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Politique Publié le jeudi 28 janvier 2016 |

Gbagbo/Blé Goudé : un procès contre deux hommes, pas contre la Côte d’Ivoire

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Début du procès de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé devant la CPI
Jeudi 28 Janvier 2016. Montage Photo: Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé.
Après des années d’attente, le procès de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé s’est ouvert ce jeudi 28 janvier à la Cour pénale internationale (CPI). Revue en détails de cette première journée qui marque le début d’un procès historique pour la Côte d’Ivoire et la justice internationale.

Par Antoine Panaité

L’ancien homme fort de la Côte d’Ivoire, adulé et aimé par les uns, craint et haï par les autres, se lève. Le juge, l’Italien Cuno Jakob Tarfusser, vient de lui adresser sa première question : « M. Gbagbo, avez-vous compris la nature des charges contre vous ? ». L’accusé prononce un timide « oui », avant d’affirmer : « Oui, je comprends la nature des charges. »

On lui posera ensuite la question essentielle mais dont personne n’aurait imaginé une réponse différente : « plaidez-vous coupable ? » « Merci M. le président, je plaide non-coupable. » Même son de cloche pour Blé Goudé qui ne reconnaît pas les charges et plaide donc non-coupable.

Un procès, deux accusés

Les charges qui pèsent contre l’ancien président et « le général de la rue » sont au cœur même de ce procès historique qui vient d’ouvrir. Historique par la nature des accusés et historique par la nature des crimes jugés.

À l’écoute des deux hommes, le public commence à s’agiter discrètement. L’anxiété des uns, la curiosité des autres, se ressentent chez les supporters de l’ancien président, les journalistes ou les diplomates venus assister au « procès du siècle. »

Comme le greffier le répètera lors de sa lecture des documents contenant les charges, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé doivent répondre des accusations de crimes contre l’humanité que constituent le meurtre, le viol, les autres actes inhumains ou la tentative de meurtre et la persécution de populations favorables (ou perçues comme tel) à Alassane Ouattara, lors de la crise post-électorale de 2010-2011.

En guise de préliminaires, le juge Cuno Jakob Tarfusser a tenu à rappeler son rôle et le but de ce procès : « Ceci est un procès pénal (…) Ce n’est pas du tout un procès fait à la Côte d’Ivoire ou même au peuple ivoirien mais à deux personnes, accusées par le bureau de la procureure. »

Comme pour essuyer toute critique potentielle, le juge a également rappelé que la chambre s’efforcera de « vérifier sur la base de preuves » les accusations de la procureure et ce, « en toute impartialité », en refusant « toute instrumentalisation (du procès) à des fins politiques ».

Il reprécisera aussi que « les accusés sont présumés innocents jusqu’à ce que la preuve de leur culpabilité soit faite. » Sur ces mots, le juge conclue : « Je déclare le procès ouvert. »

« Ces crimes menacent toute l’humanité »

Le procès commence par un long échange lors d’observations sur la procédure suivi jusqu’ici. La défense de Laurent Gbagbo répète des arguments évoqués précédemment et estime que la procureure a adopté une vision biaisée de l’affaire et de la Côte d’Ivoire, la faisant entrer dans le domaine « de la croyance » et sortir du domaine du droit. Le substitut du procureur, Eric MacDonald, répondra que c’est la défense qui, par ses propos, sort du périmètre de la loi.

Pendant ce temps, comme la Chambre l’en a autorisé, Laurent Gbagbo est déjà sorti deux fois de la salle. À chaque sortie, certains regards dans le public se tournent vers l’ancien chef d’État. Charles Blé Goudé demeure globalement impassible. Seule une tape sur l’épaule de Gbagbo lui fera perdre sa concentration.

Après une pause, la déclaration du bureau de la procureure peut débuter. Debout, la procureure gambienne, Fatou Bensouda, entame son discours préliminaire sur un ton conquérant et déterminé : « MM. Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé doivent répondre des crimes contre l’humanité (...) Ces crimes menacent non seulement les communautés touchées mais aussi toute l’Humanité (…) Nous sommes ici pour envoyer un message à tous ceux qui complotent pour rester au pouvoir en faisant usage de la force et de la brutalité ».

Les enquêtes dans l’autre camp « vont prendre du temps »

Poursuivant son discours préliminaire, la procureure a tenu a rappelé que les enquêtes de son bureau se poursuivent dans l’autre camp, même si « elles vont prendre du temps ». « Ah oui d’accord ! », ironise-t-on dans le public des supporters des accusés qui expriment de plus en plus bruyamment leur dégoût et dédain face aux déclarations de l’accusation.

Fatou Bensouda poursuit et conclue son résumé sur le cas de Laurent Gbagbo en affirmant que la volonté de l'ancien président était claire depuis le début : « Rien ne devait pouvoir autoriser la défaite de M. Gbagbo. » Elle affirme que son bureau possède les preuves nécessaires pour le faire condamner.

Le patriotisme comme façon de dissimuler les persécutions

Bensouda poursuit sa démonstration en évoquant le cas de Blé Goudé. « M. Blé Goudé était le porte-parole de M. Gbagbo » explique-t-elle. Elle lui reproche d’avoir, pour le compte de l’ancien président, galvanisé, mobilisé et poussé les jeunes à commettre des violences, utilisant le patriotisme comme une façon de dissimuler les persécutions des populations perçues comme pro-Ouattara.

Une partie du public gronde.

« Vous allez entendre de nombreux témoins (lors de ce procès) » dont des membres des FDS, de milices, des hommes politiques, qui feront part « des crimes épouvantables » commis par les forces pro-Gbagbo ». Fatou Bensouda promet des preuves documentées, des extraits de registres des visiteurs, des experts en balistiques ou de l’ADN.

Mais Fatou Bensouda évoque aussi la victime P-0350 qui viendra témoigner à la barre : victime de viols collectifs pendant 3 jours après la manifestation, elle exprimera la nature « atroce » des crimes jugés. « Ils (les accusés) ont essayé de maquiller ces crimes (…) nous vous prouverons que ces dénis étaient eux aussi montés de toute pièce », poursuit Bensouda. Elle soulignera aussi, qu’« alors qu’il en avait la possibilité, M. Gbagbo n’a jamais ordonné l’arrêt des meurtres et des viols ».

Elle conclue sobrement : « Ce procès est là pour s’assurer qu’il n’y ait aucune impunité. »

Des éléments de preuves de la chambre à coucher de M. et Mme Gbagbo

Le substitut de la procureure prend la suite. Il souhaite notamment montrer des extraits de preuves incluant des vidéos de discours ou d’interviews de Gbagbo et Blé Goudé mais sa première vidéo, un extrait d’un discours de Gbagbo à Divo, ne sera pas diffusée tout de suite à cause de problèmes techniques. Le processus judicaire bute face à la technologie.

Le problème réglé, MacDonald poursuit sa démonstration. Il donne le contexte de la Côte d’Ivoire, le point de vue du bureau de la procureure sur des sujets aussi divers que le coup d’État de Robert Guéï ou le concept d’ivoirité et montre aussi des cartes d’Abidjan indiquant les 38 incidents retenus dans la procédure contre les accusés.

« Vous aurez des éléments de preuves venant même de la chambre à coucher de M. et Mme Gbagbo », assure-t-il.

Une fin d'audience en forme de meeting

La session va bientôt se terminer. MacDonald diffuse finalement deux derniers éléments : un extrait vidéo du journal de France 2 évoquant les appels de Blé Goudé à poursuivre les français en 2003 et des registres du palais présidentiel où des noms de membres hauts placés des FDS.

Le public est furieux, il y a beaucoup de contestation et la sécurité de la CPI tente, sans succè, de faire taire les indignés de la salle.

La séance est levée, les juges s’en vont. Mais le rideau qui sépare le public de la salle d'audience ne se ferme pas tout de suite. Les nombreux soutiens de Gbagbo présents dans la salle en profitent pour s’approcher de la vitre et saluer « leur » président. La fin de l’audience se transforme en meeting pour la libération de Laurent Gbagbo. Des slogans comme « Libérez Gbagbo ! » ou encore « Gbagbo président ! » sont scandés par cette frange du public acquise à la cause de l’ancien chef d’État. Laurent Gbagbo affiche un large sourire et lève les poings face à ses supporters qui font de même. Le bruit règne dans la Cour. Le rideau se referme.

Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé sont en procès à la Cour pénale internationale pour répondre des accusations de crimes contre l’humanité qui pèsent contre eux. Ils sont jugés sur leur responsabilité pour les meurtres, viols, autres actes inhumains ou tentatives de meurtres et persécutions commis en Côte d’Ivoire par les forces pro-Gbagbo lors de la crise post-électorale de 2010-2011.
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