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Société Publié le jeudi 29 janvier 2015 | Nord-Sud

Ismaila Bakayoko, Docteur en criminologie et enseignant-chercheur à l’université Félix Houphouet-Boigny: “Voilà pourquoi les enfants sont enlevés”

© Nord-Sud Par DR
Ismaila Bakayoko, Docteur en criminologie et enseignant-chercheur à l’université Félix Houphouet-Boigny
Dans cette interview, Ismaila Bakayoko se prononce sur le phénomène d’enlèvements d’enfants.

En tant que criminologue, comment analysez-vous la vague d’enlèvements d’enfants à Abidjan et dans les villes environnantes ?
En tant que criminologue je pense que le phénomène d’enlèvement d’enfants tel que révélé, me pose un problème. Parce qu’en Côte d’Ivoire, nous avons une culture de disparition d’enfants qui n’a rien à voir avec les enlèvements ordinaires. Mais ce à quoi on assiste, démontre une évolution de ce phénomène, qui peut s’expliquer par plusieurs facteurs. La première des hypothèses qu’on peut émettre, c’est que ces enfants sont enlevés à des fins de pratiques mystiques. Ce qu’on appelle les crimes rituels, les rituels sacrificiels de certaines personnes dans le but d’avoir des pouvoirs, d’avoir du matériel, d’avoir du prestige. Ils passent par ces moyens pour enlever des organes, du sang, et tout ce qui est lié à certains éléments de l’organisme humain. Cela peut être considéré comme l’une des conséquences de ces crimes rituels qui, je dirais, sont une pratique ancestrale en Afrique qui a pris une autre forme aujourd’hui. La seconde hypothèse consiste qu’on enlève les enfants soit, pour aller les vendre, soit pour les intégrer dans des réseaux de combattants, où des réseaux mafieux, des réseaux de vente d’enfants. Mais on ne peut être sûr de rien sans une étude réelle, sans une véritable enquête.

Vous avez parlé d’études et d’enquêtes à réaliser. Est-ce à dire que vous n’avez pas encore traité ce sujet ?
Nous travaillons beaucoup sur tout ce qui touche à l’enfance. Mais les études que nous avons faites tournent autour des vols d’enfants. On avait remarqué que dans les hôpitaux, les personnes volaient les enfants à la naissance. On a fait aussi des études sur ce qu’on appelle l’abandon d’enfant. Une jeune fille qui n’a pas les moyens pour s’occuper de son enfant, va le jeter à la poubelle et l’enfant se retrouve à l’orphelinat. Vu que le nombre des enfants dans les orphelinats avait augmenté, on a fait des études dans ce sens. Ce à quoi nous assistons aujourd’hui a un rapport avec le cas d’enlèvement d’enfants. Pour moi il faut être prudent. En côte d’ivoire on a une culture de disparition d’enfants. Dans les quartiers populaires les griots se promènent avec un tambour pour lancer un appel, lorsqu’un enfant se perdait. Cela n’a rien à voir avec ce qui se passe actuellement. Pour le moment les chercheurs n’ont fait aucune étude sur les cas d’enlèvement d’enfants ici en Côte d’Ivoire.

Que dites vous des mutilations dont la plupart de ces enfants ont été victimes ?
Il y a des cas où on a assisté à des mutilations. Ce sont des crimes rituels. C’est le rituel sacrificiel. Cela peut s’expliquer par la recherche du prestige, du pouvoir ou de la richesse.

Vous savez que nous sommes dans une société de crise. La pauvreté fait son grand chemin. La jeunesse en quête d’emploi se retrouve sans repère. Dans ce décor, d’autres veulent posséder de belles voitures, certaines veulent un mari milliardaire, etc. Tout cela peut amener des personnes à faire ce genre de pratique. Ce qui est vraiment dommage.

Ces crimes rituels sont-ils liés à des échéances électorales ?
Non, je ne peux pas faire de lien entre ces crimes et les élections. Mais on sait aussi que les politiciens sont souvent avides de pouvoir. Donc c’est possible. Mais je ne fais pas principalement de lien entre ce phénomène et les élections.

Certains attribuent ces crimes au phénomène de "broutage". Qu’en pensez-vous ?
C’est vrai que la société Ivoirienne a une mauvaise image des brouteurs mais c’est toute la jeunesse ivoirienne qui est concernée. Tout le monde aspire à devenir riche comme les brouteurs, donc il ne faut pas directement les indexer.

Selon vous, pourquoi les enfants sont essentiellement la cible de ces criminels ?
L’image de l’enfant en Afrique, c’est le corps sain, le corps pur et innocent. Donc tout ce qu’on peut faire mystiquement avec un corps sain a beaucoup de chance de réussir. C’est un corps sans péché. Pour ce qui est de la vente des organes, il faut dire qu’un rein d’enfant est un rein sain et en pleine forme. Il est plus important qu’un rein d’adulte qui peut comporter des maladies. Aussi, les enfants sont très vulnérables. Il est plus facile d’enlever un enfant, qu’un adulte. Voici entre autres ce qui peut expliquer le choix de cette cible.

Au niveau des chercheurs que vous êtes, avez-vous prévu des mesures pour apporter votre contribution dans cette lutte déclenchée, contre les enlèvements d’enfants ?
Oui. Les instituions universitaires prennent toujours du retard pour avancer, mais lorsqu’on commence on arrive toujours en premier. Dans notre institution, il n’y a pas encore eu de mesures en termes de recherche, vu que ces évènements sont survenus en fin d’année.

Mais à cette rentrée, on mettra des étudiants pour faire des recherches à ce niveau, dans la société. Et nous-mêmes en tant qu’encadreurs, allons nous imprégner de ces résultats pour orienter les réflexions dans la résolution de ce problème. Pourquoi, comment et quels sont les voies et moyens pour en sortir.

Quelles dispositions proposez-vous à l’Etat et les familles pour mettre fin à ce phénomène ?
C’est la famille, c’est l’Etat, mais aussi les institutions d’enfants qui sont interpellés. Je pense qu’il y a des mesures préventives à mettre en place. La première des préventions c’est la communication. Attirer l’attention des familles et des enfants sur les personnes qu’ils ne connaissent pas. Il faut aussi que les parents mettent en place des mécanismes de sorte à contrôler les faits et gestes de leurs enfants. Privilégier la communication et l’information.

Informer les familles. Les parents doivent faire attention aux déplacements de leurs enfants.

Il faut également penser à préparer les forces de l’ordre. Si on continue à faire des discours sans former les forces de l’ordre à mener des enquêtes réelles, rien ne va avancer. Il faut créer une petite unité dans le renseignement, qui pourra se terrer dans le quotidien des populations. Dans les milieux marginaux, pour mieux analyser et démanteler les réseaux.

Dans les aéroports et les gares, faire attention et contrôler minutieusement les glacières et autres, qui peuvent contenir des organes. Tout ce qui passe doit être contrôlé. Il faut également revoir les sanctions à l’endroit des criminels et adapter les peines. Pour le moment, l’enlèvement d’enfant n’est pas une infraction classique du droit pénal en Côte d’ivoire. Il faut donc délibérer précisément sur ces cas. Il peut être assimilé à un vol d’enfant. Mais cette fois, ils sont conditionnés par des mutilations.

Réalisée par Raphaël Tanoh et MT(stagiaire)
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