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Région Publié le jeudi 27 février 2014 | Nord-Sud

Epidémie mystérieuse dans le département de Kong : Voici ce qui a tué les 12 enfants à Borotogona

Depuis le jeudi 30 janvier 2014, le village de Borotogona, distant de 14 km de Sikolo qui est un chef-lieu de sous-préfecture dans le département de Kong, a été propulsé au-devant de l’actualité nationale. Les populations de ce village venaient d’enregistrer la mort de douze de leurs enfants, (six garçons et six filles arrachés de façon brutale à leur affection). Plus d’une semaine après la visite à elles effectuée par les autorités administratives et politiques, des chefs traditionnels du département de Kong, accompagnés des responsables du district sanitaire de la région, nous avons rendu visite aux populations de ce village.



Parti de la ville de Ferkessédougou ce jeudi 20 février à 8 heures, il nous a fallu trois heures pour parcourir les 65 km qui séparent la cité du Tchologo à Borotogona, via Lawa, village-carrefour qui mène à Ferkessédougou ou à Kong en passant par Sikolo, le chef-lieu de sous-préfecture. Sept kilomètres après, nous voilà à Borotogona, le village sinistré par une mystérieuse épidémie. Il est dans un décor fait de grands arbres, d’arbustes et de broussailles par endroits. Le sous-bois est très calme. La fraîcheur du vent, l’humidité du sol et les flaques d’eau sur notre passage convainquent que la pluie est passée par-là. Ce que confirme un berger rencontré sur notre passage. Au bout de la piste, à notre droite, nous apercevons plusieurs baraques couvertes de pailles ou de bâches de couleur bleue et noire. Un arrêt rapide, et nous constatons qu’il s’agit en réalité d’un site d’orpaillage avec trois machines qui ressemblent à des broyeuses. Malgré les sonorités d’une chanson d’un artiste ivoirien du coupé-décalé qui nous parviennent d’une des maisons, le site est visiblement désert. Nos appels pour trouver un interlocuteur, nous reviennent en écho. Un kilomètre plus loin, nous sommes véritablement aux portes de Borotogona. Le village compte plusieurs cases qui s’étendent à perte de vue sur les deux côtés de la voie principale. Sur notre gauche, deux sexagénaires sont assis à l’ombre d’un manguier. En face d’eux, cinq jeunes s’attèlent à tisser des pailles qui serviront sûrement à couvrir la nouvelle construction en banco située à une vingtaine de mètres derrière eux. Informés de notre identité et du but de notre visite, ils nous conduisent immédiatement chez le chef de village. Absent, ce sont ses notables qui nous demanderont les nouvelles. Avant de relater avec beaucoup de peine et d’amertume le film du drame qui a endeuillé le village. « De mémoire d’hommes, depuis que le village existe, nous n’avons jamais connu pareil fléau. Tout a commencé le jeudi 30 janvier. Entre les trois premiers décès, il y a eu au moins trois jours d’intervalle. En une semaine, nous avons perdu trois enfants », explique Ouattara Siriki, le frère cadet du chef de village. La suite, c’est Ouattara Madialya, 35 ans, la mère du premier enfant qui a succombé de ce mystérieux mal qui nous la racon­te. « Mon enfant n’avait aucun signe qui présageait du pire. La veille de sa mort, il a même joué avec son groupe d’amis comme d’habitude. Quelques heures après le repas du matin, il a commencé à vomir. Pour nous, ce n’était qu’un malaise passager. Malheureusement, au fur et à mesure, son état se dégradait. Peu avant la prière (musulmane, ndlr) de 13 heures, il a rendu l’âme », se rappelle-t-elle, la gorge nouée. En moins d’une semaine, trois enfants du village vont ainsi passer de vie à trépas. Environ la quarantaine, Ouattara Sali, une autre mère de famille de neuf enfants, a perdu deux mômes. Un fils et un petit-fils. C’était le désarroi dans le village. Alors que le deuil des premières victimes était toujours vif dans les esprits, la mort va encore frapper plus fort et étendre son voile noir sur tout le village. Cette fois-ci, le bilan est lourd. En l’espace d’une semaine, neuf décès d’enfants sont enregistrés. Ils sont tous atteints du même mal, avec les mêmes symptômes cliniques : toux, fièvre et vomissements. L’âge des victimes varie entre deux et onze ans. Trois enfants avaient pu être évacués d’urgence à l’hôpital général de Ferké. Deux sont décédés, le troisième est encore en observation. Cette seconde vague de décès va porter le nombre de victimes à douze. Le village est sous le choc. Malgré l’assistance du corps médical de la zone, doublée du soutien moral et financier des autorités administratives et politiques, le village vit dans la psychose. Les mères sont désemparées. Les enfants qui sont les principales victimes sont traumatisés. Les hommes tentent tant bien que mal de ramener la sérénité au sein des familles. « Nous avons réuni les enfants pour leur parler afin de les rassurer sur la disparation soudaine de leurs camarades de jeu. Nous avons demandé aux femmes d’appliquer et d’enseigner aux enfants les règles d’hygiène recommandées par les médecins », indique Ouattara Siriki. Ces consignes sont cependant loin de rassurer les mamans qui restent anxieuses quant au sort de leurs progénitures. « Les nombreux décès nous inquiètent à plus d’un titre. Pendant leur sommeil, je suis en alerte au moindre mouvement ou bruit suspect. A intervalle régulier, j’appelle les enfants dans leur repos, ou encore je les touche pour me rassurer qu’ils sont encore en vie », s’inquiète Ouattara Mariam, 45 ans, génitrice de six enfants, qui a perdu son petit-fils. Mais qu’est-ce qui a pu bien se passer pour que le village enregistre autant de morts de chérubins en si peu de temps ? Il n’y a pas de puits à Borotogona. La seule pompe qui alimente en eau le village et plusieurs campements voisins serait-elle contaminée? Selon l’un des notables, le diagnostic établi par les agents du district sanitaire de Ferkessédougou s’oriente vers une malnutrition et des infections respiratoires aiguës. Un diagnostic qu’ont du mal à comprendre les populations essentiellement composées d’agriculteurs et d’éleveurs, et qui produisent en abondance, le riz, l’igname et le maïs. Les premiers soins administrés aux personnes qui présentaient les signes de maladie ont, semble-t-il, permis de freiner l’hécatombe. Des traitements à base d’antibiotiques. Fort heureusement, depuis le samedi 8 février 2014, date à laquelle a succombé la dernière victime, le village n’a plus enregistré de décès. Toutefois l’inquiétude demeure. En effet, les signes à l’origine de ce sinistre se multiplient au sein des populations. La preuve, quand elles arrivaient dans la cour du chef pour nous livrer leurs témoignages, Ouattara Sali et Ouattara Mariam, visiblement ne respiraient pas la grande forme. Beaucoup amaigries, les deux dames avaient le visage hagard, les lè­vres asséchées. «Elles étaient couchées dans la maison. Nous les avons réveillées pour vous parler. Vous voyez vous-mêmes qu’elles sont affaiblies. Elles souffrent des mêmes symptômes. Cela nous inquiète beaucoup. Si pour le moment nous n’avons enregistré que des décès d’enfants, les adultes de plus en plus souffrent des mêmes symptômes », alerte le président des jeunes, Ouattara Yacouba. Peu avant la prière de 13 h 30, nous décidons de faire le tour du village. Mais avant, nous mettons le cap sur le cimetière où était prévue une prière pour le repos de l’âme des victimes. Pendant la visite du patelin, nous avons pu observer que Borotogona est très bien entretenu. Pas d’ordures visibles, ni de touffes d’herbe derrière les cases ou les habitations. Encore moins d’eau stagnante ou de déjections d’enfants. Les animaux domestiques sont parqués. Un sens très élevé de l’hygiène, rare dans de nombreux villages. Sur le chemin, nous apprenons que certains responsables sanitaires ont formellement interdit aux populations de communiquer sur le sujet. Ce qui n’a pas manqué d’intriguer les habitants du hameau, et par-là, d’augmenter leur crainte vis-à-vis du mal qui les frappe. Faute d’explication logique à cette tragédie, les populations de confession musulmane ont décidé de s’en remettent à la volonté d’Allah. Créé depuis les années 60, le bled compte à ce jour plus de 500 habitants.


Cheick Timité, envoyé spécial à Borotogona
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