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Art et Culture Publié le mardi 10 novembre 2015 | Le Sursaut

Interview / Idrissa Diabaté, réalisateur de film documentaire: ‘’Seul, Ouattara ne peut tout faire’’

Après ‘’Murmure dans la forêt’’ réalisé en 2012 et ‘’Bois sacré du professeur Aké Assi’’ (2011), le documentariste Idrissa Diabaté est sur les traces de la production du mil, -céréale qui a été domestiquée pour la première fois en Afrique. Après le Sénégal, le réalisateur s‘est rendu depuis le week-end à Douendza, en pays Dogon au Mali, et ses recherches le conduiront en Inde. Amer, il interpelle les gouvernants africains.

Vous revenez du Sénégal où vous êtes sur un projet de réalisation de film documentaire sur la culture du mil. Pourquoi promenez-vous votre caméra sur les champs de mil ?
Je me pose aujourd’hui la question de savoir ce dont dispose l’Afrique pour se nourrir, parce que quand vous regardez dans les assiettes des Africains, 80% de ce nous mangeons viennent de l’étranger. L’Africain est plus ou moins dépendant de céréales produites à l’étranger. De quel type de céréale disposons-nous dans notre terroir? Je me suis alors intéressé au mil qui, avec le sorgho, sont des céréales typiquement africaines et que les Africains ne consomment pas. C’est dans ce sens que je me suis mis à étudier la vertu nutritive du mil, en faisant un film documentaire, pour montrer au monde entier les valeurs de la céréale mil. Chaque continent, dans l’histoire humaine, a domestiqué la première fois un type de céréale. Le riz en Asie, le maïs en Amérique, le blé en Europe, le mil et le sorgho en Afrique. Pour la première fois dans l’histoire, le sorgho a été domestiqué à Tombouctou, au Mali. Par le travail de l’homme, cette céréale s’est déplacée jusqu’en Inde où elle est beaucoup plus consommée qu’en Afrique.

Qu’ont donné vos recherches menées récemment au Sénégal sur le mil ?
Avec l’Association africaine de production de son et des images (Aapsi), qui est mon association, et l’association française dénommée Biodiversité échanges et diffusion d’expérience (Bede), nous nous sommes mis ensemble pour voir comment le mil peut retourner dans les assiettes des Africains.
On s’est rendu compte qu’il y a des tendances. La production du riz, du maïs et du blé dans les continents où ils ont été domestiqués sont subventionnés. Le marché africain n’est qu’un marché de consommation. Avec des chercheurs de Bede, nous Aapsi, sommes allés à Dakar au Sénégal, pour trouver l’origine du mil appelé le mil sauvage, que j’ai été récolter à Saint Louis et à Louga. C’est au cours de ces récoltes que nous avons constaté ce que c’est le mil sauvage, la mère du mil d’aujourd’hui, qui est produit et consommé par l’homme. Dans le film, nous montrerons que le mil sauvage est africain. C’est l’une des raisons pour laquelle je me suis rendu au Sénégal. Mais, en tant que cinéaste, j’ai été encadré par des chercheurs de l’Ird, l’Institut de recherche pour le développement. Au-delà des recherches des chercheurs, ce qui m’intéressait, c’est convaincre les Africains que c’est nous qui avions, pour la première fois, domestiqué les céréales mil et le sorgho. C’est le but de ma recherche qui m’a conduit au Sénégal.

Quelle est la situation de la production du mil en Côte d’Ivoire?
Il y a une déperdition effrayante. C’est seulement dans la région de Korhogo, Boundiali et Ferkessédougou que le mil est encore produit de nos jours. Du côté de Séguéla et Odienné, le mil a quasiment disparu. On n’en produit plus. Dans ces régions, les populations consomment les céréales riz et maïs. Dans les villes telles Odienné, le petit déjeuner est à base du pain. Plus on avance, plus on devient dépendant, parce que nos régimes alimentaires sont en train d’être changés pour l’adapter aux céréales importés. C’est le but de l’interpellation du pouvoir public dans le film.

Après le Sénégal, vous vous rendrez au Mali, au Cameroun, en Inde. Quelle est la source de vos financements?
Je suis documentariste. Je ne fais pas de cinéma de fiction. Au Sénégal, un film documentaire est subventionné à hauteur de quarante voire quatre-vingt millions de Fcfa. Pour ce film, je n’ai aucun centime en Côte d’Ivoire. J’ai essayé en vain. Normalement, le ministère de l’Agriculture qui devait être le fer de lance de ce film, est absent. Qui finance donc? C’est l’Aapsi qui a apporté en plus de mon savoir-faire (auteur-réalisateur), tout le matériel de prise de vue et le studio de montage. Ce qui représente près de 25% du budget qui s’évalue à 200.000 Euros (130.000.000 Fcfa). Il y a Bede, une association française qui assure le suivi et la gestion de la production. Ce qui représente 20% de la production. Une association suisse a apporté en liquide 45.000 Euros. L’Allemagne a apporté à peu près 35.000 Euros. Il reste encore 30% du budget que j’ai présenté au ministère de la Culture et de la Francophonie.

Quelle suite a été donnée à votre demande ?
On m’a répondu la priorité des priorités, c’est l’équipement du palais de la culture en matériel numérique. On m’a laissé entendre que, si le Président Ouattara venait un jour voir un film et qu’il n’y a pas de technologie numérique, il va se fâcher. Je trouve cela ridicule. Je pense qu’il faut que le Président Ouattara aille plutôt voir un film africain et ivoirien et qu’il se rende compte de ce qu’on fait. Cette technologie numérique montrera à n’en point douter un film français ou américain. Le Président Ouattara a-t-il vraiment besoin de cela ? C’est triste qu’on voie le problème de la production du cinéma en Côte d’Ivoire de cette manière.

Sous quel angle devrait-on l’aborder?
On nous dit qu’on est plus riche que le Sénégal. Il faut arrêter de penser que nous sommes les meilleurs du monde. Le Sénégal a distribué cette année plus d’un milliard de Franc Cfa; les preuves sont là, ce pays fait cinquante fois plus que nous au niveau de la production cinématographique. Le ministère de l’Agriculture en Côte d’Ivoire ne sait même pas que le mil est en train de disparaître dans le Nord. Il y a un travail qui doit être fait. La nation n’est pas une affaire simplement politique. Seul, le Président Ouattara ne peut tout faire. Quand on préfère acheter la technologie numérique avec de l’argent qui est destiné à la production du cinéma, que voulez-vous que Ouattara en sache? C’est un mauvais procès. Il appartient aux responsables de ces départements de poser le problème de la production. Nous devons nous ressaisir. Les fondamentaux sont là et il y a en Côte d’Ivoire des personnes qui savent faire le cinéma. Des jeunes savent filmer techniquement et des journalistes peuvent critiquer et montrer les failles du film. Mais la production ne suit pas et un vrai producteur a deux éléments à vendre: le réalisateur et le projet. Tant que le producteur n’arrive pas à vendre ces deux éléments, il ne peut produire. C’est ce qui se passe aujourd’hui en Côte d’Ivoire. Les producteurs qui sont là ne sont que des gestionnaires de fonds. Ce ne sont pas des personnes à mesure de vendre un projet.

Comment expliquez-vous qu’après avoir pu domestiquer la céréale mil, sa culture échappe aux Africains, aujourd’hui de simples consommateurs?
Cela nous échappe par la puissance de production des trois autres céréales. Il y a des lobbies qui produisent ces céréales et des lobbies qui les vendent. Ceux-ci n’ont aucun intérêt que les céréales mil et sorgho soient développés en Afrique, puisque le marché africain est potentiellement présent et il est porteur pour les producteurs du riz, du blé, du maïs par rapport aux producteurs de céréale mil et sorgho. L’Africain devient un simple consommateur de ces produits importés. Le but, pour moi, c’est de montrer les valeurs nutritionnelles du mil qui n’a rien à envier au riz, au maïs et au blé. Il est connu scientifiquement et le film le montrera, qu’on ne peut pas faire du pain à 100% à base de mil. C’est inconsommable pour l’estomac. Par contre, ce que les chercheurs savent aujourd’hui, c’est que 30% de mil à la place du même pourcentage de blé donne un pain plus consommable et nutritif par rapport au pain à 100% composé de blé. Le constat fait est que dans ce mélange, il n’y a pas de glutens. Avec le changement climatique, il y a beaucoup de personnes qui sont sensibles au gluten. Ce qui devient thérapeutique.


Comment comptez-vous orienter la réalisation de ce film documentaire sur le mil ?
Il y a quatre séquences dans le film documentaire. La première sera un film d’animation d’une durée de sept minutes qui montrera comment l’homme a pu domestiquer ces céréales sur différents continents avec des raisons sociologiques, psychologiques, climatiques, etc. La deuxième séquence montrera comment se fait la semence des différentes variétés du mil et du sorgho. La troisième montrera toutes les possibilités culinaires pour le mil. La dernière séquence nous conduira en Inde. On y filmera tout le rituel qu’il a derrière le mil. Ensuite, on montrera la politique mis en place par les Indiens pour augmenter la consommation du mil au détriment du blé. A la fin, nous allons interpeller le pouvoir public africain pour qu’il s’intéresse à la production de céréale mil. Il y va de notre souveraineté alimentaire, la protection de nos valeurs culinaires.

Réalisée par Koné SAYDOO
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