I. Introduction
Depuis la fin de la première moitié des années 1980, la Côte d’Ivoire a choisi de diversifier son économie en favorisant l’exploitation de ses ressources minières par des personnes physiques ou morales d’ici et d’ailleurs. Cette volonté politique s’est exprimée par la libéralisation de l’exploitation artisanale de diamant et d’or sur toute l’étendue du territoire national dans un premier temps.
Plus tard, soit à la fin de la seconde moitié des années 1980, l’Etat a jeté les bases de l’exploitation industrielle de ses ressources minières en général et singulièrement l’or, en octroyant des permis d’exploitation à la Société des Mines d’Ity (SMI) et à la société des Mines de l’Aféma (SOMIAF).
Depuis le début de ce retour à l’exploitation industrielle de nos ressources minières, les populations locales ou riveraines des projets miniers éprouvent des difficultés à les accepter (L’inter du 15 juillet 2014, page 11). Les mouvements de protestation, nés à Aboisso pour la première fois dans les années 1995-1996, n’hésitent pas à se systématiser chaque fois qu’une mine s’ouvre ailleurs en Côte d’Ivoire, qu’elle soit aurifère ou non, qu’elle soit en zone forestière ou non. Face à ce qui se présente comme un « nouveau risque » pour l’exploitation minière en Côte d’Ivoire, et une menace pour les investissements miniers, en grande partie d’origine étrangère, nous avons choisi de conduire une réflexion en vue de donner à ce phénomène sa vraie signification économique, mais aussi son impact sur la politique minière nationale.
Notre contribution vise quatre objectifs. Premièrement, il s’agit d’expliquer pourquoi en tant que pays agricole, la Côte d’Ivoire a décidé de donner un appui à l’exploitation de ses ressources du sous-sol. Deuxièmement, il s’agit d’expliquer les attentes des populations riveraines des projets miniers. Troisièmement, il s’agit de donner les raisons pour lesquelles les populations et collectivités locales s’opposent au bon déroulement des projets miniers. Quatrièmement enfin, il s’agit de faire des propositions pour apaiser les relations entre l’exploitation minière et les populations environnantes des projets miniers.
II. Pourquoi des projets miniers en Côte d’Ivoire ?
De l’avis de la communauté minière et géologique ivoirienne, le potentiel minier ivoirien était connu à l’indépendance. C’est donc volontairement que l’Etat de Côte d’Ivoire, sous la guidance éclairée du Président Félix Houphouët-Boigny, a décidé de réserver sa mise en exploitation à plus tard, privilégiant du coup l’agriculture.
Il faut noter toutefois que l’exploitation industrielle des ressources minières n’est pas une première en Côte d’Ivoire. A Tortiya, de 1947 à 1975, la Saremci a exploité de façon industrielle le diamant. S’agissant du diamant, notre communauté, la communauté géologique et minière fait remarquer d’ailleurs « que de 1945 à fin 1949, [l’intérêt économique] du diamant fut totalement ignoré en Côte d’Ivoire. Chez les Européens, personne n’y croyait. Les Africains connaissaient bien l’or, en particulier en pays Baoulé, mais [l’intérêt économique du] diamant était totalement inconnu en Côte d’Ivoire. Ils ne savaient même pas ce que cela pouvait être.». (Pierre Legoux et André Marelle, 1991).
A Séguéla, l’exploitation industrielle de diamant a commencé en 1952 par la Sandramine puis la Sodiamci dès 1955, pour se terminer en 1971.
A Grand-Lahou, « le gisement de manganèse mis à nu par des travaux d’exploitation forestière en 1955 », a été exploité de façon industrielle de 1960 à 1970. Les travaux ont été arrêtés suite à l’effondrement des cours et non à cause de l’épuisement des réserves ; ils semblent avoir repris.
La colombo-tantalite a aussi fait l’objet d’exploitation de type industriel de 1957 à 1966 à Bouaké.
Jusqu’à la fin de ces activités d’exploitation industrielle au début des années 1980, suite à des chocs extérieurs, (chocs des cours des produits pétroliers, baisse des cours mondiaux des produits miniers) puisque la Côte d’Ivoire n’était pas consommatrice de ces produits, la contribution de l’activité minière à l’économie du pays est restée marginale.
Il faut préciser toutefois que cela n’a pas empêché que l’Etat :
• se dote de façon prospective d’infrastructures institutionnelles chargées de conduire l’exploration minière et le cas échéant d’exploiter les concentrations économiquement rentables,
• et initie des actions de coopération bilatérale et/ou multilatérale dans l’optique d’approfondir l’inventaire du potentiel minier national.
A notre avis, en procédant ainsi, l’Etat de Côte d’Ivoire savait que l’exploitation minière serait un jour, un autre souffle de son économie. En vérité, c’est la baisse des cours des matières premières agricoles et leurs conséquences néfastes sur l’économie ivoirienne au début des années 1980 qui vont, et nous pesons nos mots, à la limite convaincre et contraindre le Président Félix Houphouët-Boigny, en vrai connaisseur des coûts d’opportunité de l’exploitation minière, à considérer que le moment était venu pour que le secteur minier donne un « second souffle » à l’économie ivoirienne presqu’à genou.
Depuis cette date, l’Etat multiplie les actions et les initiatives pour que le secteur minier joue le rôle qui doit être le sien dans l’économie nationale. Plusieurs actes majeurs sont à signaler.
• D’abord, en acceptant que le Président Félix Houphouët-Boigny prenne sa première coupe de champagne à la découverte du pétrole en 1977, comme pour dire au monde qu’il avait des capacités de rebondissement face à la crise qui s’annonçait pour la décennie 1980-1990 ;
• Ensuite, en libéralisant l’exploitation artisanale de l’or et du diamant sur toute l’étendue du territoire national en 1984, comme pour demander aux populations ivoiriennes qui, reconnaissons-le, n’avaient pas forcément l’expertise minière, de trouver une alternative au chômage galopant, consécutif à l’abandon des plantations de café et de cacao, suite à la mévente des produits agricoles ;
• En faisant encore de la contribution des ressources minières au développement économique de la Côte d’Ivoire, une volonté politique clairement exprimée le 09 juin 1988 au cours du conseil des ministres, comme pour affirmer l’irréversibilité de la contribution du secteur minier au développement économique ;
• En permettant l’ouverture de la mine d’or d’Ity en 1989, et celle d’Aféma en 1992, et en couronnant le tout par l’adoption en 1995 d’un nouveau Code minier suivi de l’organisation d’un forum des investisseurs miniers et pétroliers en 1996 à Abidjan, comme pour s’ouvrir à la contribution de l’investissement étranger au développement du secteur minier.
Ces initiatives gouvernementales ont sans aucun doute rencontré l’adhésion des populations dans leur ensemble, puisque les zones d’exploitation artisanale d’or et de diamant ont été prises d’assaut par de nombreux ivoiriens, et que les ouvertures des mines d’Ity et de l’Aféma ont donné lieu à des scènes de joie et d’allégresse dans les zones abritant ces deux projets.
Au regard de ce qui précède, il convient de préciser que le recours à l’activité minière comme « second souffle de notre économie, depuis le début des années 1980, avait plus pour but de maintenir à un niveau acceptable « notre capital de confiance auprès de nos partenaires étrangers, pour la raison évidente qu’il ne cessait de se dégrader au fur et à mesure que nos recettes d’exportation se contractaient, et que les flux d’aide étrangère vers la Côte d’Ivoire devenaient problématiques.
A notre avis, la promotion du secteur minier pendant la décennie 1980-1990 obéissait à la nécessité pour l’Etat ivoirien de donner des gages à la communauté nationale et internationale sur ces capacités à rebondir économiquement, dans la mesure où à cette époque plus qu’aujourd’hui, réussir à capter une part des investissements miniers internationaux était la preuve manifeste de la capacité de l’Etat ivoirien à être éligible à des capitaux à risques comme les investissements dans le secteur minier.
Avec un peu de recul, nous pouvons affirmer que l’ambition du gouvernement, à cette époque, n’était pas tant que le secteur minier vienne, en moins d’un an, voire de deux ans ou même de trois ans, lui permettre de rattraper les centaines de milliards de francs CFA qu’il perdait au titre des dépenses budgétaires (passées de 439 milliards de francs CFA en 1983, à 429 milliards de francs en 1984 et 418 milliards de francs CFA en 1985), et des budgets d’équipement (passés de 300 milliards de francs CFA en 1983 à 242 milliards en 1984 et à seulement 87, 640 milliards en 1985). (Félix Houphouët-Boigny, Actes du VIIIe Congrès du PDCI, 1985).
Au total, il est juste d’affirmer que la promotion de l’activité minière de production à partir de 1984, marque le point de départ d’une prise de conscience de la nécessité de faire valoriser les ressources de notre sous-sol, pour non seulement engranger des recettes additionnelles pour l’Etat, mais aussi et surtout espérer créer des emplois directs et indirects dans les zones des projets miniers. A cette époque, avouons-le, l’Etat n’a pas pris la précaution de se soucier du sort des populations riveraines des projets miniers ou de s’imaginer le sort des populations riveraines des projets miniers une fois consacrée la décision de devenir un pays producteur de matières premières minières.
Le contexte macro-économique national d’alors, ne permettait pas de s’attarder sur les coûts sociaux et environnementaux de l’exploitation minière, tant que notre souci était de promouvoir la recherche minière, c’est-à-dire la collecte de données géologiques et minières. Mais, aujourd’hui où l’engagement est solennellement pris de donner à notre politique minière une vocation de production minière, la réflexion sur « l’acceptabilité des risques » que font courir les projets d’exploitation minière industrielle aux populations locales riveraines des projets miniers et les conditions de leur réparation s’impose à tous et à chacun.
Avant donc d’aborder cette question, voyons d’abord ce qu’étaient les attentes des populations locales au début de l’ère de la production minière et comment elles ont évolué dans le temps.
III. Quelles sont les attentes des Populations et Collectivités locales riveraines des projets miniers ?
Jusqu’en 1975-1980, les zones d’exploitation industrielle de nos ressources minières étaient des enclaves. Pour y aller il fallait des visas. C’étaient donc des Etats dans l’Etat. En dehors de la cité minière, les sites d’habitation aux alentours des projets miniers se gardaient bien d’interférer dans le fonctionnement de la mine. Même les voies d’accès à la mine n’étaient empruntées par les populations hors de la mine qu’à titre exceptionnel.
Après la fermeture des projets miniers industriels, les zones d’exploitation sont devenues des pôles de développement érigés en sous-préfectures, préfectures et/ ou communes, avec la responsabilité de maintenir ces populations accourues pour travailler à la mine comme habitants de ces zones au passé reluisant, et à l’avenir à réinventer. Personne ne s’est soucié des atteintes à l’environnement, encore moins des préjudices irréversibles que subissaient les populations riveraines des projets miniers.
A l’ouverture des nouvelles mines dans les années 1990, les populations ont eu des comportements différentiés selon les zones d’implantation des projets miniers.
Dans les zones où la mine entrait en compétition avec l’agriculture, les populations attendaient certes des emplois, mais entendaient surtout bénéficier des voies d’accès entretenues par la mine pour l’évacuation de leurs produits agricoles. Elles s’attendaient à ce que leur écosystème soit préservé, et que pendant ou après la mine, les activités agricoles soient encore possibles. Les souvenirs des mines souterraines du début du XXe siècle qu’ils ont connues faisaient penser que leurs terres seraient préservées.
Dans les zones où la mine est une chance unique d’accueillir des activités industrielles, la population s’attendait beaucoup plus à des emplois, à bénéficier des voies d’accès à la mine, mais surtout à ce que la mine apporte le développement en se substituant même à l’Etat pour renforcer les investissements publics.
Il est donc permis d’affirmer que les populations riveraines des projets miniers en général localisés à cette époque dans les zones où la mine entrait en compétition avec l’agriculture de rente, ont eu un sentiment mitigé au début de la nouvelle ère de production minière. Elles se réjouissaient de la venue des projets miniers comme opportunités d’emplois, mais savaient-elles aussi que les projets miniers portaient des impacts environnementaux et sociaux parfois disproportionnés au regard des gains au plan local ?
Le schéma qui était dans tous les esprits, c’est que localement, on bénéficie des emplois créés et « des largesses » qu’on pourrait appeler les « mannes » de la part des investisseurs miniers.
Les échos en provenance de nos zones minières, vingt ans après la fin de la guerre froide, montrent bien que l’exploitation minière à grande échelle, si elle n’est pas canalisée et soigneusement repensée, peut très rapidement s’apparenter à un « loup », alors qu’on la prenait pour un « agneau ». Dès lors, l’on a la responsabilité de tenter d’expliquer les scènes de ménage que nous constatons entre les projets miniers et leur environnement encaissant.
IV. Pourquoi les populations locales contestent-elles les projets miniers aujourd’hui ?
Les contestations sont portées et favorisées par les mutations d’ordre doctrinal et institutionnel qui traversent le monde depuis la fin de la guerre froide. En d’autres termes, les raisons des contestations des projets miniers par les populations locales en Côte d’Ivoire, sont d’ordre politique, économique, social et environnemental, voire culturel. Mais, entendons-nous bien, ces cinq ordres de préoccupation ont des composantes internes et externes à la localité, à la région et à la Côte d’Ivoire elle-même.
Au plan doctrinal
Il faut noter que depuis la fin des années 1990, partout dans le monde, nous assistons à l’explosion des libertés. Dans ces conditions, tous les projets pouvant constituer des menaces pour les individus ou groupes d’individus, ne peuvent s’entreprendre sans les avis de ceux-ci.
En conséquence, il est demandé aux autorités publiques d’accepter que les populations dénoncent tout projet qui expose leur existence à de graves risques. En d’autres termes, contrairement à ce qui a prévalu pendant la guerre froide, il n’est plus acceptable que de façon unilatérale, l’exploitation minière soit imposée aux populations locales.
Dès lors, il faut comprendre que c’est la manifestation de l’Etat de droitqui sous-tend la réaction des populations dont les avis doivent être désormais requis avant le démarrage des projets de développement minier.
Au plan institutionnel
Bien que la souveraineté de l’Etat sur ses ressources naturelles ait été maintes fois réaffirmée, la révolution institutionnelle, rendue possible par les mutations d’ordre doctrinal post-guerre froide, sont venues rappeler aux Etats et aux Entreprises minières, qu’ils ne sont plus les seuls maîtres du jeu minier national et international.
En conséquence, les initiatives privées et/ou à caractère multilatéral ou même bilatéral (ITIE, PK, Publiez ce que vous payez, Global Compact, ISO…) constituent des contraintes qui indiquent clairement que l’industrie minière qui a toujours été au service de la richesse des nations et des grands groupes transnationaux, doit désormais intégrer la richesse individuelle, c’est-à-dire la lutte contre la pauvreté en général, et singulièrement dans les zones d’exploitation des projets miniers.
Il faut noter que contrairement à ce que le citoyen non averti pense et croît, la mine industrielle qui est, rappelons-le fortement mécanisée, n’offre que des emplois qualifiés. Ce qui rend inéligible la majeure partie de la population active locale. Le deuxième constat qui est fondamental, c’est que les Entreprises minières n’ont jamais nourri l’ambition de se substituer à l’Etat. Ce ne sont donc pas des philanthropes et compte tenu de la structure de leur financement, elles font rarement ce qui n’est pas conforme à la législation nationale en vigueur, et ce qui ne leur permet pas de gagner de l’argent. Tout acte que pose une Entreprise minière doit s’inscrire dans la rentabilisation de l’investissement initial, c’est-à-dire réaliser des profits.
Dans ces conditions, il n’est pas juste de croire que les relations entre la société d’exploitation minière et les populations locales doivent reposer sur l’informel, la passion ou l’émotion. Ces relations doivent bel et bien reposer sur le respect, la protection et la jouissance des droits des uns et des autres.
A ce jeu, il n’y a que la connaissance et la maîtrise des droits des populations locales qui peuvent aider à trouver des solutions durables aux conflits d’intérêts qui se vivent dans les zones des projets miniers depuis la fin de la guerre froide.
Il est clairement établi que l’exploitation minière a des effets négatifs sur l’environnement social et physique. Elle détruit les terres cultivables, elle est à la base de pollutions de tous ordres : pollution de l’air, pollution des eaux de surface comme souterraine, elle détruit la forêt, elle réduit donc la biodiversité. Elle peut parfois contraindre des populations entières au déplacement forcé. Elle peut entrainer des surpopulations des sites environnants occasionnées par l’afflux de populations à la recherche d’emplois à la mine. Elle peut être à l’origine de fortes inégalités au sein des communautés riveraines des projets miniers. Elle peut créer des frustrations si les dommages ne sont pas correctement indemnisés. Bref, comme toute pièce, l’activité minière de production que la Côte d’Ivoire s’apprête à intensifier a des conséquences prévisibles et « imprévisibles sur l’environnement, la santé ou le goût de vivre » (David Le Breton, 2012), dans les zones affectées par les projets de développement minier, même si elle se présente comme une opportunité sur le chemin de la croissance.
En Côte d’Ivoire, jusqu’en 1995, aucune loi ne prévoyait la prise en compte de l’environnement dans la conduite des projets miniers par exemple. Les exploitants étaient donc libres de détruire les forêts, de rejeter les terrils dans les eaux des rivières, d’ébranler des habitations à partir de tirs d’explosifs, etc., sans contrepartie formelle et rigoureuse.
Comme il fallait s’y attendre, depuis la fin de la première moitié de la décennie 1990-2000, les populations riveraines des projets miniers ont, de façon systématique, dénoncé l’impact des projets miniers sur leurs moyens de subsistance. Ce qui les installe dans la précarité et dans la peur de l’après mine. Qu’allons-nous devenir après l’exploitation minière, se demandent-elles ?
Avant le début des années 1990, cette question était sans réponse dans la mesure où quiconque se la posait s’exposait aux foudres des autorités publiques pour qui la mine était d’utilité publique. Il ne faut pas la contester longtemps. Avec l’explosion des libertés consécutives à la fin de la guerre froide, la question peut être librement posée. D’ailleurs, pouvait-il en être autrement quand elle se pose sous toutes les latitudes sans que la répression ne s’abatte sur ceux qui osent se la poser et que les médias relaient le traitement qui est fait aux manifestants ? D’où est donc venu ce voile protecteur des contestations des projets miniers, pourrait-on nous rétorquer ?
Pourquoi les populations peuvent et doivent-elles contester librement les projets miniers en Côte d’Ivoire, comme partout dans le monde, sans que les mouvements de contestations ne soient taxés de subversifs ou de rébellion ?
En vérité, depuis la Conférence de Rio de Janeiro en 1992, des instruments juridiques internationaux comme nationaux contraignants ou non, servent de marchepied, de boucliers, de fer de lance aux populations locales, pour se faire entendre, pour exprimer leurs opinions vis-à-vis des projets miniers, et surtout réclamer le respect de leurs droits fondamentaux, au moment où la gouvernance de l’industrie minière passe de « l’Etat de police ou l’Etat militaire » à l’Etat de droit !
Face à cette montée en puissance de la nouvelle gouvernance de l’industrie minière, l’enjeu est de savoir comment mettre fin aux contestations des projets miniers, dans la mesure où les ressources minières doivent s’exploiter pour la raison évidente qu’aucune ressource minière ne devient richesse tant qu’elle n’est pas valorisée, et surtout que la nature des investissements miniers ne permet pas à notre pays de mobiliser à lui tout seul, l’état actuel de ses capacités financières, les moyens que nécessite la valorisation de ses ressources minières.
Une telle réflexion ne peut en aucun cas se faire sans s’inspirer des expériences vécues ailleurs pour la raison évidente que « l’industrie minière est réellement internationale, par définition et nécessité ». (Rex Bosson & Bension Varon, 1977).
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V. Comment mettre fin aux contestations des projets de développement minier ?
Même si l’objet de l’industrie minière demeure inchangé, sa vocation quant à elle, a évolué. Elle est passée de la contribution à la richesse des nations à la lutte contre la pauvreté. Dès lors, l’atténuation ou même l’éradication des contestations des projets miniers, passe nécessairement par uneautonomisation avant-gardiste des populations locales riveraines des projets miniers.
L’autonomisation des « contestataires des projets miniers » repose sur deux dimensions : une dimension préventive et une dimension curative. Les deux concourent à la mise en œuvre du développement humain durable local dont les piliers sont : l’environnement, l’économie, le social et le culturel.
La dimension préventive de l’autonomisation des populations locales, repose sur les principes de prévention et de précaution qui imposent d’évaluer les impacts environnementaux et sociaux des projets miniers, avant leur démarrage. Elle amplifie ainsi la nouvelle gouvernance de l’industrie minière qui commande aux acteurs traditionnels que sont l’Etat et les Entreprises minières de réaliser toujours un compromis avec les populations locales, qui soit effectivement assorti de possibilités de suivi et d’évaluation de sa mise en œuvre par des organismes indépendants, avant, pendant et après l’exploitation minière.
La dimension curative quant à elle, prend en compte le suivi environnemental effectif de la zone affectée par le projet minier, à la satisfaction de toutes les parties prenantes dont la composante faible est représentée par les populations locales riveraines des projets miniers, pendant et après l’exploitation des mines, afin qu’à la moindre alerte, les réparations soient proportionnelles aux coûts d’opportunité du projet. N’oublions pas que les effets de la mine sur la population ne s’arrêtent pas, quand prend fin l’exploitation minière.
Ainsi, reconnaître aux populations locales riveraines des projets miniers, le droit à un développement humain durable, est devenue plus une nécessité qu’un simple effet de mode ou d’annonce. C’est bel et bien une des grandes tendances de l’industrie minière au XXIe siècle, que la Côte d’Ivoire doit obligatoirement expérimenter, surtout au moment où l’explosion des nouveaux droits humains ne met aucun Etat à l’abri de poursuites judiciaires par quiconque, citoyen ivoirien ou non, estimerait que les projets miniers violent les droits des populations locales, et surtout au moment où un nouveau Code minier tourné cette fois vers la production, donc vers l’exposition de nos populations locales riveraines des projets miniers aux coûts environnementaux et sociaux inévitables va accompagner et encadrer cette volonté politique.
VI. Conclusion
L’exploitation minière est une activité peu vertueuse en matière de respect des droits de l’homme et de la protection de l’environnement. La mine expose les populations riveraines des projets à de réels risques qui peuvent aller jusqu’à attenter aux bases mêmes de leur existence. Dans ces conditions, la question que pose la contestation des projets miniers dans notre pays, est surtout « l’acceptabilité des risques » de ces projets. En d’autres termes, jusqu’à quand une communauté peut-elle accepter de faire des sacrifices pour que les ressources minières dans le sous-sol se transforment en richesse locale, nationale et internationale ?
Si avant la fin de la guerre froide, ces risques avaient les « allures d’une fatalité ou d’un prix à payer pour bénéficier du progrès » (David Le Breton, 2012), force est de reconnaître que les nouveaux droits humains, fondamentalement favorables au droit de l’individu et les grandes mutations sociétales (révolution des TIC) enregistrées depuis au moins deux décennies, sont autant de recours possibles offerts aux populations locales de crier leur douleur localement et mondialement, et de s’appuyer sur le droit international des droits de l’homme et de l’environnement, pour obtenir réparation, après avoir bénéficié de larges et actifs soutiens et compassions à l’échelle mondiale.
D’ailleurs, les couvertures médiatiques des drames que vivent des populations riveraines des projets miniers, sous d’autres cieux, constituent autant d’avertissements qui font obligation aux populations locales riveraines des projets miniers, de se mobiliser pour défendre leurs droits fondamentaux et obtenir réparation en cas de violations manifestes de ceux-ci.
En vérité, en contestant les projets miniers, les populations locales riveraines des projets miniers ne font que défendre des droits légitimes universellement reconnus depuis bien longtemps, et mondialement étouffés pendant la guerre froide et fort heureusement réhabilités par le Concept de Développement humain durable.
« Every penny has two sides », disent les Anglo-saxons. Il faut donc noter, pour paraphraser le sage que «si l’ouverture d’une mine annonce une prophétie de bonheur, la sagesse recommande d’admettre qu’elle porte aussi une prophétie de malheur ».
Le moment est donc venu, de développer de façon courageuse et ouverte, donc transparente, une capacité d’écoute et de dialogue avec les populations et collectivités locales, afin que l’exploitation minière en Côte d’Ivoire donne à ces dernières les capacités nécessaires pour déjouer les prophéties de malheur qui sont liées à cette activité, dont tout prouve qu’elles sont fortement localisées, au moment où la communauté nationale savoure les prophéties de bonheur qu’annonce la contribution certaine et probable de l’industrie minière à la croissance de notre économie, et que la communauté internationale (ONU, Banque mondiale, FMI …) reconnaît à l’individu et aux collectivités locales un droit au développement humain durable.
Gnamien Yao
Ancien Ministre, Ambassadeur, Doctorant en « Technique et Economie de l’Exploitation du Sous-Sol » à l’Ecole des Mines de Paris.
Depuis la fin de la première moitié des années 1980, la Côte d’Ivoire a choisi de diversifier son économie en favorisant l’exploitation de ses ressources minières par des personnes physiques ou morales d’ici et d’ailleurs. Cette volonté politique s’est exprimée par la libéralisation de l’exploitation artisanale de diamant et d’or sur toute l’étendue du territoire national dans un premier temps.
Plus tard, soit à la fin de la seconde moitié des années 1980, l’Etat a jeté les bases de l’exploitation industrielle de ses ressources minières en général et singulièrement l’or, en octroyant des permis d’exploitation à la Société des Mines d’Ity (SMI) et à la société des Mines de l’Aféma (SOMIAF).
Depuis le début de ce retour à l’exploitation industrielle de nos ressources minières, les populations locales ou riveraines des projets miniers éprouvent des difficultés à les accepter (L’inter du 15 juillet 2014, page 11). Les mouvements de protestation, nés à Aboisso pour la première fois dans les années 1995-1996, n’hésitent pas à se systématiser chaque fois qu’une mine s’ouvre ailleurs en Côte d’Ivoire, qu’elle soit aurifère ou non, qu’elle soit en zone forestière ou non. Face à ce qui se présente comme un « nouveau risque » pour l’exploitation minière en Côte d’Ivoire, et une menace pour les investissements miniers, en grande partie d’origine étrangère, nous avons choisi de conduire une réflexion en vue de donner à ce phénomène sa vraie signification économique, mais aussi son impact sur la politique minière nationale.
Notre contribution vise quatre objectifs. Premièrement, il s’agit d’expliquer pourquoi en tant que pays agricole, la Côte d’Ivoire a décidé de donner un appui à l’exploitation de ses ressources du sous-sol. Deuxièmement, il s’agit d’expliquer les attentes des populations riveraines des projets miniers. Troisièmement, il s’agit de donner les raisons pour lesquelles les populations et collectivités locales s’opposent au bon déroulement des projets miniers. Quatrièmement enfin, il s’agit de faire des propositions pour apaiser les relations entre l’exploitation minière et les populations environnantes des projets miniers.
II. Pourquoi des projets miniers en Côte d’Ivoire ?
De l’avis de la communauté minière et géologique ivoirienne, le potentiel minier ivoirien était connu à l’indépendance. C’est donc volontairement que l’Etat de Côte d’Ivoire, sous la guidance éclairée du Président Félix Houphouët-Boigny, a décidé de réserver sa mise en exploitation à plus tard, privilégiant du coup l’agriculture.
Il faut noter toutefois que l’exploitation industrielle des ressources minières n’est pas une première en Côte d’Ivoire. A Tortiya, de 1947 à 1975, la Saremci a exploité de façon industrielle le diamant. S’agissant du diamant, notre communauté, la communauté géologique et minière fait remarquer d’ailleurs « que de 1945 à fin 1949, [l’intérêt économique] du diamant fut totalement ignoré en Côte d’Ivoire. Chez les Européens, personne n’y croyait. Les Africains connaissaient bien l’or, en particulier en pays Baoulé, mais [l’intérêt économique du] diamant était totalement inconnu en Côte d’Ivoire. Ils ne savaient même pas ce que cela pouvait être.». (Pierre Legoux et André Marelle, 1991).
A Séguéla, l’exploitation industrielle de diamant a commencé en 1952 par la Sandramine puis la Sodiamci dès 1955, pour se terminer en 1971.
A Grand-Lahou, « le gisement de manganèse mis à nu par des travaux d’exploitation forestière en 1955 », a été exploité de façon industrielle de 1960 à 1970. Les travaux ont été arrêtés suite à l’effondrement des cours et non à cause de l’épuisement des réserves ; ils semblent avoir repris.
La colombo-tantalite a aussi fait l’objet d’exploitation de type industriel de 1957 à 1966 à Bouaké.
Jusqu’à la fin de ces activités d’exploitation industrielle au début des années 1980, suite à des chocs extérieurs, (chocs des cours des produits pétroliers, baisse des cours mondiaux des produits miniers) puisque la Côte d’Ivoire n’était pas consommatrice de ces produits, la contribution de l’activité minière à l’économie du pays est restée marginale.
Il faut préciser toutefois que cela n’a pas empêché que l’Etat :
• se dote de façon prospective d’infrastructures institutionnelles chargées de conduire l’exploration minière et le cas échéant d’exploiter les concentrations économiquement rentables,
• et initie des actions de coopération bilatérale et/ou multilatérale dans l’optique d’approfondir l’inventaire du potentiel minier national.
A notre avis, en procédant ainsi, l’Etat de Côte d’Ivoire savait que l’exploitation minière serait un jour, un autre souffle de son économie. En vérité, c’est la baisse des cours des matières premières agricoles et leurs conséquences néfastes sur l’économie ivoirienne au début des années 1980 qui vont, et nous pesons nos mots, à la limite convaincre et contraindre le Président Félix Houphouët-Boigny, en vrai connaisseur des coûts d’opportunité de l’exploitation minière, à considérer que le moment était venu pour que le secteur minier donne un « second souffle » à l’économie ivoirienne presqu’à genou.
Depuis cette date, l’Etat multiplie les actions et les initiatives pour que le secteur minier joue le rôle qui doit être le sien dans l’économie nationale. Plusieurs actes majeurs sont à signaler.
• D’abord, en acceptant que le Président Félix Houphouët-Boigny prenne sa première coupe de champagne à la découverte du pétrole en 1977, comme pour dire au monde qu’il avait des capacités de rebondissement face à la crise qui s’annonçait pour la décennie 1980-1990 ;
• Ensuite, en libéralisant l’exploitation artisanale de l’or et du diamant sur toute l’étendue du territoire national en 1984, comme pour demander aux populations ivoiriennes qui, reconnaissons-le, n’avaient pas forcément l’expertise minière, de trouver une alternative au chômage galopant, consécutif à l’abandon des plantations de café et de cacao, suite à la mévente des produits agricoles ;
• En faisant encore de la contribution des ressources minières au développement économique de la Côte d’Ivoire, une volonté politique clairement exprimée le 09 juin 1988 au cours du conseil des ministres, comme pour affirmer l’irréversibilité de la contribution du secteur minier au développement économique ;
• En permettant l’ouverture de la mine d’or d’Ity en 1989, et celle d’Aféma en 1992, et en couronnant le tout par l’adoption en 1995 d’un nouveau Code minier suivi de l’organisation d’un forum des investisseurs miniers et pétroliers en 1996 à Abidjan, comme pour s’ouvrir à la contribution de l’investissement étranger au développement du secteur minier.
Ces initiatives gouvernementales ont sans aucun doute rencontré l’adhésion des populations dans leur ensemble, puisque les zones d’exploitation artisanale d’or et de diamant ont été prises d’assaut par de nombreux ivoiriens, et que les ouvertures des mines d’Ity et de l’Aféma ont donné lieu à des scènes de joie et d’allégresse dans les zones abritant ces deux projets.
Au regard de ce qui précède, il convient de préciser que le recours à l’activité minière comme « second souffle de notre économie, depuis le début des années 1980, avait plus pour but de maintenir à un niveau acceptable « notre capital de confiance auprès de nos partenaires étrangers, pour la raison évidente qu’il ne cessait de se dégrader au fur et à mesure que nos recettes d’exportation se contractaient, et que les flux d’aide étrangère vers la Côte d’Ivoire devenaient problématiques.
A notre avis, la promotion du secteur minier pendant la décennie 1980-1990 obéissait à la nécessité pour l’Etat ivoirien de donner des gages à la communauté nationale et internationale sur ces capacités à rebondir économiquement, dans la mesure où à cette époque plus qu’aujourd’hui, réussir à capter une part des investissements miniers internationaux était la preuve manifeste de la capacité de l’Etat ivoirien à être éligible à des capitaux à risques comme les investissements dans le secteur minier.
Avec un peu de recul, nous pouvons affirmer que l’ambition du gouvernement, à cette époque, n’était pas tant que le secteur minier vienne, en moins d’un an, voire de deux ans ou même de trois ans, lui permettre de rattraper les centaines de milliards de francs CFA qu’il perdait au titre des dépenses budgétaires (passées de 439 milliards de francs CFA en 1983, à 429 milliards de francs en 1984 et 418 milliards de francs CFA en 1985), et des budgets d’équipement (passés de 300 milliards de francs CFA en 1983 à 242 milliards en 1984 et à seulement 87, 640 milliards en 1985). (Félix Houphouët-Boigny, Actes du VIIIe Congrès du PDCI, 1985).
Au total, il est juste d’affirmer que la promotion de l’activité minière de production à partir de 1984, marque le point de départ d’une prise de conscience de la nécessité de faire valoriser les ressources de notre sous-sol, pour non seulement engranger des recettes additionnelles pour l’Etat, mais aussi et surtout espérer créer des emplois directs et indirects dans les zones des projets miniers. A cette époque, avouons-le, l’Etat n’a pas pris la précaution de se soucier du sort des populations riveraines des projets miniers ou de s’imaginer le sort des populations riveraines des projets miniers une fois consacrée la décision de devenir un pays producteur de matières premières minières.
Le contexte macro-économique national d’alors, ne permettait pas de s’attarder sur les coûts sociaux et environnementaux de l’exploitation minière, tant que notre souci était de promouvoir la recherche minière, c’est-à-dire la collecte de données géologiques et minières. Mais, aujourd’hui où l’engagement est solennellement pris de donner à notre politique minière une vocation de production minière, la réflexion sur « l’acceptabilité des risques » que font courir les projets d’exploitation minière industrielle aux populations locales riveraines des projets miniers et les conditions de leur réparation s’impose à tous et à chacun.
Avant donc d’aborder cette question, voyons d’abord ce qu’étaient les attentes des populations locales au début de l’ère de la production minière et comment elles ont évolué dans le temps.
III. Quelles sont les attentes des Populations et Collectivités locales riveraines des projets miniers ?
Jusqu’en 1975-1980, les zones d’exploitation industrielle de nos ressources minières étaient des enclaves. Pour y aller il fallait des visas. C’étaient donc des Etats dans l’Etat. En dehors de la cité minière, les sites d’habitation aux alentours des projets miniers se gardaient bien d’interférer dans le fonctionnement de la mine. Même les voies d’accès à la mine n’étaient empruntées par les populations hors de la mine qu’à titre exceptionnel.
Après la fermeture des projets miniers industriels, les zones d’exploitation sont devenues des pôles de développement érigés en sous-préfectures, préfectures et/ ou communes, avec la responsabilité de maintenir ces populations accourues pour travailler à la mine comme habitants de ces zones au passé reluisant, et à l’avenir à réinventer. Personne ne s’est soucié des atteintes à l’environnement, encore moins des préjudices irréversibles que subissaient les populations riveraines des projets miniers.
A l’ouverture des nouvelles mines dans les années 1990, les populations ont eu des comportements différentiés selon les zones d’implantation des projets miniers.
Dans les zones où la mine entrait en compétition avec l’agriculture, les populations attendaient certes des emplois, mais entendaient surtout bénéficier des voies d’accès entretenues par la mine pour l’évacuation de leurs produits agricoles. Elles s’attendaient à ce que leur écosystème soit préservé, et que pendant ou après la mine, les activités agricoles soient encore possibles. Les souvenirs des mines souterraines du début du XXe siècle qu’ils ont connues faisaient penser que leurs terres seraient préservées.
Dans les zones où la mine est une chance unique d’accueillir des activités industrielles, la population s’attendait beaucoup plus à des emplois, à bénéficier des voies d’accès à la mine, mais surtout à ce que la mine apporte le développement en se substituant même à l’Etat pour renforcer les investissements publics.
Il est donc permis d’affirmer que les populations riveraines des projets miniers en général localisés à cette époque dans les zones où la mine entrait en compétition avec l’agriculture de rente, ont eu un sentiment mitigé au début de la nouvelle ère de production minière. Elles se réjouissaient de la venue des projets miniers comme opportunités d’emplois, mais savaient-elles aussi que les projets miniers portaient des impacts environnementaux et sociaux parfois disproportionnés au regard des gains au plan local ?
Le schéma qui était dans tous les esprits, c’est que localement, on bénéficie des emplois créés et « des largesses » qu’on pourrait appeler les « mannes » de la part des investisseurs miniers.
Les échos en provenance de nos zones minières, vingt ans après la fin de la guerre froide, montrent bien que l’exploitation minière à grande échelle, si elle n’est pas canalisée et soigneusement repensée, peut très rapidement s’apparenter à un « loup », alors qu’on la prenait pour un « agneau ». Dès lors, l’on a la responsabilité de tenter d’expliquer les scènes de ménage que nous constatons entre les projets miniers et leur environnement encaissant.
IV. Pourquoi les populations locales contestent-elles les projets miniers aujourd’hui ?
Les contestations sont portées et favorisées par les mutations d’ordre doctrinal et institutionnel qui traversent le monde depuis la fin de la guerre froide. En d’autres termes, les raisons des contestations des projets miniers par les populations locales en Côte d’Ivoire, sont d’ordre politique, économique, social et environnemental, voire culturel. Mais, entendons-nous bien, ces cinq ordres de préoccupation ont des composantes internes et externes à la localité, à la région et à la Côte d’Ivoire elle-même.
Au plan doctrinal
Il faut noter que depuis la fin des années 1990, partout dans le monde, nous assistons à l’explosion des libertés. Dans ces conditions, tous les projets pouvant constituer des menaces pour les individus ou groupes d’individus, ne peuvent s’entreprendre sans les avis de ceux-ci.
En conséquence, il est demandé aux autorités publiques d’accepter que les populations dénoncent tout projet qui expose leur existence à de graves risques. En d’autres termes, contrairement à ce qui a prévalu pendant la guerre froide, il n’est plus acceptable que de façon unilatérale, l’exploitation minière soit imposée aux populations locales.
Dès lors, il faut comprendre que c’est la manifestation de l’Etat de droitqui sous-tend la réaction des populations dont les avis doivent être désormais requis avant le démarrage des projets de développement minier.
Au plan institutionnel
Bien que la souveraineté de l’Etat sur ses ressources naturelles ait été maintes fois réaffirmée, la révolution institutionnelle, rendue possible par les mutations d’ordre doctrinal post-guerre froide, sont venues rappeler aux Etats et aux Entreprises minières, qu’ils ne sont plus les seuls maîtres du jeu minier national et international.
En conséquence, les initiatives privées et/ou à caractère multilatéral ou même bilatéral (ITIE, PK, Publiez ce que vous payez, Global Compact, ISO…) constituent des contraintes qui indiquent clairement que l’industrie minière qui a toujours été au service de la richesse des nations et des grands groupes transnationaux, doit désormais intégrer la richesse individuelle, c’est-à-dire la lutte contre la pauvreté en général, et singulièrement dans les zones d’exploitation des projets miniers.
Il faut noter que contrairement à ce que le citoyen non averti pense et croît, la mine industrielle qui est, rappelons-le fortement mécanisée, n’offre que des emplois qualifiés. Ce qui rend inéligible la majeure partie de la population active locale. Le deuxième constat qui est fondamental, c’est que les Entreprises minières n’ont jamais nourri l’ambition de se substituer à l’Etat. Ce ne sont donc pas des philanthropes et compte tenu de la structure de leur financement, elles font rarement ce qui n’est pas conforme à la législation nationale en vigueur, et ce qui ne leur permet pas de gagner de l’argent. Tout acte que pose une Entreprise minière doit s’inscrire dans la rentabilisation de l’investissement initial, c’est-à-dire réaliser des profits.
Dans ces conditions, il n’est pas juste de croire que les relations entre la société d’exploitation minière et les populations locales doivent reposer sur l’informel, la passion ou l’émotion. Ces relations doivent bel et bien reposer sur le respect, la protection et la jouissance des droits des uns et des autres.
A ce jeu, il n’y a que la connaissance et la maîtrise des droits des populations locales qui peuvent aider à trouver des solutions durables aux conflits d’intérêts qui se vivent dans les zones des projets miniers depuis la fin de la guerre froide.
Il est clairement établi que l’exploitation minière a des effets négatifs sur l’environnement social et physique. Elle détruit les terres cultivables, elle est à la base de pollutions de tous ordres : pollution de l’air, pollution des eaux de surface comme souterraine, elle détruit la forêt, elle réduit donc la biodiversité. Elle peut parfois contraindre des populations entières au déplacement forcé. Elle peut entrainer des surpopulations des sites environnants occasionnées par l’afflux de populations à la recherche d’emplois à la mine. Elle peut être à l’origine de fortes inégalités au sein des communautés riveraines des projets miniers. Elle peut créer des frustrations si les dommages ne sont pas correctement indemnisés. Bref, comme toute pièce, l’activité minière de production que la Côte d’Ivoire s’apprête à intensifier a des conséquences prévisibles et « imprévisibles sur l’environnement, la santé ou le goût de vivre » (David Le Breton, 2012), dans les zones affectées par les projets de développement minier, même si elle se présente comme une opportunité sur le chemin de la croissance.
En Côte d’Ivoire, jusqu’en 1995, aucune loi ne prévoyait la prise en compte de l’environnement dans la conduite des projets miniers par exemple. Les exploitants étaient donc libres de détruire les forêts, de rejeter les terrils dans les eaux des rivières, d’ébranler des habitations à partir de tirs d’explosifs, etc., sans contrepartie formelle et rigoureuse.
Comme il fallait s’y attendre, depuis la fin de la première moitié de la décennie 1990-2000, les populations riveraines des projets miniers ont, de façon systématique, dénoncé l’impact des projets miniers sur leurs moyens de subsistance. Ce qui les installe dans la précarité et dans la peur de l’après mine. Qu’allons-nous devenir après l’exploitation minière, se demandent-elles ?
Avant le début des années 1990, cette question était sans réponse dans la mesure où quiconque se la posait s’exposait aux foudres des autorités publiques pour qui la mine était d’utilité publique. Il ne faut pas la contester longtemps. Avec l’explosion des libertés consécutives à la fin de la guerre froide, la question peut être librement posée. D’ailleurs, pouvait-il en être autrement quand elle se pose sous toutes les latitudes sans que la répression ne s’abatte sur ceux qui osent se la poser et que les médias relaient le traitement qui est fait aux manifestants ? D’où est donc venu ce voile protecteur des contestations des projets miniers, pourrait-on nous rétorquer ?
Pourquoi les populations peuvent et doivent-elles contester librement les projets miniers en Côte d’Ivoire, comme partout dans le monde, sans que les mouvements de contestations ne soient taxés de subversifs ou de rébellion ?
En vérité, depuis la Conférence de Rio de Janeiro en 1992, des instruments juridiques internationaux comme nationaux contraignants ou non, servent de marchepied, de boucliers, de fer de lance aux populations locales, pour se faire entendre, pour exprimer leurs opinions vis-à-vis des projets miniers, et surtout réclamer le respect de leurs droits fondamentaux, au moment où la gouvernance de l’industrie minière passe de « l’Etat de police ou l’Etat militaire » à l’Etat de droit !
Face à cette montée en puissance de la nouvelle gouvernance de l’industrie minière, l’enjeu est de savoir comment mettre fin aux contestations des projets miniers, dans la mesure où les ressources minières doivent s’exploiter pour la raison évidente qu’aucune ressource minière ne devient richesse tant qu’elle n’est pas valorisée, et surtout que la nature des investissements miniers ne permet pas à notre pays de mobiliser à lui tout seul, l’état actuel de ses capacités financières, les moyens que nécessite la valorisation de ses ressources minières.
Une telle réflexion ne peut en aucun cas se faire sans s’inspirer des expériences vécues ailleurs pour la raison évidente que « l’industrie minière est réellement internationale, par définition et nécessité ». (Rex Bosson & Bension Varon, 1977).
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V. Comment mettre fin aux contestations des projets de développement minier ?
Même si l’objet de l’industrie minière demeure inchangé, sa vocation quant à elle, a évolué. Elle est passée de la contribution à la richesse des nations à la lutte contre la pauvreté. Dès lors, l’atténuation ou même l’éradication des contestations des projets miniers, passe nécessairement par uneautonomisation avant-gardiste des populations locales riveraines des projets miniers.
L’autonomisation des « contestataires des projets miniers » repose sur deux dimensions : une dimension préventive et une dimension curative. Les deux concourent à la mise en œuvre du développement humain durable local dont les piliers sont : l’environnement, l’économie, le social et le culturel.
La dimension préventive de l’autonomisation des populations locales, repose sur les principes de prévention et de précaution qui imposent d’évaluer les impacts environnementaux et sociaux des projets miniers, avant leur démarrage. Elle amplifie ainsi la nouvelle gouvernance de l’industrie minière qui commande aux acteurs traditionnels que sont l’Etat et les Entreprises minières de réaliser toujours un compromis avec les populations locales, qui soit effectivement assorti de possibilités de suivi et d’évaluation de sa mise en œuvre par des organismes indépendants, avant, pendant et après l’exploitation minière.
La dimension curative quant à elle, prend en compte le suivi environnemental effectif de la zone affectée par le projet minier, à la satisfaction de toutes les parties prenantes dont la composante faible est représentée par les populations locales riveraines des projets miniers, pendant et après l’exploitation des mines, afin qu’à la moindre alerte, les réparations soient proportionnelles aux coûts d’opportunité du projet. N’oublions pas que les effets de la mine sur la population ne s’arrêtent pas, quand prend fin l’exploitation minière.
Ainsi, reconnaître aux populations locales riveraines des projets miniers, le droit à un développement humain durable, est devenue plus une nécessité qu’un simple effet de mode ou d’annonce. C’est bel et bien une des grandes tendances de l’industrie minière au XXIe siècle, que la Côte d’Ivoire doit obligatoirement expérimenter, surtout au moment où l’explosion des nouveaux droits humains ne met aucun Etat à l’abri de poursuites judiciaires par quiconque, citoyen ivoirien ou non, estimerait que les projets miniers violent les droits des populations locales, et surtout au moment où un nouveau Code minier tourné cette fois vers la production, donc vers l’exposition de nos populations locales riveraines des projets miniers aux coûts environnementaux et sociaux inévitables va accompagner et encadrer cette volonté politique.
VI. Conclusion
L’exploitation minière est une activité peu vertueuse en matière de respect des droits de l’homme et de la protection de l’environnement. La mine expose les populations riveraines des projets à de réels risques qui peuvent aller jusqu’à attenter aux bases mêmes de leur existence. Dans ces conditions, la question que pose la contestation des projets miniers dans notre pays, est surtout « l’acceptabilité des risques » de ces projets. En d’autres termes, jusqu’à quand une communauté peut-elle accepter de faire des sacrifices pour que les ressources minières dans le sous-sol se transforment en richesse locale, nationale et internationale ?
Si avant la fin de la guerre froide, ces risques avaient les « allures d’une fatalité ou d’un prix à payer pour bénéficier du progrès » (David Le Breton, 2012), force est de reconnaître que les nouveaux droits humains, fondamentalement favorables au droit de l’individu et les grandes mutations sociétales (révolution des TIC) enregistrées depuis au moins deux décennies, sont autant de recours possibles offerts aux populations locales de crier leur douleur localement et mondialement, et de s’appuyer sur le droit international des droits de l’homme et de l’environnement, pour obtenir réparation, après avoir bénéficié de larges et actifs soutiens et compassions à l’échelle mondiale.
D’ailleurs, les couvertures médiatiques des drames que vivent des populations riveraines des projets miniers, sous d’autres cieux, constituent autant d’avertissements qui font obligation aux populations locales riveraines des projets miniers, de se mobiliser pour défendre leurs droits fondamentaux et obtenir réparation en cas de violations manifestes de ceux-ci.
En vérité, en contestant les projets miniers, les populations locales riveraines des projets miniers ne font que défendre des droits légitimes universellement reconnus depuis bien longtemps, et mondialement étouffés pendant la guerre froide et fort heureusement réhabilités par le Concept de Développement humain durable.
« Every penny has two sides », disent les Anglo-saxons. Il faut donc noter, pour paraphraser le sage que «si l’ouverture d’une mine annonce une prophétie de bonheur, la sagesse recommande d’admettre qu’elle porte aussi une prophétie de malheur ».
Le moment est donc venu, de développer de façon courageuse et ouverte, donc transparente, une capacité d’écoute et de dialogue avec les populations et collectivités locales, afin que l’exploitation minière en Côte d’Ivoire donne à ces dernières les capacités nécessaires pour déjouer les prophéties de malheur qui sont liées à cette activité, dont tout prouve qu’elles sont fortement localisées, au moment où la communauté nationale savoure les prophéties de bonheur qu’annonce la contribution certaine et probable de l’industrie minière à la croissance de notre économie, et que la communauté internationale (ONU, Banque mondiale, FMI …) reconnaît à l’individu et aux collectivités locales un droit au développement humain durable.
Gnamien Yao
Ancien Ministre, Ambassadeur, Doctorant en « Technique et Economie de l’Exploitation du Sous-Sol » à l’Ecole des Mines de Paris.