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Politique Publié le lundi 24 mars 2014 | Le Patriote

Me Diane Mamadou (Juriste) : “Le Président Ouattara se bat pour les victimes”

Spécialiste du droit international, Me Diané Mamadi, se prononce dans cet entretien, sur les derniers développements de l’actualité judiciaire ivoirienne, marquée par le transfèrement de Charles Blé Goudé à la CPI. Le Conseiller juridique de chef de l’Etat, donne aussi des précisions sur l’état des procédures et rassure les victimes.
Le Patriote : Après une période d’hésitation, le Gouvernement ivoirien a finalement décidé de transférer, le samedi dernier, Charles blé Goudé à la Haye. Pourquoi maintenant ?

Me Diané Mamadou : Maintenant, parce que le Gouvernement de Côte d’Ivoire a pris le soin d’examiner sérieusement et sereinement le mandat d’arrêt qui a été délivré contre monsieur Charles Blé Goudé. Il fallait voir si la Côte d’Ivoire pouvait exercer souverainement sa compétence ou bien donner suite à la demande de la CPI. C’est à l’issue de cet examen que la Côte d’Ivoire a estimé qu’il fallait remettre monsieur Charles Blé Goudé. Il est quand même important de savoir que Blé Goudé depuis presque huit ans, est sous le coup de sanction des Nations unies. C’est le 07 février 2006 que des sanctions avaient été prises contre lui, pour ses appels répétés à la violence. Il a lancé des appels pour s’attaquer au personnel et aux installations des Nations Unies. Il est bon de savoir que ces actes, dans le statut de Rome, sont considérés comme des crimes de guerre. Voici ce que prévoient le statut à cet égard.

« Le fait de lancer des attaques délibérés contre des personnels, les installations, le matériel, les unités ou les véhicules employés dans le cadre d’une mission d’aide humanitaire ou de maintien de la paix, conformément à la charte des Nations Unies, est considéré par l’article 8 du Statut de Rome, comme crime de guerre ». Donc, malgré le fait qu’il était sous sanction des Nations unies en 2006, le 25 février 2011, Blé Goudé a récidivé par un autre appel où il disait en substance : « Je demande à la jeunesse de Côte d’Ivoire, de s’organiser en comité, pour empêcher l’opération des Nations unies, de circuler par tout moyen en Côte d’Ivoire ». Ça, c’est clair. Il n’y a pas d’équivoque. Cela tombe dans la compétence de la Cour pénale internationale.

L.P : En 2011, la Côte d’Ivoire avait admis que la justice nationale n’était pas encore prête pour juger Laurent Gbagbo, car les institutions n’étaient pas encore armées pour ce faire. Trois années après, les institutions ont commencé à fonctionner normalement. Pourquoi l’Etat ivoirien n’a-t-il pas pris en charge ce dossier pour juger Blé Goudé?

Me D.M. : Je voudrais rappeler un principe, car la question a été posée à la CPI, de savoir si un Etat peut envoyer une affaire à La Haye par commodité au mépris de son obligation. Est-ce que l’obligation de coopérer ou de juger à travers la primauté est reconnue à la justice nationale ? Et la CPI à cet égard a rendu un Arrêt clair pour dire qu’il s’agit d’un choix souverain de l’Etat. La poursuite par l’Etat est une faculté, non une obligation, selon cette jurisprudence. C'est-à-dire que l’Etat n’est pas tenu de juger, s’il estime que cette personne bénéficiera de plus de garanties au niveau de la CPI. A travers ces observations, les arguments du Procureur établissent qu’il existe un lien très étroit entre monsieur Blé Goudé et monsieur Laurent Gbagbo. Cela peut être l’explication au fait que M. Blé Goudé soit livré.

L.P : Pensez-vous que Charles Blé Goudé a été victime de ses photos publiées récemment dans la presse ?
Me D.M. : Je vais être vraiment formel sur cette question. Il n’y a aucun lien entre la publication de photos controversées et le transfèrement de monsieur Blé Goudé à la Haye. Les autorités du gouvernement actuel sont quand même sérieuses et on ne gouverne pas selon des humeurs. Parce que Blé Goudé a fait ceci, donc il faut réagir comme cela. La justice, ce n’est pas la vengeance. Mais la justice ivoirienne a pris le temps d’examiner sérieusement son dossier pour voir, s’il fallait donner une suite à la demande de la CPI. C’est à l’issue de cet examen sérieux qu’il a été décidé que Blé Goudé devrait être transféré à la CPI.

L.P : Blé Goudé aujourd’hui, pourquoi pas madame Simone Gbagbo détenue depuis à Odienné ?
Me D.M. : Ce n’est parce que madame Gbagbo est une femme. Mais parce qu’il y a des raisons juridiques. Dans le principe de complémentarité et primauté de la justice nationale, il est dit qu’on évalue la volonté et la capacité de juger de la justice nationale. Concernant madame Gbagbo, pour des actes de procédure, elle a été formellement inculpée pour des faits qui relèvent de la compétence de la CPI et qui sont prévus dans notre législation. Et madame Gbagbo a été plusieurs fois entendue par la justice. Ce sont des éléments qui prouvent la volonté réelle de juger madame Gbagbo. Parce que le souci réel au niveau de la CPI ainsi que des autorités ivoiriennes et des Etats parties, c’est de lutter contre l’impunité, quel que soit le statut.

On ne fait pas une « discrimination positive » pour dire que, parce que madame Gbagbo est une femme, on ne va pas la transférer. Madame Gbagbo ne serait pas la première femme jugée par une juridiction internationale pour des crimes graves, tel que le crime de génocide, crime contre l’humanité ou crime contre de guerre. Il est important de rappeler un précédent. Il y a une décision du Tribunal pénal international pour le Rwanda qui a jugé une ancienne ministre rwandaise, Pauline Nyiramasuhuko, pour crime de génocide et reconnue coupable pour crime de génocide, puis condamnée le 24 juin 2011 à la perpétuité.

L.P : Donc, le cas de madame Gbagbo n’est pas définitivement tranché pour savoir si elle doit être transférée ou pas?
Me D.M. : Absolument. Et son cas est en ce moment en examen au niveau de la CPI, parce que les avocats de l’Etat de Côte d’Ivoire ont soulevé l’exception d’irrecevabilité. Cela veut dire que les avocats commis pour la défense ont estimé qu’il y a des actes de procédure qui ont été posés contre madame Gbagbo. Celle-ci est inculpée pour les mêmes faits que ce que lui reproche la CPI. Ce cas de figure est prévu dans le statut de Rome qui dit, quand cette situation se présente, la compétence revient à la justice nationale au nom du principe de la primauté de la justice nationale. L’examen est en cours, je ne peux préjuger de la décision qui sera prise par la CPI à cet égard. Donc, le cas de madame Gbagbo n’est pas définitivement tranché. Mais sachez que ce n’est pas parce que madame Gbagbo est une femme, sinon ça sera de la discrimination à l’égard des hommes qui sont transférés.

L.P : Quelle est aujourd’hui la suite de la procédure de Blé Goudé ?
Me D.M. : La suite, c’est qu’au nom du principe hérité du droit anglo-saxon, habeas corpus, qui est prévu dans le statut de Rome, il doit être présenté dans les meilleurs délais aux juges. Et cette présentation est appelée comparution initiale. Ce n’est pas du tout un procès, c’est une formalité très rapide. On va s’assurer de l’identité de la personne présentée. Est-ce que c’est bien la personne de Blé Goudé, la personne recherchée. Cela peut se faire dans les heures qui suivent. Et après cette étape, il y a ce qu’on appelle l’audience de confirmation des charges, qui peut être fait dans quelques semaines ou mois

L.P : Comme c’est le cas avec M. Gbagbo.
Me D.M. : Ce n’est pas un procès ou un pré-procès. Les personnes transférées à la CPI bénéficient de principes fondamentaux, car présumées innocentes jusqu’à ce que les culpabilités soient établies à travers un procès qui offre les plus hautes garanties d’équité. Blé Goudé pour l’instant aura le statut de suspect, même pas d’accusé. Je pense que les avocats de monsieur Blé Goudé ne devraient pas paniquer, parce que leur client bénéficiera des garanties les plus élevées d’un procès équitable. Il aura droit à une défense quasiment à égalité avec le Procureur. Il y a des moyens qui seront mis à sa disposition afin qu’il puisse préparer une défense efficace.


L.P : Mais seulement certains s’interrogent sur l’acharnement contre les pro-Gbagbo.
Me D.M. : Je récuse ce terme. Il ne s’agit pas, encore une fois, d’un acte de vengeance, mais c’est pour que justice soit faite. Et ça, c’est la préoccupation majeure. Parce qu’il n’y a pas d’acharnement. Les gens sont poursuivis pour des faits bien précis. Ils ne sont pas poursuivis, parce que tel s’appelle Pierre ou Paul. Ils ne sont pas poursuivis pour leurs opinions politiques, mais pour des actes posés qui sont des crimes graves. Ces crimes ne concernent pas que la Côte d’Ivoire. Elle ne peut même pas prendre une Loi d’amnistie générale concernant ces faits graves, qui concernent la communauté internationale dans sa totalité. Il faut aussi dire que c’est sous l’ancien président Laurent Gbagbo que la Côte d’Ivoire a reconnu la compétence de la CPI, en avril 2003, pour des crimes commis sur son territoire et reconnus par la CPI. Il n’y a donc pas d’acharnement. Les autorités actuelles ont ratifiés le Statut de Rome, devenant ainsi Etat partie avec des obligations plus fortes. Nous sommes tenus de respecter de façon loyale nos engagements dans la sincérité et de coopérer pleinement et avec la CPI.

L .P. : Selon ses partisans, Blé Goudé ne serait pas l’auteur de l’article 125, qui serait sorti de l’imaginaire du pouvoir.
Me D.M. : Quand on parcourt le mandat d’arrêt délivré par la CPI, il n’est pas dit spécifiquement que M. Blé Goudé est poursuivi pour avoir initié, planifié et mis en œuvre l’article 125. Il est poursuivi pour plusieurs faits bien précis relevant de la compétence de la CPI, comme les crimes contre l’Humanité.

L.P : Gbagbo a été transféré avec un avion ivoirien. Et aujourd’hui, on se rend compte qu’il y a un avion affrété par la Belgique ?
D.M : La lutte contre l’impunité est la raison fondamentale de la mise en place de la CPI. La CPI n’est pas un organe des Nations Unies, même s’il est existe des liens entre la CPI et les Nations Unies, surtout à travers le Conseil de sécurité. La Belgique comme Etat partie, comme les autres Etats parties, est tenue d’apporter sa coopération et son soutien dans la mesure de ses moyens. Par exemple, par la mise à disposition de moyens. C’est ce qu’on appelle un peu le partage du fardeau. C’est le cas des Pays-Bas qui abritent les prisons des mis en cause par la CPI. C’est le cas aussi si une personne est condamnée, elle peut purger sa peine dans un autre Etat membre, qui supporte ainsi sa part du fardeau. C’est ce qui expliquerait que la Belgique ait affrété un avion pour venir le chercher.

L.P : Au regard de la longue procédure avec l’affaire Laurent Gbagbo où on n’a l’impression que le procureur peine à trouver des preuves et est ramené souvent à ses copies, ne pensez-vous pas que l’Etat ivoirien se trompe ?
Me D.M. : C’est une question de stratégie. La CPI est une juridiction très jeune, c'est-à-dire elle a moins de quinze années d’existence. Il y a le débat de savoir à quel stade de l’audience de confirmation des charges, à quel niveau, se situe l’obligation des preuves. Est-ce un véritable procès ? Cela peut faire partie d’une stratégie de la défense ou de l’accusation pour dire que : « je ne vais pas à ce stade sortir mes éléments les plus forts. Je vais attendre le procès pour sortir les éléments les plus déterminants ».

L.P : Au risque qu’on libère Gbagbo pour manque de preuve ?
Me D.M. : Je pense que la probabilité est très, très faible que monsieur Gbagbo soit libéré au motif qu’il n’y a pas beaucoup de charges. Mais cela existe, parce qu’un procès n’est jamais gagné d’avance. C’est pour cela que je dis qu’il bénéficie de garanties les plus élevées. Il n’est pas condamné d’avance, ses avocats se battent avec détermination, tout comme le procureur, convaincu qu’il a beaucoup d’éléments ou de preuves contre monsieur Gbagbo.

L.P : N’est-ce pas un coup dur porté à la réconciliation nationale ?
Me D.M. : Je suis vraiment à l’aise pour y répondre. Je suis vraiment étonné que certaines personnes disent qu’il n’y aura plus de réconciliation parce que monsieur Blé Goudé a été transféré à la Haye. Dans mon entendement, l’impératif de réconciliation politique et la recherche de justice ne sont pas antinomiques. La réconciliation vraie et la paix ne peuvent se faire dans l’impunité. Il y a beaucoup d’exemples partout. Si, par extraordinaire, il y avait une Loi d’amnistie générale demandée par les partisans de monsieur Gbagbo, ce serait un message clair à la CPI pour dire : « nous n’avons aucune volonté de juger les crimes atroces qui se sont produits en Côte d’Ivoire. Donc venez juger. » C’est cela le principe de complémentarité. S’il n’y a pas de volonté ou de capacité de juger, dans ce cas, la CPI devient pleinement compétente pour juger.

L.P : L’amnistie ne serait-elle pas le signe du pardon entre les Ivoiriens ?
Me D.M. : La CPI est compétente pour les crimes les plus graves, à savoir les crimes de génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, qui sont des crimes qui choquent, qui ne regardent pas seulement les Ivoiriens, mais l’ensemble de la communauté internationale. Je ne vous rappelle pas ce qui a été baptisé « Article 125 ». Ce sont des crimes qui concernent l’humanité toute entière. C’est pourquoi la communauté internationale considère, à valeur coutumière que, l’amnistie pour ces crimes là, sont inacceptables. Aucune amnistie générale concernant ces crimes ne peut aboutir.

L.P : Dans sa déclaration, le procureur a dit que la CPI mettrait tout en œuvre pour mettre fin à l’impunité et que, elle travaillerait pour que dans tous les camps, les personnes soient interpellées. Est-ce que vous croyez réellement à cela, à cette équité dans les poursuites de la CPI en Côte d’Ivoire ?
Me D.M. : Oui, ce n’est pas une nouveauté. Et la CPI est dans son rôle pour dire qu’elle va lutter contre l’impunité. C’est pour cela que la CPI a été créée. En même temps, je rappelle une déclaration du procureur qui a précédé madame Bensouda. Luis Monero Ocampo disait : « le succès de la CPI ne se mesure pas au nombre de procès qui seront tenus par elle. Mais, au contraire, à l’absence de procès ». Cela voudra dire que les juridictions nationales qui ont la primauté font effectivement leur travail, des poursuites sont engagées et la lutte contre l’impunité est efficace. Si Bensouda dit qu’il n’y aura pas de traitement de faveur quelle que soit l’appartenance politique, je n’ai pas de raison d’en douter.

L.P : Vous croyez l’Etat ivoirien capable d’exécuter un mandat d’arrêt contre un partisan du régime ou contre un élément des Forces républicaines de Côte d’Ivoire?
Me D.M. : Il est important de rappeler les déclarations du chef de l’Etat, qui a plusieurs fois dit sa volonté inébranlable de lutter contre l’impunité. Cela ne souffre d’aucun doute et jugeons-le aux actes. Mais en même temps, il ne faut pas demander, puisqu’il y a tel nombre de partisans de Gbagbo qui ont été remis à la CPI, il faudrait qu’il ait des membres de l’autre camp à la Haye. Il faut laisser la justice faire son travail dans le respect de l’indépendance et surtout à son rythme. La justice n’accepte pas la précipitation. Elle se fait de façon sereine, même s’il faut une célérité, mais pas de précipitation. S’il y a un parti pour lequel les autorités se battent, c’est bien les victimes. Il ne faudrait pas que les victimes soient sacrifiées pour des besoins de réconciliation de façade.


L.P : On a vu ces derniers temps, des victimes protester, car elles estiment que le pouvoir politique faisait un peu trop de faveur à ceux qu’elles présument être leurs bourreaux ? Elles estiment qu’elles sont lésées. Pensez-vous que réellement les victimes sont prises en compte dans ce processus ?
Me D.M. : Le principe dans un Etat de droit, c’est la liberté et l’exception doit être la détention. S’il y a des personnes qui sont mises en détention provisoires et à partir du moment où cette détention n’est plus nécessaire, on leur accorde la liberté provisoire en attendant que leur cas soit examiné par un jugement de fond. C’est ce qui a été fait. Il faut expliquer cela aux victimes. Elles ne peuvent pas comprendre que des gens considérés comme étant les auteurs des exactions qu’elles ont subies, soient en liberté et pour certains en train de les narguer. On est dans un Etat de droit et comme tel, il faut fonctionner sur les principes. Les auteurs des exactions ne peuvent définitivement rester en liberté lorsque la justice estime qu’il y a suffisamment d’éléments à charge. Que les victimes soient rassurées, elles ne seront jamais sacrifiées. Les victimes sont au cœur du processus de réconciliation, parce que nous sommes convaincus qu’il ne peut y avoir de réconciliation véritable dans l’impunité. Si on ne connait pas la vérité, on va retomber dans les mêmes problèmes.

L.P : Jusqu’où est capable d’aller la CPI en Côte d’Ivoire ? Au Libéria, elle a juste pris Charles Taylor. Mais en Côte d’Ivoire les choses sont différentes.
Me D.M. : Il faut savoir que la CPI ne juge pas tous les crimes. Elle n’est compétente que pour un certain nombre d’actes qu’elle considère comme les crimes les plus graves et les responsables au plus niveau, ce ne sont pas les petits soldats. Maintenant, jusqu’où la CPI peut aller ? Je ne sais pas. A partir du moment où la justice ivoirienne fera son travail, la CPI n’interviendra pas. Elle le ferait qu’en cas d’absence ou d’incapacité de juger.

Réalisée par Charles Sanga
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