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Région Publié le vendredi 2 septembre 2016 | AIP

Pranoi, un village consterné où plane la mémoire de Tantie Oussou

Dimbokro, 1er sept (AIP) - L’artiste chanteuse, Tantie Oussou, est décédée, samedi dernier, à Abidjan. Six jours après ce décès, l’AIP a fait une incursion à Pranoi, son village natal situé à 15 kilomètres dans la sous-préfecture de Yapkabo-Sakassou et à 42 kilomètres de Dimbokro, pour constater l’impact de cette disparition sur ce bourg de 1200 âmes et faire un flash-back sur la vie de la self-made woman, soutien incontesté des siens qui regrettent déjà sa disparition.
Pranoi, en cette matinée de Mercredi, il 10h30, le sourire du soleil contraste avec l’atmosphère maussade qui règne dans cette petite localité qui a vu naître, il y a 64 ans l’artiste Tanti Oussou. C’est qu’au fond du village, dans une cour, fusent des cris et des pleurs. Déchirant de temps à autre, les cœurs et le lourd silence dont le faubourg s’est vêtu depuis l’annonce de la fatidique nouvelle : la mort de l’artiste chanteuse, l’espoir de Pranoi. « C’est dans la cour paternelle de Tanti Oussou », révèle le notable Yao Kouadio, porte-canne du chef de village, Nanan Brou N’zi 2.
Depuis samedi dernier, les habitants du village ont pris d’assaut cette demeure où les bâtisses aux murs et toits sans splendeur, forment un quadrilatère. De nombreuses femmes du village et ses environs, en signe de solidarité, sont venues porter le deuil. Assises, çà et là, sur des tabourets, des chaises ou à même le sol, elles déversent les larmes de leur corps. Signe de l’importance dans la société Ahétou de celle qui est « partie ». Yeux hagards et rivés, têtes dénudées aux cheveux souvent blancs ou grisonnants, le pagne parfois mal attaché autour des reins, elles semblent s'interroger sur la condition humaine.
« Nous sommes perdus. Nous ne savons plus que dire. Maman est partie. Nous manquons de voix », affirme la vice-présidente de l’association des femmes, Kouadio Niandja, la cinquantaine, le visage grave et humecté de larmes et de morve. Elle s’arrête un moment comme pour retenir un sanglot qui lui bloque la corde vocale. S’essuie nerveusement la figure d’un bout de son pagne noué autour du rein. Puisant en elle une dernière énergie, elle relate, la voie presque transie par l’affliction, les actions de la défunte en faveur de ses sœurs du village.
Au fond d’une bicoque de trois pièces où trotte fièrement un poster présentant l’artiste et son frère, vit le vieux Kouadio Ouffoué. Presqu’au bord d’une crise de nerfs. Depuis la nouvelle de la mort de sa sœur. Dans un incessant monologue, à peine audible, il interroge. « Niamien (dieu), pourquoi, elle ? ». Cet aîné de la famille Zagbo (nom de la famille de l’artiste), aujourd’hui, aveugle et invalide, raconte son désespoir de la vie depuis la date fatidique.
« On peut dire que c’est moi-même qui suis mort car c’est ma sœur qui faisait tout pour moi. Quand je mange, c’est elle. Me soigner, c’est elle. Même mes habits... Je suis là, couché, sans moyens. Si cette sœur qui fait tout pour moi, n’est plus, c’est que c’est moi qui suis mort », s’écrie-t-il, derrière des lunettes fumées comme pour exprimer au monde la douleur qui le tenaille, ajoutant que Dieu devait le « prendre » et laisser vivre sa sœur cadette.
L’affliction atteint son paroxysme quand le porte-canne Yao Kouadio, tente d’étouffer une vague de sanglots qui le secoue. Ecrase une larme récalcitrante et renchérit : «C’est fini pour Pranoi. Les mots nous manquent pour traduire notre douleur. Notre espoir est parti. Vraiment Tantie Oussou représentait tout pour nous ici à Pranoi. Aujourd’hui, c’est la tristesse au niveau du village. Tout le monde est triste. Enfants, vieux, jeunes, femmes » dit-il.
Un pan de la vie de l’artiste
Selon « les gens qui vivent au bord de la rivière Pra (Pranoi) », fiers de parler d’elle, Tantie Oussou, de son vrai nom Konan Kouadio Oussou Elisabeth avait une volonté de fer et un tempérament de gagneur. Ils affirment que c’est grâce à ces qualités que la chanteuse est partie de rien pour se hisser au sommet et même devenir présidente du conseil d’administration du Burida, le bureau ivoirien des droits d'auteurs.
En effet, témoigne sa grande sœur, Kouadio Amenan, depuis son jeune âge, Tantie Oussou était prédisposée à devenir ce qu’elle est devenue. « A notre enfance Tantie oussou, notre petite sœur, voulait toujours nous commander. Ainsi chaque fois que nous voulions aller champ pour chercher du fagot pour maman, on refusait qu’elle nous suive. Elle frappait tous ses camarades de sa génération. A tout moment, si elles veulent faire un truc ensemble, c’est elle qui veut toujours être à la tête », se souvient la septuagénaire, les lèvres et les mains tremblantes, appuyée à une canne, bien qu’assise sur une chaise.
Elle raconte que c’est dans ce contexte qu’elle a créé la danse « Attomolokro » avant de quitter le village pour un travail de fille de salle à Dimbokro. Piquée par le virus de la musique, Tantie Oussou, qui fréquemment au village, importe à Abidjan, la danse « Kotou », une danse de la tribu Ahétou, pratiquée en son temps par les garçons les lundis et vendredis, jours où il n’y a pas de travaux champêtres.
« J’ai demandé en tant qu’aînée qu’elle arrête cela. Elle a dit non, il faut laisser ça. Elle s’habillait comme les garçons avec des jupettes et des grelots au pied. Elle est restée dans ça jusqu’à un moment, elle a laissé la danse Kotou pour rentrer dans la musique moderne » poursuit l’aînée de l’ex-PCA du Burida. Elle montre deux ex-danseurs de l’artiste, Ouffoué N’goran Dirou et Aya N’goa. Qui expliquent que « maman Oussou » dansait aussi le kpinpkli qui est le tam-tam parleur avant la sortie du premier album, zegbero, en 1990.
« Franchement, je suis très abattu parce que la vieille a beaucoup fait pour nous. Aujourd’hui nous sommes déboussolés parce qu’on a plus personnes pour s’occuper de nous. Je suis prêt à continuer l’œuvre de Tantie Oussou. Je demande l’aide des bonnes volontés pour que l’œuvre de la vieille continue », plaide Ouffoué N’goran Dirou, 46 ans, la voix enrouée, montrant des photos prises sur scène au palais des congrès de l’Hôtel Ivoire, en 1992, lors de la dédicace du deuxième album de Tantie Oussou.
Racontant les derniers moments de la vie de l’artiste, un de ses 12 enfants, joint au téléphone, jeudi, explique que sa mère n’est pas morte par manque de moyens. « Comme je l’ai dit à un quotidien de la place, maman était souffrante depuis novembre 2015. Par la suite, elle a vécu dans un coma durant 5 jours avant de revenir à la vie pour un temps. Au total, maman a passé un séjour de 21 jours à la clinique Danga de Cocody. C’est ainsi que je l’ai récupérée pour l’emmener chez moi, afin de mieux la traiter et la suivre. Nous avons donc fait des analyses, des mois de dialyse dont les factures ont été payées », dit-il.
Il a remercié la présidence pour l’octroi de la semaine de prise en charge durant la maladie. « Je pense que les obsèques de maman se dérouleront selon la coutume de ses parents. Nous nous soumettons à leurs décisions », relève l’interlocuteur.
Tanti Oussou, une femme au grand cœur, qui a porté Pranoi à bout de bras
«Tantie Oussou avait fait de l’amélioration de la vie sociale des artistes son sacerdoce. Elle a porté cet engagement à un haut degré d'exigence et de beauté ; ce qui lui a valu le surnom de « Maman des artistes », écrivait, samedi, dans un communiqué le ministre de la Culture et de la Francophonie, appelant les Ivoiriens à une mobilisation pour les obsèques de l’artiste.
Cette affirmation traduit, selon le porte-canne du chef de village, toute la vie de Tantie Oussou dont la vie rime avec le développement de Pranoi. « C’est fini pour nous. C’est fini pour Pranoi. Je ne vois pas qui peut faire comme elle pour nous. C’est elle qui a presque construit Pranoi », révèle Yao Kouadio, égrenant les actions de la chanteuse. Il fait savoir que la construction des deux logements de la sage-femme et de l’infirmier, l’acquisition du centre de santé urbain, de l’électricité, la construction de sept pompes villageoises, aujourd’hui toutes en panne, les kits scolaires des enfants à chaque rentrée scolaire, leurs habits d’école et chaussures sont l’œuvre de cette autodidacte.
En outre, dit le porte-canne, elle s’est fait bâtir une grosse résidence privée à un bout du village dont un pan abrite d’ailleurs le pasteur de l’église CMA. « Ce ne sera pas facile d’entretenir cette résidence », s’inquiète un jeune du village, au sortir d’une visite dans vaste domaine. « Elle m’a promis la construction de trois bâtiments pour le logement du sixième enseignant, pour la maternelle et pour les classes de notre deuxième école. Mais hélas, elle est partie. Qui pour nous aider encore», s'interroge le porte-canne, appelant l’Etat à les aider à réparer les pompes villageoises pour avoir l’eau potable dans le village avant les obsèques de leur « maman ». Il a aussi plaidé pour le remplacement des lampadaires publics dans le village qui ne marchent plus.
Le porte-canne qui estime que la chanteuse est une républicaine et c’est pourquoi, affirme-t-il, elle n’a pas eu de problèmes avec les différents régimes qui se sont succédé en Côte d’Ivoire. « Elle a servi tous les pouvoirs depuis Houphouët jusqu’à Alassane Ouattara parce qu’elle était républicaine. Ce que je demande au président et à son gouvernement, c’est de venir en aide à Pranoi pour enterrer notre maman, notre sœur bien aimée Tantie Oussou », conclut-il.
En attendant les funérailles prévues pour se tenir probablement en novembre, les artistes et la population de Pranoi pleurent cette grande figure des arts et une « mère » que perd la Côte d’Ivoire.


Un reportage de Ibrahim Komara AIP Dimbokro

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