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Société Publié le mardi 4 février 2014 | AFP

Les dozos, chasseurs traditionnels et alliés encombrants de l’Etat ivoirien

© AFP Par Messmin
Sécurité: le ministre de l`Intérieur, Hamed Bakayoko rencontre les dozos
Jeudi 1er novembre 2012. Abidjan. Salle de conférences du ministère des Affaires étrangères, au Plateau. Le ministre d`Etat, ministre de l`Intérieur, Hamed Bakayoko rencontre les premiers responsables de la confrérie des chasseurs traditionnels (dozos) de Côte d`Ivoire
ABIDJAN - Parfois coiffés de masques d’animaux ou recouverts de grigris, tous portent un fusil: les dozos, chasseurs traditionnels accusés de multiples crimes, sont devenus des alliés encombrants pour le pouvoir de Côte d’Ivoire.

Les coiffes les plus extravagantes sont de sortie lorsque les dozos se
rassemblent par centaines à Kani (nord-ouest), fin 2013: toques, perruques,
fausses tresses cousues sur casquettes, bonnets phrygiens, chapeaux surmontés
de boules, de miroirs, de colifichets...

Certains dozos ont recouvert leurs habits de toile de dizaines de grigris
et d’amulettes. D’autres paradent le torse enroulé dans des cartouchières
gorgées de munitions, leurs longs couteaux fièrement exhibés.

L’identité multiple du dozo, forgée depuis des siècles, est ainsi résumée.
Connaisseur savant de la nature, qu’il apprend et comprend grâce à de longues
années d’initiation, supposément doté de pouvoirs magiques, comme celui de
résister aux balles, le dozo reste avant tout un chasseur traditionnel, que
l’on retrouve ailleurs en Afrique de l’Ouest, comme au Mali, au Burkina Faso
ou encore en Guinée.

"Avant, le dozo était le protecteur dans le village, c’était l’élément de
sécurité. C’était aussi un médecin traditionnel. En cas de maladie compliquée,
les gens avaient recours au dozo. Si des animaux féroces attaquaient le
village, on l’appelait également", raconte Bakari Ouattara, secrétaire général
des dozos de Côte d’Ivoire.

Ce prestige demeure dans les villages, même s’il s’est passablement étiolé.
En cause, les bouleversements qu’ont connus les dozos ces dernières décennies.
A commencer par leur nombre. L’Etat ivoirien recensait 50.000 dozos en
1997. Le ministère de l’Intérieur les évalue à 200.000 hommes aujourd’hui.
Bien davantage que les forces de sécurité ivoiriennes.

De "faux dozos" ont ainsi opportunément rejoint les rangs de la confrérie
pour jouir de ses privilèges lors de la crise politico-militaire de 2000-2011,
explique un connaisseur du dossier.

A partir de 2002, la Côte d’Ivoire se retrouve coupée en deux, entre un Sud
favorable au régime du président Laurent Gbagbo et un Nord contrôlé par une
rébellion pro-Alassane Ouattara. Laurent Gbagbo ne reconnaît pas la victoire
de son rival à l’élection présidentielle fin 2010, entraînant une crise
politique et une guerre civile de plusieurs mois, qui a fait plus de 3.000
morts.

Originaires du Nord, tout comme Alassane Ouattara, les dozos s’engagent
majoritairement en sa faveur, contribuant à renverser l’ancien chef de l’Etat
en avril 2011.

De nombreux méfaits leur sont imputés. En juillet 2011, des déplacés d’une
ethnie pro-Gbagbo affirment qu’ils ont pris part au massacre d’au moins six
d’entre eux à Duékoué (Ouest).

La presse ivoirienne les accuse en septembre d’avoir tué deux policiers et
un gendarme à Yamoussoukro (centre). "Les dozos ne sont impliqués ni de près
ni de loin" dans ces meurtres, proteste Bakari Ouattara, qui rappelle que
"l’habit dozo se vend au marché".

Début décembre, ils sont l’objet d’un rapport accablant de l’Onuci, la
mission de l’ONU en Côte d’Ivoire. Les dozos ont tué au moins 228 personnes et
en ont blessé 164 entre mars 2009 et mai 2013, affirme l’Onuci.
Ces chasseurs, également coupables d’"extorsions" lorsqu’ils établissent
des barrages sauvages, constituent un "danger" pour leurs "victimes" comme
pour "la démocratie ivoirienne", assène Eugène Nindorera, chef de la division
des droits de l’Homme de l’Onuci.

Dans certaines provinces, soutient-il, ils se substituent même aux forces
de sécurité, absentes, ou combattent à leurs côtés.

"Nous sommes dans un pays pauvre. Nous savons que le gouvernement n’a pas
les moyens d’installer la police ou la gendarmerie dans nos villages. Donc
nous nous sommes organisés pour pouvoir veiller sur nos populations et nos
biens", répond Bakari Ouattara, rêvant les dozos en "auxiliaires de la police
et de la gendarmerie".

Les ONG et l’opposition ne le voient pas de cet oeil, mais estiment que le
régime d’Alassane Ouattara est trop redevable aux dozos pour pouvoir les
sanctionner.

Le pouvoir actuel paie plutôt le laxisme des régimes précédents, explique
Daniel Bamba Cheikh, le directeur du cabinet du ministre de l’Intérieur.
"Aujourd’hui, on se plaint que les dozos aient été à la guerre (...) alors
qu’on les a laissé prospérer", s’indigne M. Bamba, "surpris" qu’on attende
"qu’un problème aussi ancien se résolve d’un claquement de doigt".
L’Etat ivoirien a massivement eu recours à cette corporation dans les
années 1990 pour pallier sa propre "passivité" vis-à-vis de l’"insécurité",
avant de leur tourner le dos, confirme dans un rapport le sociologue Fahiraman
Rodrigue Koné.

Les autorités assurent vouloir maintenant faire rentrer les dozos dans la
rang. Les chasseurs ont accepté "d’être gérés par l’Etat", "désarmés" et de
"retourner à leur vocation originelle" de "scoutisme à l’africaine", déclare
M. Bamba.

Un recensement de leur population démarrera prochainement, afin de
démasquer les faux dozos, qui seront réinsérés dans la vie civile,
poursuit-il.

Le président Ouattara, lors de ses voeux début janvier, s’est en tout cas
montré très clair. Les dozos, a-t-il affirmé, doivent "se consacrer à leurs
activités originelles en évitant de vouloir accompagner les forces régulières".

eak-jf/cac
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