grande interview / Gnénéma Coulibaly (Garde des Sceaux) à propos de la nationalité : “ Si nous ne réglons pas la question, nous allons nous retrouver dans la situation de 2002”

© Le Patriote Par DR
Audience : Le ministre Gnénéma Coulibaly reçoit l’Expert Indépendant de l’Onu sur la situation des droits de l’homme en Côte d’Ivoire.
Le Ministre de la Justice, des Droits de l’Homme et des Libertés Publiques, M. Gnénéma Mamadou Coulibaly a reçu en audience M. Doudou Diène, l’Expert Indépendant de l’Onu sur la situation des droits de l’homme en Côte d’Ivoire le mercredi 20 février, au Cabinet dudit ministère au Plateau.
Les questions de la nationalité, du foncier rural, de la détention des pro-Gbagbo, de la justice ivoirienne sont parfois au centre des débats en Côte d’Ivoire. Nous avons rencontré le Garde des Sceaux et ministre de la Justice à son cabinet pour en parler. Dans cette interview, le ministre Mamadou Gnénéma Coulibaly répond à toutes ces questions brûlantes qui animent l’actualité en Côte d’Ivoire. Sans détours.
Le Patriote : Monsieur le ministre, beaucoup de personnes ont été arrêtées après la crise postélectorale. Deux ans après, où en est-on avec les procédures enclenchées contre elles ?
Gnénéma Coulibaly : Merci pour l’opportunité que vous m’offrez pour informer un tant soit peu les Ivoiriens. Il faut dire que les personnes qui ont été arrêtées, ne l’ont pas été en raison de leur proximité avec quelqu’un pour qu’on parle de pro-Gbagbo. Aux yeux de la justice, les personnes arrêtées sont suspectées d’avoir connu des infractions. Cette rectification faite, nous sommes en train de travailler à l’élucidation de leur dossier en faisant en sorte que la justice soit effective. Nous faisons en sorte que la justice permette aux Ivoiriens de savoir ce qui s’est passé pendant la crise postélectorale. Je crois que d’ici quelque temps, les procès vont commencer, parce que certains dossiers sont prêts à être jugés. Certainement à l’occasion, tout le monde sera édifié sur ce qui est intervenu en Côte d’Ivoire.

LP : La Cour pénale internationale a émis un mandant d’arrêt contre l’ex-Première Dame Simone Gbagbo. Jusqu’à aujourd’hui, la Côte d’Ivoire ne s’est pas officiellement prononcée sur ce dossier. Pourquoi ?
GC : Je ne cesse de répéter que ce dossier est en cours de traitement. Nous sommes en train de préparer notre réponse pour la CPI. Etant entendu qu’il y a déjà un sujet sur la table de la Cour pénale internationale, qui devrait certainement avancer afin qu’on ne revienne plus sur la question. Mme Simone Gbagbo est dans les liens de détention et nous nous attelons à faire en sorte que les intérêts de la CPI et ceux de notre pays se rencontrent. Voici l’équation que nous sommes en train d’essayer de résoudre à ce jour.

LP : Récemment, la CPI a ajourné l’audience de confirmation de charges contre Laurent Gbagbo en demandant au procureur d’apporter des preuves supplémentaires. Cette décision a été interprétée diversement. En tant que ministre de la Justice, quel commentaire en faites-vous ?
GC : Nous disons que la Cour pénale internationale est une juridiction que nous respectons, tant dans son indépendance que dans son fonctionnement. A partir de cet instant, si des magistrats qui doivent connaître un dossier, estiment qu’ils ne sont pas suffisamment édifiés, il est de leur droit et même de leur devoir de demander que le procureur, qui est à l’origine de la poursuite, leur fournisse les moyens de leur décision. Le cas Laurent Gbagbo n’est pas un cas isolé. Nous savons qu’au cours de la période d’instruction sur la procédure contre Jean Pierre Bemba, la Cour pénale internationale, dans sa composition de la chambre préliminaire, avait également exigé de Luis Moreno-Ocampo (NDLR : ancien procureur de la CPI) des preuves supplémentaires. Quand ces preuves sont venues, la Cour a non seulement poursuivi cet ex-dirigeant congolais, mais l’a également condamné. Nous pensons que c’est une procédure normale et nous ne devons pas avoir d’émotion sur le sujet.

LP : A propos d’émotion, les victimes ont manifesté récemment, parce qu’elles estiment qu’on allait droit vers la libération de Laurent Gbagbo. Quel message avez-vous à leur endroit pour les rassurer?
GC : Je viens de donner un autre cas illustre dans lequel c’est la même démarche qui a été suivie par la CPI. Nous comprenons les inquiétudes des victimes, mais je voudrais les inviter à la sérénité. Une juridiction comme la Cour pénale internationale ne peut pas être influencée par des marches en Côte d’Ivoire. Dans un esprit de bonne coopération et surtout dans le souci de ne pas vouloir influer sur le fonctionnement de cette juridiction – car, imaginez que les partisans des deux camps se mettent à marcher, toute la Côte d’ivoire sera en ébullition – la meilleure façon de procéder, c’est plutôt de rassembler le maximum de preuves que les victimes peuvent mettre à notre disposition. Les préoccupations de la CPI ont été émises de manière expresse. Si les victimes pensent qu’elles ont des éléments à produire, nous les invitons à les mettre à notre disposition pour que nous puissions les reverser dans les dossiers du procureur de la CPI au moment opportun.

LP : Monsieur le ministre, c’est régulièrement qu’il est fait cas de maltraitance des prisonniers, notamment des pro-Gbagbo, dans les prisons ivoiriennes. Doit-on donner du crédit à ce type d’accusation ?
GC : L’étiquette que vous avez affichée, par rapport à des détenus, n’est pas valable pour la justice. Je ne pense pas que des personnes soient spécialement ciblées pour de la maltraitance. A ma connaissance, les personnes dont il s’agit, sont traitées à la même hauteur que les autres détenus qui sont dans nos maisons d’arrêt. Ce sont tous des détenus et dans les mêmes conditions de détention. Je ne crois pas qu’il y ait un traitement malveillant spécialement dirigé vers ces personnes. Peut-être que dans leur esprit, elles mériteraient un meilleur traitement. Mais, la belle femme ne peut offrir que ce qu’elle a. Ce sont les conditions de la détention. Nous nous efforçons à les améliorer. N’oubliez pas que ces prisons dont on se plaint aujourd’hui, sont celles dont nous avons héritées de ces personnes. A niveau de l’amélioration des conditions de détention, nous avons fait des efforts. Les années précédentes, le ratio était à peine de 145 francs. Aujourd’hui, nous sommes à peu près à 450 francs par prisonnier et par jour. Donc, nous essayons d’améliorer les conditions. Bien entendu, face à l’ampleur des chantiers, il est clair que nous ne pouvons pas faire plus actuellement.

LP : L’autre grief portée contre le gouvernement, c’est une supposée floraison de camps de concentration et de torture en Côte d’Ivoire. Il paraît même que la résidence de l’ancien Directeur Général du Port est devenue un camp de torture. Quelle est la réalité de cette autre plainte ?
GC : Je vous invite tout simplement à aller voir de vous-même sur le terrain. Vous savez, comme je le dis assez souvent, on ne peut empêcher les gens de dire ce qu’ils veulent dire. Ce que nous devons faire, c’est de rapporter les preuves contraires de leurs affirmations. Ces personnes qui disent ces choses sont dans une certaine logique, qui est de susciter soit l’apitoiement des populations soit des réactions qui seraient en leur faveur. Mais vous constatez que ces affirmations ont, de moins en moins, des échos favorables auprès de la population. Parce que ce sont des affirmations purement gratuites. A ce jour, je n’ai pas connaissance d’une telle situation. Je voudrais que ceux qui en ont la preuve, nous saisissent officiellement pour que nous donnions la suite qu’il faut.

LP : Où en est-on avec les dossiers de Charles Blé Goudé, Alphonse Douaty et autres, poursuivis pour atteinte à la sûreté de l’Etat ?
GC : Ces dossiers avancent. Ils sont devant les magistrats instructeurs qui font de leur mieux pour les faire avancer. J’ai coutume de dire que ce ne sont pas les seuls détenus de Côte d’Ivoire. Je ne vois pas pourquoi ils devraient faire l’objet d’un traitement spécial. Toute personne en situation de détention, mérite la même attention. Et quand vous imaginez que jusqu’au 31 mai, dans nos prisons, nous étions à 9295 détenus. Ceux dont vous parlez dans cette marre, ne sont que des gouttes d’eau. Sur les 9295, il y en a qui sont jugés. Mais, ceux qui sont en préventive, sont plus de 3658. Quand vous parlez de deux ou trois personnes, vous vous rendez compte véritablement que ce n’est pas la tasse la plus grande à boire dans cette affaire. Les juges font en sorte que tous ceux qui sont détenus, puissent bénéficier de traitement et de traitement accéléré. Mais à l’évidence, nous ne pouvons pas aller plus vite que nous ne pouvons, au vu des conditions dans lesquelles nous travaillons.

LP : S’il y a une notion qui est beaucoup usitée dans le débat politique en Côte d’Ivoire, c’est bien celle dite de « justice des vainqueurs ». Comment appréhendez-vous cette notion ? y a-t-il vraiment une justice des vainqueurs en Côte d’Ivoire ?
GC : Nous répondons tout de suite qu’il n’y a pas de « justice des vainqueurs » en Côte d’Ivoire. C’est quoi la « justice des vainqueurs » ? Ici, vous avez deux cas de figures classiques dans les procédures judiciaires. Quand vous prenez quelqu’un sur le fait – ce qui est le cas de ceux auxquels vous faites allusions et qui ont été précédemment arrêtés pour atteinte à la sûreté de l’Etat – le refus de céder le pouvoir est dans un contexte précis. Par la suite, il y a eu la vague de ceux qui ont tenté de déstabiliser le système en place. Je parle des différentes attaques. Ces personnes prises sur le fait, doit-on les laisser en liberté, parce qu’elles sont proches de quelqu’un ? Je dis, à part Amadé Ouérémi, personne d’autre, mis en cause par la Commission nationale d’enquête, n’a été mis aux arrêts. C’est cette Commission nationale d’enquête qui nous a dit que ce n’était pas évident. Sur cette base, les investigations sont en cours. L’un des premiers nommés dans cette enquête, a été Amadé Ouérémi et il est arrêté. Je ne crois pas qu’il soit pro-Gbagbo comme vous le dites. Si nous faisons un calcul simple, le camp qui supporte pour l’instant les conséquences de la Commission nationale d’enquête, ce n’est pas le camp qui est proche de l’ex-chef de l’Etat. Bien au contraire.

LP : Justement, sur le cas Amadé Ouérémi, des rumeurs d’extradition vers le Burkina Faso circulent. Sera-t-il jugé au Burkina ou en Côte d’Ivoire ?
GC : Pourquoi vous voulez qu’il soit extradé ? Un monsieur qui commet des faits en Côte d’Ivoire et appréhendé en Côte d’Ivoire ne peut être extradé. Parce que la loi qui réprimande ce qu’il a fait, c’est bien la loi ivoirienne. C’est en Côte d’Ivoire qu’il devra être jugé et c’est en Côte d’Ivoire qu’il sera jugé. Il n’est pas question qu’il soit extradé au Burkina, parce que ce n’est pas au Burkina qu’il a commis les faits. Et ce ne sont pas les textes du Burkina qui nous ont permis de l’appréhender. Il n’y a aucune raison qui puisse justifier qu’il ne fasse pas l’objet de procédure en Côte d’Ivoire.

LP : Dans le mois de mars, vous étiez à Bouaflé dans le cadre de la lutte contre l’apatridie. Le gouvernement ivoirien vient de relancer l’application des accords de Marcoussis en ce qui concerne la nationalité ivoirienne et le foncier rural. On vous accuse de vouloir brader cette nationalité. Comment jugez-vous cette accusation ?
GC : Je la trouve fallacieuse. Premièrement, je n’ai jamais fait d’audience de délivrance de certificat de nationalité. Lorsque nous parlons de naturaliser, on émet un décret de naturalisation. Moi, en tant que ministre, je n’ai pas compétence de signer les décrets de naturalisation. Ces décrets sont de la seule compétence du Président de la République. Deuxièmement, personne ne peut dire qu’il m’a vu remettre, ne serait-ce qu’un bout de papier, à quelqu’un ni à Garango ni Koupéla. La lutte contre l’apatridie, c’est le fait pour un Etat responsable de prendre des engagements pour ne pas que les gens vivant sur son territoire ne soient en lien et en relation juridique avec aucun Etat. Ceux qui sont dans cette zone à laquelle vous faites allusion ont été naturalisés en 1995. En ce moment-là, Gnénéma n’était pas au gouvernement et ce n’est pas son fait. Un Etat responsable qui prend un décret, doit s’atteler à ce que celui-ci soit exécuté. Et c’est ce que nous faisons en tant que Garde des Sceaux chargé des exécutions des lois en Côte d’Ivoire. Quand nous allons dans une région pour soutenir un partenaire (NDLR : HCR) contre l’apatridie qui part faire des dons à des populations, nous ne faisons que mener une action républicaine. A ce niveau, nous sommes à l’aise.

LP : Et l’application de Marcoussis?
GC : Vous êtes avec nous en Côte d’Ivoire. Vous savez que le problème de la Côte d’Ivoire vient de cette question de la nationalité. Ceux qui ont pris les armes en 2002, en ont réclamé l’application. Marcoussis a statué sur le sujet et a décidé que pour la réconciliation et pour un nouveau départ en Côte d’Ivoire, il fallait prendre des textes allant dans le sens du règlement de la question de la nationalité. Il y a eu des tentatives en 2004 où deux lois ont été adoptées. En 2005, il y a eu des décisions du Président de la République d’alors. Les lois de 2004 et les décisions de 2005 n’ont pas pu régler le problème. Ces textes n’ont pas réglé la question, parce qu’ils n’ont pas été diffusés et connus des populations. Si bien que les périodes qui avaient été accordées, étaient épuisées avant même que les textes ne sortent. Conclusion : Si nous continuons d’avancer, nous risquons de nous retrouver dans la même position qu’en 2002. Le problème va se poser à nouveau. Alors le gouvernement qui est responsable dit : « Maintenant que nous avons fini les élections, prenons le temps de nous asseoir pour régler les problèmes de fonds dont celui de la nationalité ». Je suis celui qui a proposé au gouvernement ce texte qui tend à mettre en exécution les accords de Linas Marcoussis.

LP : Monsieur le ministre, quelle est, selon vous, la santé de l’appareil judiciaire, deux ans après la crise postélectorale ?
GC : La justice ivoirienne se porte mieux que pendant la crise postélectorale et même avant la crise. Aujourd’hui, le gouvernement s’attèle à mettre les Magistrats dans les conditions de travail. Le gouvernement accorde une oreille attentive aux problèmes des juges. Vous savez, celui qui doit rendre une décision sur le poids du souci matériel ou de travail, ne peut pas rendre de bonnes décisions. Le gouvernement conscient de cela, est en train, dans la mesure de ses moyens, de trouver les solutions pour que les magistrats soient dans les meilleures conditions de travail, plus dignes et qu’ils puissent rendre des décisions équitables, efficaces et réconciliantes.

LP : Et pourtant, la justice ivoirienne continue d’être décriée par les justiciables. Notamment, pour les cas de corruption qui la gangrène…
GC : Nous sommes engagés à moraliser la justice. Nous avons dit à nos collègues, les magistrats, que nous ne tolérerons pas ceux qui commettent des crimes de prévarication. Nous, nous sommes donc pour la moralisation de la justice. Mais, je n’imagine pas un magistrat en train de s’auto-corrompre. Ce sont ceux qui se plaignent qui sont des corrupteurs. Qu’ils arrêtent de corrompre et ils verront que les Magistrats feront leur travail en tout liberté. Il faut que les Ivoiriens s’engagent à ne faire valoir que leurs droits et non leur poche. J’insiste sur cela. On se battra comme on peut pour que les juges soient corrects. Mais tant que les Ivoiriens seront tentés de faire de la corruption, ils mettront nos actions en mal. Ce n’est pas seulement la justice. C’est partout en Côte d’Ivoire que la corruption est généralisée. Nous avons proposé au gouvernement un texte pour lutter contre la corruption. C’est dire que nous sommes engagés dans ce combat. Non seulement au niveau de la justice, mais également dans toutes les administrations en Côte d’Ivoire. Nous souhaitons qu’à l’avenir, les Ivoiriens soient propres pour que notre pays quitte cette position malheureuse dans le classement des pays les plus corrompus au monde.

LP : Les organisations internationales des droits de l’Homme épinglent très souvent l’Etat de Côte d’Ivoire en ce qui concerne le respect des droits de l’Homme. Quel est votre commentaire sur les communiqués de ces organisations, notamment Amnesty International et Human Watch Rights ?
GC : C’est de bonne guerre. Chacun fait son travail et ces organisations font leur travail. Elles ne vivent que de cela. Elles doivent dénoncer ce qu’elles pensent normales à dénoncer. Nous, en tant qu’autorités en charge de faire en sorte que les populations ivoiriennes et tous ceux qui vivent en Côte d’Ivoire soient plus heureux, nous ne pouvons que saluer ces critiques. Car tant qu’il n’y a pas de critiques, il n’y a pas d’amélioration. Mais on constate aussi que, souvent, ils en font plus que de raison. C’est peut-être pour attirer davantage notre attention. Mais nous sommes tous en Côte d’Ivoire. Nous avons tous des baromètres qui nous permettent d’apprécier la situation. Chaque Etat a sa réalité des droits humains et c’est en fonction de ce qu’on constate dans le pays que l’on peut dire si les choses avancent ou pas. On dit qu’il n’y a pas de droit de l’Homme en Côte d’Ivoire. Et pourtant, vous constatez que le gouvernement s’est attelé à réduire les barrages, la présence des hommes en arme en ville, les hôtels sont pleins, tous les avions qui arrivent sont toujours pleins. Mais quel est ce pays où il n’y a aucun droit et que tout le monde fréquente ? Là est la question. Cela me parait paradoxal. On dit qu’en Côte d’Ivoire, rien n’est bon. Mais tout le monde vient. C’est bien la preuve qu’ici en Côte d’Ivoire, c’est beaucoup mieux qu’ailleurs. Il ne faut pas que nous nous laissons affligés par ces communiqués et ces rapports. Nous prenons ce qui est bon pour nos populations et nous le mettons en pratique. Nous faisons en sorte que les Ivoiriens respirent mieux. C’est une question de temps. N’oublions pas qu’il y a une décennie de noir bandeau dans notre histoire. Ce n’est pas du jour au lendemain que l’on perd les habitudes que nous avons accumulées pendant dix ans.

LP : Un autre fléau qu’on ne peut pas occulter, ce sont les évasions dans nos prisons. Qu’est-ce qui est fait au niveau du ministère pour endiguer ce mal ?
GC : La première préoccupation de quelqu’un qui est en détention, c’est de recouvrer la liberté. Peu importe la manière pour certains. Pour d’autres, tout ce qu’il y a comme voies illégales pour y parvenir est bonnes à prendre. Les demandes de liberté provisoires affluent toujours dans les cabinets des juges, parce que personne n’est heureux de se retrouver en détention. Nos prisons, en Côte d’Ivoire, sont de vieilles prisons coloniales. La dernière prison à être construite, c’est la MACA, qui date de 30 ans. Imaginez la prison de Korhogo, la prison de Bouaflé, la prison d’Abengourou, de Bassam. Ce sont des prisons coloniales dont les conditions de sécurité n’existent pas. Aujourd’hui, nous avons demandé au gouvernement de faire un effort pour renouveler nos maisons d’arrêt et de les mettre aux standards internationaux. Ce n’est pas moins de 20 milliards pour construire 4 ou 5 prisons. Quand vous voyez la nécessité d’avoir des autoroutes, des écoles, des plateaux techniques dans nos CHR qui sont dignes de ce nom, vous ne pouvez être exigeant envers l’Etat. Parce que, lorsque survient un accident à l’orée de Bouaké et qu’on est obligé de transporter les gens jusqu’à Abidjan, beaucoup meurent en route. Si le plateau technique de CHR de Bouaké est bon, le problème est réglé. Dans ces conditions, où faut-il mettre les 20 milliards ? Il y a tellement de choses à entreprendre en même temps qu’il faut par moment faire des choix. Souvent au détriment des honnêtes citoyens victimes de quelques uns qui leur font du tort par leur comportement et qui doivent se retrouver en prison.

LP : Est-ce à dire que la sécurité dans les prisons n’est pas une priorité ?
GC : La sécurité est une priorité. Nous y travaillons. Mais en même temps, nous sommes sous embargo. Donc, il faut voir ce qu’il est le plus urgent et le plus utile. Nous avons pris le temps d’abord de nettoyer la cité de tous les bandits qui y trainaient. Aujourd’hui, ils sont dans des prisons et le gouvernement a recruté plus de dix mille agents pénitentiaires pour renforcer l’encadrement des prisons. Ce sont des prisons en elles-mêmes qui ne sont pas fonctionnelles. Nous pensons que d’ici 2015, nous aurons au moins 8 nouvelles prisons qui vont permettre aux gens qui sont vraiment dangereux d’être mis dans des endroits où ils ne pourront pas s’évader. Mais aujourd’hui, nous faisons avec les lieux de détention que nous avons. Nous aurons les prisons qu’il faut et le gouvernement s’y attèle.

LP : Monsieur le ministre, où en est-on avec le dossier de la bousculade de la fête du Saint Sylvestre, qui a fait de nombreux morts dans la commune du Plateau ?
GC : Les dossiers avancent très bien et je pense qu’il fera bientôt l’objet d’un jugement. En fait, dans cette affaire, on déplore certes de nombreux morts, mais c’est tout comme si c’est un car qui est tombé. Et Dieu seul sait quand il en tombe tous les jours, on n’en fait pas des affaires spéciales. Ici, c’est une bousculade. Je ne pense pas qu’il y ait un seul Ivoirien qui souhaitait cela. Je suis convaincu que si cela est arrivé, c’est vraiment contre la volonté de tous les Ivoiriens. Mais il reste que, comme c’est arrivé, les responsables soient désignés et qu’ils répondent de cela. Et nous allons le faire.

LP : Parlons du limogeage de l’ancien procureur de la République … (il coupe !)
GC : Il n’a pas été limogé. Il a été promu. Il est avocat général à la Cour suprême. Quelqu’un qui part d’un Parquet d’instance à la Cour suprême, vous ne pouvez pas imaginer qu’il ait été limogé. Il y a eu des ministres de la Justice qui sont partis et ce n’est pas un procureur de la République qui ne pourrait pas partir.

LP : D’aucuns disent que les changements que vous avez opérés à la tête du Parquet et des Cours d’appel ont pour souci de placer vos hommes pour mieux contrôler l’appareil.
GC : Je ne pense pas que cela soit une faute. Le Président de la République choisit ses collaborateurs et les collaborateurs à leur tour choisissent leurs collaborateurs.

LP : On accuse la justice ivoirienne de fermer les yeux sur le cas des personnes proches du pouvoir suspectées de crimes. Qu’en dites-vous ?
GC : Les enquêtes se poursuivent. S’il s’avère que des personnes dites proches du pouvoir ont posé des actes criminels, la justice fera son travail. Je voudrais encore une fois dire que poursuivre quelqu’un, ce n’est pas le mettre en prison. La poursuite, c’est poser contre cette personne des inculpations. La Côte d’Ivoire n’est quand même pas le premier pays au monde qui connait une telle situation. Quand la guerre est finie en Europe, les Nazis n’ont-ils pas été les seuls à être poursuivis et jugés ? Combien de temps cela-t-il pris ? Maurice Papon n’a-t-il pas été Préfet de police à Paris ? A quel moment a-t-il été jugé ? Nous avons un pays à gérer. Et personne ne pourra imposer à la Côte d’Ivoire une quelconque volonté. Nous travaillons comme nous estimons bon pour les populations et pour la Côte d’Ivoire. Les Ivoiriens font confiance au Président de la République et lui également fait confiance à ses collaborateurs. Pour l’instant, nous pensons que nous faisons ce que nous avons à faire et nous le faisons en toute équité, en toute franchise vis-à-vis de tous les Ivoiriens. Laisser au gouvernement le temps de travailler pour réconcilier les Ivoiriens pour le bonheur de la Côte d’Ivoire.

Réalisée par Jean-Claude Coulibaly et Lacina Ouattara
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