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Politique Publié le dimanche 2 août 2015 | AIP

Visite d’Etat dans les Grands Ponts/ Interview- René Dibi (Pdt des chefs du Léboutou) : ‘’La seule bataille qui vaille est celle du développement’’

Lundi, le Président Alassane Ouattara effectuera une visite d’Etat, la première du genre, dans la région des Grands ponts dont Dabou est le chef-lieu. L’AIP a, en prélude à cet événement, rencontré le président de l’association des chefs de village du Leboutou, l’ex-ministre des Sports, René Djedjmel Dibi, pour mieux s’imprégner des us et coutumes des populations autochtones, en l’occurrence les Adjoukrou. Entretien.

Une interview réalisée par Kouassi Patrice, corresponda nt de l’AIP à Dabou

M. le ministre, en tant que président de l’association des chefs de village du Leboutou, comment pouvez vous nous resumer le peuple Adjoukrou, si l’on vous demandait d’en faire une brève présentation?

Le peuple adjoukrou est venu apparemment de l’ouest de la Côte d’Ivoire et, avec la proximité des Akan, a tout pris de la tradition de ces derniers. Tout comme dans la coutume akan, c’est un peuple qui a l’Attoungblan et le matriarcat, mais qui n’a pas de roi ni de reine. Ici, c’est une démocratie ancestrale fondée sur les classes d’âges. Pour gouverner, il faut avoir entre 65 ans et 71, 72 ans car avant cette fourchette, on est trop jeune, on n’a pas assez de leçons de la vie pour diriger et après, on ne peut être assez physiquement au point pour gouverner. C’est dire que le crit&egrav e;re fondamental, c’est d’être en vie à cet âge-là et d’être dans la classe d’âges qui vient au pouvoir tous les 8 ans. C’est elle qui, de façon traditionnelle, gouverne le village. On les appelle les Eibebou. ‘’Ei’’, c’est le village et ‘’bebou’’, ce sont ceux qui le tiennent en main. Le chef de village, lui, est la courroie de transmission entre la gestion traditionnelle et l’administration car il n’y a pas de gouvernants dans les autres ethnies. Or, la loi sur la chefferie traditionnelle est une loi nationale qui a pour principal interlocuteur le chef de village. C’est pourquoi, bien des conflits naissent entre lui et les présumés gouvernants. C’est ça, de façon fondamentale, le peuple adjoukrou. On est l’’’Odjoukrou’’. Ce mot viendrait de l’étymologie Lôdj. Il paraîtrait qu’il y a deux hypothèses : Lôdj qui est une femme de l’ouest, du pays dida, qui aurait commis un adultère et qui a été chassée. Elle est venue s’installer par-là et est tombée gravement malade. Elle était couverte de plaies et un jour, elle aurait rencontré un génie qui l’aurait guérie. En Adjoukrou, on dit ‘’Lôdj’’, c’est le nom de la dame, ‘’e woul kpou’’, c’est-à-dire ‘’Lôdj a guéri brusquement’’. C’est de là que viendrait le terme Lodjoukrou. Ou encore, elle était tellement malade que les gens se sont écriés ‘’Sôdj ou krou’’, qui veut dire ‘’la maladie t’a enténébrée’’.

De combien de villages dispose le peuple adjoukrou ?

Il y a 40 villages dans le département de Dabou dont 5 villages abidji que sont N’Doumikro, Akakro, Ehimangbo, Kôdiglij et Adamagba et 4 villages allogènes, à savoir Ira, Lohoumidji Lopouli, Koufien et Layô, tous dirigés par des Adjoukrou. Il y a donc 40 villages adjoukrou regroupés en deux confédérations qui seraient issues de la séparation de deux frères : Am Sess et Am Gnangne. Chez nous, selon le nom, on sait qui est l’aîné et qui est le cadet. Sess, c’est toujours le troisième garçon et Gnangne, c’est le quatrième. La confédération la plus grande qui est aussi l’aînée est celle de Bobori. C’est pourquoi, on dit ‘’Grand Bobori’’ et la confédération de Debrimou dont Lopou fait partie et qui inclut tous les villages de la commune et d eux villages de la sous-préfecture dont Lopou, avec comme satellites Youwlil et Cossrou.

On entend souvent parler du Leboutou. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Le Leboutou, c’est l’ensemble des tribus. J’ai parlé de confédérations, mais il y a aussi les tribus qui sont au nombre de huit. Quand on dit ‘’Leboutou nèwlin’’, ‘’nèwlin’’, c’est huit. Le Leboutou est donc à la fois le peuple et le terroir de ces huit tribus.

Pouvez-vous les énumérer ?

Oui, vous avez Armébé, un seul village qui forme une tribu. Il y a les ‘’Dibremeyan’’, c’est-à-dire les fils de Debrimou, les ‘’Aklodjou’’ qui sont Vieil Aklôdj et Akradio, les ‘’Orgbaffou’’ qui sont Yassap et Orbaff, les ‘’Olôpou&r squo;’ que forment Lopou, Youwlil, Ahua et les villages abidji qui sont vraiment intégrés comme N’Doumikro et Akakro, les ‘’Eoussrou’’ qui sont Nouvel-Oussrou, Vieil Oussrou et Opoyou, les ‘’Agbadjrou’’ que sont Vieux Badjin, Petit Badjin, Ninagnoun, Gnamienbo et les ‘’Oborou’’, la plus grande tribu qui intègre beaucoup de villages. Ces huit tribus constituent le Leboutou qui, je le répète, est à la fois le peuple et le terroir.

La société adjoukrou est marquée par différentes fêtes de génération comme l’Angbandji et l’Eibebou. Pouvez-vous éclairer notre lanterne là-dessus ?

Vous avez grimpé à l’arbre par la cime. Il faut commencer par la base. Il y a plusieurs types d’initiations : les initiations collectives et les initiations in dividuelles. La première des initiations collectives est le ‘’Lôw’’ qui est l’accès à la majorité pour tous les jeunes gens. Il se pratique à partir de 21, 22 ans et fait de vous un citoyen à part entière avec des droits et des devoirs. Çà, c’est le début. A la fin, vous avez le ‘’Eibebou’’ qui vous donne le droit de devenir gouvernant à partir de 65 ans. L’’’Angbandji‘’ dont vous parlez est une initiation individuelle qui n’est pas obligatoire mais, qui de loin, est la plus importante. Les gens l’appellent improprement ‘’fête de la richesse’’ mais c’est plutôt une incitation au travail. Au lieu de rester dans le village à jouer à l’Awalé, à la toupie et autres, il faut rentrer en brousse pour devenir un citoyen autono me financièrement, économiquement et qui peut apporter sa contribution au développement du village. Celui qui n’a pas fait l’Angbandji ne peut pas parler sous l’arbre à palabre parce que chez les Adjoukrou, c’est quand vous l’avez accompli que vous êtes un homme à part entière, un homme avec grand H. Autrement, on vous prend pour une ‘’femme’’. En plus, lors des cérémonies, vous n’avez pas de nom tambouriné au son de l’Attoungblan. Quand vous mourez, les gens qui savent que c’est un homme disent : ‘’nous, on n’est pas pressé parce que c’est une femme qui est morte’’.

Aujourd’hui, par les frustrations que cela occasionne, les familles se cotisent pour faire l’Angbandji de quelqu’un. Surtout que sans cela, vous ne pouvez pas être ‘’Eibebou’&rsq uo;, vous ne pouvez pas être gouvernant. Ce qui explique qu’à l’approche de l’’’Eibeb’’ qui est un cycle de huit ans, tous les gens se précipitent pour l’Angbandji. Il y a des gens qui se suicident à cause de cela.

Que pouvez-vous nous dire à propos du matriarcat en pays adjoukrou ?

Chez nous, le matriarcat est très important. Il est même plus exacerbé que chez les Baoulé. L’enfant appartient à la famille de la mère. Le père n’est qu’un simple géniteur biologique. Il n’a rien à voir avec la famille. Je prends un exemple. Si votre frère consanguin n’a pas fait son Angbandji, vous pouvez le sauter pour faire le votre, tandis que si c’est le frère utérin, vous ne le pouvez pas. L’oncle maternel a un nom très significatif. Il s’appell e ‘’Eiyou’’, qui veut dire ‘’tombe et meurs’’. Bien entendu pour que moi, le neveu, j’hérite. La famille maternelle est donc la plus importante. C’est le ‘’Bossou’’. L’enfant appartient au Bossou de sa mère.

Nous avons, au début de cet entretien, évoqué les classes d’âges. Comment se constituent-elles et comment fonctionnent-elles ?

C’est au cours du Lôw que vous intégrez une classe d’âge. Il y en a sept. Elles sont cycliques et chacune est divisée en quatre sous-classes d’âges quand vous êtes de la confédération de Bobori et en trois sous-classes d’âges quand vous êtes de la confédération de Debrimou. A Debrimou, la quatrième sous-classe est elliptique. Elle ne s’exprime pas, mais on laisse les anné ;es. Tous les deux ans, on passe d’une sous-classe à une autre. Dans une classe d’âge, il y a les aînés qu’on appelle les ‘’Odjongba’’, les puînés qui sont les ‘’Gabo’’, les cadets qui sont les ‘’Cata’’ et les benjamins qu’on appelle les ‘’Boman’’. Dans la confédération de Debrimou, il n’y a pas les ‘’Boman’’ mais les années sont conservées, si bien que le cycle de huit ans est respecté. 2 ans multipliés par 4 sous-classes d’âges, cela fait 8 ans ; vous multipliez par 7 classes d’âges. Cela fait 56 ans. Puisque vous intégrez la société à 21, 22 ans, ça fait 77, 78 ans pour faire tout le processus. C’est pourquoi, vous verrez lors de l’accès à la majorité des jeunes, des vieux de 77, 78 ans qui vont le refaire. Dans ce cas, c’est une grâce de Dieu.

Comment devient-on chef en pays adjoukrou ?

Avant, c’était par consensus. Mais le consensus a suscité tellement de problèmes. Aujourd’hui, on vous désigne. Comme on dit, ‘’on lève votre bras’’ en tant que chef. Cependant, si demain les mêmes prennent un autre pour lever son bras, qu’est-ce que vous allez faire ? C’est pour cela qu’on est passé au vote. Moi, par exemple, quand on a voulu que je sois chef, j’ai demandé que ce soit par vote puisque j’avais un adversaire qui était d’ailleurs mon oncle. Et, j’ai gagné largement. Ce qui a été entériné par l’administration. Quel que soit le mode de désignation, ne nous voilons pas la face, il y a toujours des problèm es.

A propos des problèmes, nous avons constaté une fréquence des mouvements de contestation de l’autorité des chefs de village menés surtout par les jeunes comme on a eu à nous en rendre compte à Nouvel-Oussrou, Debrimou et Opoyou. Qu’est-ce qui peut expliquer cette situation ?

Ce qui explique cela, c’est qu’aujourd’hui, il y a des gens qui voudraient que le chef soit choisi parmi la classe des gouvernants. Or, la loi de 1934, loi coloniale qui gérait les chefs, les nommait à vie. Actuellement, il y a la loi sur la chefferie qui vient de sortir. Le Président Alassane Ouattara est en train de mettre en place la chambre des rois et chefs traditionnels avec une loi très précise. De nos jours, on est roi, on est chef de canton, chef de tribu, chef de province et chef de village. Nous, les gens du sud, les Attié, les Adjoukrou, nous somme s des faux akan. Toutes les ethnies à classes d’âges ont des problèmes car quand on est gouvernant, chacun se dit chef. Surtout que la politique se mêle maintenant, chacun veut installer un chef de son parti politique pour les élections.

Pouvons-nous avoir de plus amples informations ?

En fait, le chef de village est le patron de tous les comités de gestion. Chaque fois qu’on veut enlever un chef, on l’accuse de malversation. On s’est alors dit qu’il faut des gestions séparées. Je prends le cas de Lopou où c’est moi qui ai donné procuration pour qu’ils (les responsables du comité de gestion, ndlr) prennent l’argent directement. Ainsi, on sépare le pouvoir et la trésorerie. Mais, les comités de gestion, comme ils ont de l’argent, se prennent pour une chefferie bis. Ça dépend maintenant du char isme, du tact du chef. Souvent, quand vous allez leur demander de l’argent pour les utilités du village, les messieurs veulent montrer que ce sont eux qui détiennent le nerf de la guerre. Il faut donc savoir jouer l’apaisement pour garder la paix dans le village.

‘’Si 10% des maisons construites dans les villages l’étaient en ville, Dabou serait l’une des plus belles villes du pays’’, affirmait quelqu’un au cours d’un entretien. Il y a-t-il une raison particulière pour que les Adjoukrou construisent plus au village qu’au chef-lieu de région ?

La raison est très simple. Lopou est aujourd’hui une sous-préfecture. C’était un village d’abord. Dans 100 ans, ce sera une grande ville. Je prends Adjamé, à Abidjan, c’était un village qui est devenu une ville. En plus, les colons sont venus au bord de la plage et ont choisi un coin pour construire Dabou. Aucun Adjoukrou n’est de Dabou. Les villages les plus proches sont Gbougbô, Agneby, Debrimou Kpass. Ce sont les allogènes qui se sont installés à Dabou. Moi, par exemple, ça ne m’intéresse pas d’avoir une maison à Dabou. Mon village est à 10 minutes. Ici, j’ai quatre hectares de cour. Est-ce que j’aurais pu m’offrir cela à Dabou ? Voilà pourquoi les Adjoukrou préfèrent s’installer dans leurs villages.

‘’Kibrim’’, ‘’Kinkinbery’’, ‘’hermessey’’, ‘’mutuelle Opoyou’’, ‘’Emlis Marie Etchi’’, pour ne citer que celles-ci, quasiment chaque village dispose d’une compagnie de transport. Pourquoi ?

C’est une bonne chose. Avant, c’était les 504 qui assuraient la liaison Abidjan-Dabou. Ils ont voulu mettre à 1000 francs et j’ai sorti des cars dont les premiers étaient ‘’Socraff’’ avec un tarif de 350 francs. Chaque village a suivi l’exemple pour résoudre le problème d’enclavement. Chacun veut soulager un tant soit peu les populations de son village.

Une question à trois volets : quels liens entre l’Adjoukrou et l’attiéké, l’Adjoukrou et la religion, l’Adjoukrou et la politique qui semblent rythmer la vie ici ?

Le manioc dont il y a plus de 300 variétés est venu d’Amérique. Le cassava, son nom scientifique, fait partie de la famille des euphorbiacées, tout comme l’hévéa. C’est à l’issue de tout un processus allant du manioc fermenté qu’on obtient l’attiéké. Mais, l’ attiéké n’est pas l’aliment de base de tout le monde. Dans les villages de pêcheurs, le vrai plat est le foufou. L’attiéké apparait comme le pain des Français. Lorsque vous avez faim, vous prenez une boule d’attiéké, vous vous arrangez pour avoir du poisson et vous mangez. Ça, c’est un plat supplétif. Sinon, le vrai plat des Adjoukrou, c’est le foufou.

L’Adjoukrou et la religion : les Adjoukrou sont très religieux, très mystiques. Papa Nouveau est de Grand-Lahou mais il est adjoukrou. C’est lui-même qui me l’a dit. Je crois qu’il vient de Cossrou. Il y a aussi l’église messianique ‘’Qui me connaît’’ à Akradio. Il y a encore le Harrisme. Quel que soit ce qu’on est, sorcier ou pas, tous les dimanches, on est à l’église. Chacun a sa religion et c ’est très important. Les Adjoukrou croient en une force supérieure. Comme les gens ne peuvent pas écrire, ils transmettent ces connaissances de père en fils et ne se débarrassent pas des oripeaux de leur tradition.

L’Adjoukrou et la politique : l’Adjoukrou a comme un péché originel, politiquement parlant, parce que parmi ceux qui ont créé le FPI, il y a Memel Foté qui est l’un de nos plus brillants universitaires. Je l’ai battu en 90 sans parler mal de lui, mais en me basant sur le développement. Le FPI étant né à Dabou, à Mopoyem, avec Memel Foté qui est passé par les classes d’âges puisqu’il était N’Gbedié, son parti était bien implanté ici et il continue de l’être. Cependant, celui qui peut vous arranger, on ne va pas le haïr. Les Adjoukrou disent qu’on ne grimpe pas à un palmier vert. S’il n’y a pas de régime, pourquoi y grimper ? Il faut qu’on se ressaisisse. Souvent, dans les problèmes de chefferie, il y a des dessous politiques. Il faut le dire tout net. Ce monsieur qui est là (le président de la République Alassane Ouattara, ndlr), même si on n’aime pas le lièvre, il faut reconnaître qu’il court vite. Et c’est son cas. Il ne sert à rien de fermer les yeux pour dire qu’on ne voit rien ou de se boucher les oreilles pour dire qu’on n’entend rien. Quand je dis cela, ce n’est pas de la flagornerie. J’ai suffisamment été pour laisser la place aux autres. J’ai été inspecteur de la santé, PCA de la SICOGI, président de la FIF, député, ministre. Je dis la vérité pour l’avenir de nos enfants car quand on perd sa mère, on peut s’acoquiner avec sa belle-mère. La seule bataille qui vaille est celle du développement.

Un mot de fin?

Les Adjoukrou sont un petit peuple très fier, très travailleur. Chez nous, vous n’avez pas le droit d’être pauvre parce que vous êtes mis à l’index et vous êtes presque mis à l’écart. Le nom de la pauvreté est tellement vilain en adjoukrou que vous n’avez pas intérêt à être pauvre. C’est ‘’Gbôhô’’. Cela, pour montrer qu’il faut travailler pour intégrer le tissu social et contribuer au développement de son terroir.

(AIP)

kkp/tm
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