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Afrique Publié le lundi 15 septembre 2014 | Diasporas-News

La TNT en Afrique : le guet-apens numérique

Une porte sur le progrès s’ouvre. Tous les pays africains auront bientôt la possibilité de recevoir des images en HD. Mais à quel prix ? Car ce changement de norme télévisuelle, peut-être source de richesse ou de danger.


Conformément à l’accord approuvé par les 193 pays membres et autres institutions adhérentes de l’Union Internationale des Télécommunications (UIT), le continent africain basculera le 17 juin 2015 de la télévision analogique vers la télévision numérique ! Toutefois une période transitoire de 5 ans, permettra aux pays retardataires de se conformer à la nouvelle norme internationale ; les deux systèmes cohabiteront ainsi pendant cinq ans. Donc, au plus tard le 17 juin 2020, la télévision analogique sera définitivement mise au rencard !
En aparté, l’UIT est une agence des Nations-Unies, chargée de réglementer les normes dans le domaine des télécommunications. Son vaste champ de compétence englobe aussi bien la gestion des orbites de satellites que les télécommunications dans le cadre des navigations aéronautiques ou maritimes en passant par l’internet à haut débit. A ce titre, elle est l’instance de régulation internationale qui est en charge de la distribution des fréquences pour la radio-télé diffusion.
Cette migration numérique a été amorcée dans les pays industrialisés au début des années 2000. La remise aux normes du continent africain a été scellée lors des Conférences Régionales des Radiocommunications de Genève en 2006. Le dit-accord portant la référence barbare de GE-06 stipule, en substance, que « l’Afrique devrait cesser de diffuser dans la bande UHF en 2015 et celle de la VHF en 2020 ». Ces spectres de hautes fréquences comprises entre 174-230 MHz et 470-862 MHz avaient été établis en 1961 par les Accords dits de Stockholm ; sans doute pour préparer l’avènement de la télévision en couleurs ! Compte tenu des évolutions technologiques et l’avènement des NTIC, il s’est avéré dès les années 1990 que cette répartition internationale des fréquences montrait ses limites quant à une meilleure efficacité de la télévision numérique terrestre.
Concrètement, cette transition assurera une meilleure qualité d’image (HD) et un meilleur son. Mais elle doit surtout offrir une multiplication des chaînes de télévision tout en utilisant moins de fréquences. En d’autres termes, les réceptions de chaînes hertziennes ne seront plus possibles. L’inconvénient majeur de la télévision numérique est la loi du « tout-ou-rien ». En cas d’intempéries, le signal analogique vous permet encore de recevoir des images floutées ; auquel cas, avec un peu de patience, il est toujours possible de réorienter l’antenne intérieure ou de grimper sur le toit pour bricoler votre antenne râteau. Tandis qu’avec la TNT, le signal diminue d’intensité à mesure que vous vous éloignez de l’émetteur. Dans les grandes villes ou les zones périurbaines, une antenne indoor ou un « râteau » suffira. Entre 20 et 50 km, une antenne sur le toit pourra encore faire l’affaire ; mais au-delà, il est indispensable de coupler l’antenne avec un amplificateur. La TNT peut également être diffusé via le satellite (réception par antenne parabolique) ou les fibres optiques (internet). Pour cela, l’usager doit absolument passer par un opérateur en s’acquittant d’un abonnement.
Du côté de la réception, les postes de téléviseur fabriqués après 1981 disposent obligatoirement d’une prise péritel à l’arrière. Comment recycler ces équipements de presque 30 ans d’âge ? Il faudra toutefois installer un décodeur appelé adaptateur numérique MPEG4. Pour les postes de téléviseur récents (après 2008), normalement le décodeur TNT est intégré et offre une image HD. Pour les plus démunis, seule solution possible : aller se faire inviter chez son tonton-ministre pour suivre les exploits d’Usain Bolt lors des prochains Jeux Olympiques de Rio en 2016 et surtout pour la revanche des Super Eagles du Ghana face à la Mannschaft allemande lors de la coupe du monde de 2022 au Qatar. Mais des petits malins ne manqueront pas d’exploiter ce nouveau filon ; à l’instar des vidéoclubs des années 1990, des maquis ou des TNT-clubs proposeront sans doute quelques évènements planétaires moyennant finance !

Le nerf de la guerre ?
Indéniablement, une innovation technologique est source de progrès. En Afrique, tous les pays ne sont pas égaux devant la TNT. Plusieurs pays ont déjà entamé leur transition : l’île Maurice, l’Afrique du Sud, les pays du Maghreb. Le Gabon, le Kenya ou le Rwanda sont également en bonne voie. Pour le reste du continent, chaque pays y va à son rythme en fonction de ses moyens financiers. Les pays à vocation touristique ont tout intérêt à fournir l’effort pour intégrer, selon les recommandations de l’UIT, cette nouvelle norme afin de s’aligner sur les standards internationaux et les exigences de l’homo-connecticus.
Mais à voir de plus près, la transition « vendue » comme un progrès à long terme se révèle être un casse-tête pour la plupart des pays africains, sur le très court terme. Au bas mot, cette migration reviendrait entre 200 à 300 millions €uros pour un gouvernement ; une dépense supplémentaire avec les difficultés récurrentes pour boucler un budget de fonctionnement annuel. En Afrique, le taux d’équipement ou de pénétration de la télévision dans les foyers oscille entre 25 et 35% ; et il s’agit surtout d’un phénomène urbain. En parallèle, le taux d’électrification peine à atteindre 40%. Du côté des consommateurs, cette rupture technologique risque d’engendrer un coût supplémentaire pour le renouvellement du parc de téléviseur ; sinon il faudra quand même rajouter l’acquisition de l’adaptateur TNT aux environs de 30 €uros. Un business en perspective pour les concessionnaires !
Est-ce vraiment la priorité du moment ? Le dilemme est là car pour l’UIT, aucune mesure coercitive ne peut être prise à l’encontre d’un pays réfractaire aux changements ; car il ne s’agit que d’une recommandation. Mais comme toutes les normes ou l’adhésion à une organisation internationale comme l’OMC ou l’ACP, elle contraint le pays signataire au risque de s’isoler. La modification des normes devient alors un piège c’est-à-dire une manière insidieuse de vous précipiter dans la mondialisation au détriment d’un développement économique endogène.
La planète entière n’évolue pas au même rythme. Oui, la décision a été prise en 2006, mais l’Afrique a d’autres priorités et doit d’abord satisfaire ses besoins les plus élémentaires comme l’autosuffisance alimentaire, l’accès pour tous à la santé et à l’éducation. Même les Etats-Unis, première puissance économique du monde et chantre du libéralisme, ont enfreint la règle du laissez-faire. En 2009, le gouvernement fédéral américain a fait voter une loi – déblocage de crédits - pour subventionner l’acquisition par les citoyens d’un appareil numérique. Malgré cela, la rupture du signal analogique a été différée de quelques mois. D’ailleurs des mécanismes de subventions ont été mises en place par les institutions financières internationales comme la Banque Mondiale, pour la zone sub-saharienne. L’autre solution préconisée par les instances internationales aux pays d’Afrique serait de vendre aux enchères leurs fréquences, comme pour les GSM. Les dites-fréquences sont effectivement le patrimoine de l’Etat. Les recettes compenseront-elles les coûts d’installation des émetteurs ?
L’UIT considère que la diffusion de la TNT sur un territoire lui confère un dividende numérique : libération de fréquences, meilleur qualité d’images, plus de chaînes de télévision. L’argument pousse même jusqu’à imaginer qu’il serait susceptible de réduire la fracture numérique grâce à l’utilisation du réseau TNT pour déployer l’Internet mobile (LTE) dans les zones rurales. Quoiqu’il arrive, si le gouvernement n’est pas en mesure de densifier par ses propres moyens les émetteurs, sur son territoire, il devra laisser entrer des opérateurs internationaux de télécommunications.
Quel modèle économique permettrait de rentabiliser la TNT en Afrique sub-saharienne ? Même en France, la publicité n’arrive pas à viabiliser la pléthore de chaînes de télévisions créées par l’arrivée de la TNT. En Europe, les stations de radio avancent avec une prudence de sioux pour lancer leur radio numérique terrestre à cause de la superposition de plusieurs technologies : la radio en streaming via internet.
En termes de contenu, l’Afrique n’a pas encore suffisamment de stocks d’émissions ou de système d’archivage, indispensables à la survie de plusieurs canaux de diffusion. Il y aura quelques exceptions mais la solution de facilité voudrait que nous passions des accords de partenariat avec les filiales de chaînes audiovisuelles occidentales qui n’hésiteront pas à nous fourguer leurs navets et toutes les émissions libres de droit chez eux. Actuellement, leur cheval de Troie s’affaire à prodiguer des conseils et de l’assistance technique mais aussi d’apporter des solutions clé-en-main à tous les gouvernements en vue de la date fatidique du 17 juin 2015.

Cette transition numérique recouvre non seulement un enjeu économique mais la dimension politique et sociétale rentre également en ligne de compte. Sans un cadre législatif rigoureux, la TNT pourrait tuer dans l’œuf la création culturelle d’un pays. Sans une réglementation de l’importation d’équipements, l’anarchie risque de s’instaurer au niveau des distributeurs et des revendeurs…. Un outil de communication reste toujours à double tranchant. La bouffée d’air démocratique emmenée par l’avènement de la radio FM en Afrique n’a pas masquée ses effets pervers. Donc les dérives sont possibles. Et l’octroi de fréquences audiovisuelles serait susceptible d’être détourné à d’autres fins. Un passe-droit numérique permettra de démultiplier des petites stations régionales destinées à améliorer l’image d’un homme politique ou d’un potentat local.

L’embuscade numérique
Il y a encore deux décennies, nulle n’aurait parié sur l’éclatant succès de la téléphonie mobile en Afrique. Le prix de l’équipement est abordable, qui plus est, facile d’utilisation dans ce continent où la culture de l’oralité prédomine. Les statistiques s’affolent : progression de 30% du nombre de connexions – mieux que l’Amérique latine - ; près de 700 millions d’utilisateurs. Ce qui génère un chiffre d’affaires de 60 milliards $. Malgré un coût de communication encore très cher, les applications sont nombreuses : le transfert de fonds sécurisé, le négoce aux poissons avec des variations de cours en temps réel au Kenya et au Sénégal, des agriculteurs sud-africains qui orientent leurs produits en fonction de la demande d’un marché local plutôt qu’un autre…
Par définition les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) permettent la transmission et l’utilisation de la voix, de l’image, et des données. La priorité est-elle de pouvoir ramener de l’image jusqu’à Kandreho (Madagascar) ou à Elig-Mfomo (Cameroun) c’est-à-dire au fin fond du pays? L’accès à internet est et sera une ouverture sur le monde pour les jeunes africains. Pour l’instant, 10% de la population ont accès à internet. Que ce soit la fibre optique ou le satellite, et maintenant les émetteurs numériques, connecter le milliard d’africains au monde n’est pas une sinécure. Il faut d’énormes capitaux qu’il serait difficile pour nos gouvernements de préempter leur patrimoine numérique. Tirer les tuyaux de fibre revient à 20.000 €uros par kilomètre. Alors qu’installer des stations VSAT pour satellite coûte 5.000 €uros ; mais ensuite l’abonnement mensuel avoisine les 2.000 €uros. La totalité du continent est désormais « branchée » via les câbles sous-marins. Quant au déploiement des réseaux sur le territoire avec une vaste superficie - comme la RDC avec une dispersion en termes de densité de population – relève d’une mission de longue haleine.
« Relier tous les villages africains », ce fut le rêve qui a failli se réaliser en 2007 ? Il s’agit de RASCOM : projet panafricain réunissant 46 pays africains, voulant s’affranchir des monopoles des opérateurs de télécommunications internationaux. Un rêve qui s’est transformé en chimère : lancé de la base de Kourou, le satellite n’avait jamais atteint son orbite à cause d’une fuite d’hélium ; alors qu’il devait connecter quelques 130.00 villages les plus reculés, fournir du haut débit dans les grandes agglomérations. Echaudés par cet échec de 500 millions $, plusieurs Etats rechignent à renouveler l’opération. D’autant plus que le sponsor principal Mouammar Kadhafi (caché derrière des acteurs privés et publics libyens) n’est plus de ce monde ! Pourtant, la seule solution pour les Etats africains serait de monter un consortium, le fameux partenariat public-privé, pour espérer toucher son dividende numérique. Face à la puissance financière des opérateurs de téléphonie et des gestionnaires d’infrastructures (câbliers, lanceur de satellites), nos gouvernements seront obligés d’accepter toutes leurs conditions. D’autant que d’autres acteurs pointent leur nez devant ce milliard de consommateurs potentiels. Google (O3B, pour les 3 milliards d’habitants pas encore connectés) et autres Facebook ont déjà lancé leurs propres réseaux de satellites pour introduire les 3 milliards d’habitants marginalisés dans le monde du consumérisme.

Alex ZAKA
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