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Société Publié le mercredi 26 février 2014 | Nord-Sud

Lutte contre la fraude, réformes administratives… / Fonction publique : le mal persiste !

© Nord-Sud Par Mike Yao
Les Rendez-vous du gouvernement: Le ministre Gnamien Konan face à la presse
Jeudi 16 Janvier 2014. Salle polyvalente, immeuble SCIAM (Plateau). Abidjan. Pour la première session 2014 des rencontres du Centre information et de communication gouvernementales (CICG), le ministre de la Fonction publique et des Reformes administratives, M. Gnamien Konan était face à la presse nationale et internationale pour échanger sur le thème "Administration publique, levier de la Côte d`Ivoire émergente et attractive".
Lorsqu’il prenait les rênes de la Fonction publique, il y a environ trois ans, Gnamien Konan avait tout à refaire : éradiquer la fraude, lutter contre les lourdeurs administratives, informatiser le système, motiver les fonctionnaires…Entre audit, réformes et réduction des effectifs, la mayonnaise tarde encore à prendre. Enquête.



Le délai de 48 heures promis pour le traitement de tout dossier administratif reste encore à la phase de théorie dans certains services publics. Essayez un peu de vous faire établir un casier judiciaire ou un certificat de nationalité par ces temps qui courent. Au palais de justice du Plateau, les postes de contrôle et les aménagements effectués à la façade cachent le racket et la loi des « margouillats ». Ce sont eux qu’il faut voir si vous voulez que votre casier judiciaire soit vite établi. 5.000 FCFA, c’est à prendre ou à laisser. Et si vous vous en offusquez trop, ils vous diront : « Vieux père, les 2.000 F là, c’est pour le dossier, les 3.000 F, c’est pour aller vite». Effectivement, vous pouvez avoir votre document le lendemain avec ce procédé. Cependant, pour celui qui n’aime pas la corruption, les choses peuvent traîner jusqu’à deux semaines environ. « En réalité, les magistrats n’ont rien à voir avec la lenteur. Les dossiers ne remontent pas vite à leur niveau. Remarquez que lorsque vous payez de l’argent, ce qu’ils font, c’est de prendre vos documents et d’aller les glisser dans le lot qui se trouve déjà sur la table », détaille une secrétaire du parquet. Devant la direction du budget, on fait le rang pour payer les timbres et les bulletins de solde. Ici, les ‘’margouillats’’ ne sont pas du tout gourmands. Vous leur remettez 500 F et plus besoin de faire la queue. Comme on le voit, le constat n’est toujours pas beau à voir. Pourra-t-on un jour venir à bout de ce monstre à tentacules qu’est le racket ? Oui, croit savoir MK, comptable dans l’un des départements du Trésor. A condition de mettre l’accent sur l’informatisation de l’administration publique.

Le racket persiste

Mais le Système de gestion des fichiers des agents de l’Etat (Sygfae) mijote encore sur le feu. Et les dossiers sont toujours au stade physique. Dans les bureaux, au ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique, au ministère du Transport, au ministère de l’Education nationale et de l’enseignement technique, etc., ce sont des cartons empilés, des chemises cartonnées entassées, des classeurs superposés. La marche vers l’informatisation semble difficile. « La réalité est que le ministre, lorsqu’il est arrivé, s’est débarrassé aussitôt de tous ceux qui maîtrisaient cet aspect des choses pour ne travailler qu’avec une équipe restreinte », explique cet ancien de la maison. Selon lui, Gnamien Konan aura fort à faire pour transformer l’administration publique en une grande machine huilée. « Combien de nos fonctionnaires savent-ils manipuler l’ordinateur ? », interroge-t-il. Dans un environnement où l’informatisation se retrouve dans le même panier que les énergies renouvelables, il y a visiblement du chemin à faire. Gnamien Konan, pendant les rendez-vous du gouvernement, a juré que les ministres pourront un jour débarquer au conseil de ministres dotés seulement de leur I-pad et discuter tout en se servant des informations affichées sur l’écran. Mais en attendant que ce jour arrive, qu’il n’y ait plus de piles de dossiers pour dénaturer les bureaux, et que le fonctionnaire de Tingrela parvienne à régler les problèmes administratifs sans être obligé de se déplacer à Abidjan. Une autre préoccupation demeure: que fait-on des retardataires au juste? La bataille pour l’assiduité au travail a pris du plomb dans l’aile. Ils sont peu, les fonctionnaires qui arrivent au travail à 7h30, comme demandé par Gnamien Konan. « Le problème de la ponctualité ne dépend pas des fonctionnaires eux-mêmes. J’habite Yopougon. Je me lève à 5h du matin. Mais le temps de trouver le bus et de traverser les embouteillages, j’arrive au boulot entre 7h45 et 8h. Vous ne pouvez pas demander à un fonctionnaire de se lever chaque jour à 4h du matin pour être à l’heure au travail à 7h30 », se plaint un inspecteur au ministère de l’Education nationale. Tous les ministères sont concernés. Les retards se passent au nez et à la barbe des chefs. L’un d’eux qui se trouve dans le département de Gnamien Konan relativise : « Si vous venez en retard une ou deux fois dans la semaine, ce n’est pas grave. Mais quand c’est vous qui êtes chaque fois bloqué dans un embouteillage, alors, il y a problème » justifie-t-il. Il reconnaît toutefois que les bouchons sont légion à Abidjan et que la plupart des fonctionnaires empruntent le bus. « Or, l’effectif des bus pose problème en ce moment. On ne pourra prendre des sanctions contre les retardataires que lorsque la question du transport sera résolue ». Mais est-ce vraiment une question de bus ? Vu que la pause d’une heure pour le déjeuner est également une occasion pour fouler au pied le respect du temps. On revient au bureau entre 14h et 15h. La seule chose qui est respectée, c’est l’heure de descente fixée à 16h30. Elle est même un peu trop bien respectée. Après tout, c’est la Fonction publique.

Les réformes en panne

La première chose qui frappe aujourd’hui lorsqu’on se rend au ministère de tutelle, ce sont ces informaticiens scotchés à leurs machines, au rez-de-chaussée. Et qui semblent vous demander du regard : « eh, où est-ce que vous allez comme ça ? C’est ici que ça se passe !». Installés là pour traiter les nombreux problèmes des fonctionnaires, ils symbolisent en quelque sorte la lutte antifraude tant prônée par Gnamien Konan, le ministre de ce département. Pour les erreurs sur les actes de naissance, les états civils, les arrêtés de nomination, plus besoin de prendre l’ascenseur ou les marches. « Cela évite les lourdeurs et les dessous de table », se réjouit un proche collaborateur du ministre. Bien sûr, ces informaticiens ne sont pas la solution à tout. Les problèmes liés, par exemple, aux actes de nominations, de promotion, de départ à la retraite ou des dossiers relatifs aux pensions sont remontés. Pour mieux huiler la machine, le ministre a décidé de recevoir les fonctionnaires dans le hall de son cabinet. Là, on parle d’affectations, de petits soucis personnels sur les dossiers, de postes aussi. Oui, de postes. Puisque des milliers d’agents frauduleux ont été expurgés des effectifs pendant que certains, en norme, sont sans occupation. Et que surtout, près de 2.000 autres fonctionnaires sont sur une liste rouge, prêts à prendre la porte s’ils ne parviennent pas à justifier les anomalies constatées sur leurs dossiers.

« Gnamien Konan, c’est l’ancien testament »

De façon très directe, le ministre répète que la Fonction publique ne peut plus offrir de job. Qu’il faut ramener au contraire la masse salariale de 41% du Produit intérieur brute (Pib) à la norme dans la zone de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). C’est-à-dire, 35% du Pib. Mais pas question de sacrifier les fonctionnaires sans postes. Une attention qui n’empêche pas ce professeur à Tengrela de charger : « Gnamien Konan, c’est l’ancien testament : vous respectez les règles ou vous êtes puni ». Lors du recensement des fonctionnaires qui a permis au ministre de détecter plusieurs agents fictifs, il affirme n’avoir pas pu se rendre à Abidjan à temps pour se faire recenser. « Mon salaire a été coupé le mois qui a suivi la fin de l’opération. Il a fallu que je vienne me plaindre pour être intégré ». Avec lui, persiste-t-il, c’est la parole et l’épée. Mais ce brave homme devra s’y habituer. Parce que le ministre compte faire voter à l’Assemblée nationale l’avant-projet de loi sur la charte d’éthique et de déontologie des agents de l’Etat. Ce texte kilométrique, plein de règles à suivre, prône, entre autres, la probité et l’intégrité, l’équité et la justice, la courtoisie et l’incorruptibilité, la conscience professionnelle. Mais aussi, le respect de la légalité et de la hiérarchie, la continuité du service public, l’obligation de réserve et la sauvegarde de l’environnement…S’il réussit son pari, M. Konan s’évertuera à ce que ce concentré de règles soit respecté. Une tâche qui fait d’ores et déjà frémir. Quand on sait que sur le terrain, les efforts entrepris jusque-là sont moins suivis. Comme l’indique l’un de ses collaborateurs : « Le ministre a de grands rêves pour la fonction publique, mais souvent il est stoppé dans ses actions parce que les autres départements ne suivent pas le mouvement ». Le seul résultat visible, selon le témoignage d’un ancien de la maison, « c’est la corruption qui a baissé ». Les intermédiaires encore appelés « margouillats » ont été chassés à coup de pied aux abords de son ministère. Ces petits débrouillards, en complicité avec des agents de la Fonction publique prenaient de l’argent aux usagers dans le but d’ « accélérer » le traitement de leurs dossiers. Avec l’informatisation du système (ndlr, qui connaît des débuts difficiles), il est devenu de plus en plus difficile pour un usager de donner des pots-de-vin afin d’avoir un papier. « La plupart des gens ont été déchargés de la gestion des différents actes administratifs. La corruption a par la même occasion baissé», indique cet ex-haut agent du département qui fut l’un des proches collaborateurs des ministres Albert Oulaye, Emile Guiriéoulou et qui a aussi passé quelques semaines avec Gnamien Konan. Pour lui, l’annulation des frais de concours a été également l’un des grands coups du ministre. Curieusement, dans le département, on en est moins fier. «C’était l’une des sources de revenus au ministère de la Fonction publique, explique un travailleur. A cause de cela, on a besoin de tout demander au Trésor quand on veut faire une petite activité. Et lorsqu’on reçoit un visiteur, on ne peut même pas lui offrir un soda ».
Les insertions publicitaires et les activités du ministère se font avec des grincements de dents. De même, le nombre des concours qui a été ramené de plus de 600 à environ 300 n’est pas très bien vu dans un contexte où l’emploi est la préoccupation majeure. Ce sont près de six millions de sans-emploi et de sous-employés qui n’attendent que ces « sésames » pour sauver ce qui reste encore de leur vie de galère. Alors, peut-on vraiment parler de victoire ? Difficile. Mais pour celui que l’on surnomme le technocrate ou le « candidat de la rupture », il y a d’autres chats à fouetter. Notamment les retards dans l’exécution des dossiers.


Raphaël Tanoh
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