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Politique Publié le lundi 6 juin 2016 | L’intelligent d’Abidjan

Contribution / Diomandé Syndou, expert-comptable: la Constitution ivoirienne est de médiocre qualité

Le président de la République vient de mettre sur pied un comité d’experts pour réfléchir sur une nouvelle constitution. Diplômé de l’Institut National des Techniques Economiques et Comptables du Conservatoire National des Arts et Métiers de Paris, Diomandé Syndou a décidé d'apporter l’eau au moulin de ce comité et de prendre cause pour le ‘’Oui’’ durant ce référendum qui pourrait être couplé avec les législatives de novembre prochain. Ci-dessous toute la contribution de Diomandé Syndou.

INTRODUCTION

En prélude à l’éventuelle initiative présidentielle de révision de la Constitution ivoirienne, les propos ci-après, rapportés les 04 et 06 mai 2016 par le site Abidjan.net, dans le cadre de « La Tribune de l’AIP », sont prêtés au Professeur Wodié, ancien Président du Conseil constitutionnel.

« Le risque, c’est que nous pourrions assister à ce que nous avons déploré, la Côte d’Ivoire accédant à l’indépendance, avec ce que j’ai qualifié de fraude à la Constitution ».

« Les questions liées à la révision de la Constitution sont prévues et réglées par la Constitution à réviser, les questions s’attachant à l’élaboration d’une Constitution ne sont pas prévues par la Constitution en vigueur puisque la Constitution à élaborer va se substituer à la Constitution en vigueur qui cesse d’exister. De sorte que l’initiative de l’élaboration de la Constitution n’est pas prévue. On est en face d’un problème politique. »
« Le Président de la République peut prendre l’initiative de l’élaboration d’une nouvelle Constitution. Mais comment va-t-il engager cette initiative, tout seul, élaborer un texte selon les formes, sollicitant l’avis de l’Assemblée nationale, réunissant un collectif de partis politiques ? Les problèmes de la société civile etc. La question reste ouverte. »

« Interroger le peuple de Côte d’Ivoire de savoir qu’est-ce qu’il veut, est-ce qu’il faut à l’Etat procéder à la révision de la Constitution en vigueur et quelle disposition modifier, ou alors s’il faut doter la Côte d’Ivoire d’une nouvelle Constitution, c’est le peuple qui tranche.»

Le site Abidjan.net du 06 mai 2016, dans le même cadre de « La Tribune de l’AIP » rapporte ce qui suit à propos du Professeur Martin Bléou. « Martin Bléou a d’abord clarifié les choses. Il a signalé que le projet du chef de l’Etat Alassane Ouattara est de doter la Côte d’ivoire d’une nouvelle Constitution et non de modifier la constitution actuelle. Il en veut pour preuve les propos tenus par le Président de la République le 22 octobre au cours d’une interview qu’il a accordée à RFI : « Nous aurons une nouvelle Constitution je l’espère dès l’année prochaine. »

Il a fait savoir qu’Alassane Ouattara a également déclaré après l’élection présidentielle : « je vais aller au-delà de la nationalité et de l’éligibilité en proposant une troisième République».

Martin Bléou ne voit pas la nécessité de modifier l’article 35.

Le constitutionnaliste a expliqué que la Côte d’Ivoire a organisé l’élection présidentielle la plus paisible en octobre 2015 sur la base de la Constitution du 1er août 2000 sans que l’article 35 ait été modifié. « Il suit de ce qui précède qu’apparemment l’article 35 de la Constitution ne pose plus problème, le juge constitutionnel l’ayant purgé du venin que l’on y avait décelé. C’est dire qu’il est aujourd’hui difficile d’admettre que les exigences de la réconciliation nationale imposent la révision de l’article 35 de la Constitution.

Martin Bléou trouve incongrue et monstrueux l’idée de coupler les législatives et le référendum.»
De ces propos, J’avise le spectre d’une confusion générale dont la dissipation est de la responsabilité collective, en particulier de tous ceux, qui dans l’exercice de leur profession, connaissent des questions juridiques.

S’épancher dans la presse n’est point conforme à la déontologie de mon milieu professionnel. De façon inédite, qu’il me soit permis de transgresser ce paradigme en vous exposant ce qui suit !

Citant Jean-Jacques Rousseau dans « Du contrat social », « l’ordre social est un droit sacré, qui sert de base à tous les autres. Cependant, ce droit ne vient pas de la nature. » Analysé sous cet angle philosophique, la Constitution est un contrat entre les citoyens d’un Etat dont l’objectif est définir les fondements de la vie commune : c’est l’ensemble des textes juridiques qui définit, d’une part, les relations de vie sociale entre les citoyens d’un Etat et, d’autre part, les droits et devoirs du citoyen.

L’argumentaire des deux professeurs appelle les questions de droit suivantes.

Le Président de la République a-t-il la compétence pour procéder à la « modification » de la Constitution ?
Si oui, quelles en sont les modalités ?

Si oui, quelles sont les dispositions constitutionnelles qui sont susceptibles de faire l’objet d’une « modification »?

1.OUI LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE EST COMPETENT EN MATIERE DE REVISION CONSTITUTIONNELLE

L’article 125 de la Constitution ivoirienne dispose comme suit :
« L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République et aux membres de l’Assemblée nationale ».

Cette disposition appelle les questions qui suivent.
•Quelle est la signification de l’adverbe « concurremment » ?
•Que le Président seul prend l’initiative de la révision ?
•Que les membres de l’Assemblée nationale seuls prennent l’initiative de la révision ?
•Que le Président et les membres de l’Assemblée prennent ensemble l’initiative de la révision ?

Le dictionnaire Larousse définit l’adverbe concurremment comme « en même temps, en conjuguant son action avec celle d’un autre.».

Au total, un droit ou une obligation existe ou n’existe pas. Il doit faire l’objet d’une définition précise. L’emploi des adverbes n’est de bon conseil que s’il concourt à la délimitation du droit ou de l’obligation (exclusivement, seulement, etc.).

L’article 125 en distinguant, sans les définir, le projet de révision (initiative du président) et la proposition (initiative des membres de l’Assemblée) nous instruit de l’indépendance des deux initiatives.
Par conséquent, l’article 124 est susceptible d’être libellé comme suit.

« L’initiative de la révision de la Constitution appartient :
-soit au Président de la République seul : c’est un projet de révision ;
-soit aux membres de l’Assemblée nationale seuls : c’est une proposition de révision. »

Il y a lieu de rappeler que cette formulation est un emprunt à l’article 89 de la Constitution française qui est, également, en ce point mal rédigé.

Au demeurant, les préoccupations du Professeur Wodié trouvent leur réponse dans les dispositions de l’article 124 de la Constitution. En effet, l’opportunité de la révision est discrétionnaire et elle est de l’apanage soit du président seul, soit des membres de l’Assemblée nationale seuls.

La loi ne soumet que le projet ou la proposition de révision au vote de l’Assemblée nationale (article 125) et son approbation par référendum (article 126).

La Constitution ivoirienne du 1er août 2000 ne fait obligation à aucune de ces Institutions, dans la mise en œuvre de leurs initiatives respectives de procéder à une quelconque consultation.

Il est inexact d’arguer que l’opportunité de la révision devrait au préalable être soumise à référendum. La Constitution ne prévoit pas deux référendums. Le seul référendum prévu est celui qui soumet à l’approbation du peuple souverain le projet ou la proposition issue des deux initiatives respectives.

Il est inexact de prétendre à une fraude à la Constitution car le pouvoir du Président s’exerce en application de la Constitution elle-même. A moins que le Professeur Wodié ne conteste au Peuple de Côte d’Ivoire sa souveraineté !

Relativement au « couplage des élections législatives et du référendum », le Professeur Bléou s’insurge contre cette méthode qu’il qualifie de « monstrueux ».

La Constitution du Peuple souverain de Côte d’Ivoire, n’ayant pas formellement interdit une telle procédure, il revient au Président de la République de l’apprécier souverainement.

Le Président de la République, l’Assemblée nationale sont qualifiés de pouvoir constituant dérivé (pouvoir conditionné) par rapport au pouvoir constituant originaire (pouvoir inconditionné) qu’est le Peuple souverain de Côte d’Ivoire.

Au total, le Président de la République est souverain dans les limites des dispositions de l’article 124 et d’autres dispositions d’ordre public relatives notamment aux libertés et à la souveraineté, domaine exclusif du Peuple.

Ainsi, le Président ne peut prendre aucune initiative de révision qui porte sur la restriction des libertés publiques. Il ne peut non plus se substituer au Peuple dans l’exercice de son domaine exclusif, la souveraineté nationale, qui consiste pour le Peuple à choisir son Président et ses élus par lui-même et pour lui-même.

Les membres de l’Assemblée nationale, c’est-à dire les députés sont individuellement et indépendamment souverains dans les mêmes limites.

La souveraineté du Président et celle des membres de l’Assemblée nationale sont indépendantes l’une de l’autre.

2.LES TERMES « MODIFIER LA CONSTITUTION », « NOUVELLE CONSTITUTION » N’ONT AUCUN SENS EN DROIT CONSTITUTIONNEL IVOIRIEN.

En application des dispositions de son article 124, la Constitution de Côte d’Ivoire ne peut faire l’objet, en Droit positif ivoirien, que d’une révision et seulement d’une révision.

En aucun cas, elle ne peut être « modifiée » car le Peuple souverain de Côte d’Ivoire, n’ayant pas défini cette expression, ne peut y consentir une quelconque valeur juridique.

L’expression « nouvelle Constitution » n’ayant pas également fait l’objet d’une définition par le Peuple souverain de Côte d’Ivoire n’a aucune valeur juridique en Droit constitutionnel ivoirien.

La Constitution du Peuple souverain de Côte d’ivoire existe. C’est la raison pour laquelle la Constitution elle-même n’a prévu que sa propre révision en application des dispositions de son article 124.

Les propos du Professeur Wodié prétendant demander au Peuple de Côte d’Ivoire « s’il veut une nouvelle constitution » n’ont aucune valeur juridique. En effet, le Peuple souverain de Côte d’Ivoire a usé de son pouvoir constituant originaire en approuvant la Constitution du 1er août 2000. A compter de cet instant, le Droit positif ivoirien ne prévoit exclusivement que la révision et seulement la révision de la Constitution. Toute expression du Peuple souverain ne peut se tenir que dans ce cadre stricte de la révision. Toute autre expression du Peuple souverain en dehors de ce cadre révisionnel, ne relèverait pas, comme ce fut le cas le 24 décembre 1999, du cours normal du Droit positif ivoirien.

L’expression suivante « Nous aurons une nouvelle constitution je l’espère dès l’année prochaine. » prêtée au Président de la République relève du langage courant. L’expression « je vais aller au-delà de la nationalité et de l’éligibilité en proposant une troisième République » ne confère pas non plus le qualificatif de « nouvelle constitution ». L’entité révisée demeure la Constitution du 1er août 2000 révisée à l’initiative du Président de la République et approuvée par le Peuple souverain de Côte d’Ivoire.

Le Président de la République peut donner toute dénomination à l’entité révisée parce qu’une telle procédure n’est pas interdite par la Constitution elle-même.

En tout état de cause, les interrogations suivantes sont à poser.

Par « modification » de la Constitution, faut-il entendre la Constitution révisée?

Par « nouvelle Constitution » faut-il entendre la Constitution révisée ?

Par « nouvelle constitution » faut-il entendre l’exercice à nouveau du pouvoir constituant originaire, en l’occurrence le Peuple souverain de Côte d’Ivoire ?

Au plan de l’opinion, ces abus de langage sont susceptibles de prêter à confusion. Ainsi, une hostilité à une « modification » ou un « changement » de la Constitution aurait l’apparence d’une légalité alors qu’une hostilité à une initiative de révision constitutionnelle du Président, sous réserves qu’elle ait un fondement constitutionnel, n’aurait aucune base légale.

3.LE CHAMP DE LA REVISION

Le champ de la révision constitutionnelle est borné par l’article 127 de la Constitution elle-même comme suit : « Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire. La forme républicaine et la laïcité de l’Etat ne peuvent faire l’objet d’une révision».
Cette disposition suscite la question suivante : Quelle est la signification des expressions « forme républicaine » et « laïcité » ?

La Constitution ivoirienne emprunte ses fondations à l’histoire révolutionnaire de France. Notons au passage que dans le Préambule, il n’est même pas fait référence à la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ». La référence faite aux autres «Déclarations », dont notamment la « Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 » ne comble point cette lacune institutionnelle.

Nous n’avons pas la tradition révolutionnaire française qui a forgé la naissance de la République et l’a incrusté dans la conscience du Peuple de France.

En effet, la notion de « république » peut revêtir plusieurs significations. Du point de vue étymologique, le mot « république » vient du latin « res publicae ».« res » signifie chose, sujet, occupation. Le mot « publicae » vient du mot latin « poplicus » et signifie chose publique.

Dans la conception latine, le mot « république » est la chose publique. Citant Jean Jacques Rousseau dans « Du contrat social », « J’appelle donc République tout Etat régi par des lois, la monarchie elle-même est République.»

Le mot « république » dans l’histoire politique et sociale française, désigne non pas la chose publique mais la forme de gouvernement. Dans la culture constitutionnelle française, l’expression « république» désigne la forme de gouvernement qui exclut strictement la transmission héréditaire du pouvoir.

Ces notions importées de l’histoire constitutionnelle française nous paraissent d’une évidence au point de les transposer localement sans procéder au préalable à leur définition juridique.

René Descartes dans « Discours de la méthode» écrit ce qui suit : « Le bons sens est la chose du monde la mieux partagée… ». Mon expérience relative à l’évaluation de contrats d’intérêts significatifs est de nature à brocarder les rédacteurs comme suit : « L’évidence est la chose du monde la mieux partagée ». Toutefois, j’étais à mille lieues de penser que cette raillerie d’inspiration cartésienne serait, pour les rédacteurs de la Constitution ivoirienne, d’actualité.

En matière de responsabilité, les rédacteurs de contrats invoquent leur soumission à une obligation de moyens. Par ailleurs, ils arguent qu’ils ne peuvent répondre d’un document validé par leur client. Dans cette même logique, les rédacteurs de la Constitution ivoirienne répondraient-ils d’un document validé par le Peuple souverain de Côte d’ivoire ?

Revenant au fond du sujet, qu’entend le constituant ivoirien par l’expression « forme républicaine de l’Etat » ?
Sans aucun doute, il s’agit de la forme démocratique définie à l’article 30 comme suit : « La République de Côte d’Ivoire est une et indivisible…. Son principe est le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. »

De quel Etat s’agit-il ? L’Etat de Côte d’Ivoire ? L’Etat en tant qu’administration ? Sans aucun doute, il s’agit de l’Etat de Côte d’Ivoire.

Dans le Droit positif ivoirien, le dernier alinéa de l’article 127 pourrait recevoir l’une des formulations suivantes.

« La forme démocratique et la laïcité de l’Etat de Côte d’Ivoire ne peuvent faire l’objet d’une révision ».
« La République démocratique de Côte d’Ivoire est laïque. Cette disposition ne peut faire l’objet d’une révision ».

En nous inscrivant dans la tradition républicaine française de 1789, le dernier alinéa de l’article 127 peut faire l’objet de l’une des formulations suivantes.

« La forme républicaine et la laïcité de l’Etat de Côte d’Ivoire ne peuvent faire l’objet d’une révision ».
« La République de Côte d’Ivoire est laïque. Cette disposition ne peut faire l’objet d’une révision ».
En France, « république » rime avec « démocratie », « république » est y est égale à « démocratie ». Ainsi, dénommer la France par l’expression « République démocratique française » serait une tautologie ; c’est à juste titre que la France a pour dénomination le terme suivant : République française.

Le lecteur notera que bien de pays utilisent le terme « République » comme dénomination sans qu’une démocratie à la française y ait droit de cité. A titre d’exemple, on pourrait citer la République islamique d’Iran, la République arabe d’Egypte et la « République très-très démocratique du Gondwana » de l’humoriste Mamane.

A l’indépendance, en faisant dénommer notre pays par le terme « République de Côte d’Ivoire », nous nous inscrivions, sans le proclamer officiellement, dans la tradition républicaine française.

A l’instar du mot « république », le mot « laïcité » ne fait pas également l’objet de définition. L’espace de cette contribution ne nous permet pas de définir ce concept historique dense. Soulignons qu’en France, c’est la Révolution de 1789 et la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 » qui ont donné corps à ce principe par l’abolition des privilèges ecclésiastiques et l’affirmation des libertés de conscience et de l’égalité des droits.

Au total, le champ des dispositions susceptibles de faire l’objet d’une initiative du pouvoir constituant dérivé est vaste. Les seules limites au pouvoir de révision sont, outre la condition de forme qui interdit toute révision en cas d’atteinte à la l’intégrité du territoire, l’atteinte aux libertés publiques et à la souveraineté du Peuple de Côte d’Ivoire.

Relativement aux libertés publiques, à titre d’exemple, le Président de la République ou un membre de l’Assemblée nationale ne peut prendre l’initiative d’une révision interdisant aux Ivoiriens de se rendre dans une région du pays autre que leur région natale.

La souveraineté nationale est la prérogative exclusive pour le Peuple souverain de Côte d’Ivoire d’élire ses dirigeants, soit au suffrage universel direct, soit au suffrage universel indirect. A titre d’exemple, le Président de la République ou un membre de l’Assemblée nationale ne peut prendre, que ce soit à titre exceptionnel, que ce soit à titre provisoire, que ce soit à titre transitoire, l’initiative d’une révision donnant soit au Président, soit à toute autre Assemblée, la prérogative de nommer les élus de la République comme suit.
Un membre de l’Assemblée nationale (Député) peut-il faire l’objet d’une nomination ? La réponse est non.
Le Président de la République ou la personnalité en charge de l’intérim de la Présidence peut-il faire l’objet d’une nomination ? La réponse est non.

Revenant au domaine révisionnel, en particulier, la révision des articles suivants est dans le champ des prérogatives du Président de la République ou d’un membre de l’Assemblée nationale :
•article 35 relative aux conditions d’éligibilité à la présidence de la République ;
•article 40 relative à la vacance et à l’empêchement absolu.

L’article 35, abstraction faite du fond qui relève du domaine du Constituant, c’est-à-dire le Peuple souverain de Côte d’Ivoire, est d’une médiocre rédaction, terreau de contradictions. Les différents arrêts du Conseil constitutionnel relatifs aux trois dernières élections présidentielles n’en sont-ils pas une éloquente illustration ?

A cet égard, afin de produire des effets de droit incontestés, les questions suivantes méritent de trouver réponse par le Peuple souverain de Côte d’Ivoire.
Visant le Président de la République, quelle est la signification de l’expression : « Il n’est rééligible qu’une fois » ?

Selon le Larousse, le mot « rééligible » est un adjectif qualificatif (c’est sa nature grammaticale) qui signifie « qui remplit les conditions de rééligibilité ».

D’après la même source, le mot « rééligibilité» est un nom féminin (c’est sa nature grammaticale) qui signifie « aptitude à être réélu».

L’expression « Il n’est rééligible qu’une fois » signifie donc que son aptitude à être réélu est une fois et une fois seulement. En d’autres termes, après l’exercice d’un premier mandat, et après avoir perdu l’élection présidentielle suivante, le Président ne peut prétendre être candidat à une autre élection présidentielle.
L’emploi des adjectifs qualificatifs qui énoncent des possibilités, des capacités et des aptitudes est à proscrire. La pertinence commande de viser directement le droit ou l’obligation objet du dispositif.
Dans le cas d’espèce, il s’agit de définir les différents mandats possibles et leurs modalités d’exercice.
De ce qui précède, l’expression « il n’est rééligible qu’une seule fois » doit être remplacée par l’expression «Nul ne peut exercer tel nombre de mandats ».

Soulignons que le rajout d’un adjectif qualificatif, épithète du nom mandat change tout le sens du droit ou de l’obligation.

A titre d’exemple, l’expression « Nul ne peut exercer plus de deux mandats » signifie que dans la vie civile, un citoyen ne peut exercer que deux mandats présidentiels et seulement deux mandats présidentiels, peu importe la période.

En revanche, l’expression « Nul ne peut exercer plus de deux mandats successifs ou consécutifs» signifie que dans la vie civile, un citoyen peut exercer autant de mandats présidentiels avec la seule limite qu’il ne peut exercer plus de deux mandats successifs ou consécutifs.

Relativement à l’article 35, le Président de la République peut-il proposer une initiative de révision du nombre de mandats présidentiels ? La réponse est oui.

Relativement à l’article 35, chaque député ivoirien peut-il proposer individuellement une initiative de révision du nombre de mandats présidentiels ? La réponse est oui.

Par ailleurs, le constituant ivoirien n’a pas procédé à la définition des expressions suivantes :
-«Ivoirien d’origine» ;
-«Il doit n’avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne» ;
-«il ne doit s’être jamais prévalu d’une autre nationalité».

Ces expressions sont issues du langage courant et, leur portée juridique n’est pas établie. Ce sont des expressions de notre état de nature par opposition à notre état civil qui est exclusivement source de droit.
Enfin, des questions de fond sont posées par le Professeur Martin Bléou comme suit « Il suit de ce qui précède qu’apparemment l’article 35 de la Constitution ne pose plus problème, le juge constitutionnel l’ayant purgé du venin que l’on y avait décelé. C’est dire qu’il est aujourd’hui difficile d’admettre que les exigences de la réconciliation nationale imposent la révision de l’article 35 de la Constitution ».

Nous avons emprunté à l’histoire constitutionnelle de France l’Institution « Conseil constitutionnel ».

Le Professeur Bléou nous démontre qu’il revient au Conseil constitutionnel de se prononcer sur des notions qui n’emportent pas des effets juridiques incontestés.

Que dire des contradictions des différents arrêts du même Conseil constitutionnel ivoirien sur ce même article 35 relativement aux trois dernières élections présidentielles?

Ainsi pour le Professeur Bléou, le Conseil constitutionnel serait source de droit constitutionnel ou constituant à la place du Peuple souverain de Côte d’Ivoire!

Dans une telle hypothèse, de leurs tombes, les Révolutionnaires français de 1789 crieraient au dévoiement de leur lutte universelle!

En effet, Ces Révolutionnaires français se méfiaient de l’institution de juges pour se prononcer sur leur Constitution, sur le fondement d’une conception rousseauiste de la souveraineté en vertu de laquelle la loi, expression de la volonté générale, ne pouvait subir un contrôle juridictionnel!

En effet, ces Révolutionnaires français n’auraient jamais admis, comme l’admet implicitement le Professeur Bléou, que le Conseil constitutionnel soit l’une des sources du droit constitutionnel !

En effet, ces Révolutionnaires français, dans l’exercice de leur domaine réservé, n’accorderaient pas autant d’espace de liberté à un organe institué pour contrôler leurs lois !

Observons que le Conseil constitutionnel français n’a été créé que qu’en 1958 ! La Constitution française de 1791 s’en remettait au contrôle des citoyens par l’exercice de leur droit à vigilance. L’idée de l’institutionnalisation du contrôle des lois est d’Emmanuel-Joseph Sieyès ou l’abbé Sieyès (1746-1836). En Europe, le contrôle est exercé par une juridiction spécialisée. En revanche, aux Etats-Unis, tous les tribunaux peuvent contrôler la constitutionnalité des lois.

L’article 40 brille également par l’imprécision de sa rédaction comme suit : « En cas de vacance de la Présidence de la République par décès, démission, empêchement absolu, l’intérim du Président de la République est assuré par le Président de l’Assemblée nationale…»

La Constitution, en ne procédant pas à la définition de l’expression « empêchement absolu », s’en remet, sous les auspices d’une conception « bléouenne », au Conseil constitutionnel.

L’article 40 peut-il faire l’objet d’une initiative de révision de la part du Président de la République ? La réponse est oui.

L’article 40 peut-il faire l’objet d’une initiative de révision de la part de chaque député? La réponse est oui.
Cependant, au nom de la souveraineté du Peuple, la personnalité chargée de l’intérim du Président de la République ne peut être exclusivement qu’un élu, soit du suffrage universel direct (Vice-président élu en même temps que le Président), soit du suffrage universel indirect (notamment Président de l’Assemblée nationale, Président du Sénat ou Président de toute autre Assemblée élue par le Peuple).


4.CONCLUSION

Au total, force est de constater la prééminence du pouvoir constituant dérivé dans le dispositif constitutionnel ivoirien. Telle est la volonté du pouvoir constituant originaire du 1er août 2000, c’est-à dire le Peuple souverain de Côte d’Ivoire.

Même délimité, borné, encadré, par la Constitution, le pouvoir constituant dérivé suscite méfiance. Certains analystes préfèrent que la révision soit l’œuvre de l’organe qui a élaboré en amont la Constitution, en vertu d’un parallélisme des formes.

Rousseau écrit dans « Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes » ce qui suit : « j’aurais voulu naître dans un pays où le Souverain et le Peuple ne puissent avoir qu’un seul et même intérêt ».

Répondant à Rousseau, en cas d’intérêts divergents, l’expression démocratique du Peuple souverain n’est-il pas de nature à constituer un paravent ?

Si la qualité de cette expression n’est pas crédible, n’est-ce pas la notion même de souveraineté du Peuple, socle de tout l’édifice constitutionnel, qui est remise en cause ?

Dans la forme, la rédaction de la Constitution ivoirienne est de médiocre qualité.

Dans le fond, la présente tribune est trop exigüe pour prétendre procéder à l’évaluation de l’ensemble du dispositif constitutionnel ivoirien.

En particulier, le fond appelle les questions suivantes.

Le mode de nomination importé de France des membres du Conseil constitutionnel par le Président de la République, le Président de l’Assemblée nationale avec la même procédure française (la France disposant d’un Sénat, le Président du Sénat participe aux nominations) permet-il d’assurer à cette Institution le caractère permanent indispensable à l’exercice de ses compétences ?

En raison de son importance dans le processus électoral, la question sur l’éventuelle constitutionnalisation de la Commission électorale indépendante (en France, c’est l’Administration qui organise les élections) n’est-elle pas d’actualité ?

Ne sommes-nous pas en mesure d’évaluer les désastres causés par la mise en œuvre de notre loi fondamentale et élaborer une Constitution par nous-mêmes et pour nous-mêmes ? Souvenons-nous de la pensée suivante de Montesquieu dans « De l’esprit des lois » : « Une chose n’est pas juste parce qu’elle est loi. Mais elle doit être loi parce qu’elle est juste » !

Rousseau dans « Du contrat social », en écrivant « je n’aurais point voulu habiter une République de nouvelle institution … » n’appelle-t-il pas le Peuple souverain de Côte d’Ivoire à sortir de cette ornière constitutionnelle en élaborant une Constitution stable et quasi permanente ?

Enfin, l’aspiration à un pays démocratique exige le respect du caractère général et impersonnel de la loi, tant au niveau de son élaboration que de son application.

Au demeurant, le présent débat ne doit-il pas son fondement au fait d’appréhender l’Institution présidentielle au prisme des appartenances politiques, c’est-à-dire en fonction du titulaire de la charge? L’intérêt général ne commande-t-il pas que le pouvoir laïque et séculier de l’éventuel titulaire du poste soit secondaire au regard de l’intemporalité de l’Institution ?

Les Professeurs Wodié et Bléou peuvent-ils nous assurer de la permanence dans la méthode d’élaboration de leurs aspirations démocratiques? De façon prosaïque, auraient-ils eu les mêmes propos si le titulaire de la charge présidentielle était de leur appartenance politique?
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