x Télécharger l'application mobile Abidjan.net Abidjan.net partout avec vous
Télécharger l'application
INSTALLER
PUBLICITÉ

Art et Culture Publié le mardi 25 février 2014 | Nord-Sud

Œuvres de l’esprit : Sur les traces des seigneurs du piratage

A Abidjan, trouver un album, un film ou autres sur un support CD non stické est loin d’être une sinécure. Il suffit de jeter un regard à tous les coins de rue de la capitale économique pour s’en convaincre. D’où viennent ces produits de contrefaçon qui affament les créateurs ? L’enquête de Nord-Sud Quotidien.


On avait cru qu’avec la fermeture des cités universitaires en 201, la vente de CD piratés allait baisser voire disparaître. Que nenni ! Le nombre de points de vente s’est même accru depuis, inondant toutes les communes de la capitale économique. Mais le lieu de prédilection de la vente de ces « œuvres prohibées», c’est bien Adjamé. Dans la cité du maire Youssouf Sylla, il n’y a pas que la maroquinerie, les vêtements et les produits de première nécessité qu’on trouve. Partout en bordure des voies, il y a de petits vendeurs d’œuvres de l’esprit : films, chansons et sketches stockés sur des disques non stickés. Au mépris de la loi, ces seigneurs de la contrefaçon écoulent leurs marchandises chaque jour, au vu et au su de tous. Mais comment font ces voyous d’un autre type pour passer entre les mailles de la police ? Comment font-ils pour entretenir ce commerce interdit mais florissant, qui attire un nombre incalculable de clients ?

Adjamé, un grand labo
Pour les besoins de notre reportage, nous nous sommes rendus à Adjamé pour acheter une de ces marchandises. A peine avons-nous mis pied à terre, un samedi du mois de janvier, que nous avons été hélé par un vendeur ambulant qui nous a demandé ce que nous désirions. Nous lui avons dit que nous voulions acheter des films. Quelques minutes plus tard, nous voilà en train de serpenter la chaussée entre les voitures et la foule compacte, dont le mouvement ne faiblit dans ce lieu que tard dans la nuit. Tout en marchant, le jeune homme, la vingtaine à peine révolue, nous fait l’éloge de son point de vente : « Mon vié (grand-frère ou aîné, ndlr), chez moi, il y a toutes sortes de nouveauté. Même si un film sort sur le grand écran aux Etats-Unis la veille, le lendemain je l’ai ». Ça tombe bien, nous allons pouvoir mettre à exécution notre plan pour découvrir son fournisseur. « Je veux Avengers 2. Un ami m’a appelé d’Europe pour me dire que c’est sorti », soufflons-nous. « Y a pas drap (pas de problème, ndlr), viens mon vié. Regardes », nous dit-il en nous montrant son « étal » : un sachet noir en forme carré, posé à même le sol et sur lequel plusieurs CD sont exposés. Il y en a de tous genres et de tous pays. En plus du blockbuster américain (film à gros budget), nous lui demandons de nous fournir aussi le CD de « Bonjour 2014 », dont la chaîne nationale détient l’exclusivité de la vente. Il ne trouve pas notre film, mais nous assure que nous aurons notre «  Bonjour 2014 ». Il nous propose de le suivre, un peu méfiant : « Mon vié, j’espère que tu n’es pas policier hein ?». « Non », assurons-nous, en déclinant une fausse identité. C’est ainsi que le jeune homme nous entraîne dans un couloir contigu à une banque située au carrefour Liberté en allant vers Texaco. Nous bifurquons à droite, zigzaguons entre des tables et nous voilà au « labo ». Une dizaine de « cracks » du net est à la tâche, avec les téléphones portables qui crépitent à chaque minute. A entendre les conversations, ce sont de potentiels demandeurs. « Qui t’a dit d’envoyer quelqu’un ici ? Tu ne peux pas donner mon numéro de téléphone simplement ? », hurle celui qui est apparemment son mentor. Très vite, celui-ci, que nous appellerons A.C., se calme quand nous citons des films à gros budgets dont la sortie est imminente ou qui viennent à peine d’arriver et que lui-même peine à dénicher. La confiance s’installe. D.L. notre guide et son patron finissent par se lâcher : « Mon frère, c’est ça on fait pour se nourrir. J’étais apprenti gbaka (véhicule de transport en commun, ndlr), mais j’ai toujours eu des problèmes avec mon boss. Donc j’ai décidé de me tourner vers cette activité dont j’avais entendu parler. A la faveur de la crise postélectorale, j’ai pu m’offrir un ordinateur à moindre coût et depuis, je suis à l’aise », raconte-t-il, ravi de ses gains journaliers, qui, selon ses dires, oscillent entre 25 et 50 mille FCfa selon les commandes. En plus de lui-même, il approvisionne plusieurs commerçants dont certains qu’il nous indique dans la même commune, à la Riviera 2, à la Riviera 3 : au rond-point, au carrefour Faya. Quid du lourd tribut que payent les artistes du fait de ces agissements ? « Mon vié, les artistes eux-mêmes-là, certains sont contents quand on fait ça parce qu’ils estiment que ce que nous faisons, c’est leur promotion. Ils gagnent leur argent dans les spectacle pas dans les ventes de CD. Et puis, est-ce qu’eux-mêmes, entre eux là, ils ne volent pas les chansons ? », explique-t-il avant de nous donner « Bonjour 2014 » en précisant : « Ça là, les gens de la RTI disent que c’est eux seuls qui doivent vendre ça. Mais nous on fait rien avec ça (on s’en fout, ndlr). On était au spectacle, on a filmé avec un smartphone, donc on vend. L’image est propre », tranche-t-il. En quelques clics sur des sites dont nous préférons taire les noms, le fournisseur nous trouve « Avengers » sauf que c’est le volet un alors que ce que nous voulons, c’est le deuxième opus (qui n’est même pas encore en cours de production selon le site allocine.fr). Il s’échine à trouver la vidéo. « Peut-être que le film n’est pas encore sorti. Sinon…Vous allez repasser ou laisser votre numéro », finit-il par reconnaître. Au moment où nous partons, un jeune homme arrive avec un paquet plein de disques. Lui aussi est un fournisseur, et comme il n’a pas certains films, il vient voir son acolyte. Nous l’abordons et partons avec lui dans « son usine », après que son ami l’a rassuré à notre sujet.

Les bureaux feutrés : les autres usines…

A notre grande surprise, nous nous dirigeons au Plateau, le centre des Affaires. Mieux, c’est dans une des tours qui abrite un démembrement d’un ministère que M.F. nous conduit. Il nous fait asseoir près du vigile et s’engouffre dans un bureau, promettant de revenir avec notre « bien ». Nous patienterons trente minutes avant qu’il ne revienne vers nous pour nous dire qu’Avengers 2 n’est pas encore sorti. Bingo ! A la différence de l’autre à Adjamé, lui est cultivé donc il s’est vite rendu compte que le film n’est pas encore produit. Nous lui demandons comment il arrive à combiner son boulot et cette activité illégale, et pourquoi il le fait, vu qu’il n’est pas nécessiteux. « C’est une seconde nature. Je le faisais quand j’étais en cité universitaire à Mermoz. J’ai eu mon concours entre-temps, mais pour arrondir les fins de mois, je fais ça. Certains de mes collègues font des téléchargements, mais c’est pour leur propre consommation. Moi, j’ai gardé mon activité parce que mes clients me sollicitent toujours et je dois leur fournir de la marchandise. La différence entre moi et les autres, c’est que je fais plus les films américains que les copies d’œuvres ivoiriennes », nous informe-t-il, avant de nous proposer, paradoxalement, le dernier album d’Espoir 2000. Nous souhaitons l’essayer. Manque de pot pour notre contrebandier, il ne comporte que deux titres : Kognini et les Caissières. En fait, le fonctionnaire n’a pas encore eu l’œuvre complète, mais il trompe les consommateurs comme bon nombre de ses pairs : « C’est la loi du marché. Quand tu viens acheter un truc illégal, tu ne peux pas te plaindre que ce ne soit pas complet », lance-t-il, avant de nous quitter en disant être à notre disposition. Nous en sommes restés bouche-bée.


Sanh Séverin
PUBLICITÉ
PUBLICITÉ

Playlist Art et Culture

Toutes les vidéos Art et Culture à ne pas rater, spécialement sélectionnées pour vous

PUBLICITÉ