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Politique Publié le jeudi 27 février 2014 | Le Patriote

Contribution : Le Président Ouattara aussi a droit au respect de sa vie privée

« De temps à autre, il y a des rumeurs selon lesquelles ma santé décline et que je suis au bout du rouleau »bNelson Mandela
Lettre à Amina CACHALIA écrite à Robben Island, 3 mai 1981

Le débat de la semaine lancé par Le quotidien« Nord-Sud » dans sa parution du samedi 22 avait pour titre:

“Présidents, ministres, députés, Dg…doit-on dévoiler leur vie privée”?
Là où les lecteurs semblaient partagés et ont fait preuve de mesure, le sieur Geoffroy-Julien Kouao, présenté comme un “juriste-politologue”, a affirmé sans aucune nuance et de façon péremptoire:
“Un élu, que ce soit un député, un maire ou un président de la République, n’a pas de vie privée parce qu’il a l’obligation d’informer sa population sur certains aspects de sa vie, notamment sa santé” !
Non monsieur Kouao, nos hommes politiques ont aussi droit au respect de leur vie privée! Pour avoir participé activement à l’élaboration de notre Constitution, nous pouvons aisément expliquer les raisons de l’obligation faite aux candidats à l’élection présidentielle de produire un certificat médical attestant de leur bonne santé. Le souci était d’éviter l’élection de quelqu’un déjà malade et qui ne pourrait, par voie de conséquence, pas pleinement assumer ses charges.
Qu’entend-on par vie privée, autrement dit, quels en sont les éléments constitutifs ?
Même dans les grandes démocraties comme la France, la liberté de l’information a toujours eu pour limite le respect de la vie privée.
Dès 1819, lors de la discussion de la loi sur la presse, un député observait: “Voilà donc la vie privée murée”.
Toute définition de la vie privée présente un caractère relatif.
Dans son ouvrage de référence sur “les droits de la personnalité” Raymond Lindon énumère un certain nombre d’éléments qui pourraient être considérés comme appartenant au domaine de la vie privée. Ce sont la vie familiale de l’individu (notamment sa filiation, son mariage et éventuellement son ouses divorces), sa vie amoureuse, son image, ses ressources et les impôts qu’il paie, ses loisirs et –dans une certaine mesure- sa vie professionnelle. A cette liste initiale, l’auteur propose d’ajouter la santé, les convictions religieuses, les circonstances de la mort et la dépouille mortelle.
De son côté, Robert Badinter, après avoir constaté qu’il n’existait aucune “définition positive de la vie privée”, s’est demandé si cette notion ne devait pas être “définie par la négative”. “La vie privée –écrit-il- c’est tout ce qui n’est pas la vie publique de l’individu”.
Puis, l’auteur observe: “il est aisé… de définir ce qu’est pour chacun de nous la part de notre vie qui se déroule nécessairement en présence du public, notre participation publique à la vie de la cité. Ainsi en est-il de toute activité professionnelle dans la mesure où elle implique des rapports constants avec autrui.
Il en est de même pour cette part de notre vie qui s’inscrit directement dans l’administration de la cité: le service militaire, l’exercice du droit de vote, les compétitions électorales, l’activité politique, l’activité judiciaire dans la mesure où elle s’exerce en public”.
Toutefois, contrairement à M. LINDON, l’ancien président du Conseil constitutionnel français estime que la vie privée d’une personnalité n’est pas différente de celle du quidam. “Simplement, la participation de (la première) à la vie publique de la cité s’avère plus étendue ou plus éclatante”. Mais -reconnaît-il- la distinction s’avérera bien souvent… délicate à faire. Tout est donc affaire de circonstance qu’il revient au juge d’apprécier. On peut en effet affirmer qu’il n’y a pas de domaine propre de la vie privée, mais seulement divers éléments qui sont susceptibles de faire partie de ce domaine, parce que les “circonstances” l’imposent à un moment donné.
Aux Etats-Unis, le droit au respect de la vie privée comporte des limites quand une personne est devenue unepublic figure, car il entre en conflit avec la liberté de l’information, garantie par le premier amendement de la Constitution. C’est le cas pour les candidats à une fonction élective, pour les vedettes du spectacle et du sport, et même pour le simple particulier impliqué dans un fait divers de caractère public, un accident par exemple.
En France, la vie privée fait l’objet d’une protection pénale aux fins de laquelle l’opportunité des poursuites est retirée au ministère public, truchement habituel de la société, puisque l’action publique ne peut être exercée que sur plainte de la victime ou de ses proches (C . pénal, art. 226-1 et s.)
Les « abus » de la liberté d’expression sont sanctionnés par ce que l’on appelle parfois improprement, les « délits de presse ». Une bonne partie d’entre eux peuvent, en effet, être commis par d’autres moyens que par voie de presse, même s’ils le sont principalement de cette façon. La tendance est en voie d’inversion en raison des nombreux messages électroniques malveillants en particulier les SMS. Aujourd’hui, ces abus peuvent et doivent engager la responsabilité pénale et civile de ceux qui portent atteinte à la vie privée d’honnêtes citoyens.
La Cour de cassation française a estimé, lorsque le médecin du Président Mitterrand a fait, après la mort de ce dernier, des révélations sur sa santé, que c’était la violation du secret professionnel qui était sanctionnable et non plus celle du secret de la vie privée (Cass. 1reciv., 14 déc.1999)
Cetteaffaire a par la suite, donné lieu à une condamnation de la France sur le fondement de l’art. 10 CEDH (le droit à l’information). Cette affaire a été évoquée par M. K Wally du journal « Nord-Sud » dans son éditorial du lundi 24/02 en ces termes : « C’est pour toutes ces raisons que la Cour Européenne des Droits de l’Homme a rendu publique, en mai 2004, une sentence qui fait primer le droit du public à la vérité sur le sacro-saint principe du secret médical des présidents ».
Non, ce n’est pas la suspension, par le juge des référés, du livre contenant les révélations médicales, qui a été jugée attentatoire à la liberté d’expression, mais sa pérennisation par les juges du fond, plusieurs mois après, alors que la période raisonnable de deuil des proches était passée et que la mesure n’était plus justifiée par un besoin social impérieux, un vif débat public sur la santé des chefs d’Etat ayant entre-temps été ouvert (CEDH, 18 mai 2004, Plon c/France).
Contrairement à ce que pensent à tort certains journalistes, la liberté d’expression comporte comme toutes les libertés plusieurs types de limitations : d’abord une autolimitation, par sens des responsabilités. Pour des raisons multiples, chacun de nous renonce à tenir certains propos, ou à écrire certaines choses (respect d’autrui, bienséance et politesse…)
La limitation peut être imposée à tous par le législateur. En effet, au nom de quoi la liberté d’expression serait la seule à échapper aux limitations imposées à toutes les autres, dès lors que l’usage qui en est fait risque de nuire à autrui ou à la société.
La liberté d’expression doit être, pour l’essentiel, soumise à un régime répressif. Cette affirmation pourrait, au premier abord (effaroucher, faire bondir certains journalistes), évoquer un régime de répression, à l’opposé d’un régime libéral. Et pourtant, pour les juristes, le régime répressif est, en lui-même, le plus compatible avec les principes libéraux. Il signifie que l’individu est libre de ses actes sans contrôle a priori, quitte à répondre de ceux qui ont été volontairement illicites, devant un juge.
En raison des atteintes fréquentes aux droits des personnes et à leur vie privée, c’est au législateur et aux juges de procéder à la conciliation des droits et intérêts opposés.
En l’état actuel de notre droit, il appartient à chacun, y compris au chef de l’Etat, et à lui seul, de choisir, éventuellement, à quel moment et sous quelle forme il accepte de parler de sa vie privée. Mandela ne disait pas autre chose lorsqu’il déclarait : « J’avais un cancer de la prostate et j’en ai parlé avec mes amis en prison : écoutez, il vaut mieux que ce soit moi qui annonce publiquement que j’ai un cancer. Si je vais chez un médecin pour me faire traiter, ça va engendrer des rumeurs : tu sais que Mandela a le cancer ? »
Conversation avec Morgan Freeman, Johannesburg, Afrique du Sud, 14 novembre 2006
La protection de la vie privée des hommes politiques ne saurait être atténuée ou relativisée,dès lors qu’elle ne présente aucun lien direct avec la vie publique. La tradition juridique française dont nous avons hérité est différente de la situation et des pratiques américaines où les personnages publics ne peuvent pratiquement pas lutter contre un véritable déballage de leur vie privée, parfois ancienne, et plus ou moins reconstituée, sous prétexte qu’il existe en la matière un droit à l’information du public.
Consacré à l’échelon supra législatif par l’article 17 du Pacte international des droits civils et politiques auquel notre pays a adhéré, le droit de chacun au respect de sa vie privée garantit aux individus la liberté de mener la vie qui leur convient, mais dans la sphère d’intimité qui est légitimement la leur.
Eu égard au vide législatif qui prévaut en ce moment, il est temps d’incriminer par un texte spécial l’atteinte à la vie privée comme c’est le cas depuis 1970 en France. Selon l’article 9 du Code civil français : « Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée. Ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé ».
Face au déferlement d’articles de presse haineux et morbides touchant le Président de la République, l’inaction et le silence assourdissant des organes de régulation nous interpellent et nous situent sur la déliquescence morale de notre pays.

Me Mamadou DIANE
Conseiller du Président de la République chargé des Droits de l’Homme
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