x Télécharger l'application mobile Abidjan.net Abidjan.net partout avec vous
Télécharger l'application
INSTALLER
PUBLICITÉ

Art et Culture Publié le samedi 31 janvier 2015 | AIP

Interview: ‘’L’écriture ne nourrit pas son homme dans nos pays’’ (Régina Yaou)

San Pedro - Ecrivain depuis 38 ans, le Prix d’Excellence de littérature 2014, Régina Yaou, est l’une des plumes les plus fécondes de sa génération. Elle revient sur son parcours, dans une interview accorée à l’AIP, en marge de la ‘’Balnéaire d’arts et de culture’’ de San Pedro, déplorant le fait que « l’écriture ne nourrit pas son homme dans nos pays ».

AIP : La première personnalité administrative de la région, le préfet de région et du département de San Pedro, Coulibaly Ousmane, l’un de vos grands admirateurs et lecteurs, a fait des mains et pieds pour que vous soyez présente à la ‘’Balnéaire d’arts et de culture 2014 de San Pedro’’. Pour l’écrivain que vous êtes, que ressentez-vous devant tant d’admiration?

RY : Cela m’encourage à continuer et à vouloir faire mieux, parce que je sais que quand j’avais commencé à écrire, si ma première œuvre n’avait pas reçu un accueil aussi enthousiaste du public, je suis sûre que j’aurais continué d’écrire mais je n’aurais pas publié. Mais par la grâce de Dieu, chaque fois que j’ai mis un ouvrage sur le marché, il y a eu un grand engouement de la part du public. C’est ce qui m’a toujours soutenue et qui me fait avancer et qui fait que je cherche toujours en moi des occasions de me montrer encore meilleure que celle que je suis.

AIP : Qu’est-ce qui vous a poussé à l’écriture et vous rend si productive ?
RY : Est-ce que je sais ? C’est quelque chose à quoi j’ai cédé étant enfant. Je n’avais que 12 ans quand j’ai commencé à écrire mes premiers poèmes, mes petits papiers. Je ne savais pas ce que c’était, mais je ressentais ce besoin et ce besoin je le ressens toujours.

AIP : L’écriture nourrit-elle l’écrivain dans nos pays africains ?

RY : En principe, dans nos pays, non ! Mais dans les pays industrialisés, un écrivain comme moi, quand je suis aux Etats-Unis, je suis invité partout dans les universités. Une fois, je suis allée parler quelque part, j’ai parlé 45 minutes et les gens m’ont donné l’équivalent de plus de cent mille Francs Cfa pour un petit auditoire.

Je pense que si les gens veulent que les écrivains vivent de leur plume en Côte d’Ivoire, c’est possible parce que quand ils invitent un chanteur, même quand il fait le Play back, on lui donne une enveloppe.

Mais, on déplace les écrivains ici et là, on les nourrit et les héberge mais on ne leur donne pas d’honoraires. Comment vont-ils vivre avec ça? Cela fait que certains écrivent mais ne font pas de l’écriture leur occupation principale.

AIP : Qu’en est-il de Régina Yaou ? Fait-elle de l’écriture son activité principale?

RY : Moi, je veux faire de l’écriture ma principale occupation. Et depuis 2009 que je suis rentrée des Etats-Unis, c’est de ça que je vis. Et puis, avec le nombre de livres qui s’allongent, il y a aussi les droits d’auteur qui deviennent un peu plus importants. Je ne roule pas sur l’or, mais dans tous les cas, c’est correct.

AIP : Pouvez-vous nous parler de votre dernière publication ?

RY : Ce dernier ouvrage parle de la vie d’un jeune homme que ses parents ont eu des difficultés à avoir ; et quand ils l’ont eu, ils ont fait la promesse au Seigneur qu’ils allaient faire de leur enfant un prêtre. C’est ce qu’ils ont fait. Mais un jour, le prêtre s’est réveillé et a dit qu’il veut toujours servir le Seigneur mais en tant que laïc. Cela a commencé à créer une certaine animosité autour de lui, dans sa famille, beaucoup de gens étaient contre.

Et un soir, alors qu’il se rendait chez son parrain, l’on a tiré sur lui et il est tombé au bord du trottoir. Va-t-il survivre ou pas, qu’est-ce qui va se passer après ? Je laisse les lecteurs découvrir. L’ouvrage, c’est ‘’L’Abbé Anselme, la rupture’’, sorti le mois dernier (novembre).

AIP : Est-ce une problématique tirée de nos réalités ?

RY : Plus ou moins. On essaie toujours de créer des histoires qui vous donnent l’impression d’être des histoires réelles, alors que ce sont des histoires imaginaires, parce qu’on se dit s’il arrivait telle chose que se passerait-il.

AIP : Vous avez reçu au mois d’Août le Prix national d’Excellence 2014 de littérature. Quelle impression après une telle récompense ?

RY : D’abord, le prix d’Excellence a été une grande surprise pour moi. Non pas parce que je ne me sentais pas à la hauteur de ce prix, mais disons que je n’ai jamais été distinguée en tant qu’écrivain connu. Je ne m’y attendais pas parce qu’on me dit la plus connue, la plus aimée des auteurs ivoiriens mais je n’ai jamais été distinguée par une médaille ou quoi que ce soit. Je ne m’attendais vraiment pas au prix d’Excellence. Ça m’est vraiment tombé dessus, j’ai même failli m’évanouir quand j’ai appris cela.

AIP : Espérez-vous cependant d’autres prix ?


RY : Je ne suis pas de ceux-là qui écrivent pour des prix. Mais, c’est sûr que si je reçois un autre prix, ça va me faire plaisir. Maintenant, il y a de nouveaux prix…, le prix national de littérature qui a été récemment lancé, il y a aussi le prix Ivoire du groupe Akwaba. Enfin, si je reçois un autre prix, cela me ferait du bien.
AIP : Mais, quand vous recevez un prix comme celui de l’Excellence, est-ce que quelque part vous vous dîtes qu’un objectif a été atteint ?

RY : Comme je vous le disais, je ne m’attendais pas à recevoir un prix, encore moins le prix d’Excellence. Je ne pense pas avoir atteint un objectif. Je pense que les gens ont pensé qu’ils devaient me récompenser pour ce que je fais depuis près de quarante ans, sans rien demander.

AIP : Ce sont certainement les mêmes sentiments après l’attribution de votre nom au meilleur des clubs littéraires des lycées et collèges de San Pedro et à la bibliothèque de ce lycée ?

RY : C’est le club littéraire du Lycée Inagohi qui va porter mon nom après qu’ils aient remporté le concours. Oui, c’est un grand honneur que de voir mon nom être attribué à un club littéraire et à une bibliothèque, moi qui ai voué toute ma vie à la littérature depuis que j’ai su lire. J’ai souvent été dans les écoles pour inciter les enfants à la lecture, pour leur parler des bienfaits de la lecture.

AIP : Combien d’ouvrages avez-vous écris depuis le début de votre carrière d’écrivain jusqu’à ce jour ?

RY : J’en suis à une trentaine de livres publiés.

AIP : Une consultation de votre bibliographie donne une classification de vos publications sous deux catégories. Celles publiées sous votre véritable nom et celles publiées sous des pseudonymes. Pourquoi l’auteur renommé que vous êtes choisit de publier certains ouvrages avec des pseudonymes ?

RY : C’est l’éditeur qui nous l’a demandé, parce que les romans sentimentaux sont considérés comme de la sous-littérature. Donc, pour éviter que les gens ne fassent l’amalgame, il nous a demandé de prendre un pseudonyme. C’est ainsi que j’ai pris des pseudonyme chez NEI pour ‘’Adoras’’ et d’autres pseudonymes chez PUCI pour ‘’Claire de lune’’.
AIP : Est-il possible de classer votre genre littéraire ?

RY : Non. Je pense que mon genre est assez éclectique : roman, nouvelle. Tout ce que je n’ai pas écris, c’est le théâtre parce que même pour le cinéma j’ai déjà écrit un scénario.
AIP : Revenons au thème du volet littérature au programme de la ‘’Balnéaire d’arts et culture 2014’’, à savoir ‘’Littérature et émergence’’. Que vous inspire ce thème dont vous aurez à débattre avec d’autres écrivains ?

RY : Je me dis qu’il ne peut y avoir de développement ou d’émergence sans lecture, sans des gens qui réfléchissent, qui parlent à travers le livre et qui ont l’esprit ouvert à cause de leur lecture. Parce qu’on ne peut pas être émergent avec un peuple ignare. Un peuple qui ne sait même pas écrire correctement, qui ne sait pas s’exprimer correctement, qu’est-ce qu’il peut comprendre dans la vie politique ? Certains disent que la lecture ou le bien parler ne fait pas partie de l’émergence ; mais je dis que c’est faux. Nous ne pouvons pas être un pays émergent sans que nous ne soyons un pays qui lit, qui s’exprime bien, qui écrit bien, parce que c’est la base de toute chose.

AIP : Quel souvenir souhaiteriez- vous que l’on puisse garder de l’écrivaine Régina Yaou?

RY : C’est un peu difficile parce que chacun retient de l’écrivain ce qu’il veut. Mais, je sais que dans la mémoire des Ivoiriens, je reste l’auteur de ‘’Lézou Marie ou les écueils d’une vie’’, mon premier roman qui a tant ébranlé des générations ivoiriennes. Pour ceux qui n’ont pas connu ‘’Lézou Marie’’, ils parlent de « celle qui a écrit ‘’La révolte d’Affiba’’ ». L’un de ces deux livres définira le personnage de Régina Yaou dans la mémoire des Ivoiriens.

AIP : Nous savons que vous pratiquez l’anglais. Vos ouvrages sont-ils traduits en anglais ou est-ce en projet ?

RY : Je sais que c’est important, qu’il faudrait que ce soit traduit, mais est-ce que je pourrai écrire en anglais et l’envoyer à un éditeur qui pourra faire corriger et tout le reste? Quand je prends le stylo, c’est automatiquement le français qui vient. On verra dans les années à venir ce que Dieu va décider pour ça.

Une interview de Jean-Marie KOFFI, AIP San Pedro

(AIP)
Kkp/ask
PUBLICITÉ
PUBLICITÉ

Playlist Art et Culture

Toutes les vidéos Art et Culture à ne pas rater, spécialement sélectionnées pour vous

PUBLICITÉ